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La Maraîchine Normande
11 novembre 2012

LES MISSIONNAIRES DE 93 ♣ Missions les plus pacifiques des bords de la Loire

LES MISSIONNAIRES DE 93

Ce n'est pas mon intention de réunir sous ce titre le tableau des crimes commis sur les bords de ce fleuve, partout ensanglanté depuis le département de la Haute-Loire où il prend naissance, jusqu'à l'Océan, où il traîna des victimes en si grand nombre, que la navigation en fut embarrassée. Je ne me propose pas de parcourir toutes les rives de la Loire, souillée de sang dans un cours de plus de deux cents lieues, et de retracer la série innombrable de forfaits dont ce fleuve fut le témoin, et, s'il se pouvoit, le complice au Puy, à Montbrison, à Feurs, à Roanne, à Nevers, à Cosne, à Montargis, à Orléans, à Blois, à Tours, à Saumur, à Angers. Je m'éloigne avec une égale horreur des lieux voisins de Lyon et de Nantes ; je ne me propose de fixer l'attention du lecteur que sur trois villes également distantes de ce trouble et sanglant théâtre ; ce sont celles de Tours, Blois, Orléans.

 

TOURS

Je ne dirai que deux mots sur cette ville qui, dans quelques circonstances, a été le quartier-général des représentans attachés à l'armée de la Vendée. Elle eut une commission révolutionnaire, qui immola je ne sais combien de victimes.

Elle possédat un représentant, dont la mission sembloit devoir être plus paisible, puisqu'elle n'avoit pour objet que des animaux : ce fut GUIMBERTEAU, chargé de la levée des chevaux dans les départemens de la Vienne, Mayenne et Loire, Indre et Loire, Loir et Cher, Sarthe, et qui fixa sa résidence à Tours.

Il étendit sa mission des chevaux aux citoyens ; et, au mois de nivose an II, il donnoit des nouvelles d'une pêche révolutionnaire qui avoit produit cent quatre-vingt-dix-neuf individus plus ou moins suspects (Moniteur du 16 nivose an II).

Il avoit aussi donné ses soins à la ville de Blois, en destituant la municipalité, et imposant révolutionnairement les riches. (Moniteur du 16 brumaire an II) ; mais il est moins célèbre dans cette ville qu'un grand nombre de ses collègues, dont nous allons faire une courte mention.

 

BLOIS

Le premier missionnaire républicain de cette ville, celui qui prépara la voie à tous les autres, qui même ne leur laissa presque rien à faire quant aux prédications civiques contre les tyrans, est sans contredit l'abbé GRÉGOIRE, évêque constitutionnel du département de Loir et Cher.

Le nouveau prélat, de la nouvelle église, alla en prendre possession en sortant de l'Assemblée constituante à la fin du mois de septembre 1791, et y passa un an, jusqu'au moment où il fut nommé à la Convention nationale. C'est pendant cette année d'épiscopat que la cathédrale de Blois retentit des accens d'une éloquence qu'on ne sait comment qualifier. Il en est resté plusieurs monumens, et, entre autres, deux discours imprimés qui sont les chefs d'oeuvre du genre.

L'un fut prononcé à l'occasion du service de Simoneau, maire d'Etampes, tué le 3 mars 1792. Ce fut un cadre heureux pour un orateur, qui vouloit faire le procès aux plus beaux monumens de l'éloquence de la chaire, et opposer à la dégradation du siècle de Bossuet, auteur des Oraisons funèbres, l'époque où M. GRÉGOIRE pouvoit célébrer, au lieu "d'un brigand couronné", un simple citoyen. "Autrefois, dit-il, on ordonnoit des prières publiques quand la décondité d'une reine promettoit à l'État un être de plus pour le dévorer, ou quand un bourreau du peuple étoit près de terminer sa carrière ... Autrefois, on faisoit l'éloge d'un fainéant titré, d'un brigand couronné.

Aujourd'hui c'est la guerre de la liberté, de l'égalité contre les privilètes, et c'est avec raison qu'on a crié la guerre aux tyrans, la paix aux nations ; il s'agit de broyer ces monstres ... Il faut que le sceptre des despotes soit brisé sur leurs têtes ... Oh ! avec quelle joie je porterois ma tête sur le billot, si, à côté, devoit tomber celle du dernier tyran !"

On sait que ce mot tyran ou despote est le terme générique de la langue du prélat contre tous les Rois qui existoient en Europe à l'époque où il prêchoit avec une telle force dans la cathédrale de Blois. C'est ainsi qu'il a appelé Louis XVI, le roi de Sardaigne, et tous les autres, quand il a eu occasion d'en faire une mention particulière.

