Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
5 mai 2012

L'ABBE EDGEWORTH DE FIRMONT

 

 

Henry Essex Edgeworth, né à Edgeworthstown, dans le comté de Longford, en Irlande en 1745 et mort le 22 mai 1807 à Mittau

 

Né en 1745 à Edgeworthtown en Irlande il était le fils d’un pasteur converti au catholicisme réfugié en France. Il fit ses études au collège des jésuites de Toulouse et puis entra au séminaire des Missions étrangères à Paris. Bien qu’il ait entrepris ses études en vue de devenir missionnaire, il décida de rester à Paris et de se consacrer en particulier aux catholiques anglais et irlandais. Grâce à son père et à l’archevêque de Paris, il devint vicaire général du diocèse de Paris et ami de la famille royale, devenant le confesseur de Madame Elisabeth en 1791.

Il quitta Paris au moment des massacres de septembre 1792, mais y revint en tant que vicaire général de l’archevêque Monseigneur Antoine-Éléonor-Léon Leclerc de Juigné. Il resta en rapport avec la famille royale enfermée au Temple et fut même le dernier confesseur de Louis XVI déchu.

Il fut recommandé par Madame Elisabeth au roi lors de son procès et, après sa condamnation à mort, il put obtenir la permission de célébrer la messe pour lui et l’accompagner à l’échafaud, où il recommanda au roi de se laisser lier les mains, par ces mots : « Sire, dans ce nouvel outrage je ne vois que le dernier trait de ressemblance entre votre Majesté et le Dieu qui sera votre récompense. ». Louis le dernier accepta.

Il était recherché depuis plusieurs années par la police de la 1ère République et il s'était caché d'abord en région parisienne. En 1796 il était à Bayeux. L'abbé comptait quitter la France en compagnie de son ami fidèle M. de Lézardière. Celui-ci, très inquiet du sort de son fils qui venait d'être pris dans une rencontre entre les troupes de la République et les chouans, se refusa à s'expatrier.

           L'abbé Edgeworth, réduit à ses seules ressources, pensa alors profiter de la "correspondance" que M. de Frotté, le chef royaliste, l'âme de l'insurrection normande, entretenait entre la côte et une des îles Saint-Marcouf, où était une petite garnison anglaise.

 

gravure représentant l'Abbé de Firmont. Etant irlandais, il n'était pas tenu de prêter le serment exigé des prêtres, de ce fait il avait été choisi par Louis XVI pour être son confesseur.

 Les îles Saint-Marcouf

 Leur occupation par l'Angleterre et leur position géographique les désignaient pour être une des bases principales de la "Correspondance". La "Correspondance " était l'organe de liaison entre les chefs chouans et l'Angleterre, d'où venaient tous leurs espoirs, à la fois du roi, ou de ses agents et du Gouvernement Britannique.

              Aussi, quand M. de Frotté put enfin convaincre le roi et le ministère anglais de l'opportunité d'un mouvement insurrectionnel en Basse-Normandie et qu'il vint au début de 1795 prendre son commandement, il apporta ses soins les plus attentifs à assurer sa "Correspondance". Pendant ses deux campagnes de 1795-96 et de 1799 à 1800, on le voit sans cesse préoccupé de la maintenir. La Correspondance assurait le service des lettres, paquets, vêtements, armes et munitions, le transport des finances et le passage des officiers et émissaires. De même que sur la côte occidentale du Cotentin, Avranches, Granville, Jobourg étaient les points de correspondance avec Jersey et l'Angleterre; à l'Orient, Meuvaines, la côte de Ver, Vierville, la Percée et la pointe de Grandcamp étaient les points d'atterrissage ou d'embarquement pour les îles Saint-Marcouf.

               Ce service était très dur et coûtait fort cher. Or, les fonds royalistes étaient très réduits et les subsides de l'Angleterre distillés avec un gré aussi contestable qu'intermittent. Les lettres du comte de Frotté sont émaillées de plaintes à ce sujet. L'entretien en vivres et en fourrages d'une des maisons de correspondance échelonnées le long de la côte était estimé à 25 louis par mois. Les pilotes et gens de service étaient assez mal payés et Ies agents anglais se plaignaient des avaries causées à leurs bateaux et des pertes de matériel.

