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La Maraîchine Normande
24 mai 2012

UNE FAMILLE DE CULTIVATEURS LORRAINS EN 1793

 

 

Grâce à l'aimable complaisance de M. Vital Collet, de Charmes, nous avons la bonne fortune de pouvoir reproduire deux très curieuses miniatures où nous voyons, saisie sur le vif, toute la famille d'un fermier aisé des environs de Nancy. L'artiste nous montre, avec une conscience où perce une pointe de naïveté savoureuse, ce qu'étaient ces paysans parmi lesquels la Révolution et le siècle passé ...

Entre Haraucourt et Lenoncourt, presque à égale distance de ces deux villages, se trouve la ferme de La Borde. Elle se cache dans un étroit vallon où, bordé de saules têtards, coule un ruisseau aux eaux lentes. Il s'est appelé de nom divers, avant de devenir là la Rouanne, et plus loin la Pissotte. Un bâtiment bas et ancien s'allonge parallèlement au rupt. Il sert d'habitation au fermier. Son aspect n'a pas dû changer depuis 1793. A ce moment la ferme comprenait 80 hectares. Elle était la propriété indivise de J.-Cl. Hussenot, ancien curé de Maron, de sa soeur Françoise Hussenot, rentière à Nancy, et d'un sieur Maillot. Elle était tenue à bail par Charles Collet et sa femme Marie Durand, native d'Einville. Charles Collet, né à Noviant-aux-Prés en 1753, était issu d'une vieille famille de fermiers lorrains dont les membres et les alliés exploitaient dans la contrée de nombreux gagnages. Il avait reçu, semble-t-il, une bonne instruction, sans doute complétée par son cousin l'abbé J.-B. Collet, précepteur au château de Noviant. Cet abbé eut une destinée tragique. Prêtre insermenté, il fut la première des rares victimes de la guillotine en Lorraine. Charles, revenu au pays d'où étaient sortis ses ancêtres, avait embrassé avec ardeur les idées nouvelles. Les citoyens actifs du canton de Lenoncourt l'avaient choisi en leur assemblée primaire pour leur juge de paix. Très au courant des pratiques rurales, clairvoyant et droit, d'esprit ferme et décidé, il jouit d'une grande autorité dans ses fonctions. Elles lui furent conservées jusqu'à la suppression de son canton. Il devint alors suppléant à Saint-Nicolas. On lui donnait parfois le sobriquet de "Sâpre la poule", à cause d'un juron singulier dont il hachait sa conversation. A ces deux états de juge et de fermier, Collet joignait ceux d'arpenteur et d'huilier. La Rouanne faisait tourner pour lui les meules d'un moulin à huile aujourd'hui détruit.

Vers la fin de 1793 arriva à la Borde, comme le peintre Karl du Rouet d'ivoire à Chaudeney, un pauvre miniaturiste errant. Nous ne connaissons que son nom : Lafrance, et encore, fut-il le sien ? Les temps étaient durs en ces jours héroïques pour ceux de son métier. Les armes et la poudre trouvaient plus d'acheteurs que les tabatières et les boîtes ornées de portraits d'êtres aimés. Collet prit pitié de la détresse profonde du peintre ; il l'accueillit à la longue table où fumait la potée odorante. En échange de quelques semaines d'hospitalité, Lafrance peignit ces miniatures qui sont aujourd'hui pour nous de précieux documents.

 

 

Sur l'une, il représenta Charles Collet assis au milieu de ses quatre aînés. Un majestueux tricorne à large cocarde tricolore le coiffe. Ce chapeau "avec ganse dorée et bordé en noir" avait été fait sur commande par Masson, chapelier à Nancy en l'année 1792, pour le prix convenu de 24 livres. Les traits du juge respirent la volonté, l'énergie et la bonté. Contre lui, il attire de sa rude main de travailleur un gentil blondin dont la figure éveillée est éclairée de grands yeux bleus rêveurs. C'est son troisième fils, Julien-Augustin, né le 29 janvier 1786. Lorsqu'il aura épousé, en 1811, sa cousine Anne Collet, du Nouveau-Lieu, il reprendra le bail de La Borde. Il le laissera plus tard à l'aîné de ses quatorze enfants, Charles, pour louer une petite ferme de deux charrures à Haraucourt. Il y mourut en 1856. Près de son père, se tient debout, le front volontaire et têtu, Charles-Auguste-Richard, né le 25 mars 1781. Ce sera un arpenteur estimé à dix lieues à la ronde ; il mourra sans enfant en 1837. A côté, l'aîné, Pierre, est vêtu d'un uniforme neuf des soldats de la république. Sur sa poitrine se croisent les baudriers soutenant la giberne et le briquet. Une main s'appuie sur un lourd fusil, de l'autre il tient les insignes de la fonctions paternelle, une écharpe tricolore à laquelle pend une médaille, dont l'inscription : Respect à la loi, a été minutieusement reproduite par Lafrance. Est-ce peu de temps après que ses traits furent fixés là que Pierre rejoignit l'armée ? On peut le penser, car les volontaires de treize ans n'étaient pas rares chez nous. Tout ce que nous savons, c'est qu'il mourut à Turin au cours de la campagne d'Italie. Lui faisant face, une fillette aux grands yeux montre sur la table où elle s'accoude des boucles d'oreilles sorties de leur écrin. Elle semble très fière de ces modestes bijoux, dont le cadeau, lors de quelque fête, l'éleva au rang de grande personne. C'est Elisabeth, née le 20 octobre 1784. Elle épousera Jean-Louis Briat, de Haraucourt, et en aura six enfants. C'est chez que mourra son père en 1828.

Au centre de la deuxième miniature, figure Marie Durand. Ses traits encadrés d'un bonnet à barbes retombantes ne manquent pas de dignité et de noblesse. On y peut lire la fierté de ses huit enfants qui seront suivis de quatre autres, dont une fille, qu'en ventôse an II on nommera Fraternité. Sur son fichu blanc s'étale une jolie jeannette d'or que retient un étroit ruban de velours. Devant elle deux fillettes qui mourront en l'an II. Deux garçons sont à ses côtés. Celui de gauche, Désiré-Hubert, né le 16 février 1789, sera un forestier compétent, à Buissoncourt. Il épousera Marie Jeanmaire, de Lenoncourt, et d'eux sortira toute une lignée de cultivateurs estimés et travailleurs. L'autre, Charles-Victor, né le 3 août 1787, tint avec sa femme, née Marguerite Masson, près de l'église de Haraucourt, une auberge réputée au loin, dont Félix, un de leurs onze enfants, sut conserver la bonne renommée. Un autre de leurs fils, Charles, capitaine de zouaves, fut tué à l'assaut du Mamelon-Vert. Telle est, rapidement esquissée, grâce aux renseignements fournis par l'un de leurs descendants, M. Vital Collet, la destinée de cette famille dont le pauvre Lafrance fixa jadis les traits. Elle peut être résumée en ces quelques mots : ce furent de braves gens.

Charles Sadoul

Revue lorraine illustrée

1910

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