Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
10 avril 2012

TREIZE-VENTS (85) - CHÂTEAU DE LA BOULAYE

LA BOULAYE

P1120468

 

Somptueuse demeure au seuil de laquelle venaient s'arrêter autrefois les grands destriers empanachés des chevaliers lacés de buffle et casqués d'or et les haquenées plus douces des châtelaines qu'enveloppaient le brocard et l'hermine. Aujourd'hui du beau castel aux balcons ajourés il ne reste qu'un perron entre deux tours découronnées ; le lierre les enserre de toutes parts comme pour en voiler les blessures et dans le vide de leurs croisées ses lianes pendantes se balancent au vent comme des guirlandes de triomphe sur de vieux trophées !

 

La Boulaye avait été construite au XVe siècle par un Echallart, l'aïeul sans doute de cet Echallart de la Boulaye qui, renégat de la foi catholique, fut l'un des plus ardents tenants du protestantisme en Poitou. Mort à Fontenay, dont il était gouverneur, en 1694, ses restes furent apportés dans l'ancienne église de Treize-Vents qu'il avait convertie en temple protestant. Dieu ne permit pas qu'il y dormit tranquille : comme on faisait des réparations dans cette élise, servant alors de remise, le marquis René de Cintré châtelain de la Boulaye, son cousin Gabriel de Fontaines et quelques amis profitant de la présence des ouvriers, firent pratiquer des fouilles dans le sol de l'édifice.

 

Au bas des marches du sanctuaire la pioche découvrit un très grand cercueil de plomb dans lequel reposait Echallart de la Boulaye. Au milieu du cercueil un énorme coeur, également en plomb, renfermait dans un liquide embaumé le coeur, aujourd'hui dur comme pierre, du vieux chef huguenot. Une plaquette de même métal portait en capitales romaines l'énumération des titres de l'opulent seigneur.

 

... Baron de la Boulaye, de Châteaumur, de Châligny, de Pierrefite, de la Tourdoire, de Chandolant, de Bors, d'Orcinges, de la Grozallière, conseiller et chambellan ordinaire du Roy, capitaine, gouverneur et lieutenant-général pour sa Majesté à Fontenay et pays de Bas-Poitou, vice-admiral, etc., etc ...

 

Pour avoir la facilité de se retourner dans l'étroite tranchée, l'un des ouvriers posa sur le pavé deux ou trois ossements du sire de la Boulaye qui fut du reste traité par eux avec tout le respect dû aux morts ; mais le marquis avait avec lui un grand vieux griffon mal commode qui n'y mit pas tant de façon : tiré par quelque bourrade intempestive du sommeil dans lequel il s'était voluptueusement plongé et jeté dans l'illusion par un réveil trop brusque à son avis, il attrape à belles dents l'os du bassin du vieux huguenot et part à toute allure vers les taillis voisins ! ... Dans un coin de la vieille chapelle M. de Fontaines qui n'avait rien vu relisait tout haut les titres féodaux du puissant baron pendant que le bon abbé Mabille, voyant le chien s'enfuir emportant son funèbre butin, répétait mélancoliquement la célèbre parole : "Sic transit gloria mundi !" ...

 

P1120470_ImitateHDR_1

 

Restaurée en partie ou plutôt complétée sous Louis XV, la Boulaye était encore dans toute sa beauté quand la révolution jeta par les champs de France son cri sauvage. Lescure, blessé dans les luttes épiques de la "Grand'Guerre", vint à la Boulaye se faire soigner et c'est là, près de lui, que l'intrépide chevalier de Tinténiac vint trouver les chefs vendéens auxquels il était envoyé par les Princes exilés.

 

Lescure reçu encore à la Boulaye une autre visite. Un jour qu'il se reposait près de la grille du jardin, il vit venir à lui un paysan qui portait le costume de gars du Bressuirais. Grand, jeune, imberbe, suivi d'un grand chien roux qu'il appelait "Chanzeau", le paysan s'approche de Lescure, et roulant entre ses doigts son grand feutre, lui dit : "Monsieur le marquis, je suis une fille ; Mme de Lescure le sait, elle sait aussi qu'il n'y a rien à dire sur mon compte. Je viens vous demander des armes et une place auprès de vous pour me battre ; ne craignez rien, Madame la marquise répond de moi !".

