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La Maraîchine Normande
28 septembre 2012

COCARDE NOIRE

 

Quand ils virent l'armée étrangère dont ils faisaient partie maîtresse de Valenciennes, de Condé, de Bavai, à quelques lieues de Saint-Quentin et de Guise, les émigrés eurent l'illusion de leur prochaine entrée triomphale dans Paris. Quelle revanche ! Leur première déception fut Wattignies : il fallut repasser la frontière ; mais la confiance restait intacte : après les quartiers d'hiver, on reprendrait la campagne, qui serait décisive cette fois.

Elle le fut ; mais point dans le sens que Loyal-Émigrant présageait. En une marche fameuse, dont chaque étape fut une victoire, l'armée française poussa pêle-mêle Anglais, Allemands, émigrés, Hollandais, de Tournay à Bruxelles, de Bruxelles à Anvers, à Bréda, à Bois-le-Duc, à Utrecht. C'est là qu'au commencement de janvier 1795, se retrouvaient vaincus, humiliés, sans ressources, sans espoir, mourant de froid et de misère, ces émigrés pour qui la France était à tout jamais fermée. La déroute, jusqu'au Rhin, fut tragique.

En haillons, gardant au chapeau la cocarde noire, - cette cocarde que les étrangers leur avaient imposée "en signe de deuil et de servitude", - il leur fallut suivre vers la frontière d'Allemagne encore si lointaine ces Anglais et ces Allemands détestés auxquels ils avaient lié leur sort. Les populations hollandaises se montraient sans ménagements ; dans les auberges, on leur refusait brutalement du pain. Le froid était tel, la neige si haute, que les étapes, même pour les cavaliers ne dépassaient pas quatre lieues par jour. Ils élevaient, la nuit, des cabanes de neige, afin de se mettre à l'abri des vents du Nord. A chaque bourgade, leur troupe se grossissait de bandes affolées de femmes, d'enfants, de religieuses, de prêtres, français et émigrés, eux aussi, qui suivaient la débâcle pour ne point tomber au pouvoir des républicains victorieux. Car tout émigré pris était immédiatement passé par les armes.

La route à suivre n'était indiquée que par des cadavres gelés, et, malgré tout, la bonne humeur des temps heureux, dans ce grand désastre, survivait. On vit quelques-uns de ces malheureux industrieux comme de vrais Français, se cotiser pour faire l'achat d'une voiture d'enfant et y charger leurs effets, du pain, un tonneau de genièvre ... "Un gros ecclésiastique, l'abbé Allix, curé du Perche, s'attelle en arbalète ; un autre curé, venu du diocèse d'Evreux, et M. Brémond d'Ars se mettent au timon ; par derrière, pour diriger l'attelage et le pousser au besoin, se place M. Beigny, vicaire du diocèse de Langres", - et en route gaillardement.

A la traversée des villes, on se redressait pour avoir bonne mine et les bourgeois flamands regardaient silencieusement, mais non sans une sorte de curiosité admirative, défiler ces gentilshommes dépenaillés qui avaient vécu à Versailles. Quelques-uns, dont on se répétait les noms illustres, étaient particulièrement dévisagés ; l'un d'eux, grand, mince, portant élégamment le dolman chamois soutaché d'argent des hussards de Salm, passait nimbé d'une terrible auréole : il s'appelait M. de Sombreuil ; les jeunes filles du pays de Frise, entrevues aux lucarnes des fermes ou des moulins à vent, contemplaient avec sympathie ce bel officier dont le père et le frère avaient péri sur l'échafaud et dont la soeur était l'héroïne du verre de sang, déjà légendaire.

On garde fière tournure, mais on n'a pas de pain ; les paysans en refusent à ceux qui mendient. Sur les routes, balayées par l'âpre vent du Zuyderzee, il faut avancer, le ventre creux, car les hussards de Pichegru ne sont pas loin. Est-on sur terre ou sur la mer gelée ? On ne sait pas ; on tombe presque à chaque pas ; on s'égare sur cette plaine blanche, sans horizon, sans repère et quand enfin on trouve un abri dans quelque maison dont on force l'entrée, à peine est-on près du feu qu'un cri s'élève : Voilà les Français ! Il faut fuir.

Bien des fois l'arrière-garde de la retraite se trouve barbe à barbe avec les soldats de la République ; et comme les Anglais sont là, ces rencontres entre Français donnent lieu à des scènes touchantes. Les émigrés examinent avec fierté - avec envie, peut-être - ces braves qui les ont vaincus et qui leur témoignent une sorte de camaraderie compatissante. On ne s'adresse pas la parole ; on n'en vient pas aux mains ; les moustaches, d'ailleurs, sont tellement gelées et mariées aux pelisses que tout mouvement brusque est impossible.

 

Parfois, pourtant, on fraternise. Un matin, les avant-postes de l'armée royale voient approcher une colonne républicaine. Un officier s'en détache ; il vient annoncer, de la part du général Pichegru, qu'ayant ordre de fusiller tous les prisonniers, celui-ci préfère les renvoyer sans rançon. En effet un convoi de prisonniers arrive, escorté par des hussards républicains : les cavaliers de Loyal-Emigrant vont à leur rencontre ; de part et d'autre on descend de cheval, on se fait politesse ; on regarde curieusement armes et uniformes. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées qu'on s'était attablé et qu'on trinquait ensemble en chantant ce refrain, qu'à ce même moment, là-bas tout au bout de la France, les bleus entonnaient en choeur avec les soldats de Charette : Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille ?

Quand le détachement républicain rejoignit le gros de l'armée, plusieurs de ses hommes ne répondirent pas à l'appel. Pichegru fit semblant de ne pas s'en apercevoir. En revanche quelques soldats manquaient le soir au camp des émigrés : chacun était allé rejoindre le drapeau de ses affections. Le lendemain, la retraite se poursuivait vers la frontière westphalienne et ceux qui s'étaient embrassés la veille se fusillaient consciencieusement.

Au bruit du canon des avant-postes, les émigrés non combattants improvisaient des petits métiers qui les faisaient vivre ; ouvrages de menuiserie, de bijouterie, de chapellerie, d'ombrelles, de cartonnages, etc., industries modestes et parfois artistiques. Hommes, femmes, tous travaillaient courageusement. Les mains blanches qui avaient soutenu les robes à paniers en dansant le menuet, se fatiguaient, devant un feu de tourbe, à fabriquer des objets de mode, ce qu'on appelait des frivolités. Les hommes se chargeaient de placer les marchandises. Sur le marché des villes où l'on séjournait, quand la poursuite laissait quelque répit, on voyait des boutiques, installées sous de grands parapluies, tenues par monsieur le comte ou monsieur le marquis ; et c'était à ces marchands-là que pour s'entendre dire de jolies choses, les dames de la Frise ou de la Westphalie donnaient la préférence.

Enfin, l'on approcha de Brême ; l'armée française avait cessé de harceler la retraite des troupes alliées. A lire le récit qu'a fait de cette lugubre campagne M. Bittard des Portes, on imagine que le désespoir des émigrés redoubla, lorsqu'ils n'entendirent plus siffler à leurs oreilles les balles françaises ; maintenant ils allaient vers l'inconnu, toujours gardant au chapeau cette cocarde noire, qui était le symbole de leur patrie perdue, de leurs espérances ruinées, de leur asservissement aux caprices d'un gouvernement étranger. Il faut dire qu'ils portèrent crânement ce signe de tant de deuils et que, ces balles françaises, qu'ils regrettaient, ils allaient les retrouver à Quiberon.

 

 

Extrait du livre : Sous le bonnet rouge

par G. Lenotre

 

La couleur de la cocarde française était si peu fixée, que jusqu'en 1789 les jeunes officiers français qui se piquaient d'élégance et de bon ton ne portaient au chapeau, quand ils étaient en semestre, en habit de ville ou à la cour, que de grosses touffes ou rosaces de rubans de soie noire. 

La cocarde prise à Paris le 14 juillet 1789, fut d'abord verte, puis bicolore, c'est-à-dire bleue et rouge ; ce ne fut que le 26 juillet qu'elle devint tricolore par l'admission du blanc ; le journal de Prudhomme en fournit la preuve, et M. Droz en a retrouvé le témoignage dans les procès-verbaux des séances de la commune.

En octobre 1791, lors du fameux repas donné à Versailles par les gardes du corps, des cocardes, les unes blanches, les autres noires, avaient été distribuées aux convives.

Les légions composées d'émigrés français, en partie au service de l'Angleterre, avaient au commencement de la guerre de la révolution la cocarde noire. Telle était celle de Loyal-émigrant, qui fut si cruellement mis à mal par le général Vandamme, à Furnes, après la levée du siège de Dunkerque. Les régiments d'émigrés créés en Angleterre pour l'expédition de Quiberon avaient au contraire la cocarde blanche ; et là la distinction des corps à cocarde noire et de ceux à cocarde blanche, dont il est fait plusieurs fois mention par M. Thiers (t. VII, 1834, p. 474, etc.). - Les capricieuses modes de la cocarde étaient tout à fait inconnues dans l'armée qui donnait le ton à celles de l'Europe ; ainsi la milice prussienne, au temps de Frédéric II, ne portait pas de cocardes. - Avant l'année 1789, jamais en France, cocarde n'avait été attachée à un schako de hussard, à un casque de dragon, à un bonnet à poil ; c'eût été une hérésie en fait de tenue, une impardonnable faute contre la mode. Par une raison analogue, la milice autrichienne, qui ne connaissait pas les chapeaux, ne connaissait pas les cocardes. - Jusqu'à la guerre de la révolution, la cocarde n'était qu'un signe purement militaire ; aussi disait-on dans les milices anglaise et française ; to wear a cockade, porter cocarde, comme synonyme de l'expression : être au service. - Cette destination uniquement militaire de la cocarde se modifia ; le ruban tricolore pris en 1789, comme insigne politique, et longtemps avant que le drapeau fût tricolore, fut donné ensuite à l'armée comme insigne militaire.

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