Une lettre écrite par les frères Mauny, agents de la Correspondance, à M. de Frotté, avant sa deuxième campagne et que M. de la Sicotière (L. DE LA SICOTIÈRE. - Louis de Frotté et les insurrections normandes (1793-1832) a trouvée dans les Archives de Madame de Frotté, offre un tableau assez piquant de la situation.

 En voici un extrait :

Au Comte de Frotté, St-Marcouf, 24 mars 1798. ……

Il fait si mauvais temps que nous n'avons pu débarquer sur les côtes de France. Le gouverneur (un anglais, le Capitaine Price) dit que la Correspondance est ignorée du gouvernement. . . , que nous lui avons cassé plus de dix bateaux et compas, brûlé plus de vingt livres de chandelle, cassé tous ses fanaux et que le service est très dur pour ses matelots, qu'on ne les paye pas .... Il est certain que nous avons brûlé quelques livres de chandelle pour le service de la côte, estropié quelques-uns de ses bateaux et compas. M. de Mandat lui perdit un compas, la dernière fois qu'il est repassé, qu'il fut forcé par Ie mauvais temps d'aller échouer à Portsmouth. Peut-être il ne serait pas si fâché si beaucoup de ces messieurs lui eussent envoyé quantité de choses qu'ils lui avaient promises, comme 1°) un fusil à deux coups ; 2°) lièvres et perdrix toutes les fois que le bateau irait à la côte; 3°) du vin de Champagne, etc., etc. Prière de ne pas dire à M. Price (M. Price était le commandant du poste de St-Marcouf. Nous le retrouverons plus aimable lors de l'évasion de l'abbé) que c'est nous qui avons écrit cela; nous mangeons chez lui; peut-être se fâcherait-il ....

 

              Il ne pouvait guère en aller autrement pour des gens, qui, la plupart du temps, dans les conditions les plus favorables, c'est-à-dire par les nuits les plus noires, quittaient au large le Iougre qui les amenait, sautaient dans une chaloupe, et, pour ne pas s'échouer sur le rivage, débarquaient à quelque distance de la grève dans l'eau " jusqu'aux épaules " et atterrissaient, comme ils pouvaient, chargés de tout un attirail encombrant ou précieux. Néanmoins, c'était là une voie enviable pour un proscrit en quête d'un moyen de passer en Angleterre.

 

Première tentative de l'abbé

 L'abbé Edgeworth vint donc (de Bayeux où il se cachait) à Vierville, où, nous le verrons, il était assuré d'un bon accueil, et y attendit une occasion favorable. Elle ne tarda pas à se produire.

                Informé qu'un passage allait se faire, l'abbé se rendit sur le lieu de l'embarquement, mais ce fut M. de Frotté lui-même qui arriva avec quatre de ses officiers. Il faut remarquer que nous sommes en 1796, vers la fin de sa première campagne, au moment où il se préparait à retourner en Angleterre, la pacification de la Vendée allant permettre à Hoche de porter le maximum de ses forces contre la chouannerie normande. Le général chouan devait être inquiet et pressé. L'abbé Edgeworth n'était pas connu de Iui. Aussi, "il prit le bateau de sa Correspondance et laissa à une autre fois de faire passer M. Edgeworth".

 

Deuxième tentative de l'abbé Edgeworth

Quelques jours après, un bateau fut envoyé de l'île pour prendre l'abbé. Averti par des signaux convenus il s'apprêta à s'embarquer avec son jeune domestique, Louis Bousset et "trois personnes de la Correspondance", mais il leur fut impossible, même en se mettant à l'eau, d'aborder le bateau qu'emportait la marée. Force lui fut de revenir au château "d'où ils étaient partis". Comme dans leur précipitation, ils avaient laissé tomber des pistolets, les patrouilles républicaines les trouvèrent sur le rivage et la surveillance se fit plus active. On doubla les patrouilles.

 

Troisième tentative

Ce n'était pas pour embarrasser beaucoup les Chouans, qui, quinze jours après, redescendirent pour leur "Correspondance". L'abbé voulut encore profiter de cette occasion, mais, n'étant pas bien valide, ayant en outre la "vue très basse ", il céda aux instances de son domestique Bousset et renonça à ce projet.

