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La Maraîchine Normande
3 novembre 2012

LA PREMIERE MESSE A BOURGES APRES LA TERREUR

 

 

Un matin du printemps de l'an 1802 promettait aux religieux habitants de Bourges une splendide journée pleine de lumière et de douce chaleur. Le soleil, trop lentement, au gré de leurs désirs, montait radieux dans un ciel bleu sans nuages. Ce même jour aussi, comme l'aurore qui l'a précédé, les habitants de la ville se sont revêtus de leurs plus riches parures. Les enfants, eux aussi, brillent de leurs plus fraîches toilettes. Ainsi qu'aux grandes solennités d'il y a longtemps, les physionomies, hier encore tristes et anxieuses, s'illuminent de bonheur et d'espérance. On circule, on va, on vient pour s'apprendre l'heureuse nouvelle.

Qu'allait-il donc se passer ? Pourquoi ces habits de fête ? Quelle solennité allait éclairer ce beau soleil de printemps ?

Ce qu'on s'apprenait encore tout bas hier, on le disait maintenant tout haut : "On va dire la messe, une messe en public, au grand jour, une messe à nous, dite par un prêtre catholique et insermenté. Nous pourrons y aller sans exposer nos têtes à la guillotine."

Mille questions se pressaient sur les lèvres des petits enfants qui n'ont jamais vu et même sur celles des adolescents qui ont oublié ... Que fait-on à la messe ? Comment la dit-on ? Qu'y voit-on ? Où va se dire cette messe ?

Où va se dire la messe ?

Ah ! il aurait fallu l'immensité de la cathédrale et la voix puissante de son orgue pour répondre aux pieux désirs de nos pères, pour faire amende honorable de tant de sacrilèges impiétés et inaugurer le culte divin proscrit, relégué dans les caves, ces catacombes de la terreur, dans les granges de village ou dans les bois.

C'était à cela, en effet, qu'avaient été longtemps réduits les chrétiens de France, c'était là qu'ils devaient s'assembler pour prier. Qui n'a entendu parler de ces poétiques et touchantes premières communions des enfants de la Bretagne au milieu des vastes champs de genêts fleuris, au lever de l'aurore, sur un autel aux gradins de mousse, orné des rameaux de l'aubépine et des fleurs étoilées de l'églantier.

Quelques touchantes qu'aient été ces cérémonies augustes accomplies en secret, on était heureux, maintenant, de la liberté rendue au culte. Mais on était encore timide, on craignait l'insulte ou des profanations, on ne voulait pas braver les colères encore vivaces des septembriseurs vaincus.

Etait-il possible de faire à Bourges ce qu'on allait faire à Paris ?

♣♣♣

A Paris, on avait choisi, pour célébrer l'inauguration du culte à Notre-Dame, le grand jour de Pâques 1802. La messe, en effet, y fut célébrée avec la plus grande pompe par le Cardinal Caprara, légat du Pape, en présence du premier consul accompagné des principaux officiers de l'armée et de toutes les autorités. Mgr de Boisgelin, archevêque de Tours, y porta la parole. Des salves d'artillerie se firent entendre à l'élévation et au chant du Te Deum.

A Paris, cette démonstration religieuse fut officielle et commandée - Bonaparte voulait. - Et elle ne fut pas du goût de tout le monde, elle fit même grogner tout haut quelques vieux Sabreurs de la Révolution. "Voilà une belle capucinade, dit le général Delmas au consul, il n'y manque qu'un million d'hommes tués pour détruire ce que vous rétablissez."