Le second chef-d'oeuvre où le prélat constitutionnel signala son éloquence dans la même chaire, est un discours prononcé au service des citoyens morts à Paris le 10 août 1792, imprimé à Blois comme le précédent (l'un et l'autre aux frais du département, dont M. GRÉGOIRE était président), et où l'orateur, par un heureux crescendo, se surpassa lui-même. C'est là que les Rois sont appelés des êtres carnassiers (page 3), et que l'orateur, passant en revue ceux qui ont occupé le trône de France, n'en trouve pas un seul qu'il ne faille ranger parmi les êtres abhorrés, et fait le procès à Louis XII comme à Henri IV (page 5) ; c'est là qu'il dresse l'acte d'accusation de Louis XVI, qu'il qualifie de successeur de Charles IX, préparant une nouvelle Saint-Barthélémy, et qu'il condamne à l'immortalité des fameux criminels (page 9) ; c'est là que les plus fidèles serviteurs de l'infortuné monarque sont flétris des plus odieuses épithètes, et considérés par un ennemi si acharné, comme l'écume de la société (page 6) ; c'est là, enfin, que toutes les dynasties, TOUTES sans exception, sont appelées des races dévorantes et vivant de chair humaine. Juste ciel ! on ne connoissoit pas encore la race des régicides en mission, si humains et si philanthropes ! C'est, sans doute, ce qui doit faire excuser M. GRÉGOIRE.

Je ne finirois pas si je voulois extraire de cette pièce, que j'ai sous les yeux, tous les passages que l'on croiroit émané, non pas de la bouche d'un prêtre élevé à l'épiscopat, mais de la bouche des démons sortis du fond des Enfers, dont elle peint les fureurs et les haines.

Le troupeau du prélat, ainsi nourri d'une telle doctrine, ainsi préparé aux missions républicaines, et aux harangues des représentans, par des homélies si pastorales, fut visité successivement par CARRA, TALLIEN, GUIMBERTEAU, et surtout par GARNIER, de Saintes, quatre régicides, collègues de l'orateur, mais dont aucun ne peut atteindre à la hauteur de cette "éloquence sacrée" où il s'étoit élevé ; en sorte que la cathédrale de Bois, convertie en temple de la Raison, commença alors à retentir d'accens en effet plus raisonnables, ou, s'il l'on veut, moins révoltans qu'à l'époque où elle étoit livrée au docte prélat. Du moins les représentans en mission ne profanèrent pas l'Écriture, et n'allèrent pas, comme l'orateur sacré, chercher dans l'Évangile le texte de leurs "prédications civiques". Leurs discours seroient beaucoup trop insipides après ceux du précurseur qui leur avoit ouvert la carrière. Il faut donc nous borner à parler de leurs actions.

Il y eut à Blois des fusillades d'un grand nombre d'individus ramassés sur les bords de la Loire, et qu'on tuoit sans dire à quel titre. Dans ces exécutions (et en l'absence du prélat), ses grands-vicaires, membres du comité révolutionnaire de Blois, jouèrent un grand rôle. Leurs excès furent portés à un tel point, qu'ils parurent trop forts aux représentans en mission qui firent enfermer l'un d'entre eux, appelé ROCHEJEAN, comme ultra-révolutionnaire. La ville de Blois, pendant ces missions, fournit quatre victimes au tribunal révolutionnaire de Paris, où elles furent la plupart envoyées par GARNIER, de Saintes ; savoir, M. de SALABERRY, le marquis de ROMÉ, M. SAUNIER, desservant de l'hôpital où il étoit caché, et la supérieur de ce même hôpital, Mme ROGER. Les trois premiers furent condamnés à mort et exécutés. Mme ROGER fut condamnée à la réclusion et à six heures d'exposition. Voici son arrêt, précédé de celui de M. SAUNIER : "Jean-Joseph Saunier, prêtre convaincu d'émigration, a été condamné à mort.

Marie-Félicité Roger, ci-devant supérieure des religieuses de l'Hôtel-Dieu de Blois, convaincu d'avoir recélé ledit Saunier, a été condamnée à être exposée, attachée à un poteau, pendant six heures, aux regards du peuple, et à être ensuite renfermée dans la maison de force du département de Loir et Cher." (Moniteur du 12 brumaire an II, 1er novembre 1793) Cette femme, vraiment forte, fut exposée pendant le supplice de l'ecclésiastique qu'elle avoit recueilli, et en face de son échaufaud ; elle lui adressa, au moment où il alloit subir la mort, ces paroles, prononcées d'une voix forte ; "Mon frère, je me recommande à vos prières".

