CHAVAGNES-EN-PAILLERS (85) - ROLAND, COMTE DE SUZANNET (1923-1946)

MONSIEUR LE COMTE ROLAND DE SUZANNET
Mort pour la France, à 22 ans
Le 3 janvier 1946, en Indochine

"Ce n'est pas possible !" Tel fut le cri de stupeur qui jaillit des lèvres et du coeur des Chavagnais à l'annonce d'une pareille nouvelle.

Mais la dépêche envoyée par la Mairie de Paris à Madame la Comtesse est un fait, sec, dur, cruel comme un coup de poignard, mais un fait officiel, comme tous les avis de décès des soldats tombés au Champ d'Honneur.

Devant l'évidence, une exclamation unanime sortit de toutes les poitrines : "Quelle épreuve ! Quel malheur pour Madame la Comtesse, pour la Chardière, pour tout Chavagnes !" Oui, le malheur est plus grand qu'on ne le suppose, il a des conséquences plus tragiques qu'on ne saurait soupçonner !

En 1938, la mort de Monsieur le Comte Jean de Suzannet avait plongé la paroisse dans une profonde consternation. On l'aimait tant, on avait tellement confiance dans ses qualités de Chef, dans son dévouement absolu aux grandes causes de l'honneur et du bien, selon la fière devise de son blason : "Toujours la Fidélité à la Vérité !".

Né le 14 août 1923, il avait été élevé au Canada jusqu'à l'âge de 13 ans. Mais c'est en France qu'il continua son éducation. Quand la guerre 39-40 éclata, ses études secondaires n'étaient pas terminées : il les finit au collège Sainte Geneviève par l'obtention de la deuxième partie de baccalauréat. Il devait ensuite entreprendre de plus hautes études.

Mais, tandis que chez nous les évènements se précipitaient, son coeur de jeune français, descendant des preux chevaliers, bondissait sous les injures subies par la mère-patrie.

Bientôt il n'eut plus qu'un seul désir : lutter pour la France humiliée et piétinée, travailler à sauver son honneur.

Ce qui lui en mit "le feu aux poudres" et le décida pour de bon, ce fut la violation par l'ennemi de la zone libre.

A Noël 1942, il s'engagea dans les troupes de résistance. Les rejoindre n'était pas facile, et il y aurait là toute une page d'exploits héroïques dont on ne connaîtra jamais bien les détails.

Échappant à toutes les embûches, il réussit à passer en Espagne, mais il y fut emprisonné pendant 3 mois. De là, il réussit à gagner le Maroc, où il trouva à s'enrôler dans les troupes françaises. Il en suivit le sort : campagnes d'Afrique, campagne de France, occupation en Allemagne.

Notre jeune et courageux sous-officier n'est plus à ce qu'il désire. On ne se bat plus ici et l'on se bat encore ailleurs. Il veut être où l'on se bat, se porte volontaire pour l'Indochine et se voit en conséquence muté, en qualité de Maréchal des Logis-Chef, au 9e Dragons de l'armée Leclerc qui, après une attente de plusieurs mois, s'embarque enfin pour sa destination, en septembre dernier.

C'est ainsi que Monsieur Roland de Suzannet pour l'Indochine, et c'est ainsi qu'il s'y rendit pour y trouver la mort. Quelle mort ! .. Le 3 février précisément, dans la région au Nord de Saïgon, eut lieu un engagement dans lequel le 9e Dragons eut des tués et des blessés.

Il avait bénéficié de quelques jours de permission au mois d'août et avait fait une apparition à la Chardière, où j'avais eu la bonne fortune et le plaisir de le rencontrer quelques instants. Ne puis-je pas le dire aujourd'hui ! Je l'avais trouvé très mûri et son beau courage m'avait impressionné.

Me parlant de son prochain départ pour l'Indochine, il me laissait entendre qu'il allait y partir sans enthousiasme et comme à regret. Et comme je m'en étonnais, alors qu'il avait été volontaire, il me répondit en substance : "Eh oui ! j'y allais pour me battre, et c'est fini". Beau chevalier !

P. Giraud
AD85 - Bulletin paroissial de Chavagnes-en-Paillers - 1946