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La Maraîchine Normande
23 janvier 2013

INSTITUTEURS D'AUCH ET MANUELS SCOLAIRES EN L'AN VI

Par M. R. PAGEL

Les diverses assemblées qui siégèrent durant la Révolution montrèrent une activité débordante pour tout ce qui concernait l'instruction publique.

Les résultats pratiques furent, par contre, absolument désastreux ; ils confinent au néant.

La Terreur ayant fermé les églises avait par là même supprimé les écoles paroissiales qui en dépendaient. Celles que la Convention avait voulu créer, chose difficile, car le recrutement des instituteurs ne se faisait pas, s'étaient vidées automatiquement, et Foureroy n'hésitait pas à proclamer, le 11 germinal an V, à la tribune du Conseil des Anciens, "la faillite" de l'enseignement.

Plus particulièrement, les administrateurs du département du Gers se plaignaient du manque d'écoles et de l'état d'ignorance où on laissait les enfants. La Société montagnarde d'Auch, elle aussi, blâmait cet état de choses. Voici quelques échos de ses doléances.

Le 7 fructidor an II, un de ses membres démontrait que la pénurie d'instituteurs provenait du trop modique salaire qu'on leur donnait. L'assemblée envoyait une députation à la commune d'Auch pour qu'elle se hâte de choisir des instituteurs et des institutrices.

Celle-ci était d'ailleurs très embarrassée pour choisir, vu que sur "dix ou douze individus" qui s'étaient présentés, il y en avait peut-être deux capable d'exercer l'enseignement.

La Société avait envisagé d'autres solutions pour suppléer au manque d'instituteurs : Dartigoeyte avait préconisé l'instruction donnée aux enfants par leurs parents et les vieillards.

Bonnard voulait qu'on mette l'instruction publique au "grand ordre du jour", qu'on invite les citoyens à l'étude des lois et qu'on établisse un concours à ce sujet.

Demay demandait que l'on retire des armées les gens capables d'exercer l'enseignement.

Toutes ces propositions, certainement originales, ne faisaient pas avancer la question d'un pas. L'enseignement officiel n'existait pour ainsi dire pas. Seules quelques écoles particulières instruisaient timidement quelques enfants.

Le vote de la liberté des cultes, en ventôse an III, vint modifier la situation. Il eut pour corollaire la liberté de l'enseignement.

Le clergé ci-devant constitutionnel, "qui enseignait une morale républicaine et faisait de la soumission aux lois un des premiers dogmes de l'enseignement chrétien", se mit résolument à l'oeuvre, et, par plusieurs encycliques, prescrivit la réouverture d'écoles particulières.

Il préconisait plus particulièrement l'assiduité aux cours, recommandait aux parents de veiller à ce que leurs enfants étudient et répètent dans la maison paternelle ce qui leur avait été enseigné à l'école.

Il insistait sur la question du choix des manuels scolaires. En dehors des livres d'instruction proprement dits, elle indiquait comme livres élémentaires : l'Ancien et le Nouveau Testament, l'Imitation de J.-C., le Catéchisme du diocèse.

Cette tentative de réorganisation réussit pleinement, à cause surtout de l'impuissance de l'enseignement officiel. Elle réussit même à ce point que le Directoire en prit ombrage et essaya par diverses mesures d'en arrêter l'essor.

Il décida, entre autres choses, d'instituer des commissions de surveillance chargées de voir si on mettait entre les mains des élèves les manuels adoptés par la Convention, si l'on observait les décadis, si l'on célébrait les fêtes républicaines. En cas d'infraction, les administrations municipales pouvaient ordonner la suspension ou la clôture des écoles.

Ce sont les résultats de l'enquête faite par la commission de surveillance d'Auch que nous allons étudier. Les renseignements qu'elle contient permettent de juger de l'état de l'instruction primaire à Auch en l'an VI, de connaître le nombre d'élèves qui fréquentaient les écoles, leur âge, les manuels scolaires qui étaient mis entre les mains et le genre d'éducation que donnaient les instituteurs ou institutrices.