M. de SALABERRY fut condamné, le 12 germinal an II, 1er avril 1794, pour avoir entretenu des correspondances "tendantes à FAVORISER les projets des tyrans et les différentes conspirations contre la liberté du peuple français. (Moniteur du 21 germinal an II).

GARNIER, de Saintes, ne borna pas ses missions à Blois ; la ville du Mans fut aussi le lieu de sa résidence, et devint un champ de carnage. Mais terminons les missions les plus pacifiques des bords de la Loire par celle d'Orléans.

 

ORLÉANS

Indépendamment de la mission de LAPLANCHE, et des opérations de passage de LÉONARD BOURDON, qui coûtèrent la vie à neuf pères de famille, cette ville, qui fut constamment l'asile des proscrits, fournit onze victimes au tribunal révolutionnaire de Paris : ce furent, 1° Mlle POULAIN, sa domestique, et un prêtre retiré chez elle ; 2° deux soeurs, appelées Mlles BARBERON, un ancien gendarme émigré, et un prêtre, auxquels elles avoient donné asile ; un autre ecclésiastique, curé de Gidi, près d'Orléans ; un marchand de boeufs appelé GALLERAND ; une apprêteuse de bas nommée CRESSAND, femme FAUCHOIS, et enfin une marchande de tisane, qui fut exécutée à Paris pour ses opinions royalistes.

Il n'y eut d'exécuté à Orléans qu'un diacre, qui n'avoit pas prêté le serment. Ce jeune ecclésiastique, appelé M. GARNIER-DU-BREUIL, vivoit retiré, mais non caché, dans la maison de son père ; il montoit sa garde, et remplissoit les autres charges civiques avec une simplicité poussée presque jusqu'à l'imbécillité. Il ne se doutoit pas des lois de sang dans lesquelles il étoit enveloppé. Quelqu'un en parla à son père, qui lui dit d'aller se réunir aux prêtres reclus de la ville. Il y alla, mais le concierge refusa de le recevoir, et un débat s'engagea entre eux, l'un s'obstinant à fermer la porte de la prison, l'autre à demander d'y être reçu. Le résultat fut que le diacre passa la nuit dans la cour. Le lendemain l'accusateur public, instruit du fait, assemble le tribunal, lit la loi aux juges, fait constater l'identité pendant qu'on dresse l'échafaud, et y envoie la victime. Sa tête étoit tombée avant que la ville, ni la famille du condamné, sût son arrestation. On l'apprit après l'exécution, qui répendit un effroi si subit et si général, que l'accusateur public crut devoir en rendre compte au comité de salut public. On a appris depuis, l'on a dit du moins, que le comité avoit répondu que le "diacre réfractaire", s'étant livré lui-même, n'étoit sujet qu'à la déportation. Le "zèle" de l'accusateur public fut blâmé à cette époque. Plus récemment, et par ordonnance du 28 septembre 1819, cet ancien accusateur public a été nommé président honoraire à la Cour royale d'Orléans, qui doit effectivement se sentir bien flattée et bien "honorée" d'une telle nomination.

Il y avoit à Orléans, lors de l'éxécution de M. du  Breuil, des représentans en mission, qui ne faisoient que passer. Nous ignorons s'ils se mêlèrent de cette affaire ; rien ne nous indique qu'ils aient été consultés.

L'envoyé le plus célèbre est, sans contredit, LAPLANCHE. Ceux qui voudroient connoître plus amplement ses diverses missions dans cette ville, doivent recourir aux monumens qu'il en a laissés, intitulés l'un, "procès-verbal des séances tenues dans l'église Saint-Paterne d'Orléans", par le citoyen LAPLANCHE, représentant du peuple dans le département du Loiret, du 3 septembre 1793 ; l'autre est une "suite du même procès-verbal" ; il est daté du 2è jour de la 3è décade du 1er mois de la 2è année de la république (ce qui veut dire 14 octobre 1793). Ces deux pièces sont signées LAPLANCHE, représentant, et la première seulement est contre-signée AIGNAN, secrétaire du représentant

On peut consulter encore les procès-verbaux des délégués de LAPLANCHE, dans les divers districts du département du Loiret, délégués qu'on appela des "sous planches" à Orléans. Ces procès-verbaux, imprimés aux frais du département par les soins du représentant et de ses délégués, qui voulurent immortaliser leurs missions, sont des monumens curieux et vraiment immortels de cette époque de délire. Nous y renvoyons les amateurs, qui voudront comparer les "excès" de 1793 à la "terreur de 1815". Hâtons-nous de les rassurer sur le sort de LAPLANCHE, et de leur apprendre qu'après avoir inutilement cherché à se faire nommer maire de Salbris dans les cent-jours, il est mort sans être victime de la "terreur" de 1815.

Extrait du livre :

Les Missionnaires de 93

1819

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