Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
18 janvier 2013

SAINT-THUAL (Chef des Chouans)

Lorsque la conspiration de la Rouërie, si superbement racontée par Lenôtre, eut tragiquement sombré, dans une mare de sang ; lorsque les demoiselles Desilles, leur père, Mme de la Fouchais, Thérèse de Moellien eurent péri sur l'échafaud, le 18 juin 1793, est-ce que rien ne fut plus tenté sur la Côte d'Emeraude, en vue du rétablissement de la royauté ?

Le marquis de la Rouërie, en mourant, le 30 janvier 1793, au château de la Guyomarais, laissa -t-il un successeur ? Tel est le point de notre histoire locale que je vais essayer d'élucider.

Il résulte, de mes recherches, que la Chouannerie, qui étendait sa trame sur toute la Bretagne, n'existait guère, à Saint-Malo et à Saint-Servan, en raison de la présence du proconsul Le Carpentier, et aussi des nombreuses troupes qui y tenaient garnison, ou campaient sur la côte, afin d'empêcher l'émigration.

Mais, aussitôt qu'on avait franchi les limites de Paramé et de Saint-Servan, on tombait dans la campagne déserte.

Les Bleus la parcouraient, et les Chouans essayaient de les combattre. Le centre de la Chouannerie du Clos-Poulet était à Châteauneuf, et son chef était le jeune St-Thual.

Saint-Thual était le second fils d'Etienne Baude de la Vieuxville. Avant la terreur, il habitait au séculaire manoir qui domine encore la petite ville de Châteauneuf. Il vivait là, avec son vieux père, son frère aîné, qui devint, au retour de l'ordre, chambellan de l'empereur, et se plut à consacrer ses loisirs à la restauration de la vieille tour, suprême vestige de l'antique demeure des Rieux. Là aussi était sa soeur, qui devait plus tard épouser le comte de Talbouët, et se faire remarquer à la cour impériale, par sa radieuse beauté.

Cette noble famille menait, sur sa terre de Châteauneuf, la vie des gentilshommes habitant la province. Les enfants se plaisaient à jouer dans le parc planté d'arbres séculaires, ou au bord de l'étang, dont le vent d'hiver faisait tristement gémir les bouquets de roseaux. A la tombée du soir, ils n'osaient guère s'aventurer dans les allées, jonchées de feuilles mortes, où, disait la légende du pays, se promenait la belle Châteauneuf, Renée de Rieux, qui avait été célèbre par ses grâces et sa coquetterie, à la cour de Henri III.

Un jour de printemps, lorsque, dans le beau parc séculaire, tout chantait la joie du renouveau, des soldats étaient venus chercher le vieux marquis, alors âgé de quatre-vingt-deux ans ; et, jamais il n'était revenu. Le 4 mai 1793, en effet, il avait porté sa tête blanche sur la guillotine.

Alors, son second fils avait rêvé de venger son père. Il avait pensé à reprendre l'oeuvre de la Rouërie. Vêtu en paysan, avec un touron et un pantalon rayé, chaussé de gros souliers ferrés, il s'en allait, de village en village, quêter des recrues.

Il couchait, tantôt dans une chaumine, tantôt dans les huttes de sabotiers. Son fusil double ne le quittait pas, et autour de son chapeau, aux larges bords, courait une petite ganse blanche, seul signe qui pouvait faire deviner à l'oeil exercé, qu'il était affilié avec la Chouannerie.

Il faut bien se figurer l'étrange et mystérieuse région, que de Saint-Thual avait choisie, comme centre de la Chouannerie du Clos-Poulet. Nulle n'était plus propice à dépister l'ennemi.

Comment, si l'on n'est pas un enfant du pays, se hasarder, en effet, sur ce désert cent fois plus dangereux que sa voisine, la grève du Mont-Saint-Michel !

Si, au pays de la Mare Saint-Coulman, dont le "beùgle" clame sinistrement, semblable à un fantastique Nordouà souterrain, l'étranger ne court pas le risque de disparaître dans l'insondable mouvance des grèves, il risque de disparaître dans une terre qui brûle. Cette terre serait la cendre de la forêt de Cokelendu, et cette cendre fume, même malgré les pluies. De sa croûte desséchée, jaillissent des foyers soudains, et il suffit de jeter une allumette pour qu'une traînée de flamme fauche aussitôt les saules, les aulnes, les peupliers, dont la pâle verdure anime seule cette terre étrange de béliards et de rosières.

Par endroits, la croûte de cendres chaudes ondule sous le pied et engloutit l'imprudent, dans sa boue ardente, plus effrayante encore que les lises perfides et miroitantes du Mont, en péril de mer.

Beau comme un demi-dieu, disent les bonnes gens de la rosière, le jeune seigneur, au visage d'un pur ovale, aux grands yeux brillants, et aux longs cheveux de teinte fauve, se dépensait, jour et nuit, pour renouer les fils de l'écheveau que tenaient, en leurs mains, les derniers chefs de l'armée vendéenne.

Grâce à lui, on conjurait à Saint-Suliac, Bonaban, la Fresnais, et jusqu'à Saint-Ideuc, dont les vieilles maisons de campagne, la Brousse-Aubain, la Nouette, et bien d'autres, étaient devenues des nids de conspirateurs.

Certes, ce fier jeune homme n'avait pas froid aux yeux. Un jour, au Breuil, près du parc du Bas-Martin, il voit une dame de sa connaissance, Mme de Lastelle, qui fuyait, éperdue, de Bonaban, où les Bleus venaient de se réunir dans un hangar. Lui offrant le bras, il l'accompagne, durant trois kilomètres, et traverse ainsi le bourg de Saint-Père, où se trouve un détachement de Bleus.

Deux mois après, il errait, un jour, au milieu des marais de la Fresnais, quand il fut surpris par une troupe de soldats républicains. Ceux-ci le reconnurent, et firent feu. Saint-Thual tomba mortellement blessé, et expira, dit-on, en jetant un dernier regard, de là, sur le manoir familial, l'antique château des Rieux, dont le haut donjon se dessinait dans les brumes de l'horizon.

Avec lui, la Chouannerie du Clos-Poulet était définitivement morte. Les coups de feu qui avaient atteint au coeur celui qu'on appelait, à Châteauneuf, le Chef des Chouans, avaient aussi frappé à mort, une entreprise qui ne fut guère, chez nous, que le rêve généreux d'un adolescent enthousiaste.

Le triste marais de la Fresnais fut son tombeau. Mais, à partir de ce moment, si Bleus et Chouans accrochèrent, peu à peu au manteau de la cheminée, leurs vieux fusils de guerre, des bandes d'assassins, qui en réalité n'appartenaient plus à aucun parti, continuèrent à terroriser nos campagnes, que, durant encore des années, ensanglantèrent les plus horribles assassinats.

EUGENE HERPIN

Annales de la Société historique et archéologique

de l'arrondissement de Saint-Malo - 1907

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité