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La Maraîchine Normande
19 septembre 2012

ANTOINE-FRANCOIS SERGENT ♣ 5ème partie

ANTOINE-FRANCOIS SERGENT ♣ "Sergent-Agate"

Énumérer tous les actes politiques auxquels il s'associa ou dont il prit l'initiative comme membre de la Convention nationale, ce serait écrire l'histoire même de cette immortelle assemblée, depuis son ouverture jusqu'à la dispersion des derniers débris de la Montagne. Je rappellerai seulement les plus importants de ces actes ou ceux que mon sujet m'oblige à faire connaître. - La troisième législature révolutionnaire s'inaugura, comme on sait, le 21 septembre, et proclama immédiatement l'abolition de la royauté en France. Dès la séance du 22, à propos du renouvellement, par voie d'élection, de la magistrature judiciaire, Sergent pris la parole pour appuyer la demande d'extension illimitée du cercle des éligibles. "Quand il s'agit de déclarer des vérités gravées dans tous les coeurs, il n'est pas besoin, dit-il, de renvoyer la question à un comité ; or, il est vrai qu'on doit laisser le peuple choisir indistinctement tous ceux qu'il juge dignes de sa confiance. Si dans la République il existe des hommes de loi dont il se défie, pouvez-vous le forcer à les choisir ?" L'assemblée admit le principe, et ne renvoya au comité législatif que pour les moyens d'exécution. - Dans la même séance, Sergent émit le voeu qu'une statue colossale de la Liberté fût élevée au milieu du jardin des Tuileries. On érigea, peu de temps après, cette figure sur la place de la Révolution. L'artiste-législateur devait faire naturellement plus d'une proposition de ce genre : ainsi, l'année suivante, à l'occasion d'un rapport de Chénier sur l'instruction publique, il demanda l'érection d'un monument à la gloire de Jean-Jacques Rousseau, ce qui fut décrété sur-le-champ. Nommé, dès les premiers jours de la session législative, l'un des inspecteurs de la salle de la Convention et du palais des Tuileries, il rendit, à ce titre, de nombreux et utiles services : ce fut lui qui fit placer la grande horloge de Lepaute au fronton du château, et qui ordonna les travaux d'embellissement exécutés dans le jardin par l'architecte Gisors ; sous sa direction, de nouvelles entrées furent ouvertes, les quinconces replantés, les parterres entourés de grilles ; le nombre des orangers s'augmenta de moitié et celui des statues presque du double. Sergent montra, pour la conservation de ces derniers et précieux ornements, la plus constante sollicitude : au nom du comité d'instruction publique, qui le compta longtemps parmi ses membres, il provoqua des mesures répressives très-sévères contre quiconque mutilerait ou dégraderait les oeuvres de sculpture exposées dans les jardins nationaux. En plusieurs circonstances non moins importantes, il servit encore de son zèle et de sa parole les intérêts sacrés de l'art ; mais, pour le moment, je dois le suivre sur le terrain de la politique.

La Convention était réunie depuis quelques jours à peine, quand le représentant Kersaint se leva pour réclamer une loi spéciale contre les provocateurs au meurtre. Sergent fut du nombre des députés qui combattirent cette motion, et l'on en a fait un sujet de récrimination contre lui. Pourtant, aux yeux des esprits non prévenus, il n'avait pas tort, ce semble, d'en référer à la législation existante, et de dire qu'il ne dépendait que des tribunaux que de l'appliquer. "Un des plus grands caractères de la dignité nationale, observait-il, c'est de pas multiplier les lois. Je ne rappellerai point les considérations de localité ; mais je dirai que ce qui doit faire cesser l'anarchie dont on se plaint, c'est votre décret qui abolit la royauté ; c'est la loi par laquelle vous avez mis sous la sauvegarde de la nation les personnes et les propriétés ; c'est enfin le renouvellement des tribunaux." Mais cela ne suffisait pas au royaliste Kersaint ; il invoquait contre les désordres du moment des mesures, si je puis dire, ultra-légales, - armes funestes entre les mains de tous les partis, et dont la Convention ne devait que trop user plus tard.

Le 15 octobre, Sergent, de concert avec Manuel, fit voter la suppression de la croix de Saint-Louis, et, le mois suivant, il se joignit à La Révellière-Lépeaux pour solliciter un décret promettant l'appui de la nation française à tous les peuples qui voudraient recouvrer leur liberté. - Vers le même temps, il fut nommé, avec David, Guyton-Morveau, Barrère et Dussaulx, membre de la commission conservatrice des monuments des sciences et des arts, où l'appelaient ses connaissances spéciales et des antécédents qu'il n'allait pas démentir. Un certain nombre d'électeurs de Paris, malgré son titre de représentant, qui lui interdisait toute fonction administrative, le choisirent aussi pour leur candidat, lorsqu'il s'agit d'élire un maire en remplacement de Pétion, qui avait résigné cette lourde charge. Je rapporte le fait comme une preuve de la popularité que l'ancien magistrat de police s'était acquise, et du degré de confiance qu'il inspirait. - Absorbé par les travaux intérieurs de trois comités différents, Sergent se fit rarement entendre à la Convention pendant les deux derniers mois de 1792. Il ne prit la parole que dans les débats relatifs à la mise en accusation de Louis XVI : une première fois, pour demander qu'on inventoriât les archives du Parlement, où, suivant Pétion et lui, devait se trouver une protestation de l'ex-roi contre tous les décrets qu'il avait sanctionnés ; et, plus tard, pour signaler des faits de corruption à la charge de ce prince et de ses ministres. Il indiquait assez par là quelle était sa conviction, et quel jugement sévère il se disposait à porter contre Louis. Dans le grand procès qui fixa le destin du monarque déchu, il vota, en effet, pour la mort, sans appel au peuple et sans sursis, - acte politique dont cinquante ans d'exil et de calomnies ne devaient point le faire repentir. Quand, du haut de la tribune, les députés de Paris laissèrent tomber, comme un écho monotone, le mot suprême et terrible, voici dans quels termes Sergent s'exprima lui-même :

"J'ai déjà prononcé la mort contre les ennemis de ma patrie, contre ceux qui avaient pris les armes pour la combattre. J'ai fait plus : j'ai prononcé la même peine contre des êtres faibles qui n'avaient commis peut-être d'autre crime que celui de suivre à l'étranger leur époux ou leur père. Depuis longtemps, j'étais convaincu des crimes de Louis. Un de mes collègues a dit qu'un roi mort, ce n'est pas un homme de moins ; je ne suis pas de son avis, et je pense que le supplice d'un roi ne peut qu'étonner l'univers. La tête d'un roi qui tombe qu'avec fracas, mais son supplice inspire une terreur salutaire. Après avoir balancé tous les dangers, il m'a été démontré dans ma conscience que la mort de Louis était la mesure d'où il en pouvait résulter le moins. Je vote donc pour la mort, et contre le chef, et contre ses complices."

A quelque opinion qu'on appartienne, on doit convenir que ces paroles étaient d'un homme qui mesurait toute la portée de son action, et qui prononçait la peine la plus sévère, non par haine ou par vengeance, mais par une nécessité à lui démontrée, mais en croyant remplir un devoir. S'il se trompait, ce que la politique hésite à dire, c'était avec la majorité de ses collègues, avec le peuple de Paris, et l'on peut ajouter sans crainte avec la moitié de la France.

