Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
La Maraîchine Normande
25 août 2012

DIALOGUE FAMILIER ENTRE UN CATHOLIQUE ET UN CONSTITUTIONNEL

DIALOGUE FAMILIER
ENTRE UN CATHOLIQUE
ET UN CONSTITUTIONNEL

Le Constitutionnel - Je cherche de bonne foi la vérité : dites-moi, de grace, vous qui refusez de communiquer avec nous, qu'a donc de si contraire à la religion, cette constitution du clergé, contre laquelle on s'est tant récrié, et qui a fait naître le schisme.
Le Catholique - Rien, si ce n'est qu'elle renverse de fond en comble la discipline de l'église ; qu'elle est hérétique, schismatique, et même, comme l'appelle le souverain pontife, un amas et un extrait de plusieurs hérésies ; et qu'elle a été condamnée comme telle par le pape et le corps des premiers pasteurs, juges naturels de la foi.
Le Constitutionnel - C'est plus qu'il n'en faut, sans doute, pour que tout fidèle soit tenu de rejetter avec horreur la constitution du clergé. Mais comment cette constitution seroit-elle hérétique par exemple ? Elle ne contredit aucun dogme catholique.
Le Catholique - La constitution du clergé n'énonce peut-être bien formellement aucune hérésie dans le dogme, parce qu'elle n'est pas un ouvrage doctrinal ; mais elle est remplie de cette espèce d'hérésies, desquelles seules elle étoit susceptible, je veux dire d'hérésies pratiques. Par exemple, elle défend aux évêques élus de recourir au souverain pontif, pour en recevoir l'institution canonique : aux évêques en fonctions, de rien statuer sans en avoir préalablement délibéré dans leur presbytère, etc. Elle est donc censée enseigner, elle enseigne réellement, et par le fait, que le pape n'a pas dans l'église la primauté de juridiction, que les évêques ne sont pas supérieurs aux simples prêtres : deux propositions hérétiques, et ainsi de beaucoup d'autres.
Le Constitutionnel - Quant à la discipline, au moins est-il certain qu'elle peut varier.
Le Catholique - Oui ; mais seulement avec le consentement et le concours de celle qui l'a établie, je veux dire de l'église, qui en effet a reçu de Jésus-Christ le pouvoir de se gouverner elle-même, comme l'état a le pouvoir de se régir par telles loix qu'il lui plaît. Or loin que l'église ait concouru, elle a au contraire réclamé avec force contre les changemens introduits dans sa discipline : c'est un fait de notoriété publique.
Le Constitutionnel - Justement : elle a réclamé ; mais pourquoi réclamoit-elle ? C'est ce qui fait son crime.
Le Catholique - D'abord, que vous importent ses motifs ? Ce n'est pas ici le lieu de la justifier. Qu'elle ait eu tort ou non de réclamer, toujours est-il certain qu'elle a réclamé, et dès lors, qu'on n'a rien pu faire validement. Mais s'il faut vous dire pourquoi elle a réclamé, le voici en deux mots. Elle a réclamé : 1° parce que la discipline qu'on vouloit établir en France, n'étoit propre qu'à achever d'y éteindre la religion, comme ne le prouvent que trop les funestes essais qu'on en a déjà faits ; 2° Elle a réclamé précisément, parce qu'on vouloit la forcer de concourir, et que l'assemblée nationale ne demandoit pas seulement, mais exigeoit impérieusement son consentement, qui dès lors cessoit d'être libre.
Le Constitutionnel - Mais n'y avoit-il pas dans l'assemblée nationale elle-même un assez grand nombre de députés ecclésiastiques pour représenter l'église de France, et valider tous les changemens entrepris par cette assemblée ?
Le Catholique - Quel absurde systême ! Des hommes envoyés pour remédier aux maux de l'état, transformés tout-à-coup en des juges de la foi et des arbitres souverains de la discipline de l'église ! Une assemblée civile composée pour la plus grande partie de laïcs, ayant voix délibérative, métamorphosée en concile ! Non, l'assemblée nationale elle-même n'eut jamais une prétention si bizarre. En quelque nombre que vous supposiez les ecclésiastiques députés à l'assemblée nationale, ils n'avoient pas, je pense, le pouvoir de renverser les bornes posées par Jésus-Christ lui-même, le pouvoir de toucher au dogme et de changer la discipline de l'église. Enfin montrez-moi que le consentement de ces prétendus représentans de l'église gallicane, ait été donné à l'unanimité, ou même à la majorité des suffrages. Montrez-moi que le pape, que l'église universelle aient approuvé et ratifié ce consentement. Ce n'est pas, je pense, dans les brefs de Pie VI, que vous trouverez des vestiges de cette ratification.
Le Constitutionnel - L'assemblée cependant a dit ne vouloir pas toucher au spirituel.
Le Catholique - Vraiment je ne doute pas qu'elle ne l'ait dit : car quel hérétique, quel novateur n'en a dit autant ? Mais faudra-t-il l'en croire contre l'évidence même ? Que peuvent de vaines paroles et de fallacieuses protestations, contre des faits positifs et multipliés ? S'il suffisoit, pour absoudre un criminel, d'une simple dénégation de sa part, quel homme au monde mériteroit d'être condamné ?
