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La Maraîchine Normande
12 août 2013

1831 - SABRES ET BAIONNETTES A ALES ET TARASCON

NOUVELLES DU MIDI DE LA FRANCE  -  1831

ALAIS, 31 mai. (ALES ?) - La tranquillité de notre ville vient d'être gravement compromise, et nous avons pu craindre de voir se renouveler parmi nous les horreurs dont Tarascon a été le théâtre.

[Pour mémoire : On nous écrit de Marseille, le 1er juin (1831) :
Nos autorités supérieures viennent de se transporter à Tarascon : Les évènemens de cette ville leur auraient-ils paru jusqu'à présent trop peu sérieux ? ce n'était rien en effet : deux régimens en pleine révolte, une population paisible mise hors la loi, sabrée et massacrée par une soldatesque féroce, cent deux citoyens la plupart mutilés dans ce guet-apens, arbitrairement emprisonnés et gardés par leurs bourreaux ; une ville sans magistrats, livrée pendant plusieurs jours à toutes les angoisses de l'anarchie, une ville française subissant en pleine paix un traitement qu'on épargne à une ville prise d'assaut !
Qui le croirait : il a fallu que le télégraphe leur apportât l'ordre de partir et de renverser à tous prix, l'arbre de la terreur.]

A la suite d'une dispute de cabaret qu'ils avaient eux-mêmes provoquée, des soldats du dépôt du 28e de ligne se sont portés tumultueusement aux casernes, ont pris les armes et sont venus fondre sur quelques ouvriers catholiques, dont le seul tort était d'avoir résisté à leur agression. Livrés à eux-mêmes par l'absence des chefs, encouragés par quelques sous-officiers, ils ont indignement abusé de l'avantage que leur donnaient leur nombre et leurs armes. Le sang du citoyen désarmé a coulé, des blessures graves et nombreuses ont été faites, des habitans de la campagne, qui cherchaient leur salut dans la fuite, ont été poursuivis et percés à coups de baïonnette ; des femmes ont eu aussi à souffrir les plus mauvais traitemens. Mais ce qui paraîtrait incroyable, si depuis dix mois le libéralisme ne nous avait accoutumés à toutes les injustices, c'est que ces forcenés ont eu l'audace de conduire en prison celles de leurs victimes que des blessures trop graves avaient empêché de fuir. Nous avons vu un malheureux horriblement défiguré, les habits déchirés et couverts de sang, traîné dans les rues au milieu d'une troupe de soldats qui, dans leur rage, l'accablaient de coups de crosse de fusil. Dans la prison du corps-de-garde il a encore été en butte aux plus barbares traitemens, et il a déclaré que l'autorité des officiers avait été impuissante pour le protéger.

Les catholiques ne pouvaient voir sans indignation couler le sang de leurs frères lâchement assassinés ; cependant ils surent résister à leur légitime ressentiment et à la conscience de leurs forces ; quelques pierres furent seulement lancées à des sous-officiers qui chargeaient la foule le sabre à la main. La sage intervention du sous-préfet, qui désarma l'un de ces furieux et força les autres à se renfermer dans leurs casernes, nous préserva des plus grands désastres et arrêta une nouvelle effusion de sang. Ce magistrat promit bonne et impartiale justice, et calma ainsi l'exaspération d'une population qui ne demande que la protection accordée à tous par la loi.

Malheureusement il n'est pas possible d'espérer que ces excès seront les derniers. Aujourd'hui des armes ont été distribuées aux nouveaux soldats ; en les recevant, ils ont fait entendre des menaces contre les royalistes, qu'ils se sont promis de traiter comme il faut à la première occasion.

Nous voilà donc livrés à une soldatesque indisciplinée, instrument de meurtre entre les mains de quelques agitateurs qui n'ont rien négligé pour la corrompre. Les recrues qui forment ce bataillon entrèrent pour la première fois dans notre ville en criant : à bas les carlistes ! à bas les calottins ! à bas les catholiques ! Ces vociférations étaient commandées et payées nous savons par qui. Depuis lors aucun moyen de séduction n'a été épargné, et les désordres dont nous nous plaignons ne l'apprennent que trop.

En livrant ces faits à la publicité, nous croyons accomplir un devoir. L'autorité reconnaîtra le danger de notre situation, c'est à elle d'y apporter remède ; mais si, cédant à de funestes influences, elle négligeait la plus sacrée des obligations qui lui sont imposées, si elle refusait d'intervenir, si des soldats, indignes de ce nom, tournaient une seconde fois contre nous des armes destinées à nous protéger, repousser la force par la force serait pour nous un droit et un devoir.

TARASCON, 3 juin - Nous avons ici une commission de la Cour royale qui informe sur les déplorables évènemens du 25 mai. Il est aujourd'hui démontré pour tout le monde, même pour ceux qui ont intérêt à être incrédules et pour les autorités supérieures qui sont venues sur les lieux, que la conduite des victimes a été irréprochable et qu'elle n'a fourni aucun prétexte aux bourreaux. Il y a plus, on acquiert tous les jours la preuve qu'il y a eu guet-apens à la suite d'un horrible complot.

Chaque jour nous apprend quelques nouvelles horreurs : il faut que cet affreux massacre soit connu dans tous ses détails, et qu'il flétrisse à jamais les misérables qui ont déshonoré leur uniforme.

Le premier signal de carnage fut un coup de sabre porté sur la tête d'un homme qui était sur la porte de Tivoli, celui-ci s'effaça et ferma aussitôt la porte ; au même instant un capitaine arrive au galop, le sabre à la main, criant de toutes ses forces : En avant, chasseurs ! Cernez la maison, enfoncez la porte ! Cet ordre ne fut que trop bien exécuté.