Aussitôt après la mort du roi, des dissensions graves éclatèrent dans le sein de la Convention. La lutte qui s'était engagée, dès les premières séances, entre les Girondins et les Montagnards, se ranima plus violente que jamais, et il fut aisé de voir qu'elle ne se terminerait que par l'anéantissement de l'un des deux partis. Chaque jour amenait un nouvel orage ; on s'accusait, on se menaçait de part et d'autre avec un acharnement incroyable. Les Girondins, pour discréditer la cause de leurs adversaires, faisaient attaquer sans relâche, par le conseil général de la Commune, les membres montagnards de l'ex-comité de surveillance. Ce comité, plusieurs fois mis en demeure de rendre ses comptes, n'avait pu les apurer complètement ou du moins suivant la forme régulière, par suite de la perturbation que les évènements du 10 août et des 2 et 3 septembre avaient jetée dans l'administration de la Commune. Il était question de bris de scellés, de violations de dépôts et de malversations dont on exagérait à dessein l'importance. De là, des plaintes continuelles contre les anciens commissaires, et en particulier contre Sergent et Panis, qui avaient le tort d'être venus siéger à la Montagne. Le temps n'était plus où la Convention entière applaudissait aux paroles de Tallien, s'écriant à propos du comité de surveillance : "C'est ici le cas de rendre justice à deux hommes qui ont bien mérité de la patrie, qui l'ont sauvée peut-être ! Je veux nommer Panis et Sergent (séance du 1er octobre 1792)." Ces deux hommes étaient maintenant réduits à se défendre. Sergent, pour sa part, excitait des haines d'autant plus vives, qu'elles avaient leur principe dans des amitiés déçues. On lançait contre lui de ces calomnies que les partis ont la pudeur ou la tactique de ne pas confier à leurs organes sérieux, mais qu'ils laissent volontiers propager par les pamphlétaires à leur suite. Dans un libelle intitulé "Histoire des hommes de proie ou les Crimes du comité de surveillance", un certain Roch Mercandier, ancien secrétaire de Camille Desmoulins, écrivait sous l'inspiration d'autres patrons :

"... Panis et Sergent n'opéraient que rarement avec leurs collègues du comité ... Le premier prétextait des incommodités et des fatigues ; il ne paraissait à la mairie que pour prendre une connaissance succincte de ce qui s'était passé en son absence, du nombre des personnes qui étaient arrêtées, et des dépôts arrivés ; il s'en retournait ensuite en rudoyant tous ceux qui se trouvaient sur son passage. - Sergent montrait un peu plus de vigilance et d'aptitude au travail, et il avait moins de rudesse dans ses manières. Il passait en revue, avec une exactitude et un scrupule remarquables, or et argent, assignats, généralement tous les objets qui peuvent flatter l'oeil curieux d'un homme de goût, d'un véritable amateur. A la vue d'objets si séduisants, il était difficile à un homme ami des belles choses de tenir longtemps à cette rude épreuve. Aussi ne tarda-t-il point à donner un exemple de la fragilité humaine : à l'exemple de notre premier père, qui, entraîné par la gourmandise, se perdit en portant une main furace sur le fruit défendu, Sergent se perdit par un autre larcin : il se fit présent de deux montres d'or ornées de leurs chaînes, et d'une agate du plus grand prix ..."

Le factum de Mercandier, que je trouve en remontant aux sources des bruits calomnieux répandus contre Sergent, lui reprochait ensuite d'avoir favorisé l'évasion du prince de Poix. Cette seconde accusation pouvait être grave en 1793 ; mais, aujourd'hui, je n'ai heureusement à m'occuper que de la première. Le journal de Prudhomme lui avait donné quelque apparence de réalité, en publiant ce compte rendu perfide d'une séance de la Commune : "Le rapporteur a déclaré que, dans le nombre des objets précieux qui se trouvent manquer, tels que bijoux, argenterie, louis, etc., on comptait trois montres d'or, une agate montée en bague et autres bijoux, lesquels effets, a dit le rapporteur, sont entre les mains de Sergent, député de Paris à la Convention ; et, alors présent, Sergent est convenu du fait, à l'exception d'une montre qu'il a dit ne pas avoir, et a déclaré que son intention était de payer les effets au prix auquel ils auraient été portés. Ce disant, on a remarqué qu'il avait au doigt l'agate réclamée." Les consciencieux auteurs de "l'Histoire parlementaire" déclarent n'avoir trouvé, dans les procès-verbaux de la Commune, aucun détail sur le rapport dont parle Prudhomme, ni sur la discussion qui le suivit. C'est une lacune regrettable sans doute ; cependant on va voir que l'incident relatif à la fameuse agate avait en lui-même assez peu d'importance pour qu'on négligeât de le mentionner au procès-verbal.

