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La Maraîchine Normande
7 août 2016

MOUSTOIR'AC - SAINT-JEAN-BRÉVELAY (56) - HERVÉ ET GILLETTE GILLET - ROC JOSSIM - 1799

LA TOUCHE


Chez les Gillet, au village de la Touche, en Moustoir'Ac, il y avait, semble-t-il, tout ce qu'il fallait pour être heureux. Hervé Gillet était un personnage important, adjoint au maire de la commune ; il était riche, propriétaire de la principale maison du village, une gentilhommière ; il s'entendait à merveille avec sa femme, Gillette Briend, qui lui avait donné trois enfants pour cimenter leur union.

Depuis quelques temps néanmoins, sa vie n'était qu'un cauchemar. Il avait beau chercher à se raisonner, s'efforcer de dissiper le trouble de son esprit, d'écarter le fantôme qui s'attachait à ses pensées, rien n'y faisait. Il croyait entendre sa conscience et la voix publique lui jeter à l'oreille le mot réprobateur : Vendeur de prêtre ! et son coeur était sans cesse tenaillé par l'angoisse et le remords.

Il avait en effet du sang de prêtre sur les mains, Gillet, et qui plus est, du sang de saint.

Briand signature

Dans un village non loin de la Touche, à Kernonnen, était caché un vénérable et digne ecclésiastique de la paroisse, l'abbé Briand qui, malgré la tourmente révolutionnaire, n'avait pas fui en exil et qui continuait son ministère de charité auprès des fidèles ...

Les Chouans, apprenant la mort de l'abbé Briand, vinrent chez les Gillet et arrachèrent le couple à leur maison. La troupe partie dans la direction de Keravihan. Les juges chargés de statuer sur le sort des deux prisonniers se trouvaient là. Ils furent sans pitié. Pour un tel crime, il n'y avait qu'une sanction : la mort !

Et la troupe se remit en marche, au milieu de la nuit silencieuse, tandis que la lune de juillet promenait sa lueur blafarde à travers les ajoncs, allumait des feux follets au bord des sources et donnait aux vieux chênes sur les fossés des aspects de fantômes.

On allait vite, car le lieu choisi pour l'exécution était loin, par-delà les landes de Colpo, le sous-bois du Raz et l'étang de Quesnhouët, sur les rives de la Claie.

A l'endroit où cette rivière, qui coule du nord au sud, tourne autour du plateau de Saint-Roch pour prendre la direction de l'est, il existe une gorge sauvage où la nature fantasque a opposé les contrastes dans un raccourci saisissant. Au bout du val, à l'issue de cette gorge, un tableau idyllique ; des prairies grasses où se marie la ramure des saules et des ormeaux et qu'arrosent les eaux courantes ; un antique manoir qui, les pieds dans un étang, se dissimule parmi les grands arbres ; un moulin qui joyeusement, à longueur de jours et de nuits, chante la chanson du pain. Et tic tac tac ! et tic tac tac !

A l'autre bout du val, l'image parfaite du chaos. Les arides et abruptes hauteurs du Poublay, en Bignan, et la colline de quartz schisteux du Moulac, en Saint-Jean-Brévelay, se font vis-à-vis, barrant le cours de la rivière. Celle-ci, avec le temps, a brisé l'obstacle et s'est frayé un passage, mais les témoins de la lutte demeurent. Ce sont des deux côtés d'énormes rochers qui furent les assises de la digue et qui affectent les formes les plus bizarres, une queue écailleuse de monstre antédiluvien accrochée à la montagne, une sorte de moine en prière, la tête inclinée et entre les jambes une caverne où nichent les oiseaux de nuit, un berger de pierre gigantesque qui semble préposé à la garde de ce lieu de désolation.