 

Quatrième tentative

Il quitta le lendemain le château où il avait trouvé asile et alla à trois lieues de là où il espérait "s'embarquer le lendemain soir avec plusieurs personnes". Couchés dix à douze par terre pour apercevoir le bateau qu'on attendait, on découvre vers le lieu où ils s'étaient tapis un homme côtoyant le rivage. Bientôt on lui crie : "Qui vive ?" On lui demande son passeport, ce à quoi il se refuse et on finit par le laisser passer.

               Cet homme qu'un des leurs reconnut pour être le maréchal du bourg (le maréchal-ferrant, forgeron de Vierville), commandant de la garde nationale, fit qu'on se retira immédiatement à deux lieues de là, chez une soeur d'un jeune homme de la "Correspondance", qui, le lendemain, sous prétexte de faire travailler à une charrette, envoya chercher le maréchal, qui, après avoir été bien tourné (peut-être l'a-t-on fait boire un peu??), conta son aventure et finit par dire : " Ce sont des émigrés, ou des chouans, ils ne m'ont point fait de mal, j'aime mieux ne rien dire, de peur qu'on nous fasse monter la garde plus souvent".

 

Cinquième tentative

 Après avoir passé trois jours dans cette maison, l'abbé Edgeworth revint au château "de Vienville ". Par une faute d'impression, Vierville est écrit Vienville dans le texte des Mémoires. Mais il ne saurait y avoir de doute: sur cette côte il n'existe aucune localité, aucun château du nom de Vienville, et il est en outre certain que l'abbé Edgeworth séjourna à Vierville qu'il quitta pour s'évader. 

Toutes les fois que les Mémoires parlent du château où résida l'abbé pendant les dernières semaines de son séjour en France, aucun nom n'est donné qui permette de préciser ce château. C'est là d'ailleurs une discrétion assez commune dans les mémoires du temps. Ce n'est qu'à propos de la tentative d'évasion qui précède que le nom de Vierville apparaît. Elle échoua encore, car "le bateau ayant fait des signaux qui avaient été aperçus par les républicains, ils sont reçus en arrivant à coup de canon et de fusil et après ce petit engagement de part et d'autre, le bateau, se retire".

Désolé, l'abbé Edgeworth renonce à employer la "Correspondance" de M. de Frotté.

 

Nouvelle tentative, la bonne cette fois

Il s'entend alors avec le curé d'Asnières, village distant d'une lieue à peine de Vierville. A cette époque, le curé d'Asnières était l'abbé Nicolas Guérin. Lors de la Révolution, il prêta tout d'abord le serment, mais il se rétracta publiquement huit jours après. Devenu prêtre réfractaire, il passa à la cause royaliste et se chargea des "correspondances" entre l'évêque et les vicaires capitulaires.

              Un peu plus tard, et pendant toute l'insurrection normande, il joua un rôle important parmi les chouans et fut officiellement désigné comme "agent principal de la Correspondance ". Il figure à ce titre sur l'Etat de 1814, à l'état-major général.

             Il mourut curé de Formigny, Il avait reçu sous la Restauration les croix de St-Louis et de la Légion d'Honneur.

Par l'entremise du frère de I'abbé Guérin, un bateau fut acheté "pour la somme de 1000 livres tournois" (Mém. Abbé Edgeworth). Mais ici les souvenirs de l'abbé Edgeworth diffèrent du récit de l'abbé Guérin que nous trouvons dans le document de M. le chanoine Le Mâle.

                 Il dit à ce propos: "Nous parvînmes à acheter un bateau qui fut payé 400 livres par la caisse royale de la correspondance sur un mandat de M. de "Marguerye" (c'est à dire du châtelain de Vierville ou plutôt d'un de ses cousins). Pendant les pourparlers, l'abbé Edgeworth retourna à Bayeux.

                Quelques jours après, Bousset, qui était resté sur les lieux put aller "l'avertir qu'un bateau est à Vierville prêt à les recevoir".

                Ils s'embarquent tous à onze heures du soir le 20 août 1796 et découvrent en quittant le rivage, un bâtiment qu'ils prennent pour républicain, mais, bientôt leurs signaux étant répondus, ils ont la satisfaction de les voir répétés et une embarcation (anglaise) de l'île de Saint Marcouf vint les chercher; ils arrivèrent le 21 à Saint Marcouf à environ deux heures après-midi.

