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La Maraîchine Normande
10 octobre 2012

LA COCARDE OBLIGATOIRE EN 1798 ♣ La cocarde à Saint-Fulgent ...

LA COCARDE OBLIGATOIRE

EN 1798

 

 

S'il est difficile de trouver dans notre histoire nationale une période plus tragique que celle de la Révolution, on n'en rencontre assurément aucune autre où le comique se mêle plus étroitement au terrible, et ce n'est pas un des signes les moins curieux de ce temps que d'associer gravement et impunément tant de bêtise à tant d'audace.

Les fonctionnaires de tous étages, qui n'avaient vu dans cette curée que l'occasion de prendre et de garder des places auxquelles ils n'auraient jamais osé prétendre dans un État calme et normal, se croyaient obligés de déployer un zèle en disproportion avec les évènements et avec leurs faibles moyens, et voué d'avance, par son inspiration même, à l'exagération et au ridicule. C'est sans doute le souvenir de toutes les sottises dont il avait été témoin à ce moment, qui suggérait à Talleyrand le conseil pratique qu'il se plaisait plus tard à répéter à ses agents : "Surtout, pas de zèle !"

On sait le rôle prépondérant qu'on accorda en ces temps troublés aux formules et aux insignes. Les monuments publics et les papiers administratifs étaient surchargés de devises et d'emblèmes, les fonctionnaires se pavoisaient à l'envi de plumets et d'écharpes. En réalité, la liberté, l'égalité, la fraternité, affichées partout, n'étaient que des mots sonores, et l'austérité républicaine ne se fiait qu'au civisme réhaussé de panaches et de clinquant.

La veille du premier anniversaire de la fondation de la République, le 21 septembre 1793, une loi imposa aux femmes l'obligation de porter la cocarde nationale, sous peine de huit jours de détention pour la première infraction, et d'être traitées comme suspectes en cas de récidive. Les femmes à qui la cocarde allait bien n'avaient pas attendu cette loi pour la prendre ; les autres n'en tinrent pas compte, sans être inquiétées, la Convention ayant alors de plus graves soucis. Mais, en 1797, le ministre de la police générale, Sotin, eut l'idée de faire observer cette loi qui n'avait jamais été abrogée, et, dans toute la France, les agents subalternes se piquèrent, comme toujours, de faire sentir à leurs administrés le poids de l'autorité, et de complaire à leur ministre.

 

 

Sotin de la Coindière était un ancien avocat du barreau de Nantes, qui, quatre ans auparavant, suspect au comité révolutionnaire nantais, avait été arrêté, traduit devant le tribunal révolutionnaire et acquitté. Depuis, il avait cru prudent de donner des gages au parti avancé, et avait réussi, grâce à la protection de Merlin de Douai, à se faire nommer commissaire central à Paris, puis ministre de la police, poste dans lequel il avait prêté le concours le plus actif au coup d'État jacobin de fructidor. Relever la loi du 21 septembre 1793 tombée en désuétude, et replacer sur toutes les têtes la cocarde que bien des femmes sans doute avaient déjà jetée par dessus les moulins, lui parut une mesure digne de son dévouement néo-révolutionnaire : il ne s'en priva point. Peu de temps après, il poussa le zèle jusqu'à faire saisir à Lyon, où l'on achevait de les confectionner, les manteaux écarlates, brodés de laine, des députés des Anciens et des Cinq-Cents, sous prétexte qu'ils étaient de casimir anglais, marchandise alors prohibée. Ceci le perdit. On lui avait passé la cocarde, on ne lui pardonna pas les manteaux, et il dut donner sa démission peu de jours après l'arrêté de saisie.

Sa succession fut confiée à un rond de cuir de l'administration de la police, Nicolas Dondeau, qui ne la garda d'ailleurs que quelques mois, et qui, douze jours après son installation, eut à appliquer en Vendée la loi sur la cocarde remise en vigueur par son prédécesseur.

En février 1798, le quatrième régiment de chasseurs à cheval, en déplacement, fit étape à Saint-Fulgent, et logea chez l'habitant. Les cavaliers plaisantèrent, paraît-il, les femmes de Saint-Fulgent sur la cocarde qu'elles avaient dû légalement arborer, et, dans des ébats qui ne cessèrent probablement pas d'être courtois, aucune femme en tout cas ne se plaignit du contraire, quelques cocardes se détachèrent et tombèrent à terre. Des maris chagrins trouvèrent-ils là matière à se plaindre ? Des femmes protestèrent-elles que les soldats leur avaient arraché leurs cocardes ? L'histoire est muette sur ce point. L'affaire eût été ainsi sans conséquence, politique du moins, et cela ne faisait pas le compte des sous-Sotin de village, avides de bruit et d'avancement.

Le Directoire exécutif était représenté auprès de l'administration municipale de Saint-Fulgent par un fonctionnaire ambitieux, qui sut par la suite orienter adroitement sa barque, puisqu'il devint, sous l'Empire, préfet de la Vendée, baron, conseiller d'État, commandeur de la Légion d'honneur, etc. Mais, à l'heure où nous sommes, le citoyen Jean-François-Honoré Merlet, qui n'avait que 37 ans, n'était encore que "commissaire du Directoire exécutif à Fulgent". Il se hâta de voir dans les galanteries un peu brusques des cavaliers du quatrième chasseurs, des manoeuvres anti-patriotiques, et autant d'outrages à la cocarde et à la loi, et il écrivit de sa meilleure plume au ministre Dondeau la lettre suivante ; on nous permettra de respecter, jusque dans ses écarts, l'orthographe de notre futur préfet :

Fulgent le 7 ventôse an 6 de la République.

Le commissaire du Directoire exécutif près l'administration municipale du canton de Fulgent, département de la Vendée.

Au ministre de la police générale de la République

Citoyen ministre, en vertu des lois existantes, tout citoyen des deux sexes doit être décoré de la cocarde tricolore nationalle. L'administration près laquelle j'exerce a pris un arrêté, le 25 brumaire dernier, en exécution de ces lois. Dans des contrées qui méconnurent si longtemps la république, qui eurent tant de peines à se soumettre à ses lois j'étais, à force de soins, parvenu à les faire reconnoistre et respecter. La fermeté et la prudence vinrent à bout de faire prendre à tout le monde la cocarde tricolore, les amis de la république jouissaient de ce triomphe remporté sur le royalisme.

Dans cet état de choses le quatrième régiment de chasseur à cheval est passé à Fulgent et y a couché, répandû pour le logement dans toute l'étendue de la commune, épars dans les campagnes, ils se sont permis de trouver mauvais que l'on eut obligé les femmes à porter la cocarde, ils onts tourné en ridicule l'obligation qui leurs étoit imposée à cet égard, ils les onts engagé à se dépouiller de ce signe de républicanisme, ils lonts arraché de la tête de plusieurs d'antrelle ; depuis ce moment la loi n'est plus respectée, elle est méconnüe ; les femmes refusent de porter ce signe de bon français. Nos travaux pour établir l'esprit public, sont devenu infructueux. J'ay du vous instruire citoyen ministre de ces faits, que je nay apris qu'après le départ de ce régiment et après quil eut obtenû de l'administration un certificat de bonne conduitte, qui ne lui eut pas été accordé si cette conduitte eut été connüe. Je m'en réfère, citoyen ministre, à votre sagesse, et au soin de faire part de la conduitte de ce régiment au ministre de la guère, si vous le croyez nécessaire.

Salut et respect.

MERLET

La missive fut en effet transmise par le ministre de la police à son collègue de la guerre, qui, seul, avait dans l'espèce le pouvoir disciplinaire. L'affaire suivit donc la filière administrative, ainsi qu'il appert de l'accusé de réception qui suit :

Paris le 5 germinal an 6e de la République une et indivisible.

Le ministre de la guerre au ministre de la police générale de la République.

J'ai reçu, mon cher collègue, votre lettre du 1er de ce mois par laquelle vous m'informez que des chasseurs à cheval du 4e régiment, lors du passage de ce corps à Saint-Fulyent (sic), département de la Vendée, se sont permis de tourner en ridicule la loi qui astreint les femmes à porter le premier signe de notre liberté, ils ont même poussé le mépris pour cette loi jusqu'à arracher la cocarde à plusieurs femmes.

Je vous remercie de cet avis et vous préviens que j'écris au général de la 22e division militaire à Tours, et au chef de brigade du 4e régiment de chasseurs pour lui recommander de rechercher et de poursuivre suivant la rigueur des lois les auteurs de ce délit, et de me rendre compte des causes primitives auxquelles il doit être attribué.

Salut et fraternité.

Illisible

La signature illisible est celle de Schérer, aussi brave soldat que déplorable administrateur, destitué deux ans auparavant, du commandement en chef de l'armée d'Italie, où il fut remplacé par Bonaparte, puis rappelé à l'activité, et nommé au ministère de la guerre, dont il désorganisa tous les services.

Il se souciait assez peu des criailleries du citoyen Merlet. Une fois entre ses mains, il laissa traîner l'enquête, et l'arrêta quand le quatrième chasseurs était déjà loin.

L'affaire des cocardes de Saint-Fulgent n'eut pas d'autres suites, et le dossier ne renferme que les deux lettres que nous publions aujourd'hui, presque cent ans après.

 

EDGAR BOURLOTON

Revue du Bas-Poitou

1894 - 1ère livraison

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Commentaires
P
Il ne s'agit nullement du Merlet futur préfet de Vendée. En 1798, le futur préfet JF Merlet était rentré depuis longtemps de sa cachette. Il est de retour, rue du Temple à Saumur, dès l'été 1795. Un de ses oncles lui écrit là le 16 thermidor an III.
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