 

C'était Jeanne Robin, de Courlay !

 

Manoeuvrant dans la grande allée de tilleuls qui passe au-dessous du château et dans la prairie qui la borde, Jeanne parvint rapidement à se très bien tenir en selle, puis elle partit, suivant Lescure, croiser le sabre avec les hussards de la République. Après s'être héroïquement battue dans plusieurs combats, un jour elle tomba, frappée en pleine bataille, face aux bleus. Le soir on retrouva son cadavre et près d'elle, Chanzeau, son grand chien roux qui s'était fait tuer aussi !

 

P1120460

 

Peu après, la Boulaye flambait sous les torches républicaines et le châtelain, M. d'Auzon, était arrêté malgré l'admirable dévouement de son vieux domestique qui, voyant son maître traqué et sur le point d'être saisi, s'en était allé se vêtir à sa garde-robe afin d'être pris et tué à sa place : héroïsme inutile que ne surent naturellement point comprendre les reîtres sauvages de la république, le maître et le serviteur moururent ensemble.

 

Ainsi agissaient à cette même époque les fidèles domestiques de Mme de la Rochefoucault-Bayer (La Rochefoucauld-Bayers), de Gabriel Baudry d'Asson, de Brachain, de M. de Saint-André et bien d'autres. Ce devaient être de singuliers tyrans tout de même que ces nobles qui suscitaient à leur insu de tels dévouements chez les pauvres gens qui les servaient ! ...

 

Pour en finir avec les sanglants souvenirs que la griffe de la révolution a gravés dans le sol de la Boulaye, redescendons jusqu'à la route qui conduit à Mallièvre. En la rejoignant nous voyons se dresser devant nous un énorme et très haut rocher que surmonte une belle croix de granit. C'est du haut de ce roc qu'un soir les bleus de la garnison de Mallièvre firent sauter dans le vide un prêtre et tout un groupe de paysans suspectés de ne point affectionner la république. Dans les jours suivants les mêmes bleus renouvelaient cet odieux exploit dans le parc du château de la Barbinière en la paroisse voisine de Saint-Laurent.

 

Quelques temps après, ces brutes perdaient leur officier dans des circonstances bien dignes de la chronique. Revenant des Châteliers les garnisaires de Mallièvre arrivaient près de Saint-Amand-sur-Sèvre lorsqu'ils rencontrèrent, seule sur la route, une grande jeune fille de vingt ans, servante chez les Boissinot qui étaient alors, et dont les enfants encore, fermiers à la Marronière. Aux grossières plaisanteries qu'ils lui décochaient au passage, la gaillarde répondait par un rire si peu gêné que l'officier qui commandait le détachement descendit de cheval, la prit par le bras et, laissant ses hommes aller devant, fit route avec elle.

 

En arrivant au pont de la Sèvre, l'officier l'embrassait passionnément en lui demandant de le suivre, mais avant qu'il ait eu le temps de se reconnaître la Vendéenne l'avait enlevé, jeté sur le dos, lui posant un pied sur la gorge et, sur le coeur, la pointe de son sabre qu'avec une incroyable prestesse elle avait pu dégainer. "Fais ton acte de contrition, lui dit-elle, ou dans cinq minutes tu seras chez le diable !" et pendant ces paroles la pointe du sabre descendait brusquement dans la poitrine de l'officier ... l'instant d'après la Sèvre emportait son corps ! ... La "chambrière" de la Marronière avait ainsi vengé les meurtres que les bleus, le matin même, avaient commis dans Saint-Amand ...

 

château La Boulaye

Extrait de la revue du Bas-Poitou - 1909 - 1ère livraison - p 38

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité