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La Maraîchine Normande
27 octobre 2014

1841 - SOUVENIRS D'ENFANCE - LE TOAST A LA REINE

SOUVENIRS D'ENFANCE  -  LE TOAST A LA REINE

 

Marie-Antoinette

C'était pendant l'année 1841. J'étais tout petit, mais déjà tout yeux et tout oreilles. Mon père et ma mère, allant de garnison en garnison, m'avaient laissé chez mon grand-père du côté maternel, un des lieutenants de Charette. Là se bornera presque la mention des miens. Le Moi est nécessaire à certain genre de style. Il apporte plus de vérité au tableau. On me l'a toujours pardonné. De là à parler des siens, il y a loin. Je parlerai donc surtout des autres, quoique par le grade et au moins par la haute stature physique, mon grand-père fut un des plus importants.

C'était, dans la grande salle à manger, le rendez-vous annuel des chefs survivants de l'armée de Charette. Il y avait là trois chefs de division : Dubois [de la Patelière] - de Faugaret et mon grand-père, dont je ne donne point le nom, pour éviter tout soupçon de bête réclame, Guérin, père du célèbre Guérin, et Lucas de Championnière, député - tous deux majors de division. Enfin quatre ancien capitaines de paroisse. Les cinq premiers nommés étaient chevaliers de Saint-Louis.

Ici, un seul mot pour expliquer l'organisation de l'armée de Charette. Les hommes de chaque paroisse étaient commandés par un capitaine. Un chef de division, assisté d'un major, sorte d'adjoint et d'officier d'état-major , commandait de vingt à cinquante paroisses. A l'état-major général se trouvaient, auprès de Charette, un général de cavalerie, comme Prudent de la Robrie, et un major général, comme Davy Desnaurois. Quand Louis XVIII revint en France, il nomma colonels les chefs de division ; leur donna la croix de Saint-Louis, une pension ou des lettres de noblesse. Puis, on les oublia.

Dans l'armée d'Anjou, il y avait surtout des noms de haute noblesse, à part les noms de Stofflet et de Cathelineau. Dans l'armée de Charette, au contraire, à part quelques exceptions, c'étaient de petits gentilshommes de campagne ou bourgeois de campagne, qui tenaient de près ou de loin à la race du paysan - à la race autochtone. Cela explique peut-être la continuité plus grande dans l'effort, qui caractérisa l'armée de Charette.

Je dis cela, parce que cela n'a jamais été dit. L'armée de Charette a parfois tenu la campagne avec plus de cinquante mille hommes. - C'était elle que visait surtout Napoléon, quand il a dit des Vendéens : "LES GÉANTS", et l'histoire n'a guère retenu que le nom glorieux de Charette. Pourtant les de Couëtus, Joly - et les trois de La Robrie, Joseph, Prudent, Hyacinthe - et les trois Guérin méritaient autant de l'histoire que les nombreux chefs de l'armée de l'Anjou ... en dehors des deux ou trois héros immortels qu'on sait. Certes, je n'obéis point ici à cet instinct de désunion qui, plus que la Révolution, eut le dernier mot de la Vendée. Avec une entente et une action commune des deux armées, la Vendée triomphait. Michelet a écrit : "La Révolution faillit périr par le côté qu'on négligeait : l'Ouest."

 

CHARETTE PASSAGE DU GOIS

 

Dans la grande salle à manger, on ne voyait qu'un cadre, contenant une gravure de la reine Marie-Antoinette. Le dîner eut lieu. Trois des convives devaient mourir, l'an suivant. C'était comme le souper de la fin d'une grande race !

 

Marie-Antoinette 3

 

Je fus amené au dessert par ma bonne - à la condition que j'irais me coucher avant le café. Mais quand la bonne reparut, je regimbai et je fus défendu par deux vieux capitaines de paroisse. La bonne disparut furieuse et vaincue. Je me couchai sur le canapé profond. Voilà comment j'entendis tout et j'ai retenu les gros faits - de même que l'oeil de l'enfant retient les objets qui ont un puissant relief.

Assurément ce dîner a été, depuis vingt fois raconté devant moi - et certaines anecdote importante a été contrôlée dans tous ses détails. Pas un seul mot n'a été inventé par moi, cette étude est un document !

C'était presque toujours Dubois qui avait la parole. Tous ces hommes étaient de haute taille. Les cheveux étaient blancs, mais la tête était encore droite - quoique presque tous ces anciens chefs fussent septuagénaires. On peut dire que seul Charette ne fut pas physiquement un géant - le plus grand était presque le plus petit ! Aujourd'hui mon illustre camarade d'enfance, Athanase de Charette - personnifie mieux par sa haute taille l'ancienne armée de son grand-oncle !

