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La Maraîchine Normande
6 mars 2013

LES ANGOISSES DE LA MORT OU IDÉES DES HORREURS DES PRISONS D'ARRAS ♣ 5ème partie

LES ANGOISSES DE LA MORT
OU IDÉES DES HORREURS DES PRISONS D'ARRAS

écrites dans les prisons d'Arras par deux Dunkerquois
POIRIER ET MONTGEY
EN 1794

5ème partie

VEXATIONS PARTICULIERES

Si nous allons parler de quelques vexations particulières, c'est moins dans la vue d'apitoyer sur notre sort, que dans l'intention d'exciter une juste surveillance sur les abus qu'on se permettoit.

Les communications les plus importantes, soit au besoin de nos affaires, soit à l'intérêt sensible que nous avions de connoître la situation des personnes qui nous étoient les plus chères, nous étoient interdites depuis longtems au mépris de la loi du 17 septembre 1793 (vieux style), & avec plus de rigueur qu'on n'en avoit observé à la Bastille dans les tems les plus tyranniques.
Croiroit-on, cependant, que la sévérité de nos surveillans de toutes espèces renchérissoit à fur & mesure que les dispositions de la Convention nationale se prononçoient plus favorablement à notre égard, ou que les évènemens devenoient plus importans au bonheur de la France ?

En voici la preuve :
Lors de la suspension des tribunaux, nous fûmes plus de quinze jours sans pouvoir en pénétrer le mystère, à raison des plus grandes fouilles qui se faisoient, soit dans nos paniers, soit dans le manger qui s'y trouvoit.

Le jour de la nouvelle qui nous apprit la conjuration de Robespierre, Couthon, St-Just & Lebas & de leur supplice, qu'arriva-t-il ?
Gille & Lemaire, commissaires aux prisons, se rendent à l'Hôtel-Dieu vers les dix heures du matin, ont, avec des directeurs, sous-directeurs & autres guichetiers, une conférence secrète, après laquelle ils parcourent la maison & font boucher, en leur présence, toutes les fenêtres qui facilitoient la vue sur quelques maisons de la ville, & qui cependant étoient nécessaires à la salubrité de notre prison.
Cette précaution ne leur parut pas suffisante ; ils vinrent ce même jour, contre leur ordinaire, présider à la visite des paniers & de chacun des plats qui s'y trouvoient, n'osant pas s'en rapporter, sur cette perquisition, à ceux qui cependant n'étoient que trop dévoués à leurs ordres inhumains.

Nous le demandons ; quel pouvoit être leur intérêt à nous cacher le triomphe de la Convention nationale sur les infâmes traîtres qu'elle a punis ? ... Etoient-ils donc leurs complices pour nous envier ainsi la satisfaction de partager à cette occasion l'allégresse de tous les bons Français ? ... Ils nous connoissoient donc pour de vrais patriotes, puisqu'ils prévoyoient la joie que nous en eussions ressentie, & que nous en avons éprouvé dès l'instant que nous en avons été instruits.
Nos geôliers ne tenoient pas à notre égard une conduite moins odieuse.

Dans les plus grandes chaleurs, ils nous défendoient de prendre de l'eau au seul puits qui en fournissoit de la bonne. Ils nous obligeoient de venir le matin depuis huit heures jusqu'à neuf remplir nos cruches & la plus part n'en avoient pas jusqu'au lendemain à la même heure.
Nous avons appris qu'à la Providence le puits resta trois jours sans corde, & que pendant tout ce tems on fut obligé d'apporter de l'eau du dehors ; & que lorsqu'on en demandoit dans les maisons voisines, on en refusoit par cela seul que c'étoit pour des détenus & qu'on craignoit que Lebon en eût connaissance.

Quand on nous apportoit dans les tems de la plus grande disette nos portions, qui étoient à peine suffisantes, & que nous partagions avec les indigens & les citoyens qui ne pouvoient en avoir de chez eux, parce qu'on avoit chassé & molesté leurs personnes de confiance, nos portiers les entamoient encore.
A ma Providence, les furies qui singeoient nos cerbères, les surpassoient au point que vers les derniers tems de notre détention, on donna la consigne au corps-de-garde de surveiller les directrices & portiers.
Enfin nous étions nommés tour-à-tour de corvée pour nettoyer la maison, les cours, les lieux d'aisance & autres cloaques ; & les directeurs qui commandoient, venoient jouir avec le sourire de l'insulte, ou, par des propos scandaleux, de l'état d'abjection auquel ils nous réduisoient.

