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La Maraîchine Normande
19 septembre 2012

ANTOINE-FRANCOIS SERGENT ♣ 8ème et dernière partie

ANTOINE-FRANCOIS SERGENT - L'exil - La mort d'Émira - La mort d'Antoine

 

Émira Marceau-Sergent.

A dater de cette époque, la vie de Sergent cesse d'appartenir à l'histoire : ce n'est plus qu'une longue et courageuse lutte contre l'adversité, souvent même contre la détresse ; et, quoique cette dernière partie de la carrière du vieux républicain n'en soit pas la moins honorable ni la moins digne d'être étudiée, je me bornerai, pour ne pas trop allonger cet écrit, et à en rapporter les principaux incidents.

Les exilés se rendirent tout droit à Milan, où les avaient précédés quelques recommandations. Émira, depuis longtemps familiarisée avec la langue italienne, entreprit l'éducation de jeunes filles milanaises ; et Sergent, qui sortait pauvre de tous les emplois qu'il avait occupés, dut encore une fois reprendre son burin. Il commença la publication d'un grand ouvrage intitulé : Tableaux de l'Univers et des Connaissances humaines, lequel devait contenir 300 planches gravées en couleur, suivant la mode du temps, et qui eussent été accompagnées d'un texte explicatif en cinq langues différentes ; mais, soit que la spéculation fût mauvaise, soit que l'auteur n'eût pas les moyens de la poursuivre, il ne parut que deux ou trois livraisons de l'ouvrage ; et bientôt Sergent quitta Milan pour aller chercher fortune ailleurs. - De 1804 à 1809, il habita successivement Vérone, Padoue et Venise, sans pouvoir conjurer la chance contraire, malgré les attentions bienveillantes dont le beau-frère et la soeur de Marceau étaient partout l'objet. Enfin à Brescia, où tous deux se fixèrent ensuite, leur position s'améliora, et leur avenir même, grâce au dévouement d'un ami, fut assuré contre la misère. On était alors en juillet 1809, et l'armée française venait de gagner la célèbre bataille de Wagram. Parmi les héros de cette journée se trouvait un compatriote et un ancien frère d'armes de Marceau, le capitaine Maugars, glorieusement blessé en combattant. Or, quelques jours après la bataille, Napoléon, visitant les blessés à l'hôpital de Vienne, et leur distribuant des récompenses, s'arrêta devant le capitaine Maugars : "Et vous, lui dit-il, que désirez-vous ? - Rien pour moi, Sire, répondit le brave officier ; mais je demande une pension pour la soeur de mon ancien général." Le lendemain, l'empereur faisait expédier en même temps deux brevets : l'un nommait Maugars chevalier de la Légion-d'honneur, l'autre accordait à Émira une pension annuelle et viagère de 1 200 francs.

Cette ressource inespérée tira du dénuement les amis du généreux capitaine, mais elle fut encore loin pourtant de suffire à leurs besoins ; car ils avaient, comme je l'ai dit, adopté le fils de Mme Berchette-Marceau, dont l'éducation venait augmenter leurs charges. Aussi, tandis que l'intelligente Émira mettait à profit les talents qu'elle possédait, Sergent, de son côté, cultivait à la fois les lettres et la gravure. Il entreprit avec succès la publication d'une série de planches coloriées représentant les Costumes des peuples anciens et modernes, et auxquelles était joint un texte en langue italienne. Sa réputation comme artiste, et l'estime que son caractère lui avait acquise le firent nommer, au bout de quelque temps, membre titulaire de l'Athénée de Brescia. - Cependant, vers la fin de 1815, il quitta cette ville pour retourner à Milan, où il voulait essayer de produire son neveu, qui touchait à sa dix-huitième année. La Restauration venait de succéder à l'Empire, et l'ex-conventionnel restait banni de France à titre de régicide. La prolongation de son exil l'affectait péniblement ; mais, du moins, c'était alors la seule amertume de sa vie, car l'indigence n'y répandait plus ses poignantes inquiétudes, et le noble amour d'Émira la remplissait toujours. - A Milan, Sergent fit paraître les dernières livraisons de ses Costumes, et s'adonna ensuite exclusivement à la littérature. Admirateur enthousiaste du général Marceau, il publia, en 1820, des Notices historiques sur la mort de cet illustre guerrier. L'année suivante, Mme Sergent adressa personnellement à la chambre des députés une pétition où elle signalait, avec une indignation légitime, les outrages que la municipalité royaliste de Chartres avait fait subir à la pyramide élevée, dans cette ville, à la mémoire de Marceau. Cette pétition, combattue sans pudeur par deux députés d'Eure-et-Loir, mais éloquemment appuyée par le général Foy, fut renvoyée au ministre de l'intérieur, qui naturellement se hâta de l'enfouir dans ses cartons. - De 1821 à 1824, Sergent traduisit de l'italien en français plusieurs ouvrages concernant les arts et l'iconologie, ce qui lui fit obtenir la place de bibliothécaire-adjoint près l'Université de Turin. C'était un honorable mais tardif secours accordé à sa vieillesse. Il conserva néanmoins cet emploi pendant environ sept ans ; après quoi, son grand âge le forçant à prendre du repos, il alla s'établir à Nice-Maritime, dont l'heureux et doux climat lui faisait espérer encore de longs jours.