L'abbé se fit connaître au capitaine Price, commandant de cette station, qui le reçut avec cette cordialité qu'iI a "montrée à tous les Français qui ont eu des relations avec lui. Après avoir donné à dîner à M. Edgeworth, le soir même, il le fait embarquer pour Portsmouth sur un bâtiment de dix canons" (Mém. Abbé Edgeworth).

                Nous avons tenu à reproduire textuellement la relation de cette évasion, d'après les Mémoires de l'abbé Edgeworth, parce qu'elle diffère sensiblement de celle qu'en a faite M. l'abbé Faucon en 1868. Dans un mémoire, par ailleurs très intéressant, qu'il a consacré au séjour de l'abbé Edgeworth à Bayeux, à Vierville et à Guéron, M. l'abbé Faucon a suivi ligne par ligne la narration qu'en avait écrite, en 1857, un de nos meilleurs historiens régionaux, M. le président Pezet. Il y a ajouté divers renseignements qu'il avait pu recueillir vers 1868 auprès d'honorables bayeusains ayant conservé quelques traditions de familIe. Mais il est à remarquer que M. Pezet, ni M. l'abbé Faucon ne paraissent avoir eu connaissance des Mémoires de l'abbé Edgeworth: l'un et l'autre ne font allusion qu'à l'oraison funèbre prononcée à Londres en 1807 par l'abbé de Bouvens.

                Or, cet éloquent discours ne fait preuve au point de vue biographique que d'une faible documentation: on n'y trouve aucun détail particulier concernant la vie de l'abbé Edgeworth, qui ne soit connu d'autre part. M. Pezet et l'abbé Faucon font embarquer le proscrit à Ver et non à Vierville. Le texte des Mémoires n'y contredit pas: il se borne à dire que Bousset va avertir son maître "qu'un bateau est à Vierville prêt à les recevoir". S'il ne parle pas du lieu de l'embarquement réel, il précise du moins l'heure du départ de la côte (20 août 1796 à 11 heures du soir) et l'heure d'arrivée à l'île Saint-Marcouf (21 août à environ deux heures après midi).

La traversée dura donc environ quinze heures. Ce temps s'accorde mieux avec la distance qui sépare Ver des îles Saint-Marcouf, qu'avec celle, plus courte d'une vingtaine de kilomètres, qui sépare Vierville de ces mêmes îles.

               Nous avons d'ailleurs un témoignage irréfutable que l'embarquement se fit à Ver dans le document que nous devons à l'obligeance de M. le chanoine Le Mâle. Il contient en effet le récit même de l'abbé Nicolas Guérin, l'auteur principal de l'évasion. En voici un extrait:

"Pendant ce temps, M. l'abbé Edgeworth de Firmont, qui était revenu dans son asile à Bayeux, envoya presqu'aussitôt Bousset à Ver pour connaître le résultat de cette dernière tentative. Celui-ci, bien guidé, arriva au moment où le marché venait d'être conclu (Achat du bateau.).

"Il retourna sur le champ à Bayeux et amena son maître qui trouva réunis chez mon frère, M. le baron de Mandat, adjudant-général de M. de Frotté et qui fut fusillé à Caen deux ans après comme chef de royalistes, le chevalier (Henri) de Marguerye (un cousin du seigneur de Vierville), Jean-Anne et Pierre-Anne, mes deux neveux et un nommé Mauny de Maisy. Ces trois derniers devaient servir de matelots. Jean-Anne seul était marin; moi-même, il est vrai, je n'étais pas étranger à la navigation; comme fils de marin, j'en avais même quelques notions. "

 "Ce fut dans cette maison fidèle et avec ces dévoués serviteurs du roi que M. l'abbé Edgeworth passa son dernier jour et prit son dernier repas en France. La nuit suivante qui était celle du vingt août 1796, tous s'embarquèrent à Ver, protégés par M. Henri de Marguerye à la tête d'une compagnie de royalistes, mais Dieu permit que cette précaution fut inutile".

"La maison où coucha le confesseur de Louis XVI existe encore à Ver. Elle est à l'extrémité de la paroisse du côté de Crépon. à l'Est de la route de grande communication qui passe au bout du jardin de cette habitation."