Le Constitutionnel - On nous disoit cependant que cette constitution du clergé devoit faire refleurir la religion, et ramener les beaux jours de l'église.
Le Catholique - Je vous en fais juge vous-même. De bonne foi, croyez-vous que les Juifs, les Protestans, les Jansénistes, les Athées et les hommes décriés pour leurs moeurs, dont la constitution du clergé est l'ouvrage, fussent choisis de Dieu pour réformer son église ? Croyez-vous que ce soit en fermant ou démolissant les temples, en détruisant tous les ordres religieux, en expulsant tous les pasteurs fidèles, et leur substituant avec violence une troupe furieuse de loups ravisseurs, le rebut et la lie du clergé, qu'on réforme l'église ? Trouvez-vous enfin quelque trait de ressemblance entre votre église constitutionnelle, soit dans ses pasteurs, soit dans les brebis égarées qui les suivent, et l'église des premiers siècles ? Quant à moi, je l'avoue, elle me paroît ressembler beaucoup mieux aux payens, au milieu desquels elle gémissoit, et qui la persécutoient à toute outrance.
Le Constitutionnel - Ne seroit-ce pas peut-être par des vues d'intérêt, et dans l'espoir d'opérer une contre-révolution, que tant de membres du clergé ont refusé le serment ?
Le Catholique - Par intérêt ? ... En effet, en supposant tant d'hommes vénérables, tout le corps épiscopal de France, et le plus grand nombre des pasteurs du second ordre, dépourvus de tout principe de vertu et de religion, et guidés uniquement par des vues basses et sordides, les anciens pasteurs n'étoient-ils pas bien intéressés, humainement parlant, à sacrifier leurs places, leur repos, leur aisance, à exposer leur vie même, pour tenter une contre-révolution chimérique, et qui ne dépendoit pas d'eux ? N'est-il pas dans le coeur humain de sacrifier ainsi, de gaieté de coeur, et au risque des plus grands maux, le certain pour l'incertain ?
Le Constitutionnel - Pourquoi donc, si le serment est criminel, tous les prêtres ne s'accordent-ils pas à le condamner ?
Le Catholique - Pourquoi ? Belle question ! Et pourquoi les hommes résistent-ils à la vérité connue ? Pourquoi étouffent-ils les remords de conscience ? ... Qui ne voit qu'avec de pareilles questions, il n'est pas de vérité qu'on ne parvînt à obscurcir, de principes qu'on ne réussît à ébranler ? Autant vaudroit demander pourquoi, si le luthéranisme et le calvinisme sont des hérésies, se trouve-t-il des luthériens et des calvinistes ? ... Mais si, contre toute raison, il faut vous rendre raison du dissentiment qui règne parmi les prêtres, sur le sujet du serment ; ils ne s'accordent pas entr'eux, vous dirai-je, parce que d'après l'oracle du St. Esprit lui-même, il faut, vu la nature du coeur humain, qu'il y ait des schismes et des hérésies ; ils ne s'accordent pas, parce que plusieurs manquent de lumières, parce qu'un plus grand nombre encore manque de bonne foi ; ils ne s'accordent pas en un mot, parce que les prêtres, non plus que les autres hommes, ne sont pas exempts de passions ... Mais si vous demandez qu'il y ait de l'accord entre les ecclésiastiques, cent vingt-sept évêques contre quatre, les trois quarts au moins des autres fonctionnaires publics, contre un quart d'infidèles, ne vous semble-t-il pas former un assez beau concert en faveur de la vérité ? Et si vous connoissez les hommes, quel plus grand accord pouvez-vous raisonnablement souhaiter ; sur-tout dans un siècle ou un déluge d'écrits impies avoit considérablement affoibli la foi, dans les hommes de tous les états ? ... Enfin je vous demande à vous-même : si le serment est permis, pourquoi tous les prêtres ne s'accordent-ils pas à le prêter ; pourquoi un si grand nombre s'empresse-t-il de le rétracter ? Je comprends très-bien comment plusieurs ecclésiastiques ont pu s'y soumettre, quoiqu'il fût irréligieux ; mais s'il est licite, je ne conçois pas qu'un seul ait pu le refuser.
Le Constitutionnel - Licite ou non, c'est ce que je n'examine pas ; il me suffit de savoir que les prêtres ont dû le prêter ; car enfin, Monsieur, telle est la loi.
Le Catholique - Telle est la loi ? Je le nie positivement. Il n'y eut jamais de loi qui obligeât les ecclésiastiques, même les fonctionnaires publics, à prêter le serment ; et ce n'est que par la plus criante des injustices, qu'on a pu appeler réfractaires ceux qui l'ont refusé ... Mais je veux que la loi existe ; quelle révoltante proposition que la vôtre ! Oui, sans doute, vous dirai-je, telle est la loi, celle des hommes toutefois ; mais celle de Dieu ordonne le contraire. Or, je vous le demande, laquelle dans le conflit doit l'emporter ? ... La loi ordonnoit aussi dans les premiers siècles de l'église de renier Jésus-Christ, d'adorer les idoles : falloit-il donc alors accomplir la loi, et ne vénérons-nous pas au contraire comme martyrs, ceux qui eurent le courage de subir la mort plutôt que de l'observer ? C'est qu'il y a deux sortes de loix, les divines et les humaines : les unes qu'on est toujours obligé, les autres qu'on est quelquefois dispensé d'observer, tenu même d'enfreindre, quand elles sont, comme dans le cas présent, impies et opposées aux premières. Jugez vous-mêmes, disoient les apôtres aux chefs de la synagogue, s'il est juste de vous obéir préférablement à Dieu !