Émira et lui venaient de s'installer dans ce nouvel asile, quand la révolution de juillet 1830 fit crouler le trône des Bourbons. Sergent se trouvait, du même coup, relevé de la proscription, et aurait pu alors librement rentrer en France ; mais il était presque octogénaire, les fatigues d'une route de deux cents lieues l'effrayaient justement ; tous ses parents, tous ses anciens amis étaient morts d'ailleurs, et il prolongea volontairement son exil. - Le poids de l'âge avait courbé son corps sans ébranler sa vive imagination ; et, vieillard enjoué, conteur infatigable, doué surtout d'une mémoire prodigieuse, il occupait ses loisirs en publiant, dans les journaux italiens, des articles de littérature légère. - Mais, si le temps l'oubliait sur la plage de Nice, le sort ne se lassait pas de le frapper. Il eut le malheur de se voir précéder dans la tombe par sa chère Émira, qui mourut le 6 mai 1834, âgée de quatre-vingt-un ans ... Le coup était doublement cruel pour Sergent, car il lui apportait à la fois le deuil et la misère. La pension que l'empereur avait accordée à la soeur de Marceau s'éteignait avec celle-ci ; et le créateur des bureaux de bienfaisance, le fondateur de notre musée national eût été forcé de mendier, aux portes de la France, le pain que lui refusait l'ingrate administration des Beaux-Arts, si le roi Louis-Philippe, fidèle, en cela du moins, aux sentiments du duc de Chartres, n'eût lui-même pensionné, sur sa cassette, le vieux conventionnel.

Depuis quelque temps, le fils adoptif d'Émira était employé dans la direction des travaux publics du royaume Lombardo-Vénitien ; Sergent restait donc seul à Nice ; mais cet isolement plaisait à sa douleur : il revivait, par le souvenir, avec la compagne et la consolatrice de son exil. Trois ans après la mort de cette femme adorée, il publia sur elle un livre apologétique, sorte de mémoires confidentiels dédiés à ses amis, et qui sont peut-être le monument le plus curieux que l'amour ait jamais produit.

"O ma douce amie, s'écrie-t-il dans ce livre, tendre et vertueuse épouse ! quels souvenirs vont se retracer devant mon coeur ! ... Déjà soixante-dix hivers se sont succédés depuis lors. C'est de nos jeunes années que je vais parler, de cet âge d'innocence auquel on fait malheureusement si peu d'attention ... Cette page sans intérêt pour ceux qui doivent me lire, je l'écris pour moi ; elle procure à mon âme une jouissance dont je ne veux pas la priver. A cette époque, Émira, je ne connaissais pas d'autre bonheur que celui de te voir tous les jours. C'est ainsi que j'ai vu ta jeunesse s'avancer dans la carrière de la vie, sans aucune idée ni aucun pressentiment de l'avenir ; je te voyais, c'était là tout ... Enfant, je sentais la joie dans mon coeur lorsque tu apparaissais, et je n'avais pas besoin d'autre chose. Pouvais-je prévoir alors que ce coeur, que ta seule présence agitait, serait à toi, à toi seule pour la vie ? ... Prévoyais-je aussi que je devrais un jour, à deux cents lieues de notre berceau, verser des larmes sur ta tombe ? ... Aujourd'hui, ce matin, j'ai déposé sur le marbre qui te couvre depuis deux ans une couronne de fleurs entrelacée de myrte et de cyprès ! O épouse si chérie ! c'est en racontant tes actions que je veux peindre tes vertus !"

Le temps ne fit point taire les regrets exprimés dans ce livre ; mais il les changea en une douce mélancolie, et, Sergent, qui n'avait rien perdu de ses actives facultés, se mit à rédiger des notes sur sa vie passée. Il en avait envoyé déjà quelques-unes à la Revue rétrospective, en 1834 et 1835. Ce sont les seules qui aient été publiées. Malgré l'affaiblissement de sa vue, il aimait beaucoup à écrire, et entretenait de longues correspondances avec les personnes qui s'intéressaient à lui. Ses lettres étaient toujours pleines de curieuses anecdotes sur les évènements dont il avait été l'acteur ou le témoin ; mais les souvenirs qui se pressaient en foule sous sa plume jetaient un peu de diffusion dans ses récits. La légèreté ou la mauvaise foi que certains historiens montraient à son égard lui arrachaient souvent des paroles amères ; cependant il dédaignait de réclamer contre leurs attaques, disant que la vérité en triompherait tôt ou tard. Une fois seulement, il crut devoir repousser le surnom de Deux-Septembre, qui lui avait été donné par M. Didron, dans un rapport dont cet archéologue avait fait précéder son iconographie de la cathédrale de Chartres.