Je rétablis les faits.

Au mois de septembre 1792, la caisse municipale se trouvait à peu près vide, et le comité de surveillance, privé de sa subvention, n'avait pas même de quoi suffire à ses dépenses journalières. Plusieurs fois, les administrateurs de la police, qui ne recevaient pour tout traitement qu'une indemnité de 4 ooo livres, avaient été obligés de solder de leur bourse les fiacres qui amenaient les prisonniers à la mairie ; les agents du service de sûreté ne touchaient que la moitié de leurs appointements, et tous les autres employés n'avaient pas été payés depuis trois mois. Pour se créer quelques ressources et pouvoir subvenir aux besoins du moment, le comité prit une mesure sans doute irrégulière, mais qu'excusait au moins l'urgence : il arrêta, de sa propre autorité, que tous les objets d'or ou d'argent, tous les bijoux provenant de la dépouille des victimes de septembre, et qui avaient été déposés à la Commune sans désignation de propriétaires, seraient vendus au profit de la caisse administrative. En conséquence, on fit venir un horloger du quai des Orfèvres et un bijoutier de la place Dauphine, lesquels, après avoir prêté serment devant le comité, procèdèrent à l'estimation des objets destinés à la vente. - Quand Sergent eût eu quelque part dans cette décision, qui allait contre, le droit du conseil général, il m'en coûterait peu de l'avouer ; mais enfin, pour être vrai, je dois dire qu'il y fut étranger. Depuis les journées de septembre, il se tenait complètement en dehors du comité : sa signature est absente, à partir de cette époque, au bas de tous les actes publiés par ses collègues. - Il apprit cependant la vente qui s'opérait, et, comme il avait remarqué, parmi les bijoux déposés entre les mains du caissier, une bague dont le chaton portait une tête de Bacchus en agate de deux couleurs, il usa du bénéfice commun en l'achetant au prix de 90 livres, fixé par les estimateurs. Ce camée ne devait pas être sans mérite, puisqu'il avait flatté le goût d'un homme expert en matière de gravure ; mais, loin que ce fût, comme on l'a dit, un ouvrage grec ou romain, une pierre antique précieuse, c'était l'oeuvre d'un artiste français nommé Marchand, et vivant alors à Londres. Dans tous les cas, la vente était à peine terminée, que le conseil général de la Commune la déclara illégale, arbitraire, et, cassant l'arrêté du comité de surveillance, ordonna la restitution immédiate des objets dont on avait indûment disposé. Sergent se hâta d'obéir à cet ordre : il remit à la commission municipale la bague qu'il avait achetée publiquement, et le caissier Fauchet lui rendit les 90 livres qui en avaient été le prix. - Les journaux girondins et les pamphlets royalistes ne le surnommèrent pas moins, à cette occasion, Sergent-Agate. - C'était, dans le principe, un sobriquet plaisant ; l'esprit de parti en sut faire bientôt une note d'infamie, et, depuis un demi-siècle, tous les historiens l'ont enregistrée sans contrôle ! Mais la vérité ne doit pas, pour cela, perdre ses droits : ils sont heureusement de ceux que le temps ne peut prescrire. C'est l'idée rassurante qui m'a fait entreprendre cet écrit, et qui m'encourage à le poursuivre jusqu'au bout.

... à suivre ...

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