Le Constitutionnel - Au moins, Monsieur, détourner les fidèles de communiquer avec les nouveaux pasteurs, est-ce manquer de charité.
Le Catholique - Pas plus que de dénoncer aux magistrats et à l'opinion publique ce cruel assassin, cet injuste ravisseur du bien d'autrui. Je voudrois bien savoir si dans ce dernier cas, il y auroit plus de charité à laisser dépouillet et assassiner ses concitoyens pour épargner la réputation d'un malfaiteur ? Je vous demande de même, si dans le cas actuel, il vaudroit mieux laisser se précipiter dans l'enfer tant de millions d'âmes que les faux pasteurs entraînent dans le schisme, et par conséquent hors de l'église et de la voie du salut ?
Le Constitutionnel - Mais c'est désobéir à l'évangile.
Le Catholique - Eh quoi ! l'évangile ne dit-il pas en termes formels, "que si quelqu'un n'écoute pas l'église enseignante, (qui est le corps des pasteurs) on ne doit non plus avoir de commerce avec lui qu'avec les payens et les publicains ? ... Que les fidèles doivent être en garde contre les faux prophètes qui viennent à eux couverts de la peau de brebis, et ne sont au fond que des loups ravisseurs ? ... Que celui-là est un voleur et un larron qui n'entre pas dans la bergerie par la vraie porte, etc.
Le Constitutionnel - Décrier les nouveaux pasteurs, c'est cependant troubler la paix, tant recommandée par l'évangile.
Le Catholique - Oui, la paix du crime, la paix que donne le monde ; mais non celle que donne Jésus-Christ. Il faudra donc, sous le spécieux prétexte de conserver la paix, laisser perdre la foi ? ... Quelle paix, grand Dieu ! que celle dont la ruine de la religion seroit la première condition !
Le Constitutionnel - C'est causer du scandale.
Le Catholique - Je l'avoue, si par ces mots "causer du scandale", vous entendez plutôt faire un éclat, qu'induire au mal. Quel scandale en effet ! Se sacrifier pour ses brebis et remplir ses devoirs au prix de ce qu'on a de plus cher au monde ! Oui, si c'est là un scandale, il est des circonstances où le scandale devient une obligation ; et ne pas le donner, par exemple, dans la crise où se trouve l'église de France, ce seroit le plus grand et le plus funeste des scandales.
Le Constitutionnel - C'est l'effet de l'esprit de parti.
Le Catholique - Soit, mais du bon parti, du parti de la vérité, de la religion, de la vertu ; du parti des opprimés, et non des oppresseurs, des persécutés et non des persécuteurs. Or, il est permis, je pense, d'être d'un parti, quand c'est de celui-ci qu'on se range, et il sied mal aux agens de la faction la plus tyrannique et la plus oppressive qui fut jamais, d'accuser d'esprist de parti des hommes simples et désintéressés, qui n'eurent jamais ni usage de l'intrigue, ni aptitude à en manier les ressorts.
Le Constitutionnel - Quoi donc ! ceux qui ont prêté le serment veulent-ils être damnés ?
Le Catholique - Qu'importe qu'ils ne le veuillent pas, s'ils font tout ce qu'il faut pour l'être ? Les hérétiques et les mauvais catholiques n'ont pas non plus l'intention expresse de se damner, et cependant vous ne croirez pas que les mauvais catholiques et les hérétiques soient sauvés. Si pour se damner, il falloit en avoir conçu l'affreux projet, et formé la résolution bien expresse, quel homme ne seroit sauvé ? Au reste, je croirai encore moins que telle soit l'intention de ceux qui ont refusé le serment, puisqu'en le refusant, ils ont tout sacrifé à leur religion, au lieu que les assermentés trouvent toute sorte d'avantages temporels à celle qu'ils professent.
Le Constitutionnel - Que les nouveaux pasteurs se damnent en exerçant le ministère, cela peut-être ; mais faut-il que nous souffrions de leurs fautes ? Pourquoi, par exemple, ne recevrois-je pas l'absolution aussi validement de leurs mains que de celles des pasteurs destitués ?
Le Catholique - Pourquoi ? Pour deux raisons frappantes, que je vous prie de bien remarquer ; la première, parce qu'ils n'ont pas été légitimement approuvés, et que l'absolution qu'ils vous donnent est nulle, à défaut de pouvoir de leur part. La seconde, parce que vous péchez actuellement même, en vous confessant à eux et communiquant avec eux ; et que l'absolution que vous recevez d'eux est nulle, à défaut de dispositions de votre part.
Le Constitutionnel - Mais quoi ! tout prêtre n'a-t-il pas reçu, dans son ordination, le pouvoir de remettre les péchés ?