Sergent attendait ainsi le moment, pour lui trop lent à venir, où il irait rejoindre Émira. Il était entouré d'un petit cercle d'amis dévoués, comme son caractère affectueux lui en avait créé partout ; le hasard même lui avait donné un protecteur dans le consul de France, M. Hippolyte de Châteaugiron, qu'il avait lui-même défendu autrefois. Le vieil artiste était, d'ailleurs, généralement aimé à Nice, et la plupart des voyageurs français que chaque été amenait dans cette ville allaient visiter leur compatriote presque centenaire. Les derniers jours de sa vie purent recevoir quelques-uns des soins qu'ils réclamaient, grâce à une rente de 400 francs qui vint s'adjoindre à sa pension, et que l'ex-conventionnel Souhait (des Vosges) avait léguée par testament à chacun de ses collègues malheureux.

Au mois d'avril 1847, Sergent devint tout à fait aveugle. Ses yeux, qui avaient vu tant d'hommes et tant de choses, s'étaient fermés de lassitude ; mais il conservait toute la lucidité de son esprit, et, ne pouvant plus écrire, il dictait ... Dans le courant de juillet, en m'envoyant un cahier de notes, il me mandait par l'intermédiaire d'un ami : "Voici la fin que je vous avais annoncée ... Tout est là ; je n'ai plus rien à faire, et je puis maintenant finir moi-même. Je crois, mon cher compatriote, que le moment ne se fera pas longtemps attendre ..." La lettre par laquelle je lui accusais réception de son manuscrit arriva trop tard à Nice : - le 24 juillet au soir, c'est-à-dire près du terme de sa quatre-vingt-seizième année, il s'était éteint doucement, sans secousse, dans le calme de sa conscience. A ses derniers instants, il avait invoqué les secours de la religion, voulant, disait-il, que rien ne s'opposât à ce qu'il pût aller, là-haut, retrouver la femme qu'il avait tant aimée sur la terre. Certains personnages accourus à son lit de mort se fussent réjouis de le voir alors abjurer ce qu'ils appelaient ses erreurs politiques ; mais, sur ce point, il s'était montré inébranlable ;et, aux observations de l'un des officieux, le digne prêtre qui assistait le moribond avait lui-même répondu : "Je souhaite qu'à l'heure suprême votre conscience soit aussi bien préparée que celle de M. Sergent à paraître devant Dieu." - Les obsèques furent suivies par un petit cortège d'amis et de voyageurs français, auxquels se joignirent spontanément beaucoup d'habitants de Nice. En tête marchait M. de Châteaugiron. Le fils d'un conventionnel, M. Carnot, député de Paris prononça, sur le lieu de la sépulture, quelques nobles et touchantes paroles, et le corps fut descendu dans la tombe qui renfermait, depuis treize ans, les restes d'Émira. - Cette tombe, élevée par souscription en 1834, contient un vase de porcelaine scellé où sont déposées, dans une boîte de plomb, des cendres de Marceau.

Sergent a légué à la ville de Chartres le sabre et l'écharpe de son beau-frère, ainsi qu'un fragment de mémoires écrits de la main du général lui-même ; mais ces mémoires que Marceau destinait à sa fiancée, Agathe de Châteaugiron, offrent peu d'intérêt pour l'histoire, et ne sont vraiment précieux que comme autographes. Au milieu de ses longues traverses, le proscrit avait pieusement conservé ces reliques, car il professait à l'égard de Marceau un véritable culte. On l'a même accusé d'avoir voulu ainsi attirer sur sa tête quelques reflets d'une gloire sans tache, et se mettre avec elle en solidarité. Je ne le justifierai pas de ce reproche puéril. Si, depuis son mariage, il avait ajouté à son nom celui du héros d'Altenkirchen, ce n'était point pour s'abriter sous une renommée illustre, c'était pour honorer la compagne de sa vie, selon l'antique usage de sa province qui, du nom qu'apporte l'épouse, fait le premier titre du mari.

 

NOTICE SUR A.-F. SERGENT

Graveur en taille-douce

Député de Paris à la Convention nationale

par Noël PARFAIT

1848

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