Le compliment du général au consul et une gravure qui m'étonnait et me scandalisait, quand j'étais, moi aussi, petit enfant de choeur, il y a bientôt quatorze lustres, nous donnent un aperçu de ce qu'étaient les convenances et l'esprit religieux dans l'armée de l'époque. L'image représentait une pompeuse cérémonie au choeur de Notre-Dame (celle du 18 mars peut-être) où se pressaient simarres, épaulettes, habits galonnés et brodés. Un membre de la brillante assistance, aux larges moustaches, tout couvert de broderies, de cicatrices et de décorations (Delmas peut-être) avait fait approcher l'enfant de choeur portant l'encensoir, se l'était fait ouvrir et humait délicieusement et ciniquement la fumée de ... son cigare qu'il allumait au feu sacré !

♣♣♣

S'il en était ainsi à Paris et même dans l'entourage du tout puissant consul, l'on comprend qu'à Bourges on devait être prudent et ne pas trop oser tout de suite.

On renonça, à l'idée d'une messe dite à la cathédrale, mais disons, à l'avantage de nos bons vieux grand-pères, que chez eux, la démonstration fut libre, spontanée et toute religieuse. Ici rien d'officiel.

On se contenta, pour cette première messe, d'une petite et modeste chapelle, la plus modeste de Bourges, peut-être, reléguée dans un arrière-faubourg, celui d'Auron, sans mouvement et sans commerce à cette époque : le canal du Berry n'existait pas. Le faubourg était composé de quelques maisonnettes d'ouvriers et de vignerons. Le seul petit moulin de Messire-Jacques, remplacé par deux hauts fourneaux, vers 1837, lui donnait un peu de vie.

Notre petite chapelle, on la voyait - et on la voit encore dans son entier, sinon dans son intégrité - à main droite en sortant de la ville, après avoir traversé le pont d'Auron. Elle isolée de toute construction, au milieu d'une place irrégulière limitée par la route d'Issoudun, la rivière d'Auron et des maisons.

Elle était dédiée à St-Jean-Baptiste et est orientée sur le soleil levant de juin, selon la règle du moyen âge qui orientait ses églises sur le lever du soleil au jour de la fête du patron. Elle est terminée, murs et charpente, par une abside circulaire. Cette abside, le sanctuaire, est devenue l'atelier d'un maréchal que je vois ferrer là ânes et chevaux, depuis plus d'un demi-siècle. La nef a été convertie en habitations et les combles en mansardes. C'était autrefois la propriété des Templiers qui, au XIIIe siècle possédaient une maison dans le voisinage. Avant la Révolution, elle était desservie par les Carmes.

Je ne passe jamais par là sans saluer cette vénérable antiquité enfumée, qui fut le berceau du culte renaissant, comme je saluais autrefois Saint-Hippolyte, la première cathédrale de St-Ursin, rasée depuis près de vingt ans et que Bourges aurait dû conserver à tout prix.

♣♣♣

On aura une idée de l'affluence qui entoura cette humble sanctuaire au jour de cette démonstration religieuse, quand on saura ce qu'en disaient les jeunes hommes du temps, octogénaires d'il y a vingt ans. Ils exprimaient tout en deux mots : La rue d'Auron était pleine. Inutile de dire que chaque fenêtre avait ses assistants, qu'il y avait foule sur les routes d'Issoudun et de Saint-Amand, sur le pont, sur les quais d'Auron et surtout sur la place qui entoure la chapelle. Trente personnes à peine pouvaient trouver place à l'intérieur, néanmoins le silence et le recueillement étaient partout. Les mouvements des cérémonies se communiquaient graduellement des plus proches aux plus éloignés, comme les vagues qu'on voit courir sur un champ d'épis d'une extrémité à l'autre de la plaine. C'est ainsi qu'on s'agenouillait, qu'on se levait à l'Évangile, qu'on se signait et qu'on se prosternait à l'élévation.

 

Quel jour éclaira cette touchante cérémonie ? ... nul n'a pu se le rappeler. Tout porte à croire que ce fut le saint jour de Pâques, le même qui avait été choisi à Paris et qui, d'ailleurs, fut, par toute la France, un jour de bonheur et de pieux enthousiasme.

DU ROCHER

Revue du Centre (Châteauroux)

1888

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