Le Catholique - Oui, le pouvoir d'ordre, mais non celui de jurisdiction, tout aussi essentiel, d'après la définition précise du concile général de Trente.
Le Constitutionnel - Soit : il faut qu'un prêtre ait été approuvé pour absoudre validement ; mais les prêtres constitutionnels n'ont-ils pas été approuvés par leurs évêques ?
Le Catholique - De quels évêques entendez-vous parler ? De leurs légitimes évêques, des évêques catholiques ? Rien n'est plus faux. Des évêques constitutionnels ? Ils n'ont pas de jurisdiction, comment la communiqueroient-ils ? Peut-on donner à autrui ce qu'on n'a pas soi-même ?
Le Constitutionnel - Ils n'ont pas de jurisdiction ! Eh quoi ! tout évêque, du moment qu'il est validement consacré, n'a-t-il pas une jurisdiction universelle ?
Le Catholique - Non certes, à moins que vous ne pensiez que tout évêque, en vertu de sa seule consécration, peut légitimement aller d'une extrémité du monde à l'autre, conférer les ordres de sa pleine autorité, donner la confirmation, instituer et destituer les curés, etc.
Le Constitutionnel - Mais les apôtres ne l'avoient-ils pas cette jurisdiction universelle ?
Le Catholique - Oui, toutefois en vertu de la mission apostolique, et non en vertu du caractère épiscopal. Or, cette mission extraordinaire et privilégiée, les apôtres ont dû la recevoir pour hâter l'établissement et la propagation de la religion ; mais ils ne l'ont pas plus transmise à leurs successeurs, que le don des miracles et le don des langues.
Le Constitutionnel - Au moins, Monsieur, ne faut-il pas être approuvé pour célébrer validement la messe ; celle des intrus est, donc aussi bonne que celle des autres prêtres.
Le Catholique - Elle est aussi bonne ; c'est-à-dire, qu'elle est aussi valide : oui, mais est-ce à dire qu'il soit aussi permis de l'entendre ? Non assurément, puisque la même église qui nous fait un devoir d'entendre la messe en certains jours, nous défend non moins expressément d'assister à celle des intrus ; et que soit qu'elle ordonne, soit qu'elle défende, son autorité est toujours la même et toujours également respectable. De même donc que nous ferions une faute grave en refusant de paroître au sacrifice malgré ses ordres, de même aussi nous commettrions une offense mortelle en y assistant contre sa défense.
Le Constitutionnel - Mais enfin, Monsieur, ce n'est pas le prêtre que je prie quand j'assiste au sacrifice ; tant pis pour lui s'il a juré et s'il est schismatique. Le bon Dieu que je prie n'a pas juré.
Le Catholique - Communiquez donc avec le bon Dieu, mais ne communiquez pas avec un ministre schismatique qui a juré. Tant pis pour lui, sans doute, s'il est schismatique, mais tant pis pour vous, si vous le devenez en communiquant avec lui, par cela seul que vous assistez au sacrifice offert par lui.
Le Constitutionnel - L'église me défend-elle aussi d'assister aux prédications de cet intrus ?
Le Catholique - Sans doute : elle vous interdit toute sorte de communication spirituelle avec lui.
Le Constitutionnel - Mais c'est un fort bon prêtre.
Le Catholique - Quel paradoxe, grand Dieu ! Dites, à la bonne heure, qu'il le fut autrefois ; mais il a cessé de l'être, du moment qu'il s'est séparé de l'église et a envahi le troupeau de Jésus-Christ.
Le Constitutionnel - Il prêche d'une manière distinguée.
Le Catholique - Prêchât-il comme les plus célèbres orateurs qu'ait eu la chaire, il ne vous est pas permis de l'entendre : Non licet.
Le Constitutionnel - Que ce soit lui ou un autre qui occupe la chaire évangélique, n'est-ce pas toujours la parole de Dieu qu'il m'annonce ?
Le Catholique - Je veux le croire ; mais ce n'est pas son ministre qui vous l'annonce ; cette divine semence ne vous parviendroit pas par le canal que Dieu avoit destiné à vous la transmettre, et dès lors elle ne fructifieroit pas en vous.
Le Constitutionnel - Mais vaut-il donc mieux en être absolument privé ?
Le Catholique - Sans doute, le Seigneur saura bien vous dédommager par une effusion plus abondante de graces. N'avez-vous pas d'ailleurs le livre de la loi, et ne pouvez-vous pas consulter en secret les ministres du Seigneur restés fidèles ?
Le Constitutionnel - Quelle gêne, grand Dieu, s'il faut rompre toute société spirituelle avec les prêtres constitutionnels ! quelle incommodité pour entendre la messe, recevoir les sacremens, etc.
Le Catholique. En effet, être obligé d'intervertir son heure accoutumé pour le saint sacrifice, être un peu moins à portée du ministre de la réconciliation, ne voilà t-il pas un bien grand inconvénient ? De bonne foi, ce léger surcroît de gêne, qui se traduit à si peu de chose, sur-tout dans les villes ; qu'est-il au prix du malheur extrême de tomber dans le schisme et de se séparer de la communion de l'église ? Et si de telles difficultés vous ébranlent, comment défendrez-vous la foi au péril de vos jours, si Dieu vient à exiger de vous ce pénible sacrifice ? ..., Mais si la difficulté de trouver des ministres fidèles est moralement insurmontable, vous êtes dès-lors, et par cela seul, dispensé de recourir à aucun ministre de la religion, et il vaut mieux, sans comparaison, prendre ce parti extrême, tout fâcheux qu'il est, que de recourir à des intrus et des schismatiques.
