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La Maraîchine Normande
28 septembre 2012

LOUIS REYMOND ♣ LES BOURLA-PAPEY

LOUIS REYMOND

Capture plein écran 28092012 162003

 

 

Louis Reymond ne fut pas un modéré. Ce seul constat suffirait à marquer sa singularité parmi les acteurs de la révolution vaudoise.

Il se désigne lui-même ainsi : "L'insurgé ne s'écarte jamais de la justice ; il ne voit, n'entend, ne consulte que l'intérêt de la patrie, il lui sacrifie tout ; il défend l'opprimé contre l'oppresseur ; ami de la nature, il est soumis à ses lois, il ne se lève que pour les défendre. Le révolté n'écoute, ne veut que ses passions (...).

L'insurrection est donc un devoir sacré qui nous est prescrit par la nature. La révolte est un crime contre la société" dit-il dans un discours du 19 avril 1798. Il ajoute, évoquant les attaques dont la Société populaire et lui-même sont les cibles : "Cessez donc, lâches détracteurs des patriotes, de confondre l'ami de la licence et de l'insubordination avec l'ennemi de l'oppression, cessez de répandre sur les patriotes des épithètes qui n'appartiennent qu'aux partisans du despotisme". Cette positivité de l'insurrection se réfère explicitement à l'article 35 de la Déclaration des Droits de 1793 : "Le droit à l'insurrection est le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs."

Louis Reymond incarne, sur la scène vaudoise, plusieurs personnages :

- l'homme politique et publiciste ;

- le juge de district ;

- le capitaine recruteur puis commandant d'une demi-brigade ;

- le chef des Bourla-Papey ;

- enfin, du 23 juillet 1816 à sa mort, le 7 novembre 1821, à l'asile du Champ-de-Air, le fou.

Son père, Alexandre, est ouvrier maçon. En mars 1762, il épouse Françoise Groux. Sept mois plus tard naît une fille, l'aînée des sept enfants qu'aura le couple. Mais lorsque Jean-Antoine-Louis Reymond, le cadet de la famille, naît le 1er novembre 1772, cinq de ses frères et soeurs sont morts, âgés de 5 ans à quatorze mois, dont quatre en 1771, l'année qui précède sa naissance. Pauvreté, malnutrition, tuberculose, typhoïde qui frappent tout particulièrement les quartiers populaires, le Pré notamment où vit la famille Reymond ? On ne sait !

De cet ensemble de malheurs et stigmates des familles ouvrières urbaines qui frappent particulièrement Reymond se détache une information qui nous apprend que son parrain est Jean-Antoine Oboussier, d'une famille aisée de négociants lausannois dont Louis Reymond va retrouver fils ou neveux, de quelques années plus âgés que lui, sur son chemin par la suite. Si l'on ignore l'origine et les raisons de cette relation entre les Reymond et les Oboussier, elle permet au Dr François Hugli, dans sa thèse de psychiatrie sur Reymond, d'expliquer son degré d'instruction et son goût de la lecture (Rousseau, Voltaire ...), exceptionnels pour un enfant de ce milieu social par l'influence des Oboussier. Mais on peut aussi l'attribuer à l'apprentissage d'imprimeur qu'il commence vraisemblablement en 1786, à la mort de son père, et termine (selon Eugène Mottaz) à 17 ans, en 1789.

Dans l'ensemble de ses écrits conservés, on ne trouve qu'une seule notation autobiographique (Le Régénérateur, 19 juin 1798) : "L'amour de la liberté a été dès mon enfance le sentiment dominant de mon coeur ; toujours je détestai l'affreuse destinée qui rendait une classe d'hommes malchanceux l'esclave de quelques privilégiés dont le hasard de la naissance était le seul mérite (...). La Révolution française dont je me montrai un partisan enthousiaste, nourrissait mes espérances."

En 1794 – une demande de passeport en fait foi –, l’imprimeur Louis Reymond se rendit en France. Bien que son séjour se situe après la chute de Robespierre, le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), il y côtoya un mouvement populaire, pas encore totalement écrasé. Quatre ans plus tard, Reymond anima à Lausanne la remuante société populaire, «Les Amis de la Liberté», et le journal «Le Régénérateur», interdit par les autorités vaudoises. Jugé à Lausanne en septembre 1798, il fut condamné en appel par le Tribunal suprême helvétique à deux ans de prison «hors du canton du Léman», à dix ans de privation des droits civiques et à l’interdiction de participer à la rédaction d’un journal. Mais trois mois plus tard, il fut libéré et nommé capitaine-recruteur dans l’armée helvétique, ce qui lui permit de prendre la mesure du mécontentement paysan – depuis l’automne 1800 où les droits féodaux furent perçus avec les nouveaux impôts créés depuis 1798.