Dubois, un lettré, était d'un tempérament violent. Il parlait haut - et disait avec infiniment d'esprit, les choses les plus gaies. On riait. Alors Dubois, furieux, frappait avec son poing sur la table. Chose qui m'étonnait fort - cet homme qui disait des choses si drôles - ne voulait pas qu'on rît !

Un ou deux convives avaient amené leurs chiens qui s'étaient faufilés dans la salle, avec les chiens de la maison. Eux et moi, regardions Dubois plus que ses camarades, à cause du bruit qu'il faisait. Tels les bébés et les chiens, quand une musique joue en plein air - ne perdent pas des yeux ... la grosse caisse.

"- Championnière, disait Dubois, on m'a dit que tes collègues les députés veulent biffer du grand-livre nos pensions militaires. Dis leur que leur en faisons cadeau, à la condition que je monte à la tribune pour leur dire deux mots". Rire général ! chacun se faisait une idée des deux mots de Dubois. Le soldat vendéen, on le sait, n'a jamais épousé la royauté d'Orléans.

" - Faugaret, disait Dubois, on m'a dit que tu étais parrain d'une nouvelle cloche. Tel que vous me voyez, je suis parrain de six cloches. Les républicains les avaient toutes tuées, nos pauvres vieilles, parce qu'elles appelaient aux armes. Il ne restait plus chez moi que la plus petite cloche, fêlée, à maigre voix de femme, qui appelait la paroisse avec le ton de madame de X... Tu sais, Faugaret ... Madame de X... ?" Encore rire général. Et Dubois furieux frappait du poing, parce qu'on riait.

Peu à peu, le bruit devint énorme. Ces anciens chefs militaires avaient le fantastique "revenez-y" du passé. Ils se croyaient encore jeunes, soupant, la nuit, au bivouac, pendant que leurs soldats dormaient sur l'herbe - aux alentours. C'est vrai qu'ils dormaient encore, leurs soldats, aux alentours, par la campagne plongée dans la nuit - mais qu'ils dormaient ... sous l'herbe !

Alors, ils parlaient des hommes et des choses d'autrefois, comme si tous vivaient ou s'agitaient encore. Ils parlaient de leurs chevaux, en les appelant par leurs noms. Presque tous ces chevaux avaient été pris sur les Bleus. En ce temps, on s'équipait chez l'ennemi ! Ils parlaient de femmes.  On sait que le trait caractéristique de l'armée de Charette était certain côté humain - ou mieux, féminin. On dansait au bivouac, pendant les embellies laissées par la tempête.

Alors des noms de femmes, de beaux noms ... mêlés à des noms de chevaux et de chefs, passaient dans les bruits du dîner. Puis, des silences - et des retours vers la réalité des choses présentes. Alors, une sorte d'appel des morts. Appel grave fait par des hommes arrivés au seuil de la tombe - appel à haute voix, comme à travers une porte !

Héros ! grands coeurs d'enfants ! Les écrivains les ont oubliés ! Tout a été pour les héros de l'armée d'Anjou. Pour la première fois, ces noms presqu'inconnus, auront eu une lueur de grande publicité. Puis, la journée passera - et ils rentreront, non dans la nuit, mais dans le clair-obscur de leur renom !

Quelques grincheux niais diront que je rappelle ici la guerre civile. Qui fut le premier coupable de cette guerre ? L'homme qu'on attaque dans sa famille, sa religion, sa liberté, ses droits, est-il coupable de se défendre ? Non ! l'histoire a prononcé. Tous ces hommes de l'armée, du haut ou du bas de la Loire, de la rive gauche ou de la rive droite - furent des géants.

Si vous aviez vu comme ils étaient doux - les chefs que je dessine ici. Ils avaient, près de cinquante ans auparavant, pris Nantes, la grande ville voisine ... les armes à la main. Et l'un était député, et l'autre, conseiller général. Tout était oublié - en ce temps où l'avenir ne venait pas si vite qu'aujourd'hui ! Rassurez-vous, les petits-fils de ces hommes ne songent pas à la guerre civile. Deux d'entre eux sont aujourd'hui au-delà de la mer, l'un chef de bataillon, et l'autre lieutenant de vaisseau - en face de la mort militaire, pour le service de la patrie commune !

Tout à coup un des convives prononça ce mot "la Reine". Dubois se lève furieux. "Qui a dit la Reine sans se lever ?" Qui ? ... Il fallut le calmer.

Et il continuait, toujours debout "la Reine ! - Vous souvenez-vous de son mouchoir, qu'elle nous a fait parvenir, quand nous étions à Noirmoutiers ? Nous voulions le mettre au bout d'une pique en acier doré, comme notre drapeau. Le général n'a pas voulu ! "Ah ! si la Reine avait été avec nous !"