Le Constitutionnel - Mais que deviendrons-nous alors privés des secours de la religion, avec lesquels nous avons déjà tant de peine à nous soutenir dans le bien ?
Le Catholique - Et que devenoient les premiers chrétiens dans les tems de persécution ? Jamais leur ferveur ne fut plus grande. Que deviennent aujourd'hui les catholiques des contrées infidèles ou hérétiques ? Que deviendriez-vous vous -même, si une longue infirmité vous privoit de tous les exercices publics du culte ? Un vrai chrétien ne tient désordonnément à aucun moyen extérieur du salut, parce qu'il sait qu'il n'en est aucun auquel le Seigneur ne puisse suppléer avec avantage, et que leur soustraction elle-même, s'il la supporte avec soumission, peut devenir pour lui un excellent moyen de salut.
Le Constitutionnel - Mais alors qui formera, pour la religion la génération suivante ? Qui instruira nos enfants ?
Le Catholique - Vous-même n'avez-vous pas toujours dû les instruire ? Un père et une mère ne sont-ils pas les cathéchistes nés de leur famille ? Vous gagnerez même à cette heure nécessité, d'étudier et d'approfondir votre religion. Vos prêtres fidèles, vos anciens et légitimes pasteurs, dans l'intérieur de vos maisons. Il n'est pas indispensablement nécessaire, pour former la jeunesse à la vertu, de la rassembler avec appareil dans les temples. Chargés d'un trop petit nombre, hélas ! de jeunes élèves, les prêtres catholiques n'en seront que plus empressés et plus assidus auprès d'eux. Mais enfin, l'éducation chrétienne de vos enfans dût-elle souffrir de notre exclusion des temples, une sorte d'ignorance est encore préférable, dans l'ordre du salut, au malheur d'avoir pour instituteurs des prêtres schismatiques, et de rombre l'unité en communiquant avec eux.
Le Constitutionnel - Combien les hommes sans religion et les mauvais catholiques ne vont-ils pas triompher de cette cessation du culte public !
Le Catholique - Combien les partisans de la nouvelle religion triompheroient-ils davantage, si nous étions assez foibles pour communiquer avec eux ! Vaut-il donc mieux préparer leur triomphe que celui des philosophes ? Laissez, laissez la paille se séparer spontanément du bon grain, et l'impiété, cachée jusques-là parmi vous, se dévoiler elle-même et lever le masque de l'hypocrisie ; contentez-vous de ne pas vous consolet par d'aussi indignes motifs que ces hommes irréligieux, de la privation passagère des pratiques extérieures de la religion, et croyez que quiconque ne les regrette pas, n'étoit pas bien singulier que ce soient justement les hommes jusques-là les plus indifférens pour la religion et les plus étrangers à ses pieuses pratiques ? tant l'impiété est peu d'accord avec elle-même.
Le Constitutionnel - Mais enfin, tel prêtre a été placé en vertu du serment, ne vaut-il pas tel et tel autre prêtre qui a refusé de le prêter ?
Le Catholique - Cela peut-être, mais cela ne fait rien à la question. Tout déréglé qu'est peut-être dans ses moeurs ce prêtre non assermenté, au moins n'est-il ni intrus, ni schismatique ; dès-lors il peut être un mauvais pasteur, il n'est pas un faux pasteur ; il est indigne des pouvoirs, il n'en est pas dépourvu ; il est hors de la voie du salut, et non hors du sein de l'église. Vous ne devez pas l'imiter, sans doute, mais vous pouvez communiquer avec lui.
Le Constitutionnel - Les intrus, pour être schismatiques, ne sont pourtant pas excommuniés nommément. Or, on n'est étroitement tenu d'éviter que les excommuniés nommément dénoncés.
Le Catholique - Vous êtes dans l'erreur. A l'égard des intrus notoirement schismatiques, on est tenu d'éviter toute communication spirituelle avec eux, même avant qu'ils soient nommément dénoncés ; et la notoriété de leur intrusion suffit dans la pratique de l'église, pour qu'on soit obligé de se séparer de leur communion. D'ailleurs, le souverain pontife, dans ses brefs, ne nous interdit-il pas sévèrement toute communication avec eux dans l'exercice de la religion ? Mais quand votre doctrine seroit strictement vraie dans la spéculation, il seroit infiniment dangereux de s'y conformer dans la pratique, soit pour les fidèles que vous scandalisez, soit pour les intrus que vous autorisez, soit pour vous-même que vous exposez. Vous ne pouvez respirer l'air contagieux du schisme, sans être atteint de la contagion ; et de cette communication extérieure avec cet intrus, vous en viendrez bientôt à communiquer au fond du coeur avec lui, et à le reconnoître pour légitime pasteur.