 

LES BOURLA-PAPEY   (La consigne du mouvement était: «Paix aux hommes, guerre aux papiers», d’où son nom en patois vaudois)

L'insurrection qui aboutit à la destruction des papiers de famille et des titres féodaux est un des épisodes les plus caractéristiques de l'histoire de la révolution vaudoise. Ce sont les bourgeois des villes, chacun le sait, qui ont fait la révolution. Le paysan était indifférent d'abord, ignorant ce qui se passait en réalité, peu soucieux de changer de régime. S'il nous faut payer les dîmes, répétait-il, autant les acquitter à Messieurs de Berne qu'à Messieurs de Lausanne. Mais quand on lui annonça que la révolution comportait l'abolition des redevances féodales, il s'y rattacha aussitôt.

Seulement, entre les promesses et la réalité, il y avait loin ; la question traîna en longueur, et dans l'instabilité politique qui caractérise les années de 1798 à 1802, elle ne reçut pas une solution satisfaisante. Puis, à mesure que la réaction gagnait du terrain en Suisse, la question des dîmes était résolue en faveur des propriétaires de droits féodaux. L'abolition promise au paysan n'eut pas lieu, au contraire. Il est dès lors compréhensible que le paysan vaudois se soit révolté.

Le mécontentement s'était manifesté déjà en 1800. Les patriotes rédigèrent une adresse dans laquelle ils blâmaient les actes du gouvernement helvétique en le taxant d'inconstitutionnel. Cette adresse, dite anarchique, fut considérée comme séditieuse, et ses auteurs furent poursuivis.

Mais ce n'était que le début. La perception des dîmes ne s'effectua en 1801 qu'avec de grandes difficultés. A la fin de l'année, les patriotes exaspérés conspirèrent contre le gouvernement et s'unirent, pour une action commune, avec ceux de l'Argovie et de Fribourg. Le résultat ne se fit pas attendre. En février 1802, les archives de La Sarraz étaient pillées, puis celles de Bière. Une expédition dirigée contre Lausanne le 1er mai échoua faute d'entente, mais les jours suivants l'insurrection gagne les campagnes, Reymond est mis à la tête des paysans. Le 6 mai, les archives de Morges sont livrées aux flammes ; le 8 les insurgés entrent à Lausanne et l'on est en définitive obligés de traiter avec eux. Il est pittoresque de se représenter ces paysans, sur le qui-vive, réveillés au milieu de la nuit, et partant en guerre ; les malentendus et les fausses alertes, les moments d'enthousiasme et de colère suivis de reculades peu glorieuses ; les scènes du crû, dans lesquelles le tragique se mêle au comique ; les bombances et festins, comme l'orgie du château d'Orny, où furent consommés 800 pots de vin nouveau, 80 bouteilles de vin bouché, 500 livres de pain et 200 livres de fromage, les réjouissances comme celles du camp des Gamaches ; les tristes retours, les arrestations suivies de nouvelles prises d'armes, les femmes elle-mêmes recevant à coup de fourche les soldats chargés d'occuper les communes rebelles. Dans la lute même et au milieu des scènes de pillage et de brutalité, apparaît encore le caractère bonhomme du paysan et son humeur narquoise.

Si la France, officiellement, ne soutenait pas l'insurrection, il n'est pas douteux que ses agents n'y aient participé par dessous main. Le résident français à Genève entretenait l'agitation à la Côte, le général français Turreau était sympathique aux révoltés, les paysans déclaraient hautement que si les droits féodaux devaient subsister, ils préféreraient une réunion à la France, plusieurs d'entre eux portaient la cocarde française, Reymond, leur chef, le tout premier.

Il est hors de doute que Reymond ne fut dans toute cette affaire qu'un instrument, que les véritables fauteurs de la révolte étaient cachés et agissaient en secret. Qui étaient-ils et qui porte la responsabilité des faits ?

De l'avis de M. Charles Burnier (La vie vaudoise et la Révolution, p. 356) les meneurs cachés, les secrets instigateurs étaient les patriotes citadins, qui avaient fait la révolution de 1798, les Pidou, les Muret, les Monod. Cette révolution n'avait pas assez pénétré dans les campagnes ; en pleine période révolutionnaire, alors que le régime bernois semblait oublié, quelques meneurs réussissaient à recueillir 17 000 signatures demandant la réunion à Berne. Il fallait aviser. "Le seul moyen de gagner nos campagnes à la cause de la liberté, dit M. Burnier, avait été de les compromettre dans cette cause. La raison véritable et profonde de l'insurrection était de rompre violemment avec toute velléité de retour à l'ancien régime. Aussi, dès que le but est atteint, voyons-nous Monod et Pidou aussi bien que Muret, réclamer une amnistie pour les condamnés du tribunal spécial.

Un fait certain, c'est que le paysan n'accepterait la révolution et ne s'attacherait au nouvel ordre de choses que si les droits féodaux étaient supprimés. Cette suppression était pour lui la seule raison d'être du changement de régime. Il ne faut pas lui en vouloir : son éducation politique était absolument nulle à cette époque, et il ne comprenait dans les affaires publiques que ce qui l'intéressait directement. Les révolutionnaires tels que Pidou, Monod, Muret, le savaient et le comprenaient. Mais de là à fomenter une révolte, il y a loin. L'insurrection des Bourla-Papey était beaucoup plus spontanée qu'on ne l'imagine. Elle était nécessaire et inévitable devant les tentatives réactionnaires du gouvernement, d'une part, et, d'autre part, devant la volonté bien arrêtée chez les paysans de ne plus payer la dîme. Une fois les esprits préparés, surexcités, exaspérés, une étincelle suffit pour allumer la guerre. Les fusils partirent tout seuls.

Et nos patriotes, Monod, Pidou, Muret, ont accepté le fait accompli plutôt qu'ils ne l'ont provoqué. Puisqu'il n'y avait pas d'autre moyen d'assurer l'abolition des redevances féodales, durent-ils penser, tant pis. Alors il valait mieux prêcher l'oubli et l'amnistie que de sévir avec rigueur.

La question fut liquidée sous l'Acte de médiation. Les droits féodaux furent supprimés par la loi du 31 mars 1804. Les propriétaires furent indemnisés, pour trois quarts par la vente des biens nationaux, pour un quart par les débiteurs de ces droits. On ne pouvait trouver une solution plus équitable et plus juste. Cependant quelques aristocrates protestèrent, ainsi Rigot de Begnins et Mestral de Saint-Saphorin. Leur conduite fut jugée illégale ; ils furent arrêté et condamnés à un mois d'arrestation dans leur propriété.

Ce fut là l'épilogue des discussions violentes et des troubles qui avaient agité le pays depuis le début de la Révolution. On pourrait ajouter cependant que, si la chose fut liquidée pour les Vaudois, elle ne le fut pas tout à fait pour les Bernois, propriétaires de fiefs dans le canton de Vaud. Ceux-ci ne se jugèrent pas suffisamment indemnisés. Ils portèrent la chose en diète où elle fut la cause de conflits et de disputes. Pendant toute l'époque de l'Acte de médiation, les Bernois ne désarmèrent pas. Enfin la déclaration du Congrès de Vienne du 20 mars 1815 stipulait, à son article 8, ce qui suit : "afin d'éviter tout différend ultérieur au sujet des lauds entre les cantons de Berne et de Vaud, ce dernier payera au gouvernement de Berne la somme de trois cent mille livres de Suisse, pour être ensuite réparties entre les ressortissants bernois propriétaires de lauds".

Cette décision pouvait faire le pendant avec celle du même genre prise à la même date et consigné dans le même acte, qui condamnait - condamnait est bien le terme - les nouveaux cantons d'Argovie, de Vaud, et de St Gall à payer aux anciens cantons (Schwytz, Unterwald, Uri, Zoug, Glaris, Appenzell Intér.) une indemnité de cinq cent mille livres de Suisse. Pourquoi ces contributions ? Mystère ! le Canton de Vaud les acquitté allègrement. Très ferme en ce qui concernait les questions d'autonomie politique et de dignité nationale, il avait déclaré que tout cela était sans importance, puisqu'il ne s'agissait que d'une question d'argent.

(Louis Reymond, l'insurgé: écrits par Louis Reymond,Jean-Claude Wagnières,Danièle Tosato-Rigo)

(P.M. - Revue vaudoise d'histoire et d'archéologie)

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