              Autre détail qui corrobore notre hypothèse que M. Pezet, ni M. Faucon n'ont pas connu les Mémoires de l'abbé Edgeworth: tous deux s'obstinent à qualifier Bousset de vieux domestique. Or, Louis Bousset avait, en 1807, lors de la mort de son maître, à Mittau, trente ans. Son âge est indiqué, sans contestation possible, dans la lettre que le marquis de Donnay, maréchal de camp de Louis XVIlI, écrivit, sur l'ordre du roi, au frère de l'abbé pour régler la succession de ce dernier. Cette lettre est insérée dans les Mémoires.

              En outre, M. Pezet et M. Faucon disent bien, comme les Mémoires, que la barque des proscrits rencontra en route un bâtiment anglais, mais quand ils ajoutent que "l'abbé Edgeworth fit approcher sa barque, se nomma et fut accueilli avec des démonstrations de respect et que le commandant Price l'invita à dîner à son bord" ils font une confusion et donnent à l'être tout de douceur, d'humilité et de charité qu'était l'abbé un air qui change son caractère.

              Le digne abbé avait à ses côtés comme porte-parole, non seulement le capitaine Gondouin de Courseulles, les deux neveux de l'abbé Guérin, Jean-Anne le marin et Pierre-Anne, l'énergique abbé Guérin lui-même et surtout un des adjudants généraux de M. de Frotté, le baron de Mandat, un des plus intrépides et chevaleresques chouans qui fussent. De plus, le capitaine Price ne commandait pas de navire et n'était pas à bord du bâtiment. C'était le commandant du poste des îles Saint-Marcouf. Il reçut bien l'abbé qui lui en témoigne sa gratitude, mais chez lui, à terre, et non " à son bord ".

              Si nous avons relevé avec une méticulosité peut-être excessive l'inexactitude de ces détails, c'est que dans les récits qui nous occupent, il s'est fait une perpétuelle confusion de lieux et de personnes, qui embrouille toute cette histoire. Cette confusion porte surtout sur les deux châteaux de Vierville, dont nous allons parler plus loin et qui sont confondus en un seul et sur les familles qui les possédaient, les de Marguerye (au château de Vierville) et les de Marguerit de Rochefort (au manoir de Than), également confondues bien que tout à fait distinctes jusqu'en 1798

(mariage du chevalier Henry de Marguerye avec Mlle de Marguerit de Rochefort).

               Il résulte des faits que l'abbé Edgeworth passa environ trois mois à Vierville, préparant ses tentatives d'évasion.

Pendant ce temps, où séjourna-t-il ? Une légende accréditée par une carte postale illustrée assez répandue lui assigne comme refuge une tourelle pittoresque qui se voit encore près de la grille du château de Vierville (le toit de cette tourelle a disparu le 6 juin 1944). Il est possible qu'à l'occasion de quelque perquisition, il ait dû pendant un moment, chercher abri en cet endroit; mais il reste d'autres souvenirs qui permettent de se rendre un compte plus exact de la vie menée par ces proscrits.

                 En effet, dans les Archives familiales de la comtesse de Goussencourt, à qui nous devons ici exprimer toute notre gratitude pour nous avoir mis entre les mains nombre de papiers précieux, se trouvent certaines pièces relatives au séjour de l'abbé Edgeworth au manoir de Thaon, qualifié dans les rapports des fonctionnaires de la République " Château de Rochefort, Commune de Vierville-sur-Mer " ( Le véritable château de Rochefort est situé à Rochefort, commune de St-Jean de Savigny (Manche). Il fut restauré par son propriétaire actuel, M. Le Prévost de la Moissonnière, qui épousa Mlle Berthe de Marguerit de Rochefort.)

 Les réfugiés vivaient sans bruit, avaient des asiles secrets où ils se cachaient à la moindre alerte, mais

grâce à la bienveillance des familles royalistes - et elles étaient nombreuses - il leur était possible de mener une existence moins mystérieuse qu'on ne la dépeint généralement.