Nombre d'écoles pour garçons, 7 - Saint-Aubin, 28 élèves ; Delcros, 19 ; Sabatier, 12 ; Lézac, 17 ; Villeneuve, 5 ; Viduloque, 35 ; Manco, 21. Ce qui donne un total de 137 garçons fréquentant les écoles particulières.

Pour les filles, 6. - Citoyenne Bauquier, 9 élèves ; Cloupot, 15 ; Montaut, Derrus, Delouyt, Trinqualie, Colomès, 34 ; Savigni, 10 ; Jeanne Castex, 10 ; Grégoire, 15. Soit au total 93 filles.

La population scolaire qui fréquente les écoles particulières s'élève donc à 230 élèves, et le nombre des filles est inférieur d'un tiers environ à celui des garçons.

Age des élèves. - Garçons : de 3 à 28 ans (je donne naturellement les chiffres extrêmes, mais le plus grand nombre d'élèves à de 7 à 12 ans). Filles : de 3 à 18 ans. Plus grand nombre d'élèves de 7 à 11 ans.

Manuels scolaires. - Les livres que l'on met entre les mains des enfants varient avec chaque école. Certains instituteurs ou institutrices se conforment aux prescriptions de la Convention ; d'autres en prennent et en laissent ; certains enfin suivent les indications de l'Encyclique du clergé constitutionnel.

Voici, par école, le détail des manuels employés :

GARCONS

Saint-Aubin : Constitution de l'an II, Droits de l'Homme, La Méthode, Cornélius Népos, Virgile, Abrégé de Grammaire, de l'abbé Lhomoud ; Histoire romaine, par Mentèle ; Traité sur la Tolérance à l'occasion de la mort de Calas, Les Vertus du peuple (2 vol.), par Béranger

Delcros : Droits de l'Homme, Constitution de l'an III, Grammaire française, de Vailli ; Fables de Lafontaine, Le Nouveau calcul.

Sabatier : Droits de l'Homme, Heures du Diocèse, Imitation de J.-C.

Lézac : Droits de l'Homme, Bible, Imitation de J.-C.

Villeneuve : Imitation de J.-C., l'Esprit de Saint François de Sales.

Viduloque : Droits de l'Homme, Constitution, Grammaire française, Eléments de mathématiques, Géographie de la France.

Manco : Droits de l'Homme, Constitution, Catéchisme républicain, Bible, Heures, Grammaire française "et autres livres d'histoire".

FILLES

Bauquier : Catéchisme républicain, Droits de l'Homme, Maximes de morale républicaine.

Cloupot : Choix littéraire, Droits de l'Homme, Constitution.

Montaut : Droits de l'Homme (certains élèves le savent par coeur), Constitution, l'Ecole des jeunes demoiselles, Géographie élémentaire.

Savigni : Droits de l'Homme, Constitution, Catéchisme du diocèse d'Auch.

Jeanne Castex : Imitation de J.-C., Catéchisme diocésain.

Grégoire : Instruction de la jeunesse en la piété chrétienne, Histoire du vieux et du nouveau Testament, Catéchisme diocésain.

Comme on a pu le voir, les instituteurs et institutrices particuliers d'Auch ont des opinions absolument différentes sur les manuels scolaires à employer.

Il semble bien cependant que la plupart mettent entre les mains de leurs élèves les Droits de l'Homme et la Constitution de l'an III, suivant en cela les prescriptions et de la Convention et du ci-devant clergé constitutionnel. Mais, à part cette partie commune, chacun d'eux a son choix particulier. Les uns s'en tiennent aux manuels prescrits par le pouvoir central. Les autres, voulant ménager tout le monde, font voisiner les Droits de l'Homme avec la Bible, la Constitution de l'an III avec l'Imitation de J.-C. Certains enfin ne mettent entre les mains de leurs élèves que des manuels purement religieux.

Aussi la commission de surveillance formule-t-elle à ce sujet diverses observations dont il est intéressant de donner le texte intégral.

POUR SAINT-AUBIN :

Cet instituteur enseigne à ses élèves la Constitution de l'an III, le Droit de l'Homme, les rudiments du tricot, la Méthode, Cornélius Népos, Virgile, Abrégé de grammaire, de L'Homon ; il met, en outre, entre les mains de ses élèves l'Elément de l'Histoire romaine, par Mentèle ; le Traité sur la tolérance à l'occasion de la mort de Calas, les Vertus du peuple (2 volumes), par Béranger ; la Géographie de la France par département.

Il observe les décadis ; il célèbre les fêtes républicaines et l'on s'honore dans son école du nom de citoyen. Les jours des ci-devant dimanches ne sont pas des jours de repos. La discipline intérieure ne présente rien qu'à encourager les jeunes élèves. Il donne de bons principes ; il est de bonnes moeurs et a des talens propres à élever et cultiver l'esprit des jeunes gens. L'établissement de cette école commence d'avoir beaucoup d'influence sur l'esprit public.

POUR LEZAC :

Il enseigne le Droit de l'Homme. Les enfans portent et apprennent la Bible, l'Imitation de J.-C., l'Alphabet. Il a été invité de faire remplacer ses livres par ceux adoptés par la Convention. Il célèbre les décadis, et les jours des ci-devant dimanches sont consacrés à l'instruction. La discipline est propre à encourager les jeunes élèves. Le citoyen Lézac est un vieillard de bonnes moeurs propre à donner les premiers principes de la lecture.

POUR LA CITOYENNE SAVIGNI :

Cette institutrice met entre les mains de ces élèves l'Instruction de la jeunesse en la piété chrétienne tirée de l'Ecriture Sainte, divisée en cinq parties, par Charles Gorinet ; l'Histoire du vieux et nouveau Testament, le Catéchisme diocézain. Elle donne repos les décadi ainsi que les jours des ci-devant dimanches. Elle a été bien invitée par l'administration de se conformer aux lois de la République, d'enseigner à ses élèves le Droit de l'Homme, la Constitution, d'instruire les jours des ci-devant dimanches, et de faire aimer le Gouvernement en l'aimant elle-même. C'est ce qu'elle verra par les visites prochaines. Ces moeurs et ces talens sont propres à donner la première instruction.

Ces trois "fiches" ont été données à titre d'exemples, car tous les instituteurs et institutrices sont notés de la même façon.

Tel est le tableau fidèle de l'état de l'enseignement privé à Auch en l'an VI.

Une question vient ensuite naturellement à l'esprit : Que devenait l'enseignement officiel dans tout cela ?

Il se composait d'une seule école primaire : celle du citoyen Prieur. Elle se composait de vingt-neuf élèves, âgés de six à quatorze ans.

Voici, d'ailleurs, les notes de l'instituteur :

Cet instituteur primaire met entre les mains de ces élèves le Droit de l'Homme et la Constitution de l'an III, un Abrégé de grammaire, l'Histoire romaine. Il assiste avec ces élèves aux fêtes décadaires et autres fêtes républicaines. Les jours des ci-devant dimanches sont consacrés à l'instruction. L'on s'honore dans son école du nom de citoyen ; la discipline est douce ; il donne de bons principes ; il a de bonnes moeurs. Ces talens sont propres à instruire la jeunesse.

L'enseignement officiel n'existait donc pas, pour ainsi dire, à Auch, sous le Directoire puisqu'il ne pouvait rassembler, en face des deux cent trente élèves des écoles particulières, qu'une trentaine d'enfants.

On peut donc en conclure légitimement que, malgré les efforts continus des dirigeants de la Convention et du Directoire, l'enseignement eût été irrémédiablement réduit à néant si les écoles privées n'avaient pu, à l'abri du décret de ventôse an III sur la liberté des cultes, se réorganiser et recueillir les enfants abandonnés par l'enseignement officiel, impuissant à les instruire.

Bulletin de la Société archéologique du Gers - 1914

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