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La Maraîchine Normande
29 juillet 2014

FRANCOIS ANTOMMARCHI, MÉDECIN DE NAPOLÉON OU "ÉTUDIANT ATTARDÉ" ...

ANTOMMARCHI

Si quelqu'un ne semblait pas destiné à la gloire, c'était bien ce petit frater qui, en 1818, était préparateur des dissections à l'amphithéâtre de Florence. Il s'appelait François Antommarchi ; il avait vingt-neuf ans.

François Antommarchi


De la part de l'oncle de l'empereur un tel choix marquait-il légèreté ou ignorance ? Non pas : c'était, au contraire, confiance obstinée dans la miraculeuse étoile de son neveu. "Son existence est un prodige et Dieu peut continuer à faire de lui ce qu'il lui plaît", écrivait  Fesch, convaincu que la science ou la maladresse d'un médecin n'influeraient en rien sur les desseins de la Providence. Bien plus, le cardinal sait que Napoléon n'est plus à Sainte-Hélène : la Vierge n'est-elle pas apparue à une pieuse Allemande pour lui communiquer, chaque nuit, des nouvelles de l'empereur ? La visionnaire apprend ainsi, et en fait confidence à Fesch, que le proscrit "a été enlevé de son rocher par les anges ; ceux-ci l'ont porté on ne peut pas dire où ; mais sa santé est florissante - c'est l'important - et on ne tardera pas à entendre parler de lui."


Le cardinal, émerveillé, ne garde pas pour soi la bonne nouvelle. Las Cases, qui a séjourné dans l'île et qui est revenu depuis peu en Europe, se montre incrédule ; mais Fesch le rassure : "Quoique les gazettes et les Anglais veulent insinuer qu'il est toujours à Sainte-Hélène, nous avons lieu de croire qu'il n'y est plus ; bien que nous ne sachions ni le lieu où il se trouve, ni le temps où il se rendra visible, nous avons des preuves suffisantes pour persister dans nos croyances et pour espérer même que, dans peu de temps, nous l'apprendrons d'une manière humainement certaine. Il n'y a pas de doute que le geôlier de Sainte-Hélène oblige le comte Bertrand à vous écrire comme si Napoléon était encore dans les fers ; mais nous avons des certitudes supérieures".


On comprend qu'avec ces certitudes supérieures il était bien inutile d'envoyer à Sainte-Hélène un habile et coûteux médecin ; le moindre carabin suffisait, puisque à son arrivée il devait trouver longwoodhouse désert. Cette sinécure rapportant 9.000 francs par an, autant valait faire profiter de l'aubaine ce pauvre diable de Corse, sans clientèle, maigrement employé vers ce temps-là par une société d'"amis des arts et de l'humanité" à surveiller la publication de l'Anatomia de Mascagni. Autommarchi, ravi, se mit donc en route, sans un domestique, en étudiant, et ne se pressa pas. Il resta quarante jours à Rome, s'attarda quatre mois à Londres où, se présentant comme "médecin de Napoléon", il travailla à recueillir des souscriptions pour son Anatomia, s'embarqua le 10 juillet à Gravesend et parvint enfin le 18 septembre à Sainte-Hélène. Tandis qu'il promenait ainsi ses loisirs, le cancer rongeait le captif qui depuis quatorze mois n'avait vu aucun médecin et n'avait suivi aucun régime.


Antommarchi d'ailleurs avait son idée faite : avant de se présenter chez l'empereur, il accepta de dîner chez le gouverneur Hudson Lowe, et s'il fut là étonné d'apprendre que le prisonnier était toujours dans l'île - Fesch, évidemment, lui avait fait part de ses  certitudes, - il rassura sur-le-champ les geôliers, professant, d'après ce qu'il avait entendu dire à Londres, que le général n'avait besoin que d'exercice ... Un peu paresseux, le général ; mais il allait le secouer.


Alors commence l'effrayant duel de Napoléon mourant contre son inepte médecin. L'empereur a perdu l'appétit ; ses jambes sont enflées. "Il faut se remuer, jardiner, bêcher la terre", ordonne tranquillement Antommarchi. Napoléon est torturé par une douleur au côté droit ; il lui semble qu'une lame de canif lui laboure le flanc : "Simple constipation", décide le médecin. Il n'est jamais là d'ailleurs, passe ses journées et ses nuits à la ville, où il joue au personnage, à moins qu'il ne coure les filles. A peine accorde-t-il à son malade cinq minutes le matin, et pas tous les jours. Il se présente dans la chambre impériale en négligé, vêtu d'un pantalon ou chaussé de bottes. Il parle en camarade à Bertrand et à Montholon, les appelant par leur nom tout court, familièrement, sans titre ni grade. Il ordonne au hasard de l'émétique, des vésicatoires, des purgatifs, des lavements ; l'empereur se révolte, puis obéit, gémissant :  "On ne le ferait pas pour un malheureux dans un hôpital". Et dans ce drame de la grandiose agonie, dont, après un siècle écoulé, il est impossible de lire les péripéties sans révolte et sans admiration, le jovial chirurgien passe, inconscient, badin, flâneur et indifférent. Plus tard même, dans les derniers jours, quand Napoléon, présageant que la fin approche, indiquera à l'abbé Vignali les dispositions à prendre pour la chapelle ardente, disant : "Je suis né dans la religion catholique ; je veux remplir les devoirs qu'elle impose", à ce moment solennel quelqu'un trouvera la situation comique et jugera plaisant de rire : c'est Antommarchi. Cette fois, l'empereur moribond s'indignera :
- Vos sottises me fatiguent, monsieur ; je puis bien pardonner votre légèreté et votre manque de savoir-vivre ; mais un manque de coeur, jamais ! Retirez-vous !
Resté seul avec son valet de chambre, il fit l'éloge de l'aumônier ; puis, revenant au médecin :
- Quant à cet autre imbécile, il ne vaut vraiment pas que je m'en occupe. quelqu'un a-t-il été plus mal soigné que moi par lui ?