                 Ils vivaient de la vie de famille de leurs hôtes, sortant peu, leur personnalité étant plus ou moins devinée par la population des villages composée pour la plus grande part de braves gens que désolaient les excès de l'époque, soupçonnés seulement des quelques espions attitrés qui traînaient dans le pays ou de ces rares mauvais garçons, qui, profitant des périodes troublées, s'imaginent jouer un rôle, se dépensent pour flatter leur manie de gloriole et. plus souvent encore, pour assurer l'impunité aux méfaits qu'ils aiment à commettre.                   En 1796, il y avait deux châteaux, dont les parcs étaient contigus. Ils existent encore. L'un est le château de Vierville et appartient actuellement à M. et Mme Hausermann; l'autre est le manoir de Thaon et appartient à Mme la comtesse de Goussencourt (vers 1930), qui le tient de sa familIe séculairement établie dans la région. Ces deux châteaux ne sont séparés que par une longue venelle, qui les limite sur un quart environ du périmètre des propriétés. Résumons leur histoire. Le manoir de Thaon, tout voisin du château de Vierville, a été élevé au 18ème siècle (il a été détruit en 1944) et depuis 1727, il est resté dans la famille de Marguerit de Rochefort jusqu'à Mme Marie-Noëmi de Marguerit de Rochefort, comtesse de Goussencourt, qui en est la propriétaire actuelle (1930).

En 1796, au château de Vierville demeurait Gilles Edouard de Marguerie, vieillard de 87 ans, qui passait sa vie entre Vierville et Bayeux, où il mourut en 1802 et d'où son corps fut ramené pour être inhumé au cimetière de Vierville. Son fils Edouard Marie de Marguerie avait été guillotiné en 1793. Il avait laissé une femme et deux enfants, que l'aïeul avait très probablement recueillis.

                 Pendant ce temps, au Manoir de Thaon (alias château de Rochefort) demeurait Marie Félicité de la Roche de Normanville, âgée de 46 ans, femme de Pierre Nicolas de Marguerit de Rochefort, qui avait émigré. Elle avait auprès d'elle ses deux enfants, Marie Félicité Constance Aimée, alors âgée de 18 ans et Louis Henri Victor Frédéric, qui avait une dizaine d'années. Pour sauvegarder ses biens, elle avait dû demander le divorce, qui avait été prononcé le 31 Octobre 1792 (Archives municipales de Vierville. Registre de l'Etat Civil.).

                 Entre les deux familles voisines, l'intimité était grande. C'était au manoir de Thaon que descendait, lors des séjours intermittents et furtifs que lui permettait son état d'émigré (et de chouan) un membre de la famille de Marguerie, qui joua un rôle important dans les préparatifs d'évasion de l'abbé Edgeworth. C'était le comte Henry de Marguerie. Jacques Bertin Louis Henry, comte de Marguerie, était né le 8 Février, 1764 à Buscagny, près de Vassy, du mariage de Louis Henry de Marguerie d'Hérouville avec Marie-Charlotte de Malfillastre (de Vassy).

                 Plus tard le comte Henry de Marguerie épousa, le 9 janvier 1798, Marie Félicité Constance Aimée de Marguerit de Rochefort, fille de la châtelaine de Thaon. Il mourut à Vierville le 8 mars 1836. Nous avons une preuve du rôle actif qu'il joua dans les évasions de l'abbé Edgeworth dans une lettre, tirée des archives de Couterne, publiée par M. de la Sicotière et adressée au comte de Frotté par le comte d'Artois (frère du roi). En voici l'extrait relatif à Henry de Marguerie.

Au Comte de Frotté, Edimbourg le 16 septembre 1796.

                J'ai reçu votre lettre du 7 …….. L'abbé Edgeworth, auquel vos officiers ont procuré les moyens de sortir de France, m'a apporté une lettre du comte Henry de Marguerie qui sollicite la croix de St-Louis. Les services que M. de Marguerie a été dans le cas de rendre à M. l'abbé Edgeworth, me font désirer de ne pas me refuser à cette demande. Mais avant de rien décider sur cet objet, j'ai voulu connaître votre opinion sur cette grâce. J'attendrai donc votre réponse à cet égard. Adieu, Monsieur, vous connaissés tous les sentiments que je vous ai voués pour la vie.

Auprès de ces familles royalistes, éprouvées par la Révolution, comptant parmi leurs membres des officiers aux armées du Roi, des dignitaires des Ordres royaux, des émigrés, voire même des guillotinés, l'abbé Edgeworth trouvait une protection toute naturelle. A Vierville, il arrivait donc dans un milieu très disposé à lui offrir un abri et à faciliter son évasion. Ce fut au manoir de Thaon qu'il demeura.