Pendant que les chasseurs sabraient impitoyablement dans la maison, une foule de femmes accoururent pour tâcher de sauver leurs maris. Une d'elles, entendant les chasseurs parler de sabrer toutes ces ... de carlistes, osa implorer leur pitié : cette malheureuse avait dans ses bras un enfant de 15mois et en tenait un autre par la main ; un soldat lui arrache son nourrisson et le jette dans un fossé à quatre pas de là ; dans cet instant elle aperçoit son mari tout ensanglanté conduit par deux chasseurs qui le frappaient avec le fourreau de leur sabre et à coups de pied pour le faire marcher plus vite ; un gendarme vint à son secours.

Un enfant de deux ans a failli perdre la vie, une petite fille de neuf à dix ans a été blessée d'un coup de sabre à la jambe en voulant le défendre ; un jardinier nommé Riquet, père de sept enfants, était malade depuis dix mois des fièvres intermittentes, sa maison a été forcée et pillée, il a été blessé d'un coup de lance.

Le domicile d'un autre jardinier nommé Berlandier a été également violé, et son fils horriblement meurtri a été traîné à la caserne. Les deux frères Gigues, qui travaillaient dans un champ de garance et plusieurs cultivateurs qui revenaient du travail la bêche sur l'épaule, ont été maltraitrés, saisis et traînés en prison. Les soldats avaient leur consigne : on leur avait dit qu'ils ne pouvaient pas se méprendre, qu'aucun républicain n'irait de ce côté, et qu'ils pouvaient faire main basse sur tout ce qu'ils rencontreraient.

Un chasseur, qui pansait les chevaux d'un officier chez le sieur Guiot, serrurier, se vantait d'avoir reçu 10 fr. pour sabrer un particulier dont il désignait la maison, et de les avoir bien gagnés.

Quelques personnes se sont rachetées à prix d'argent : les unes ont donné 10 fr., d'autres 5 ; il en est une qui s'en est tirée pour 41 sous. Un prisonnier offrait 10 fr. ; ce n'est pas ton argent que nous voulons, ont dit les soldats, c'est ta peau.

Vainement le procureur du roi et le juge d'instruction réclamaient les prisonniers, en vertu de l'article 53 de la Charte. Ce n'est que le 26 que le commandant de la place a bien voulu avouer qu'il reconnaissait les torts de l'autorité militaire, et mettre les prisonniers à la disposition de la justice.

Les bruits les plus sinistres avaient couru jusqu'alors, et la réponse du procureur du roi, quand on réclama la mise en liberté, n'était pas de nature à les démentir.

"Il y a danger pour la vie des prisonniers, dit ce magistrat, s'ils sont mis en liberté ; les soldats qui les gardent sont furieux, et dans des dispositions telles que je ne puis prendre sur moi la responsabilité des évènemens. J'ai à ce sujet des renseignemens positifs. Demain, lorsque le 15e de ligne sera parti, les portes de la prison seront ouvertes."

Le second adjoint, le sieur Bureau, avait donné ordre au chef de poste du château, composé de la nouvelle garnison, d'empêcher la sortie des prisonniers. Des réquisitions menaçantes du juge d'instruction mirent fin à ce conflit, et les portes de la prison s'ouvrirent pour les innocens.

Le colonel du régiment s'est très-bien conduit ; quoique méconnu par beaucoup d'officiers et de chasseurs, il a probablement sauvé les prisonniers en les faisant conduire au château. Il avait donné l'ordre de passer du côté du Cours ; mais le capitaine chargé de les conduire leur a fait faire le tour de la ville pour les amener devant l'arbre de la liberté, à leur aspect, les jacobins criaient aux soldats de les jeter dans le Rhône.

Un chef d'escadron, que nous regrettons de ne pouvoir nommer, a sauvé la vie à plus de douze personnes.

Enfin, les gendarmes et leur honorable maréchal-de-logis, M. Colivet, ont rendu des services qu'on ne saurait assez publier et que Tarascon n'oubliera jamais.

Le concierge du château s'est conduit avec la plus grande humanité à l'égard des prisonniers. Quand les femmes de ces malheureux arrivèrent au château pour donner des soins à leurs maris, elles furent indignement repoussées. Un jeune lieutenant du 15e eut la cruauté de leur dire : ces brigands n'ont besoin de rien ; s'ils ont faim, qu'ils mangent leur paille, on leur fournira de l'eau du Rhône. Un capitaine de chasseurs, le même qui avait amené les prisonniers, renchérit encore sur cet affreux propos : remportez tout cela, dit-il, vos hommes n'ont plus besoin de rien ; ce soir nous leur donnerons un bouillon du Rhône.

Pour couronner ces scènes d'anarchie, il nous a fallu voir l'impuissance du lieutenant-général, du préfet et du procureur-général, venus tardivement dans notre ville. On dit que ces fonctionnaires, après s'être assurés par la déclaration des officiers de la nouvelle garnison que les soldats n'obéiraient pas, prirent leur parti en disant que ce n'était pas tout-à-fait un arbre de la liberté qui avait été planté. Il paraît qu'ils l'ont considéré comme un arbre du juste-milieu.

La Revue judiciaire
N° 36 - Tome III - 1ère année
Mercredi 15 juin 1831

tarascon - lieutenant du 15e de ligneLa Revue judiciaire - Juin 1831

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