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La Maraîchine Normande
13 octobre 2012

LES MÉSAVENTURES D'UN PRETRE MARIÉ ♣ DEMARY, Curé de Champ-du-Boult

 

Parmi les questions qui se rattachent à l'étude de la constitution civile du Clergé, l'une des plus curieuses est celle du mariage des prêtres. Chacun sait que, pendant la Révolution, un certain nombre d'ecclésiastiques, continuèrent à exercer les fonctions de leur état, sans observer le voeu de chasteté. Différents décrets (les premiers ont été promulgués en 1792) montrent que les assemblées révolutionnaires eurent à se prononcer sur ce sujet : leurs décisions furent favorables aux intérêts des prêtres mariés.

Toutefois, on n'a pas beaucoup de détails sur ces ecclésiastiques, on ignore généralement la condition sociale de leurs épouses, et l'on ne sait guère comment leur mariage fut accueilli par leurs paroissiens.

La présente étude permettra, en ce qui concerne le curé de Champ-du-Boult, de répondre tout au moins à cette dernière question.

Jacques-Nicolas-Louis Demary, bachelier en théologie de la maison et société de Sorbonne, était, depuis plusieurs années déjà, titulaire de la cure de Champ-du-Boult, quand éclata la Révolution.

Très soumis aux lois, notre homme n'hésita pas à prêter serment de fidélité à la constitution et conserva ainsi une cure qui fut dotée d'un traitement assez élevé, 1 500 livres.

Entre temps, séduit par les idées nouvelles, Demary s'était, malgré la distance, fait inscrire comme membre de la Société des Amis de la Constitution siégeant à Vire. Dès le 11 septembre 1790, il put y entendre les dissertations de quelques ecclésiastiques notoires, le cordelier Malo, le professeur Jean Alais, sur le mariage des prêtres.

Dans sa paroisse, il se montre d'ailleurs assez intolérant puisque, le 30 août 1791, nous le voyons demander à l'administration du district de Vire l'autorisation de "refuser les ornements et les vases sacrés de son église à tout prêtre insermenté ..." Il réclame même "qu'il leur soit fait défense de sonner la messe".

Mais, à la même époque, il se montre charitable et désintéressé. De plus, il habite une commune "patriote" : il est entouré de la sympathie générale.

Soudain, le célibat lui est à charge. Ses paroissiens, étonnés, puis indignés, apprennent que leur curé va se marier. Immédiatement, ils deviennent hostiles. Le 18 janvier 1793, à la séance du Directoire du district de Vire, lecture est faite d'une pétition du citoyen Demary "par laquelle il réclame protection et sûreté pour sa personne et celle de la femme qu'il doit épouser sous peu de jours".

Son appel n'est pas sans écho auprès d'une administration très disposée à faire observer la loi. "Le Directoire, considérant qu'il est de son devoir de prendre toutes les précautions possibles pour assurer aux administrés la tranquillité que la loi leur garantit dans les actes qu'elle ne prohibe pas, considérant que le mariage projeté par ce curé ne peut être blâmé que par des fanatiques dont les idées rétrécies ne peuvent s'élever à la hauteur de la révolution régénératrice des moeurs ; le procureur syndic entendu et requérant ; le directoire enjoint à la municipalité de Champ-du-Boult de procurer, sous sa personnalité personnelle, au dit Demary, toute sûreté et protection pour lui et celle qu'il doit épouser et d'empêcher par tous les moyens que la loi met en son pouvoir, qu'il ne leur soit fait ni proféré aucunes insultes ou injures, tant lors de leur mariage, qui doit s'effectuer sous peu, que par la suite ; arrête qu'à cet effet, expédition du présent sera adressée à la municipalité de Champ-du-Boult, par le procureur-syndic, chargé de son exécution.

Fort de cet appui, Demary fait célébrer son mariage. Mais, malgré les efforts de la municipalité, la cérémonie est agrémentée d'un beau "charivari", et les brimades continuent à accompagner les nouveaux époux jusqu'à leur demeure. Demary fait un nouvel appel au district le 7 février 1793. Cette fois, le ton du réquisitoire est sévère. "Le Directoire, considérant que les injures et maltraitements commis tant envers lui (le curé) qu'envers les officiers municipaux ... sont des délits d'autant plus répréhensibles que ce pasteur, en s'associant une légitime épouse, n'a fait qu'user d'une permission accordée par les décrets de l'Assemblée nationale, jalouse de faire revivre l'ancien usage de l'église, et surtout, de briser des liens indiscrètement imposés par le célibat ecclésiastique, contre le voeu formel de la nature, voeu qu'aucune institution humaine n'a jamais dû altérer ni méconnaître ; considérant néanmoins que les évènements survenus à l'occasion du curé de Champ-du-Boult contrastent fortement avec l'amour de l'ordre et des lois qu'avait constamment montré jusqu'à ce jour cette commune patriote : que la majorité n'est pas coupable ; que parmi les agitateurs et malveillants, il paraît y avoir eu quelques étrangers ; que tous ont été probablement égarés par des suggestions perfides, et qu'il suffirait sans doute de leur donner une explication claire de la loi, pour les ramener, sans retour, à son empire, en les animant d'ailleurs d'une juste défiance contre les malintentionnés qui pourraient tenter encore d'égarer leurs opinions, au préjudice d'un curé qui, toujours, avait été goûté dans cette commune et qu'il est urgent de faire jouir de toute la protection de la loi ; le procureur-syndic entendu ; arrête d'envoyer dimanche prochain, un commissaire qui se transportera à Champ-du-Boult, convoquera les habitants ..., les réunira au lieu et de la manière qu'il jugera convenable, les rappellera, au nom de la loi, à l'ordre et à la tranquillité, en leur faisant connaître, au nom de la loi, à l'ordre et à la tranquillité, en leur faisant connaître que, si, à l'avenir, ils se permettaient quelques excès, l'administration serait forcée d'user de tous les moyens que la loi met en son pouvoir pour garantir la sûreté des personnes et des propriétés.