 

 

 

Vis-à-vis du manoir de Thaon, au-delà de la route sur laquelle donnait la cour d'honneur, étaient de petites maisons basses, dont certaines existent encore. Une de ces maisons était habitée par des républicains rigoristes qui employaient leur temps à inspecter tout ce qui pouvait se passer d'anormal dans le château.

               Cela fit que souventes fois, soupçonnée et dénoncée, Mme de Marguerit de Rochefort fut l'objet de perquisitions désagréables. On cernait tout à coup la maison, on fouillait tout, on trouvait quelque objet pouvant passer pour un emblème séditieux, on le saisissait et on s'en allait. Voici d'après un journal du temps (Gazette du Calvados, 25 pluviose an VL n* 256.) le récit d'une de ces perquisitions:

" L'Administration centrale de ce département arrêta dernièrement qu'il serait fait une visite domiciliaire dans le ci-devant Château de Rochefort, situé commune de Vierville, canton de Trévières. Elle avait été bien instruite qu'il recelait ordinairement des émigrés; elle savait aussi qu'il était le point de communication des Anglais avec leurs agents en France et autres ennemis de la République et qu'il devait y exister un dépôt d'armes.

Quoique cette mesure eut été concentrée dans le plus profond secret et conduite avec beaucoup d'intelligence, elle n'a pas produit un résultat aussi heureux qu'on avait lieu de l'attendre.

On a cependant trouvé chez la femme Rochefort plusieurs emblèmes de la royauté; entre autres, la figure de Capet en silhouette, une médaille d'argent suspendue à un ruban noir représentant la France fleurdelysée arrosant de pleurs une urne cinéraire avec cette inscription: " Pleurez et vengez-le " ; en haut un nuage laissant échapper la foudre en éclairs; au bas est cette inscription: Le XVI janvier MDCCXCIII. On voit sur le revers le buste du dernier roi au pied duquel on lit: "Louis XVI, roi de France, immolé par les factieux". On a également découvert dans cette maison une infinité de caches, pratiquées soit dans les lambris ou parquets, soit dans les planchers. On y saisi quantité de papiers et titres féodaux. Quelques jours avant cette expédition, des noces avaient été célébrées dans le même château. Plusieurs émigrés des îles Saint-Marcouf y avaient assisté; il serait à désirer que des républicains y eussent été envoyés pour chanter l'épithalame. "

C'était le mariage du comte Henry de Marguerye et de Constance Aimée de Marguerit de Rochefort auquel il était ainsi fait allusion. Il avait été célébré le 17 nivose an VI (9 janvier 1798). Malgré ces alertes répétées, on n'a gardé le souvenir d'aucune fin tragique de ces perquisitions.

               Disons même que parmi les gardes républicains requis pour ces opérations, certains n'étaient pas serviteurs très fervents du régime, car on rapporte qu'au cours de l'une d'elles, un proscrit s'étant réfugié précipitamment et maladroitement dans un arbre, le garde posté au pied le prévint charitablement qu'on le voyait trop et qu'il prît soin de se mieux dissimuler dans le feuillage. On s'explique ainsi que dans nos campagnes les proscrits aient pu vivre sans alarmes trop vives et faire les démarches nécessaires à leur évasion.

                Evadé le 20 Août 1796, arrivé à l'île St-Marcouf le 21, l'abbé Edgeworth, par les soins du capitaine Douglas Price, put gagner Portsmouth le 25 Août. Il se rendit dès le lendemain à Londres, puis fut conduit par le baron de Roll à Edimbourg, où se trouvait Monsieur (le comte d'Artois, frère du roi). Louis XVIII était alors à Blankenburg, dans le Harz. Peu de temps après, l'abbé revint à Londres où il eut la joie de voir arriver Mlle de Lézardière. Celle-ci se rendait en secret en Angleterre, chargée de faire passer à Louis XVIII "certains projets de contre-révolution".

 

 

               L'abbé Edgeworth partit alors pour communiquer au roi les dépêches apportées par Mlle de Lézardière. A Blankenburg, le roi manifesta le désir que l'abbé passât le carême auprès de lui et lui fit faire ses Pâques. Louis XVIII le nomma alors son aumônier.

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité