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La Maraîchine Normande
12 décembre 2014

CHARLES-AUGUSTE-ESPRIT-ROSE BLUTEL, CONVENTIONNEL, DIRECTEUR DES DOUANES

CHARLES-AUGUSTE-ESPRIT-ROSE BLUTEL

Charles-Auguste-Esprit-Rose Blutel, né à Caen le 29 mars (ou mai) 1757, était avocat. Il s'établit à Rouen au commencement de la Révolution et fut nommé en 1790 juge de paix de la huitième division (quartier Saint-Sever). Il remplit ses fonctions à la satisfaction générale, et mérita les suffrages des électeurs, qui l'envoyèrent siéger à la Convention. Jeune, actif, laborieux, Blutel se fit dans l'Assemblée une spécialité : il s'occupa des questions de commerce et de navigation. Il était du petit nombre des travailleurs qui dans les commissions étudiaient sérieusement les questions et les préparaient, sans pouvoir toutefois les soutenir éloquemment à la tribune ...


Blutel, n'étant pas orateur, ne pensa pas obtenir des succès de tribune. Sa sagesse naturelle l'éloignait de toutes les déclamations et des scènes violentes qui remplirent un grand nombre des séances de la Convention. Il faisait d'ailleurs partie du côté droit, et se tint éloigné avec une égale mesure des Girondins et des Jacobins. Il parla assez fréquemment en séance publique, mais en homme d'affaires, sans phrases et sans recherche oratoire. Parmi ses meilleures communications à l'Assemblée, nous citerons celle relative à la manufacture des tapisseries de Beauvais, si menacée à cette époque dans sa prospérité et même dans son existence, et que Blutel défendit avec autant de zèle que d'intelligence ; son remarquable rapport sur la nécessité de relever le commerce et l'industrie.

 

ROCHEFORT


Envoyé en mission à Rochefort, à Bordeaux et à Bayonne, après le 9 thermidor, Blutel s'attacha à faire cesser, dans ces malheureuses villes, les excès abominables commis par ses prédécesseurs, pendant la Terreur. Il traça, dans ses lettres à la Convention, le tableau des vexations inouïes commises par les proconsuls, qui allaient répétant aux populations épouvantées que "l'arbre de la liberté ne pouvait prendre racine que dans dix pieds de sang humain." Il dénonça les déprédations qu'ils avaient commises, sous le nom de réquisitions ; car, remarquons-le une fois de plus, ces farouches personnages avaient un faible pour l'argent, et plusieurs se sont grassement enrichis en faisant, disaient-ils, les affaires de la République.


Citons quelques passages des lettres de Blutel à la Convention ; elles feront connaître cette épouvantable époque prise sur le vif.

SÉANCE DE LA CONVENTION DU 4 NIVOSE AN III
(Présidence de Bentabole)
Un secrétaire fait lecture de la lettre suivante :
Blutel, représentant du peuple dans les ports de la Rochelle, Rochefort, Bordeaux, Bayonne et ports adjacents, à la Convention nationale.
Rochefort, le 25 frimaire l'an III de la République une et indivisible.


"Citoyens collègues, l'horizon politique se dégage enfin des vapeurs empestées qu'avait produites l'effusion du sang humain. Qu'il est doux d'être, dans cet instant, l'organe de la Convention dans ces départements ! Ce ne sont plus ces démonstrations gigantesques de quelques hommes qui, GORGÉS DE CRIMES, DE PILLAGE ET DE SANG, criaient qu'ils étaient patriotes ; ce ne sont plus les partisans égarés de ces hommes trompeurs dont la bouche, aussi froide que le coeur est faux, se contractait pour faire entendre le cri de vive la Convention ! à l'instant où ils machinaient dans leurs âmes les moyens de la détruire ; ce ne sont plus ces tribuns des sociétés populaires payés pour applaudir tel individu, dont souvent ils n'avaient point entendu les discours ; c'est le peuple, le peuple en masse, qui, par un mouvement naturel et spontané, applaudit à ses travaux, et reverse sur ses commissaires les effets de la satisfaction qu'il éprouve.


O ma patrie, quel beau jour se lève pour toi ! C'est aujourd'hui seulement qu'il existe une patrie pour l'homme vertueux. Qu'ils sont coupables ceux qui avaient conçu le dessein criminel de faire du séjour des talents, de l'industrie et de l'urbanité, UN ANTRE DE BRIGANDS, D'ANTHROPOPHAGES ET DE VANDALES, et du plus beau pays de l'univers UN DÉSERT COUVERT SEULEMENT DE RUINES ET DE CADAVRES."


(Voilà la Révolution jugée en l'an III par un conventionnel. Poursuivons.)


"La terre, plus humaine qu'eux, a ouvert son sein au sang qu'ils ont répandu, et s'est empressée de couvrir leurs forfaits.
Dans quel état était la commune de Rochefort lorsque j'y suis arrivé ! Dans un état d'abattement, de désespoir et de terreur. UNE POIGNÉE D'HOMMES PERDUS DE DÉBAUCHES ET DE CRIMES osaient proscrire le patriotisme vertueux, parce qu'il ne partageait pas leurs transports sanguinaires. On y osait dire QUE L'ARBRE DE LA LIBERTÉ NE POUVAIT PRENDRE RACINE QUE DANS DIX PIEDS DE SANG HUMAIN. ON CONTRAIGNAIT LES JEUNES CITOYENNES A VENIR S'ABREUVER DE SANG SUR LES ÉCHAFAUDS MÊMES QUI VENAIENT D'EN ÊTRE COUVERTS ; et si les moeurs pures de quelques-unes semblaient s'effrayer de ce tableau déchirant, on les menaçait de les mettre en arrestation. Un citoyen paisible s'éloignait-il de ce spectacle, on l'y traînait, et il n'avait à choisir qu'entre la prison et l'horreur de l'échafaud ...


Quelques intrigants, arrivés tout exprès des colonies, se sont distribué les places ; et comme ils étaient patriotes exclusifs, ils ont trouvé du danger pour la chose publique à les confier à d'autres, et les ont entassées en leurs personnes, de sorte que les malheureux qu'ils voulaient opprimer ne quittaient point leurs mains depuis le moment de la dénonciation jusqu'à la mort. En effet, ces hommes étaient installés membres du comité d'épuration de la société qu'ils dominaient, ils étaient membres du comité révolutionnaire, jurés, souvent juges, et presque toujours témoins. On dit qu'il n'est pas rare QUE LES JUGEMENTS DE CE TRIBUNAL AIENT ÉTÉ DICTÉS DANS DES ORGIES OU SE TROUVAIENT RÉUNIS LES JUGES, LES JURÉS ET LE BOURREAU LUI-MÊME."


Nous ne pouvons reproduire, par respect pour nos lecteurs, certains passages de cette lettre lue à la Convention, et où Blutel raconte les infamies des révolutionnaires renouvelées des orgies de Néron et de Caligula. Ce que nous avons cité suffit pour juger les hommes de l'époque.


Blutel, revenu de sa mission, poursuivit à la Convention l'oeuvre qu'il avait entreprise de relever le commerce et la navigation. Il fait décréter avec son collègue Johannot, le 21 messidor an III, que les comités réunis du commerce, des finances et du salut public, présenteront un projet de loi destiné à écarter désormais les intrigants et les fripons qui cachaient leurs honteux trafics sous le prétexte de servir la République et de punir ses ennemis. Il demanda qu'un ordre sévère fût apporté dans la vérification des comptables, et réclama la liquidation des prises faites en mer par les bâtiments de la République, cherchant ainsi à rendre au commerce étranger une sécurité nécessaire aux transactions avec le commerce indigène.


Les électeurs de la Seine-Inférieure récompensèrent Blutel de ses services en l'honorant de nouveau de leurs suffrages le 23 vendémiaire an IV, et l'envoyèrent siéger aux Cinq-Cents.


Dans cette nouvelle législature, notre député plaida constamment la cause du commerce français. Il était sagement protectionniste. L'introduction des marchandises anglaises ne trouva pas d'adversaire plus résolu ; il estimait, non sans raison, que le premier devoir d'un gouvernement est d'aider au développement de l'industrie nationale et de le défendre contre la concurrence étrangère. Il s'occupa aux Cinq-Cents de différentes questions de droit, notamment des lois sur les successions, sur les jugements par défaut, sur les huissiers des tribunaux civils, et ses motions étaient dictées par un remarquable esprit d'équité. Blutel fit entendre des paroles d'apaisement et d'humanité en faveur des Vendéens, et fut assez heureux pour faire adopter une résolution qui ordonnait la mise en liberté des détenus pour délits militaires dans l'Ouest. L'un de ses derniers actes comme législateur fut un nouveau projet sur les douanes, conçu dans un sens favorable à l'industrie et aux finances françaises.


Sa santé, ébranlée par une application incessante aux travaux qui l'absorbaient, le détermina à donner sa démission dans la séance du 14 ventôse an V (4 mars 1797).


Cet homme de bien, en se retirant de la vie politique, pouvait se rendre le témoignage qu'il n'avait usé de son mandat que pour rendre service à son pays et à ses concitoyens. Il s'était toujours élevé avec une indomptable énergie contre les excès de la Révolution, et il était souvent intervenu pour faire mettre en liberté bon nombre de détenus.