Déjà nous avons fait connoître que dans nos retraites nous y étions environnés d'espions ; ce n'étoit pas assez. Nos gardiens avoient également le même rôle à jouer. Il suffisoit qu'ils pussent nous rencontrer avec tel ou tel individu, pour qu'ils se permissent de nous placer sur des listes de proscription, qui se concertoient criminellement entr'eux & les commissaires dont, pour surcroît de malheur, le choix avoit infecté nos prisons.

Nous n'osons pas donner ce dernier fait comme certain ; il est possible que ces listes n'ayent été demandées qu'à l'occasion des renseignemens que les commissaires puisoient contre nous dans les sources les plus impures ; & qu'elles ne fussent données par lesdits gardiens qu'au seul titre d'obéissance ; nous nous plairons à le croire aussi d'après l'anecdote que nous rappellerons en dernière analyse.
Plusieurs de ces listes de proscription avoient déjà servi à traîner à la boucherie nombre d'innocens ; mais il en étoit une qui comprenoit quatre-vingt-sept citoyens de la maison de l'Hôtel-Dieu & dont le tour étoit d'y passer dans la même décade que les tribunaux & de Cambray furent suspendus.

Quoiqu'il en soit, les vexations dont nous avons rendu compte, avoient aussi pour but le projet affreux de renouveller dans nos réclusions, les horribles journées des 2 et 3 septembre 1792 (vieux style).

A force de rigueur, on se flattoit d'aliéner nos esprits & d'y exciter quelque soulèvement ; mais il n'y avoit parmi nous que des citoyens tranquilles, qui, forts de leur innocence, se flattoient constamment que le jour de la justice luiroit sur eux.
Notre patience dérangea le calcul de nos persécuteurs ; ils affectoient de faire courir, de tems à autre, le faux bruit que nous étions en insurrection.
C'est d'après cette calomnie qu'ils se présentèrent nuitamment à l'Hôtel-Dieu, à la tête d'un détachement nombreux, & qu'ils s'annonçoient au directeur comme venant à son secours & dans l'intention de le venger de notre révolte.
Celui-ci répondit : "que jamais il n'avoit eu la moindre occasion d'être inquiet ; que tous les prisonniers étoient couchés & endormis, & que lui seul coucheroit au milieu de nous sans l'ombre de la plus légère crainte."
Sur les doutes qu'on lui manifesta, il les engagea à entre à petit bruit & à se placer dans les diverses cours.
L'espérance d'entendre quelque mouvement ou quelque bruit fit accéder les meneurs de cette troupe à la proposition.
Le détachement entra à la sourdine, chacun prêta l'oreille la plus attentive & n'entendit rien.
Les soldats-citoyens ne purent s'empêcher de s'écrier qu'on les trompoit indignement ; & à la prière du directeur, on se retira dans le silence.

Ce n'est que long-tems après que nous ayons eu connoissance de cet évènement.

Si cependant le hazard eut rendu quelqu'un de nous incommodé & eut excité les secours de ses compagnons, il n'en eut pas fallu davantage pour diriger les armes de concitoyens contre nous.

CITOYENS,

Le tableau que nous venons d'esquisser des horreurs que vos concitoyens ont éprouvés dans le séjour de mort où ils ont été séquestrés & où leur continuité de supplices les a rendus plus à plaindre que ceux qui ont été victimes sur l'échafaud, vous trace les dangers que vous avez tous courus, puisque de quelque parti que vous fussiez, les caprices de Lebon & de ses satellites vous atteignoient.

Si d'une part, il vous offre les maux qu'entraîne le torrent de la calomnie & de ces dénonciations obscures, qui n'étant que verbales, soustrayent souvent leurs auteurs à la sévérité des lois ; s'il vous prouve à quel point les droits de l'homme & la propriété des biens ont été violés par ceux qui avoient été institués pour les défendre ; d'une autre part, il vous met en état d'apprécier ce qui convient à votre garantie contre de semblables tyrannies, & sans doute il n'est aucun de vous qui ne se dise : "Voulons-nous sérieusement être heureux & paisibles, ne choisissons à l'avenir pour législateurs, pour administrateurs que des hommes probes, justes & instruits ; n'ayons d'autre ligne que celle qui conduit à ce choix digne du vrai républicain, & ne perdons pas de vue que :

Que celui qui met un frein à la fureur des flots,
Sait aussi des méchans arrêter les complots."

Maison d'arrêt, dite Hôtel-Dieu,
l'an second de la République Française.

Signé : POIRIER & MONTGEY

Bulletin - Union Faulconnier
1909

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