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La Maraîchine Normande
24 octobre 2012

MARS 1793 DANS LE DISTRICT DE GUERANDE ♣ 3ème partie et dernière partie

Le Croisic et sa milice bretonne

 

Dès le 19 mars, Thomas Caradeuc avait adressé une sommation au Croisic d'avoir à se rendre:

"De par le Roi et le Régent du royaume, messieurs les habitants du Croisic se soumettent au même instant et enverront à Guérande douze otages pour preuve de soumission, faute de quoi les corps administratifs exerçant un pouvoir usurpé seront personnellement et sur leurs têtes responsables des malheurs qui en seront la suite...".

La municipalité et les notables du Croisic s'étaient réunis et, par 86 voix sur 166 votants, s'étaient prononcés pour la reddition. Les douze otages réclamés furent envoyés à Guérande (ADLA L531).

Le 20 mars, Lanouan arrive au Croisic par la mer. Il est reçu par l'ancien maire, David de Drézigné, et commence à installer la nouvelle municipalité. Le nouveau maire est Guillaume Lepré, chirurgien. Le procureur est Drézigné, le greffier est Lelantier, un douanier. Les échevins sont Laragon, Gallerand, Calvé de Soursac. Le juge de paix est Lorieux de la Mainguysserie. (Plus tard ils seront tous condamnés à mort et exécutés sauf Lorieux et Soursac) Manifestement Lanouan tient à posséder un port et espère sans doute une aide, peut-être anglaise. Le Croisic avait été correctement armé par les Républicains. Il y installe une "milice bretonne" composée de gens de confiance et commandée par Calvé de Soursac. Ce terme de "milice bretonne" est assez significatif de la pensée de Lanouan, lieutenant de La Rouërie et membre de "l'Association Bretonne". Le 21 mars, à deux heures du matin, il réunit les Croisicais pour leur présenter la nouvelle municipalité et sa milice. Au retour il passe par Batz puis se rend à Piriac où ses troupes pillent les maisons des patriotes. Partout il envoie des réquisitions pour obtenir des forces nouvelles. Puis il rentre à Guérande. Mais ses troupes s'amenuisent et l'armée républicaine est en marche. Lanouan le sait (ADLA L544).

Le samedi 30 mars, il convoque le maire républicain de Guérande, Moysen, et le procureur Chottard pour leur annoncer qu'il va quitter la ville puisqu'une force républicaine importante approche. Il les rétablit dans leurs fonctions et leur remet une somme de 3315 livres de la caisse municipale ! Puis il s'en va avec les 200 hommes qui lui restent vers la grande Brière où il lui sera facile de se cacher. Quant à la municipalité, elle prescrit le calme et conseille à ceux qui sont partis de revenir. Elle se réunit au District, aux chefs de la force armée et à quelques citoyens et donne l'ordre à la Garde Nationale de garder les portes et d'assurer la sécurité. On reste stupéfait de la façon dont se sont passés le siège et l'occupation de Guérande. Alors qu'au sud de la Loire il y avait de véritables batailles rangées et que dans le reste du département les morts ont été nombreux, ici il n'y a eu que deux morts et quelques blessés. Le district de Guérande n'a pas connu de massacre. A partir du 31 mars, les troupes républicaines, elles aussi, feront preuve de modération. Dans la ville de Guérande, tout s'est passé comme s'il y avait eu une entente tacite entre les deux partis, royaliste et républicain. Cela n'a pas été le cas partout ! 

Beysser, ou la gloire du colonel de chasseurs

 

 

Le 27 mars, le général de La Bourdonnaye, commandant l'Armée des côtes de Brest, envoie Beysser, colonel du 21e Chasseur, rétablir les communications entre Rennes, Blain et Nantes. Celui-ci se met à la tête d'un détachement du 39 e de Saint-Malo et de gardes nationaux de Rennes. Il dégage Redon puis bat, à Séverac, une bande de 1200 hommes commandée par Louis-Bernard de La Matinais, un officier de marine. Il se dirige ensuite sur La Roche-Bernard où il entre sans peine dans la matinée du 29 mars. Les rebelles ont fui. L'un d'entre eux, reconnu comme l'assassin du maire Sauveur, a la tête tranchée sur un affût de canon.

Beysser ensuite marche sur Guérande. Qui est ce colonel de Chasseur ?

Né en 1753, Jean-Michel Beysser est le fils d'un aubergiste de Ribeauvillé (Haut-Rhin). Remarqué très vite pour ses dons d'élève brillant, il commence des études à la Faculté de médecine de Strasbourg. Il devient à 16 ans aide-chirurgien major mais décide de quitter la faculté pour servir dans les dragons de Lorraine puis dans un régiment de la compagnie des Indes. Il voyage beaucoup et se spécialise dans l'étude de la syphilis, mettant même au point un remède dont il gardera le secret. De retour en France, il pose sa candidature de chirurgien-major et se rend à Lorient où il se trouve en 1789.Il s'engage alors chez les dragons et devient un guerrier participant à la répression de tous les rassemblements. Celui de Vannes, le 5 février 1791, mené avec fermeté, lui vaut une grande notoriété. Il monte rapidement en grade et est même fait chevalier de Saint- Louis par Louis XVI le 27 mars 1792. Un an après, il est adjudant-major au 21e Chasseur.