Ce berger de pierre a nom dans le pays de Roc Jossim. Il forme la pointe extrême de l'éperon des collines de Moullac. A le voir, dressé d'un jet brusque à une hauteur de plus de quarante mètres, en surplomb de la Claie, avec les aspérités rugueuses qui hérissent les flancs de la base au sommet, on reste saisi, surtout si l'on chemine par là à la demi-clarté de la nuit tombante ; mais quand, de la plate-forme qui en couronne la tête, on s'avise de jeter un regard sur l'abîme des eaux dormantes et traîtresses où il baigne ses pieds, le saisissement devient de l'effroi. Instinctivement on recule.

Tels furent cependant le théâtre de mort et l'effroyable gibet sur lequel furent conduits Hervé Gillet et sa femme, en cette nuit de juillet de l'année 1799. Ils avaient les mains liées derrière le dos, un bâillon sur la bouche, un bandeau sur les yeux. On leur ôta liens, bâillon et bandeau.

Autour d'eux, c'était un silence lugubre. Les pâles clartés de la lune semblaient éclairer un vaste cimetière dans lequel s'agitaient des ombres mystérieuses. Les Chouans ne disaient mot.

roc jossim

On était parvenu sur la plate-forme. L'eau dans le bas, brillait comme un miroir fascinateur, sous un rayon de lune.

"Regarde à tes pieds, Hervé Gillet, fit le chef de la bande d'une voix où grondaient la colère et le mépris ; regarde, femme : voilà le linceul qui va protéger votre sommeil.

Vous avez commis le plus odieux des crimes. Vous avez livré le sang du juste, le sang d'un prêtre. Il convenait que le châtiment fût proportionné à la grandeur du forfait. Que Dieu ait pitié de vos âmes, maintenant."

Il y eut deux grands cris d'épouvante dans la nuit, un bruit de corps s'abîmant dans le gouffre.

Justice était faite.

Le lendemain, à l'aube, les travailleurs qui venaient de Saint-Jean pour aller à la moisson de l'autre côté de la Claie furent singulièrement surpris du spectacle qui s'offrit à leurs yeux. De petites lueurs étranges, inexplicables, couraient le long des eaux, aux pieds du Roh Josim et dans la Noë (prairie) qui le sépare de la route.

Ils voulurent en avoir l'explication et descendirent, mais alors nouvelle surprise mêlée d'effroi. A la surface de la rivière, ils aperçurent une main mutilée, brillante ainsi qu'un cierge dans la flamme qui l'entourait, et tendue vers le ciel en un geste vengeur.

Ils cherchèrent à l'attirer en se servant de branches d'arbres. Inutiles efforts. La main disparaissait sans cesse, pour reparaître plus loin, toujours crispée et menaçante, comme si elle en avait appelé à la justice de Dieu.

Finalement, ils réussirent à l'accrocher et ils ramenèrent sur la rive un corps de femme aux membres rompus, d'où suintaient encore des gouttes de sang.

Le soleil était maintenant levé et, à la vive lumière qu'il projetait sur la rivière, ils aperçurent, dissimulé parmi les plantes aquatiques, un second corps dans un état aussi pitoyable que le premier. Ses déchirures multiples prouvaient qu'il avait été roulé sur les aspérités du Roh Josim.

"C'est Hervé Gillet, s'écria quelqu'un ; je le reconnais". C'était en effet l'adjoint de Moustoir'ac et sa femme.

Hâtivement, car les ouvriers agricoles étaient pressés, on leur creusa une tombe au pied d'un chêne, dans la Noë, et on les y enterra l'un à côté de l'autre. Mais, en ce temps de troubles, il était prudent de regarder où donner la sépulture suprême aux trépassés. N'y avait-il pas danger pour la commune de Saint-Jean à laisser inhumés chez elle des amis de la Nation ? On le crut et, un jour, les gens du village de Moulac retirèrent les deux cadavres de leur fosse et, sans mot dire, les portèrent du côté opposé de la rivière, en Bignan.

Saint-Jean-Brévelay

C'est là, dans le Park-Lann du Quesnouët, que les deux victimes dorment leur dernier sommeil.

