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La Maraîchine Normande
10 avril 2012

Jacques Forestier ... La Gaubretière (2ème partie)

JACQUES FORESTIER

ET LES DEBUTS DE L'INSURRECTION DE 1793

A LA GAUBRETIERE

 

 

Lorsqu'après la Grande Guerre, Jacques Forestier revint à la Gaubretière, il trouva sa maison de la Garenne en ruines. Lors de son départ pour l'armée, la maçonnerie de cette maison était presque terminée, mais toute la charpente et la menuiserie, entassées dans un hangar, attendaient le moment d'être placées. A son retour rien n'existait plus de ces amas de poutres et de planches qui avaient été la proie de l'incendie, et la Garenne, en ruines avant d'être achevée, dressait ses quatre murs crevassées et croulants, troués de leurs ouvertures béantes.

 

Au milieu de cette désolation, la même pour tous les malheureux habitants de la Gaubretière, Jacques Forestier, plus heureux que la plupart, retrouvait sa famille toute entière groupée autour de lui, et pressait sur sa poitrine ses deux petites filles qu'à son départ pour l'armée il avait dû laisser à la Gaubretière, les confiant aux soins d'une fidèle domestique.

 

Elles avaient échappé par miracle au funeste passage de la Loire ; et nous rapporterons le délicieux épisode suivant, authentifié par une lettre de M. Paul Bourgeois, ancien député de la Vendée et doyen de la Chambre, fils du héros de cette touchante aventure.

 

Au début d'octobre 1793, on apprend à la Gaubretière que les Bleus, maîtres de Tiffauges s'avancent vers le bourg. L'alarme est aussitôt donnée, et les habitants abandonnent en hâte les maison et se cachent dans les bois et les genêts avoisinants ; certains même rejoignent alors la grande armée de Cholet et la suivent dans sa marche vers la Loire.

 

Les deux filles de Forestier et leur fidèle servante sont de ce nombre. A Saint-Florent elles étaient déjà embarquées lorsque le général de Sapinaud, reconnaissant les deux filles de son ami, crie à la brave femme qui les accompagne : "Retournez vous-en, pour l'amour de Dieu, vous devez conserver ces deux petites filles à leur père, et c'est à une mort certaine que courent tout ceux qui passent la Loire".

 

Persuadées par l'assurance du général Gaubretièrois, les trois femmes débarquent et reprennent tristement le chemin du Bocage ; mais elles sont bien lasses, depuis de longues heures elles n'ont rien mangé, et à bout de forces les deux fillettes se couchent sur l'herbe, demandant à grands cris du pain à leur vieille servante dont le coeur saigne de ne pouvoir rien faire pour elles.

 

Elles sont alors dans un de ces chemins creux du Bocage, enfoncé entre deux talus à pic, et, par une cruelle ironie, un grand pommier étend au-dessus d'elles ses branches inaccessibles chargées de fruits mûrs.

 

A ce moment douloureux, la Vendéenne aperçoit au bout du chemin un tout jeune officier de cavalerie, qui au grand trot de son cheval s'engage dans l'étroit défilé ; c'est le salut ! La brave femme se jette à genoux devant lui ; et le supplie au nom du Christ de cueillir quelques pommes pour apaiser la faim des pauvres petites. D'un coup de sabre, en se dressant sur ses étriers, le jeune homme abat une branche lourdement chargée, puis, sans attendre de remerciements, il rejoint à toute bride l'armée Vendéenne.

 

Seize ans plus tard, l'aînée des filles de Jacques Forestier épousait Denis-Antoine Bourgeois, ancien officier de cavalerie de l'armée du Centre. Au dîner de contrat, dans la grande salle à manger de la Garenne, chacun rappelait ses souvenirs de la Grande Guerre ; le général de Sapinaud, Jacques Forestier, et plusieurs de leurs anciens compagnons d'armes avaient déjà cité de nombreux épisodes, lorsque vint le tour de la mariée. Elle raconta alors l'aventure des pommes cueillies par le jeune officier vendéen, qui lui avait sauvé la vie ainsi qu'à sa jeune soeur.

 

A ce récit, le marié Denis-Antoine Bourgeois fondit en larmes, s'écriant au milieu de l'enthousiasme général que provoquait une telle coïncidence : "Ce jeune officier c'était moi, et je trouve aujourd'hui ma récompense".

 

Ce fut donc grâce à l'intervention de Sapinaud de la Rairie et de son futur gendre, que Jacques Forestier retrouva ses deux filles saines et sauves lorsqu'il revint à la Gaubretière.

 

Il y demeura jusqu'à la pacification, prenant part à tous les engagements des environs, et toujours chargé comme par le passé du service si délicat des subsistances.

 

 

 

 

C'est au cours d'une de ces expéditions dans le voisinage, que le Gaubretièrois ramenèrent à la Garenne le commandant Sauvageot, dont ils venaient de s'emparer dans les circonstances suivantes :

 

Le 18 mai, le poste vendéen établi dans les broussailles du coteau qui domine Mortagne, de l'autre côté de la Sèvre, voit arriver vers lui un officier mayençais, les habits en désordre, et poursuivi de près par une patrouille républicaine lancée à sa poursuite. Le fugitif escalade la rampe abrupte embroussaillée de genêts, échappe comme par miracle au feu croisé des Vendéens et des Bleus, et tombe au milieu des Gaubretièrois qui le désarment. Ceux-ci, ne sachant s'ils se trouvent en présence d'un transfuge ou d'un espion, le conduisent à la Gaubretière, chez Jacques Forestier.

 

Interrogé par le Commissaire général de l'armée du Centre, le fugitif déclare se nommer Sauvageot, lieutenant au régiment de Mayence arrivé la veille en Vendée, et, ajoute-t-il, écoeuré de tout ce qu'il a vu de cette guerre hideuse, commandé pour brûler des villages et massacrer des femmes et des enfants, il avait voulu rendre son épée à son colonel.

 

Ce dernier, furieux, avait refusé d'accepter sa démission, et le traitant de lâche l'avait menacé de son épée ; sous l'insulte Sauvageot avait aussitôt mis l'arme à la main, et, répondant à la provocation du colonel, lui avait planté son sabre dans la poitrine, puis escaladant le rempart peu élevé à cet endroit, il avait traversé la petite rivière sur les larges blocs de granit qui la pavent, et tentait d'échapper à la patrouille qui le poursuivait lorsqu'il était tombé au milieu des Vendéens.

 

Conquis par la figure ouverte et les franches explications de l'officier mayençais qui lui demandait à prendre du service dans l'armée Vendéenne, Jacques Forestier lui fit bon accueil, et gagné ainsi à l'armée du Centre un de ses officiers les plus braves et les plus capables.

 

Pendant toutes les années 1795, 1796 et 1797, Jacques Forestier continua à guerroyer dans le Bocage ; et nous voyons par un curieux document en date du 29 vendémiaire an VI (9 mars 1798), qu'à ce moment il avait l'honneur de figurer parmi les suspects réputés "dangereux", et dont l'administration centrale avait décidé l'arrestation.

 

Il figure en effet dans cette liste, adressée par le commissaire de la Vendée au ministre de la police, sous la rubrique : "Forestier, ex-commissaire général de l'armée du Centre, à la Gaubretière"

 

Cette arrestation, qui d'ailleurs ne réussit pas, devait avoir lieu quelques jours après, et nous donnons ici le mémoire du capitaine de gendarmerie qui en relate la tentative :

 

"Ce jourd'hui cinq germinal an 6ème de la république Française, une et indivisible (25 mars 1798), moi, Jean-Zacharie Prier, capitaine de gendarmerie du département de la Vendée, résidant à Fontenay-le-Peuple, d'après le réquisitoire de l'Administration centrale du département de la Vendée, en datte (sic) du vingt-neuf ventôse dernier, tendant à faire arrêter et conduire en la maison d'arrêt de Fontenay-le-Peuple, plusieurs ex-chefs de rebelles de la Vendée, dénommés audit réquisitoire, me suis transporté dans différentes communes de l'intérieur, à l'effet de mettre en mouvement le même jour et à la même heure les brigades de gendarmerie de ce département et les faire procéder de concert et surtout (sic) les points, à la recherche et arrestation desdits individus ... ...

... La brigade des Herbiers, chargée de l'arrestation du nommé Forestier, ex-juge de paix du canton detiffauges (sic) en a fait infructueusement la recherche. Ledit Forestier s'étant trouvé absent ...

... Dont du tout j'ai adressé le procès-verbal pour servir et valoir ce que de raison, en foi de quoi j'ai signé, les dits jours, mois et an que dessus.

Signé : PRIER

 

Il faut croire que l'ancien juge de paix était au courant des habitudes de messieurs les gendarmes, car à leur arrivée à la Gaubretière, ils trouvèrent le nid vide, et s'en retournèrent comme ils étaient venus !

 

En 1796, Jacques Forestier avait été relevé de ses fonctions de juge de paix du canton de Tiffauges, par suite du décret de l'Assemblée nationale qui excluait de toutes les places "ceux qui avaient pris part à l'insurrection vendéenne". Mais en 1802, sous le Consulat, et lorsque le canton de Tiffauges fut réuni à celui de Morgagne, Jacques Forestier fut de nouveau nommé juge de paix (du canton de Mortagne), et il exerça cette fonction jusqu'à sa mort.

 

En 1814, le général de Sapinaud lui décerna au nom du Roi la décoration du Lys ; et nous reproduisons ci-dessous la pièce qui en fait foi :

 

AU NOM DU ROI

Armée Catholique et Royale de la Vendée

 

"Nous, Lieutenant général des armées du Roi, général en chef de l'armée du Centre dans le pays de la Vendée.

Par ordre de Sa Majesté

Voulant reconnaître les bons et loyaux services rendus à la cause du trône et de l'autel par Monsieur Jacques Forestier, Commissaire général, demeurant à la Gaubretière, département de la Vendée. L'autorisons à porter la Décoration du Lys.