 

Napoléon masque mortuaireTel est le jugement porté par Napoléon sur Antommarchi. M. Frédéric Masson, étudiant l'entourage du prisonnier  de Sainte-Hélène, est parvenu à dégager des brumes avantageuses qui l'enveloppaient la falote silhouette de cet étudiant attardé.
"Vous ne connaîtrez mon mal que quand vous m'aurez ouvert", disait l'empereur à Antommarchi. Celui-ci fut bien surpris en effet, lorsqu'à l'autopsie fut constaté l'ulcère insoupçonné. Le lendemain, un médecin anglais, Burton, prit un moulage de la tête impériale, le chirurgien corse s'y étant refusé en raison, disait-il, de la mauvaise qualité du plâtre ; pourtant, l'opération ayant réussi, il se ravisa et s'appropria le moulage en relief de la face. Avec ce butin et dix-huit mille francs, il revint en Europe. Pourquoi débarqua-t-il en Angleterre "presque entièrement dénué de moyens pécuniaires" ? A quoi et où avait-il dépensé son argent ? On ne sait pas : tout est louche dans son aventure. Ce qui lui importe maintenant, c'est de tirer parti de son titre de gloire. Il part pour l'Italie à l'automne de 1821, dans l'espoir d'y rencontrer Marie-Louise, l'épouse insuffisamment éplorée de Napoléon ; il compte lui faire connaître que l'empereur mourant s'est déclaré si satisfait de ses soins qu'il lui a légué une rente viagère de 6.000 francs et a manifesté le désir que l'impératrice n'ait jamais d'autre médecin que lui. Mais Marie-Louise ne consent pas à l'entendre ; elle redoute les émotions. Neipperg, le mari en exercice, reçoit Antommarchi et s'en débarrasse par le don d'une petite bague. A quelques mois de là, le Corse revient à la charge, sans succès, regagne Paris, s'installe rue de Rivoli, tâche de reprendre - d'essayer pour mieux dire - l'exercice de la médecine et donne des consultations gratuites, à défaut d'autres.


On vit petitement à soigner les gens pour rien ; aussi se rapproche-t-il des exécuteurs testamentaires de Napoléon. Comment parvient-il à leur persuader que, dans un de ses derniers codicilles, l'empereur l'a inscrit pour une rente de 6.000 francs ? Ceci paraît d'autant plus inexplicable qu'ayant plus tard changé d'avis, et préférant à cette rente improbable un capital, il se rappelle maintenant qu'un autre codicille l'a fait légataire de 100.000 francs. Et les complaisants exécuteurs testamentaires témoignent du fait : le codicille, assurent-ils existe ; on n'en sait pas bien la date ; mais Bertrand et Montholon en assurent l'authenticité.


Antommarchi n'obtint ni les 100.000 francs, ni la rente : un jugement arbitral lui accorda seulement une pension annuelle de 3.000 francs. C'est alors qu'après la révolution de 1830, il chercha à trafiquer du moulage soustrait au Dr Burton. Il lança l'affaire à grand renfort de prospectus ; les journaux annoncèrent l'édition "du plâtre ou masque du grand homme". "Aucun défigurement, aucune altération ! Tout le monde aura le masque de Napoléon ; et dans quelques années on le verra dans toutes les chaumières, à côté de la croix sur laquelle est mort notre Sauveur !" Réclames, grosse caisse : qui en désire ? Ce commerce rendit peu et Antommarchi ne tarda pas à vendre le droit de reproduction à deux fondeurs réputés. Le médecin de l'empereur Napoléon jugea que décidément il avait tiré de ce titre magnifique tout ce que celui-ci pouvait donner en Europe ; il partit pour la Nouvelle-Orléans où il s'établit homéopathe. Cette fois encore, le résultat fut médiocre. Alors, Antommarchi passa à Santiago et s'intitula occuliste.


Ce qu'il y a de plus extraordinaire dans cette étonnante existence, c'est que cette profession nouvelle lui valut un grand renom ; il vous opérait les gens de la cataracte comme s'il n'avait fait rien d'autre de sa vie. Antommarchi avait enfin  trouvé sa voie ; par malheur elle fut courte ; il mourut de la fièvre jaune le 3 avril 1838.

G. LENOTRE
de l'Académie française
(Extrait de : Napoléon, croquis d'épopée. Grasset, édit)
Revue : Lisez-moi Historia
Numéro 9 - Juillet 1934

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