Tous ces chefs militaires parlèrent de ce mouchoir. La Reine ! Comme ils disaient ce mot-là. C'est que Marie-Antoinette a représenté pour eux la résistance jusqu'à la fin - jusqu'à la mort. C'est elle qui, en définitive, a le plus lutté, parmi les princes, contre la Révolution.

Dubois s'était assis. Se tournant vers mon grand-père et lui donnant son surnom, il fit : "- Grand-major, raconte-nous donc encore pour la vingtième fois, ce que la fille de la Reine nous a dit aux Tuileries. Je ne peux pas dire cela, sans pleurer."

- "Non, raconte, toi."

Alors Dubois se leva. Mais un des convives voulut que les domestiques s'en allassent.

Ce détail insignifiant me reste, parce que j'ai eu peur qu'on ne me fit partir aussi, moi. Pendant ce départ, le brouhaha recommença. Je me souviens que la conversation tomba sur Persil, qui, sans doute, comme procureur du Roi, avait requis quelque part contre des chefs vendéens. Le nom de Persil fut abîmé. Un des chiens présents avait reçu précisément de son maître le nom de Persil, comme, après 1830; mes chiens de républicains recevaient le nom de Polignac. Je le vois encore, ce gros chien, dresser les oreilles - et regarder étonné tout ce monde qui parlait de lui !

On me reprochera ces détails petits - mais c'est la vérité, cela ! Rien n'est absolument solennel ! On me reprochera d'avoir les côtés profanes de ces héros - mais c'est la vraie histoire, cela ! Vous avez écrit sur la Vendée, des histoires à l'usage des demoiselles - et voilà pourquoi vos écrits ne resteront pas !

Les domestiques étant partis, Dubois se plaça, devant la cheminée, au-dessous du portrait de la reine et il parla ainsi :

"- Donc, mes enfans, Louis XVIII, qui j'espère est en Purgatoire, parce que ce serait trop dire qu'il est au Ciel, demanda à voir une députation des chefs Vendéens. Nous partîmes. Nous vîmes Paris. Nous allâmes aux Tuileries. Nous avions nos uniformes de colonels, et aux Tuileries des culottes courtes. J'étais aussi embarrassé qu'une femme qui a pour la première fois une robe décolletée. Louis XVIII nous parla en latin, le comte d'Artois fut charmant, puis ne pensa plus à nous. Le Dauphin, un excellent prince, fut très aimable, mais fit comme son père. Seul, le duc de Berry nous invita deux fois à dîner. C'était un homme, celui-là.

Nous n'étions pas si sots que nous en avions l'air, et nous remarquions bien que, dans cette cour, nous étions comme des hiboux poursuivis, pendant le jour, par les petits oiseaux. Un de ces messieurs, officiers, qui depuis a été le gendre du grand-major, m'a dit depuis que nous les avions bien fait rire. On nous présentait un tas de faux Vendéens, que nous n'avions jamais vu à l'armée. Championnière, qui a toujours été un intrigant, faisait semblant de les reconnaître ..."

"- Dubois, tu ..." fait Lucas-Championnière, dont la voix est aussitôt couverte. Lucas-Championnière s'assied, calmé.

"- Enfin, nous voici arrivés à la présentation à la Dauphine. C'était, vous comprenez bien, surtout elle que nous voulions voir. La fille de la Reine ! Nous y sommes. Nous défilons un à un dans le grand salon bondé de monde. Tous regardent. Le comte de Sesmaisons qui nous présente, est devant. Grand-major vient après. Il trimbalait, comme s'il avait bu deux bouteilles de champagne - et nous étions cependant à jeun. L'émotion nous avait empêchés de déjeuner !

Grand-major est près de la Dauphine. La Dauphine assise tend la main. Nous avions été avertis du cérémonial. Lui se penche et veut baiser la main royale. La Dauphine la retire vivement, et la tête droite, avec le regard haut - extra-humain qu'elle avait, elle dit ces mots textuels :

"Non, non, pas de baiser sur la main ... Puisqu'on dit que je suis un des hommes de la Maison de Bourbon, et que certes, messieurs de la Vendée militaire, vous avez été aussi les hommes de notre Maison ... Une poignée de main, comme on fait entre hommes !"

Je n'ai jamais pu raconter ces choses, sans sentir un frisson. Il ne faut rien ajouter. Il faut rester simple, la simplicité est le sommet du sublime.

Alors, tous ces hauts vieillards, dont six portaient à la boutonnière, la rosette rouge de chevalier de Saint-Louis, s'approchèrent en demi-cercle du portrait de la Reine. Ils élevèrent haut leur verre plein de champagne, par un geste que je n'oublierai jamais ... avec le bras levé tout droit et roide, - comme dans le salut de l'épée de combat ! ...

Et ils dirent simplement : "A la Reine !"

 

Ignotus

Le Figaro

1881/10/29

Numéro 299

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