 

Anvers


Le premier consul, qui se connaissait en hommes, voulut utiliser l'expérience et les talents administratifs de Blutel, et lui confia les importantes fonctions de directeur des douanes à Rouen, puis bientôt à Anvers, l'un des premiers ports du monde. C'est dans cette ville que la mort vint frapper, le 1er novembre 1806, notre concitoyen, qui avait su mériter la confiance de l'empereur et l'estime des habitants d'Anvers, pendant une administration trop courte, mais bien remplie.


Blutel est un des fonctionnaires éminents qui organisèrent le service des douanes en France et en ont fait une des branches les plus parfaites de notre administration. Il n'avait que quarante-neuf ans lorsque la maladie brisa ses forces et interrompit brusquement une vie qui promettait d'être encore féconde et utile à la patrie.

(La Semaine Religieuse du Diocèse de Rouen -Samedi 8 janvier 1881 - 15e Année - n° 2)

 

Dans le procès du Roi, appelé à faire connaître son opinion sur Louis XVI, il se prononça avec courage en sa faveur. Il osa dire, dans la séance du 6 janvier 1793, que la Nation, par sa constitution de 1791, ayant lié ce monarque à son contrat social, et lui ayant offert la première fonction dans son nouveau gouvernement, il avait alors cessé de devoir le trône à l'ambition de ses aïeux et à l'oubli de la souveraineté du peuple ; qu'il était devenu Roi par la volonté de la Nation, et que ce crime était celui de la Nation et non celui de Louis XVI ; et il ajouta que si le monarque avait abusé de son pouvoir, la destitution était la seule peine qu'il eût encourue, et s'opposa conséquemment à ce qu'il fût mis en jugement. Mais son opinion n'ayant pas prévalu, il vota d'abord l'appel au peuple, puis la réclusion et le bannissement à la paix, et enfin, appuya la proposition Mailhe, tendant à ce qu'il fût sursis à l'exécution du décret de condamnation.
(Le Biographe universel - M. E. Pascallet - septième année - treizième volume - tome second - 1847)

De Rochefort, le 23 nivôse :

Je viens d'ordonner la mise en liberté de trois cents vendéens, dans les fers, qui réclamaient le bénéfice de l'amnistie. (Moniteur du 7 nivôse an III, p. 400 - 522).

(La Justice révolutionnaire à Paris et dans les Départements - Août 1792 - prairial an III - M. Berriat Saint Prix - Tome premier - 1870)

 

La commune de Rochefort dénonce : "Le système de terreur établi à Rochefort, les orgies où les proconsuls décidaient de la vie et de la fortune des citoyens, un tribunal révolutionnaire établi sans motif, la guillotine dressée en permanence, le bourreau amateur admis à leur table, tels étaient les principaux griefs des habitants. Lequinio était particulièrement accusé d'avoir fait de la guillotine une tribune aux harangues, d'avoir assassiné un détenu, sans défense, dans la prison ; on avait, sur ce dernier fait, l'aveu écrit de Lequinio. A la plainte de Rochefort répondait un mémoire de Lequinio, dont il fut donné lecture ; Lequinio niait certaines choses que nous avons omises à dessein, et il expliquait le reste. Il ne niait ni l'honneur fait au bourreau, ni l'échafaud pris pour tribune aux harangues : tribune digne des harangueurs ! il croit tout excuser en disant : "Ce jour-là, il n'y avait pas d'exécution". Lequinio dans son mémoire invoquait le témoignage de son collègue Blutel, qui était venu après lui à Rochefort. Blutel aurait peut-être aimé n'avoir rien à dire. Invité à parler, il ne pu taire l'état d'oppression où il avait trouvé la ville sous l'empire d'une douzaine d'individus, parmi lesquels on comptait les membres du tribunal révolutionnaire créé par Lequinio. Lequinio lui-même y faisait peur encore, dix mois après le 9 thermidor :

"Il vint, dit Blutel, à Rochefort, à l'époque du 1er prairial, après un congé pour rétablir sa santé. Sa présence fit concevoir les plus grandes alarmes aux habitants de cette commune ... Il me chercha à Rochefort, tandis que j'étais à La Rochelle. Il vint même me trouver dans cette dernière ville. Je dirai au surplus que sa présence causa à La Rochelle les mêmes alarmes qu'à Rochefort." (Moniteur du 15 fructidor an III).

(Bulletin de la Société des Archives Historiques - Revue de Saintonge & de l'Aunis - Tome XI - 1891)

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