Fait à la Gaubretière, le 28 Juillet 1814

Signé : De SAPINAUD

 

En 1815, lors du soulèvement de la Vendée, l'ancien Commissaire général de l'armée du Centre, trop âgé pour prendre les armes comme en 1793, fut chargé de la manutention et de tous les services des ambulances, et durant toute la guerre il y consacra son intelligence et sa fiévreuse activité.

 

Lorsque la Restauration se décida enfin à octroyer quelques rares récompenses aux Vendéens, Jacques Forestier, qui n'avait pas demandé la Croix du Lys que Sapinaud lui avait fait décerner, ne songea nullement à faire valoir ses titres à une décoration plus honorable encore. Mais la noblesse vendéenne qui l'avait vu à l'oeuvre passa outre à sa modestie, et prit sur elle de demander pour lui la Croix de Saint-Louis.

 

Elle lui fut sèchement refusée, comme à tant d'autres, et ce ne fut qu'en 1821, et en antidatant la lettre royale pour atténuer l'incompréhensible ingratitude du gouvernement, que Louis XVIII se résolut enfin à donner à ce vieux serviteur de la monarchie un témoignage de reconnaissance.

 

Nous reproduisons cette lettre royale, et prions le lecteur de bien vouloir remarquer la significative divergence des deux dates :

 

LOUIS, PAR LA GRACE DE DIEU ROI DE FRANCE

ET DE NAVARRE

 

"Sur le compte qui Nous a été rendu du dévoûement et de la Fidélité dont le sieur Forestier Jacques, juge de paix de la commune de Lagaubretière, département de la Vendée, Nous a donné des preuves en combattant dans Nos armées royales de l'Ouest.

 

Voulant témoigner audit sieur Forestier la satisfaction que nous éprouvons de ses services, et lui en donner une preuve qui en conserve le souvenir dans sa famille, Nous avons résolu de lui adresser, et lui adressons la présente, signée de notre main, comme un gage de notre bienveillance Royale.

Donné au Château des Tuileries, le 11 juillet de l'an de grâce 1817, et de notre règne le 23e.

 

Signé : Louis

Pr le Ministre Secrétaire

d'Etat de la guerre

Mis de Latour-Meaubourg

ce 10 février 1821

 

(Cette pièce précieuse et la précédente sont en la possession de M. le docteur Charles Dehergne, Maire de la Gaubretière, et arrière petit-fils de Jacques Forestier)

 

Nous citerons en dernier lieu la note consacrée à Jacques Forestier dans l'état récapitulatif des officiers vendéens, dressé sous la Restauration, et reproduit dans la nouvelle édition de Crétineau-Joly.

 

"Forestier (Jacques). - Commissaire général pour le civil. Etats de services - A rendu les plus grands services pendant toutes les guerres de la Vendée, dans l'armée du Centre. Demande - La Croix de Saint-Louis".

 

 

 

Jacques Forestier vécut à la Garenne jusqu'en 1835, exerçant toujours les fonctions de juge de paix qui lui avaient été conservées par la Restauration.

 

Il était entouré de l'estime et de l'affection de tous autour de lui, et son souvenir est encore demeuré vivace parmi la population de la Gaubretière.

 

Beaucoup plus instruit qu'on ne l'était généralement à cette époque : les lettres qui ont été conservées de lui en font foi ; il était d'un commerce agréable, mettant au service de tous sa vieille expérience juridique, et ses jugements sont demeurés dans le pays comme des modèles de science et d'équité.

 

A ces fonctions modestes de juge de paix, qu'il savait relever par la manière dont il les exerçait, il joignait d'autres occupations et gérait les fortunes d'une grande partie de la noblesse des environs.

 

Au lendemain des guerres de Vendée, les familles étaient décimées ; dans les unes, il ne restait plus que des femmes ou des enfants; dans d'autres, le chef de famille, bien que vivant, était incapable de gérer une fortune que la guerre avait plus ou moins ébréchée ; aussi beaucoup vinrent-ils spontanément prier l'ancien notaire royal de prendre en mains leurs intérêts.

 

Jacques Forestier s'acquittait d'ailleurs de cette tâche avec la plus scrupuleuse équité ; mis ainsi au courant de la situation et des secrets d'un grand nombre de familles des environs, il était devenu par sa délicatesse et sa discrétion leur conseiller et leur ami, et du témoignage même de ses obligés, beaucoup lui durent la conservation et l'augmentation de leur fortune.

 

Il mourut à la Garenne le 18 décembre 1835.

 

De son mariage avec Henriette-Joséphine Marot, il avait eu quatre filles, dont deux seulement se marièrent. L'une, Joséphine, épousa Denis-Antoine Bourgeois, père de l'ancien doyen de la Chambre des Députés ; l'autre, Adélaïde-Monique, épousa le docteur Dehergne, médecin à Clisson, et qui, après son mariage, vint exercer la médecine à la Gaubretière.

 

Ses petits-fils y sont tous réunis ; et c'est dans l'antique demeure de la Garenne, vieille de tant de souvenirs, que nous avons essayé de retracer, aussi exacte que possible, la noble et belle figure de Jacques Forestier !

 

 

Revue du Bas-Poitou - 1908 - 2ème livraison

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