Dimanche 31 mars: Beysser à Guérande

La journée du 30 mars à La Roche-Bernard se passe à préparer le départ pour Guérande. Beysser écrit à la municipalité de cette dernière ville pour l'avertir de son arrivée et la mettre en demeure de chasser ou de livrer les rebelles sous peine de terribles représailles. La sommation et la surestimation volontaire des forces républicaines dans le courrier provoquent la fuite des insurgés.

Le matin de Pâques, Beysser se met en route avec deux détachements d'infanterie, une compagnie de "volontaires de campagne portant cocarde tricolore", quelques gardes nationaux de Rennes et quatre canons. En tout, environ 4 à 500 hommes. A Guérande, la municipalité vient au-devant de lui en dehors des murs, et le maire Moysen s'excuse d'avoir dû céder la ville sans combattre, déclarant que "tout le conseil municipal avait été ferme à son poste, tant que cela avait été possible, mais qu'il avait bien fallu céder devant la force. Pourtant, si leur vie avait été un sacrifice utile à la patrie et glorieux pour elle, pas un n'eut manqué de verser son sang". Propos déjà utilisés par les administrateurs de Pontchâteau et de Montoir après leur fuite devant les insurgés.

Beysser va se montrer magnanime. Il gronde et menace, fait enfermer pour le principe dans l'église Saint-Aubin... puis libérer rapidement quelques Guérandais, après remise en place de l'arbre de la Liberté. Il laisse au procureur-syndic Chottard, le soin de dresser la liste des suspects et de prendre les mesures judiciaires. Une liste de 44 noms est ainsi établie par le secrétaire du District, Le Lavé, et par le greffier, Danto. On relève parmi les premiers noms ceux des principaux chefs: Lanouan, Caradeuc, Jégo, Desboire, Lenormand, Rochefort, Louis Guillaume, La Haye de Silz, Bertho, Thomazeau; mais aussi ceux de différents prêtres: Rouaud de Saint-André-des-Eaux, Broussard de La Chapelle-des-Marais, Mollé du Pouliguen;et aussi ceux de Guichet chirurgien à Trescalan, Pierre Lahoux juge de paix à Batz et Michel Caillé avoué à Guérande (ADLA L282).

Puis Beysser part visiter et réoccuper symboliquement batteries et bourgades de la côte : Le Pouliguen, Batz, Le Croisic, enlevant au passage les cloches des églises. Il constate qu'à la batterie de Ville-Martin, quatre pièces ont été enclouées et deux pièces transportées à Saint- Nazaire par les rebelles. A Chauvalin, quatre pièces ont été enclouées et jetées à la mer. A Saint-Nazaire, deux pièces ont été enclouées et les affûts brisés. Partout les magasins ont été pillés. Au Pouliguen, un canon de 16 a été enlevé (celui qui a bombardé Guérande), à Mesquer et au Croisic une pièce a été enlevée. Beysser ordonne de les remplacer.

A Saillé, la petite cité saunière près de Guérande, il menace "d'incendier ce refuge de brigands" mais, bien reçu par les habitants, il ne prend aucune sanction. Il dit avoir des préoccupations humanitaires et se présente comme un révolutionnaire modéré. Il se félicitera plus tard "de n'avoir perdu aucun de ceux que la patrie m'a confiés et de lui avoir ramené tous ses enfants". A Guérande, il refuse de faire juger les quelques insurgés prisonniers par une commission militaire, généralement assez expéditive, car ils n'ont pas été pris les armes à la main. Ainsi, la reprise de la ville par Beysser n'a pas fait plus de dégâts que l'occupation par les insurgés.

Avril : après l'insurrection

Dans les premiers jours d'avril, Beysser va prendre le contrôle de Pontchâteau, savenay et des communes avoisinantes. A chaque fois la méthode est la même: demande de reddition et, quand celle-ci est obtenue, désarmement de la population puis descente des cloches des églises. Pressé de retourner à Rennes, Beysser contourne la Brière où se sont réfugiés nombre d'insurgés, notamment à Saint-Joachim qui échappe totalement au contrôle de la République.

Le reste du district retrouve un calme relatif qui ne tient qu'à la présence d'une garnison à Guérande d'où le Général Avril écrit, le 27 avril: " L'incivisme est à son comble... Je n'ai pas à me louer de ce district...".

Il faut dire que la ville manque de grains et que les Guérandais n'apprécient guère la présence d'une troupe qui certes les protège, mais qu'ils doivent loger et nourrir. Dans le district de Guérande on n'a pas alors le républicanisme très chaleureux.

 

 

Le destin des chefs ...

Que vont devenir les deux antagonistes principaux de cette Contre-révolution dans le district de Guérande: Guériff de Lanouan et Beysser ? Disons tout de suite que le deuxième chef des insurgés, Thomas Caradeuc sera arrêté à Saint-Nazaire où il se cachait, dans la nuit du 30 brumaire an 2 (20 novembre 1793). Traduit devant le tribunal révolutionnaire de Nantes, il sera condamné à mort et guillotiné le 9 frimaire (30 novembre).

Guériff de Lanouan gagne les îles de Brière avec 200 hommes. Il se déguise et s'y cache. Il est cependant signalé de différents côtés, en particulier par Clemenceau le maire de Montoir, et par le Général des Dorides, le 4 juillet. Grâce à des émissaires, il apprend que les Vendéens vont attaquer Nantes. Il compte sur leur victoire pour reprendre le combat, mais ils sont repoussés le 30 juin. Sa présence est signalée en Brière jusqu'en octobre. Le 5 de ce mois, un mandat d'amener est lancé contre lui par le tribunal révolutionnaire de Guérande. Il se décide alors à passer la Loire à Montjean et à se rendre dans les Mauges pour se joindre aux Vendéens. Il s'arrête à La Pommeraye où il meurt brutalement, vraisemblablement de maladie, sans qu'on en soit certain, le 4 frimaire an 2 (24 novembre 1793) à 53 ans.

Jean-Michel Beysser, nommé général, repart de Rennes pour Nantes d'où il est envoyé en Vendée à la tête de 3000 hommes. Le 22 avril il reprend Machecoul aux insurgés et revient à Nantes où il est félicité. Après un bref séjour dans le Morbihan, il reçoit le commandement de Nantes qu'il défend victorieusement, avec le maire Baco, contre l'attaque du 29 juin. Beysser est alors nommé commandant de l'Armée des côtes de La Rochelle. Malheureusement pour lui, il reste un républicain modéré, fidèle à ses amis fédéralistes, et il signe l'adresse du 5 juillet à la Convention, rédigée par un médecin nantais Guillaume Laënnec. Il est aussitôt destitué par les représentants en mission et Canclaux qui lui demandent de se retirer à vingt lieues de Nantes. Convoqué par la Convention, il réussit à se défendre, le 7 août, et est réintégré. Mais il est battu et blessé à Montaigu le 22 septembre. Son ennemi intime, Carrier le fait incarcérer puis transférer à Paris. Malgré l'intervention de Laënnec, il est guillotiné le 13 avril 1794 en compagnie des veuves d'Hébert et de Desmoulins.

... et des autres

A l'automne 1793 et au printemps 1794, le tribunal criminel de Guérande, le tribunal révolutionnaire de Nantes et les commissions militaires de Guérande ont prononcé 23 condamnations à mort relatives à l'insurrection de mars 1793 dans le district de Guérande. C'est évidemment beaucoup trop, mais on ne peut pas parler de répression massive. Cependant, on ne saurait passer sous silence les effroyables tueries de décembre 1793 et janvier 1794 dans les prisons de Nantes. Il y avait peut-être parmi les victimes, des Guérandais de mars 93. Parmi les 23 condamnés à mort, on relève les noms de: François, dit Bitacle ; Thomazeau, l'ancien chef de la Garde Nationale du Pouliguen ; David de Drézigné, ancien maire du Croisic; les trois frères Bernard de La Mâtinais ; Pierre Perraud ; Thomas Caradeuc ; Nicolas Richard, prêtre ; Lenormand dit Lucifer ; François Mahé ; Jean-Baptiste Jégo ; François Jégo ; Gabriel Laragon ; Thomas Lebel ; Joseph Lepré ; La Haye de Silz ; Lelantier ; Pierre Doucet ...

Par sa situation géographique et son histoire, le district de Guérande, tout en étant l'un des neuf districts de la Loire-Inférieure, faisait bien partie de la Bretagne. L'épisode de mars 1793 le confirme. "L'Association bretonne" de la Rouërie y avait ses ramifications. L'insurrection y était latente en Brière et s'est manifestée violemment dès juin 1792. En mars 1793, le soulèvement a été général, mais ne s'est pas traduit par les batailles, les massacres et la répression constatés dans d'autres districts. Il a été spontané à la suite de la conscription et a pris de court les chefs.

Par ailleurs, la réaction républicaine immédiate a été modérée, si l'on excepte les condamnations décidées plus tard par les tribunaux révolutionnaires de Guérande et surtout de Nantes. La rébellion, tout en restant latente, ne s'est pas arrêtée après le destin tragique des chefs.

 

Gaston BLANDIN

Joseph GUILLET

L'INSURRECTION DE MARS 1793

EN LOIRE-INFÉRIEURE

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