Leur crime avait été grand aux yeux de Dieu et des hommes. Mais la punition avait été terrible et il est écrit que le sang répandu en expiation est la meilleure des réparations. Paix éternelle aux âmes d'Hervé Gillet et de sa femme !


 

La principale donnée de ce récit a été empruntée à M. l'abbé Surzur, l'un des meilleurs folkloristes du Morbihan, qui le publia jadis dans la Revue Morbihannaise. Il était alors vicaire à Saint-Jean-Brévelay et il avait pu recueillir sur place quelques souvenirs demeurés dans la mémoire des anciens.

D'après ces souvenirs, il avait cru devoir attribuer à l'adjoint de Moustoir'ac un rôle de victime innocente, tombée sous la vindicte des Faux-Chouans, à cause de sa fermeté à exercer la police dans sa commune. Le principal défaut de tels renseignement était de provenir, d'une part, d'un petit-fils d'Hervé Gillet, de l'autre d'un vieux paysan de Haut-Moulac, localité trop éloignée de la Touche pour que les gens y fussent au courant de la conduite des habitants de ce dernier village. L'un était trop intéressé, l'autre pêchait par ignorance.


La tradition à Moustoir'ac même n'a pas de ces indulgences pour les victimes. Elle nous apprend que Gillet était universellement détesté, parce que sans cesse il dénonçait aux autorités révolutionnaires les villages où l'abbé Briand célébrait la messe.


On montre encore, près de la Touche, la tombe de deux femmes qui furent tuées, en se rendant à la messe de ce prêtre. Il fut impossible, paraît-il, de faire rentrer dans la terre le bras de l'une d'elles, tant qu'elle garda son alliance au doigt.

La fâcheuse réputation de Gillet survécut après sa mort, à tel point qu'une famille honorable du pays, les Ménahès, qui avaient acheté sa ferme, ne voulut jamais habiter la maison maudite. (Témoignage de la femme Le Douarin, de Kerponner, en Saint-Jean-Brévelay, fille Ménahès, de la Touche)

Le document écrit confirme d'ailleurs l'exactitude de la tradition de Moustoir'ac.

Si les archives de la mairie se contentent de nous apprendre le vrai nom de la victime, Hervé Gillet, et non Joachim Gillet, comme on l'a crut à tort (d'où le nom de Roc Jossim, "la Roche de Joachim" et celui de sa femme, Gillette Briend, en revanche deux lignes des archives de Vannes nous donnent des précisions. Elle nous disent que le 26 thermidor an VII, quelques jours après le meurtre, la commune de Moustoir'ac fut condamnée à verser une amende de douze mille livres aux trois enfants d'Hervé Gillet, qui gardèrent dans la suite le surnom de Minoured er baréz (créanciers de la paroisse).

Si l'on songe que la Révolution n'avait pas l'habitude d'accorder des largesses aux personnes qui lui étaient indifférentes, à plus forte raison à ses ennemis, quelle que fût la légitimité de leurs droits, et combien prodigue elle était en revanche envers ceux qui lui rendaient des services, en particulier envers les dénonciateurs, le fait d'avoir agi si promptement et si libéralement à l'égard des enfants de Gillet, résout clairement la question. En donnant un certificat de civisme à ce dernier, elle ne lui a pas ôté sa culpabilité devant sa justice et sa conscience et elle ne l'empêchera pas de rester devant l'histoire un traître !

F. C.
François Cadic - Chants de Chouans - 1981 - Réimpression de l'édition de Paris, 1949


 

- Fils de Guillaume Gillet et de Anne Cadoret, Hervé Gillet est né à Moustoir'ac, au Bodenno, quelques jours avant son baptême qui eut lieu le 17 novembre 1762.
- Mariage avec Gillette Brient
Enfants nés au village de la Touche Hilary :
- Mathurine, née et baptisée le 30 décembre 1790
- François, né et baptisé le 22 janvier 1792
- Olive, née le "17 ventôse 1795, an trois de la république française." (7 mars 1795)


 

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