"En conséquence, le Directoire a nommé le citoyen Delavente, procureur-syndic, l'autorise de requérir au besoin toute force armée, soit pour l'accompagner, soit en cas de troubles, arrête qu'expédition du présent lui sera remise pour lui valoir de pouvoir."

Le dimanche suivant, Delavente, accompagné de deux gendarmes, arrive à Champ-du-Boult, vers 9 heures et demie du matin. Immédiatement, les officiers municipaux lui font part de nouveaux incidents survenus le jour même, à la première messe. "Le curé s'étant présenté pour la dire, ... en avait été empêché par divers turbulents, et surtout par des femmes dont quelques-unes lui avaient déchiré ses habits".

Delavente trouve cette conduite répréhensible. Il envoie, à l'heure de la grand'messe, voir si le curé va la célébrer, mais celui-ci répond qu'il a déjeuné et que, par conséquent, il n'y aura pas de grand'messe. Alors, le procureur-syndic se rend à l'église, escorté de la municipalité et de la garde nationale. Aussitôt les habitants le suivent. Il monte en chaire, demande et obtient le silence, donne lecture de l'arrêté du district, puis fait un discours "pour rappeler aux citoyens l'observation de la loi, la permission donnée par elle au curé de prendre une épouse, la légitimité de son mariage, puisqu'on peut se permettre tout ce que la loi ne défend pas, la nécessité de la part de la municipalité et de la garde nationale de protéger le curé, son épouse et leurs propriétés ... le parti qu'en cas de besoin adopterait l'administration en envoyant dans la paroisse une force armée et résidente jusqu'à ce que l'ordre fût rétabli, le devoir et la nécessité de dénoncer les auteurs et instigateurs des troubles ..., la liberté qu'a chaque habitant d'aller ou non à la messe du curé, et, cependant, l'obligation pour tout citoyen de le laisser la célébrer paisiblement, la juste défiance à apporter relativement surtout à beaucoup de curés des environs qui, en dépit de la loi et de la morale évangélique, excitent et aigrissent scandaleusement les esprits contre le curé de Champ-du-Boult".

Immédiatement, s'élèvent des cris furieux : les paroissiens veulent un nouveau curé, car le "déserteur" a perdu leur confiance. Delavente ne peut plus se faire entendre : il sort ; la foule le suit au bureau municipal : Pendant une heure et demie, il s'efforce de calmer les esprits, trace aux autorités leurs devoirs, essaie de rétablir l'union dans la garde nationale divisée. Mais les paroissiens font signer une pétition demandant le remplacement du curé, la remettent à Delavente qui essaie de démontrer aux plus "éclairés" que le Directoire ne peut accueillir cette demande, la cure n'étant pas vacante. Le curé a le droit de rester et les paroissiens n'ont que le droit de ne pas aller à sa messe. Quelques-uns admettent la légitimité de ce mariage, mais ajoutent "qu'ils ne croiraient jamais qu'il (le curé) pût exercer légitimement les fonctions de son ministère après s'être marié".

Delavente rapporte l'impression que le curé n'est pas en danger, mais il n'a plus la confiance des habitants : "Il me paraît bien difficile qu'il puisse tenir longtemps contre un pareil état de choses, quoique la commune soit très patriote et que le curé y soit reconnu pour l'être."

Le 14 février, le Directoire "considérant que ... la crainte que pareils excès ne se renouvellent a empêché le curé de continuer ses fonctions, qu'à ce moyen, la partie des citoyens instruits, paisibles et qui veulent l'exécution de la loi, sont privés de la messe ...", décide de rétablir au plus tôt dans ses fonctions le curé de cette paroisse, et de forcer les habitants à remplir scrupuleusement leurs devoirs. A cet effet, le vice-président de l'administration, Charles-Augustin Bazin, ira, accompagné de la force armée, à Champ-du-Boult, le dimanche suivant, et le curé sera invité à célébrer la messe à 10 heures. S'il est besoin, une force armée sera établie à demeure dans la commune et on arrêtera tout délinquant.

Il semble que ces menaces aient produit leur effet, Bazin réussit mieux à Champ-du-Boult, que son collègue Delavente. Le curé fut rétabli dans ses fonctions le 17 février, et dès le 22 février 1793, Demary réclame, pour l'aider dans sa tâche, un vicaire qu'on ne put, d'ailleurs, lui accorder, faute de candidat. Les insultes dont le nouveau couple était l'objet se firent plus rares, le district ayant conseillé au curé de prendre des témoins et de poursuivre en justice les délinquants. Toutefois, elles ne cessèrent pas complètement, puisque, le 12 octobre 1793, elles font l'objet d'une lettre du district au département et d'une autre, adressée par Demary lui-même au président de la Convention Nationale.

Entêté, le curé marié ne quitta sa paroisse que le 30 ventôse an II (20 mars 1794), après avoir, devant la municipalité de Champ-du-Boult, renoncé à son état de prêtre. Il cédait alors, non aux tentatives de ses ouailles, mais, ainsi qu'un grand nombre de ses collègues de la région, au mouvement de déchristianisation déterminé par l'attitude des deux représentants montagnards Bouret et Frémanger, envoyés en mission dans les départements de la Manche et du Calvados

Paul NICOLLE

Professeur d'Histoire au Collège de Vire

Au pays Virois : Bulletin mensuel d'histoire locale

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