Le Constitutionnel - Eh ! au vrai, que m'importe que tel ou tel soit mon évêque ou mon curé ? Autant celui-là qu'un autre.
Le Catholique - C'est donc à dire qu'il vous importe peu que vous ayez un pasteur véritable ou un vain simulacre de pasteur ; et que vous êtes disposé à reconnoître pour votre évêque ou votre curé le premier inconnu qui s'ingèrera d'usurper un de ces titres, sans vous informer d'où il vient, de qui il tient sa mission, si c'est de l'église ou d'une assemblée politique, de Dieu ou des hommes ? C'est-à-dire, que s'il prend demain la fantaisie à l'assemblée nationale de destituer votre nouvel évêque, votre nouveau curé prétendu, et de vous en donner un autre, vous en recevrez non-seulement un autre, mais un troisième, un vingtième, un centième, s'il lui plaît vous en donner chaque jour un nouveau ? Autant celui-là qu'un autre, dites-vous. Que ne parlez-vous ouvertement ? que ne dites-vous nettement, comme vos paroles le signifient, autant un mercenaire qu'un vrai pasteur ; autant un loup ravisseur au milieu du bercail, que le légitime conducteur du troupeau ; autant le suppôt de l'enfer, le ministre de Satan, que l'envoyé du ciel et le représentant de Jésus-Christ ; autan enfin recevoir sans fruit et profaner le sacrement de la réconciliation, le sacrement du corps et du sang d'un Dieu, tous les sacremens, que les recevoir digniment et avec fruit, et me précipiter moi et mes descendants à perpétuité dans la damnation éternelle, que nous assurer les graces du salut.
Le Constitutionnel - Vous dites bien vrai ; rien n'est moins indifférend pour le salut que d'avoir tel ou tel prêtre pour pasteur. Mais mon ancien et légitime curé étant mort, l'intrus qui l'avoit déplacé ne le remplacera-t-il pas de droit ?
Le Catholique - Je n'ai qu'un mot à vous répondre. Supposons qu'un homme ait épousé deux femmes : la mort de la première suffira-t-elle pour valider l'engagement criminel et nul de plein droit, contracté avec la seconde ? ... Le ravisseur de vos biens en devient-il, par votre mort, le légitime possesseur ? J'en dis autant ici. La mort de votre ancien et véritable pasteur ne sauroit légitimer l'invasion de l'intrus, parce qu'elle ne sauroit faire qu'il ne soit pas intrus, qu'il n'ait pas été nommé par des électeurs incompétens, institué par un évêque sans jurisdiction, ou qu'une pareille élection et institution n'aient pas été nulles et de nul effet. Il y a plus, cet intrus est de droit inhabile à être curé de cette paroisse, fût-il envoyé par son légitime évêque, tandis qu'il n'aura pas été dispensé de l'irrégularité encourue par la violation des censures ecclésiastiques attachées, ipso facto, à son intrusion.
Le Constitutionnel - Mais que faire alors privé de pasteurs ?
Le Catholique - Demeurer, s'il le faut, sans pasteurs sur la terre, plutôt que d'adhérer à des usurpateurs, ou plutôt recourir à un prêtre fidèle, quel qu'il soit. Votre légitime évêque a mis, sans doute, tous ceux de son diocèse, en leur communiquant libéralement ses pouvoirs, à portée de suppléer à ceux des pasteurs catholiques que la mort pourroit enlever.
Le Constitutionnel - De bonne foi, Monsieur, ces prêtres constitutionnels, contre lesquels on déclame tant, en quoi ont-ils changé la religion ? Ne font-ils pas les mêmes fonctions, les mêmes offices que leurs prédécesseurs ? Ne chantent-ils pas comme eux la grand'messe et les vêpres ?
Le Catholique - C'est donc à dire qu'un prêtre peut usurper impunément le plus saint des ministères, rompre le lien de l'unigé, contribuer à l'établissement d'un schisme interminable peut-être, pourvu qu'il remplisse extérieurement les fonctions ecclésiastiques. Eh ! à quoi sert, je vous prie, de conserver les dehors de l'écorce de la religion, quand on sape la religion elle-même par ses fondemens ? Vos faux pasteurs eussent-ils changé quelque chose à l'extérieur de la religion, ils se seroient rendus moins coupables que par les changemens invisibles qu'ils ont faits dans la religion elle-même. On peut quelquefois parvenir au ciel, sans assister aux offices publics ; on ne le peut en aucun cas, en s'attachant volontairement à de faux pasteurs. L'église grecque, non plus que vos prêtres constitutionnels, n'a rien, ou presque rien changé aux formes extérieures du culte ; et cependant les grecs sont hors de la vraie église et de la voie du salut, parce qu'ils ont, comme vos pasteurs prétendus, rompu le lien de l'unité, et abandonné la communion du saint siège.
Le Constitutionnel - Vous donnez perpétuellement le nom de schismatiques aux nouveaux pasteurs : pourquoi ne seroit-ce pas les anciens qui seroient les vrais schismatiques ?
Le Catholique - Pourquoi ? La raison en est bien simple : c'est que le mot schismatique a toujours été employé pour signifier celui qui se sépare de l'unité de l'église et DE L'OBEISSANCE DES PASTEURS, et que les prêtres constitutionnels seuls se sont rendus coupables d'une telle séparation, en supplantant les anciens pasteurs, et refusant au pape la primauté de jurisdiction.
Le Constitutionnel - A la bonne heure, que ceux-là soient schismatiques et même intrus qui ont supplanté les anciens pasteurs, je ne saurois le contester ; mais ceux qui n'ont déplacé personne, et ont seulement accepté quelque cure ou quelque évêché de création nouvelle, sont-ils donc aussi intrus ?
Le Catholique - Sans aucun doute : car, 1° pour mériter ce titre, il n'est pas nécessaire d'avoir déplacé quelqu'un ; il suffit, selon l'oracle même de Jésus-Christ, de n'être pas entré dans la bergerie par la vraie porte, c'est-à-dire, de n'y avoir pas été introduit par l'église : Qui non intrat per ostium, sed ascendit aliundé, ille fur est et latro. Mais, en second lieu, n'y eût-il d'intrus que ceux qui ont déplacé quelque pasteur légitime, ceux dont vous défendez la cause n'ont-ils pas déplacé partiellement tous les pasteurs qui les avoisinent, et usurpé sur eux une partie du territoire soumis à leur jurisdiction ? Leur prétendu bercail n'est-il pas composé des démembremens des paroisses et des évêchés circonvoisins ? Ils sont donc intrus dans toute la force du terme, ils sont doublement intrus, et de tous les prêtres constitutionnels, il n'en est pas à qui convienne à plus de titres la note infamante d'usurpateurs.
Le Constitutionnel - Au moins ceux qui n'ont prêté le serment que pour conserver leurs places, et qui s'abstiennent de toute communication avec les intrus, ont-ils fait un grand bien, loin qu'ils soient coupables, puisqu'ils ont empêché le schisme de s'introduire dans leurs paroisses.
Le Catholique - Empêché ! ... eh ! au contraire, ils ont pris l'engagement formel de l'y introduire. Mais n'insistons pas sur cette réponse, toute décisive qu'elle est. Quelle étrange sorte de zèle, je vous le demande ? Faire le mal pour qu'il en résulte un bien ! Quelle funeste charité ! Se précipiter dans l'abîme, pour empêcher le prochain d'y tomber ; et encore, après une pareille démarche, se croire irrépréhensible et peut-être digne d'éloges ! Quel aveuglement ! quelle démence ! Certes, je puis vous dire aussi : si Judas n'eût pas trahi, si les Juifs n'eussent pas mis à mort le Sauveur du monde, le monde n'eût pas été racheté ; et cependant qui songea jamais à absoudre Judas, et à excuser les Juifs ? ... Mais, en second lieu, ces pasteurs en prêtant le serment avoient-ils bien réellement l'intention de préserver leur paroisse des malheurs du schisme, et n'étoient-ils pas plus occupés de leurs intérêts temporels que de vos intérêts spirituels ? 3° Enfin, c'est un bien, dites-vous, d'avoir écarté le schisme de sa paroisse ; mais est-ce un bien d'avoir donné à son troupeau l'exemple contagieux de la défection et de la lâcheté, en prêtant un serment anathématisé par l'église, et peut-être l'exemple non moins funeste de la feinte et de la dissimulation en matière de religion, en paroissant au dehors communiquer avec l'évêque intrus, quoiqu'on lui dît anathême au fond du coeur, et en n'échappant à la destitution que par des ruses perfides et des actes simulés de schisme ? Est-ce bien d'avoir affecté un mépris insultant pour les foudres de l'église, d'avoir volontairement encouru la suspense, pour ne s'être pas rétracté dans le délai accordé par le souverain pontife, l'irrégularité pour avoir continuer d'exercer ses fonctions, malgré la suspense ? Est-ce un bien enfin, d'avoir mis tous les habitans d'une paroisse dans la cruelle alternative, ou d'être privés des sacremens, hors les cas de nécessité extrême, ou de les recevoir au préjudice de leurs âmes, des mains d'un pécheur public, à qui l'église nous défend de les demander ? Ce sont-là pourtant les scandales énormes qui résultent du serment d'un pasteur, alors même qu'il s'abstient de communiquer avec l'évêque intrus.
Le Constitutionnel - Vous parlez, monsieur, de feinte et de dissimulation ; c'est maljuger des pasteurs dont j'entreprends la défense ; ils rougiroient de s'abaisser à ces ruses, également indignes de l'honnête homme et du chrétien ; ils s'abstiennent ouvertement de toute communication avec l'évêque intrus.
Le Catholique - Eh ! qu'attendent-ils donc pour rétracter l'engagement solennel qu'ils ont pris de communiquer avec lui ? Pour éviter le schisme, faut-il être parjure ? Hommes foibles et sans principes ! ... Il n'y a pas de milieu ; ou le serment est licite, et alors que ne l'accomplissent-ils ? ou s'il est tel qu'ils ne puissent l'accomplir sans crime, qu'ils se hâtent donc de le rétracter ... Mais non, ils ne sont pas réellement séparés de communion avec l'évêque intrus, comme ils affectent de le paroître ; et j'en crois plutôt à un acte positif et authentique de schisme, tel que leur serment, toujours existant dans les archives de leur municipalité, qu'à quelques preuves obscures et négatives de catholicisme, auxquelles ils évitent même de donner une grande publicité.
Le Constitutionnel - Mais s'ils se rétractoient, ils seroient poursuivis comme perturbateurs du repos public.
Le Catholique - Trop heureux si, après avoir lâchement trahi la bonne cause, ils étoient persécutés pour elle ! Mais non, on ne sauroit les poursuivre comme perturbateurs ; au contraire, aux termes du décret du 27 novembre 1790, les tribunaux ont droit de leur demander compte de l'observation de leur serment, tandis qu'ils ne l'ont pas rétracté, et d'en punir rigoureusement l'infraction. Et, ne doutons nullement qu'ils ne pressent bientôt l'exécution rigoureuse de cette loi. Or, combien sera triste alors la position de ces hommes faux et intéressés, qui voulurent vainement ménager les deux partis, persécutés des uns, repoussés des autres, sans mérite devant Dieu, sans gloire devant les hommes ! Ils seront à-la-fois malheureux et coupables.
Le Constitutionnel - Mais le pape n'a pas encore prononcé les dernières censures contre cette classe de pasteurs.
Le Catholique - Eh ! n'y a-t-il donc de grands péchés que ceux qui sont suivis d'une sentence d'excommunication ? Que diriez-vous d'un simple fidèle qui ne voudroit s'abstenir que des crimes réservés à l'évêque ? Quoi ! n'est-ce pas assez pour des catholiques, pour des prêtres, des exhortations et des ordres précis et réitérés du chef de l'église, des censures qu'il a déjà prononcées contre les réfractaires, et de l'irrégularité encourue de droit par leur violation ? Mais s'il faut les dernières foudres pour vous contraindre, enfans rebelles et obstinés ! ah, tremblez ! toutes celles de l'église sont suspendues sur vos têtes. Attendez-vous donc qu'elles aient éclaté pour vous dérober à leurs coups ?
Le Constitutionnel - Mais s'ils se rétractoient, ils seroient réduits à la dernière détresse, peut-être à périr de misère.
Le Catholique - Périsse, ah ! périsse mille fois une vie qu'on ne peut conserver que par la honte et le crime ! Mourir de faim est sans doute un malheur extrême ; vivre apostat et déshonoré est un plus grand malheur encore. Il n'appartient qu'à la conscience des intrus de vendre l'honneur pour l'intérêt, et l'éternité pour le tems.
Le Constitutionnel - Je ne saurois le nier, tous les pasteurs assermentés sont étroitement tenus de se rétracter, et tous les vrais fidèles de fuir les temples infectés de schisme. Mais si je m'abstiens d'y paroître, on me raille aussi-tôt amèrement, on me prête des sentimens qui ne sont pas les miens.
Le Catholique - Dites le mot ; on vous traite d'aristocrate, et c'est ce que vous redoutez au suprême degré. Vous n'osez vous déclarer bon catholique, crainte de passer pour mauvais patriote. Mais les droits sacrés de la religion sont-ils donc opposés à ceux de la patrie ? Mais avez-vous oublié que Jésus-Christ rougira devant son père de celui qui aura rougi de lui devant les hommes ? Mais ne railloit-on pas les derniers chrétiens ? Que dis-je ? on les dévouoit aux tourmens et à la mort ; et cependant, ni les tourmens, ni la mort elle-même, ne pouvoient leur faire déguiser leurs vrais sentimens. Or, quelle comparaison à faire, je vous prie, entre leurs combats sanglans, et la bizarre qualification d'aristocrate ? ... On vous raille ! ... C'est donc à dire que si un protestant vous railloit, parce que vous n'êtes pas de sa secte, vous abjureriez aussi-tôt votre religion pour embrasser le calvinisme ? Eh ! ne voyez-vous pas qu'il faut vous résoudre à essuyer le blâme d'un parti ou de l'autre ? Or, dans cette indispensable nécessité, ne vaut-il pas mieux encore être injustement blâmé par les schismatiques, pour avoir suivi votre conscience, que justement censuré par les catholiques, pour avoir résisté à ses lumières et au poids de toutes les autorités ?
Le Constitutionnel - Je mépriserois sans peine les railleries des schismatiques ; mais ils se scandalisent de ma conduite, ils me traitent d'impie, d'entêté, de fanatique ; ils me menacent de l'excommunication, de la privation des sacremens à la mort, d'une sépulture toute profane, etc.
Le Catholique - Et les Juifs aussi affectoient de se scandaliser de la conduite de J.C. ; ils l'appelloient Béelzébuth, et l'accusoient de troubler leur nation ; mais il n'en continua pas moins de faire l'oeuvre de son père. Quant aux menaces qui causes vos religieuses frayeurs, sachez que, n'étant pas dans l'église, les schismatiques ne peuvent vous en exclure par leur frivole et dérisoire sentence d'excommunication ... Que le Seigneur ne permettra pas que vous soyez à vos derniers momens, dans une telle disette de ministres fidèles, qu'il vous faille recourir à des prêtres schismatiques ; ou que si vous étiez forcé pour lors d'invoquer leur ministère, comme une ressource unique, l'église en votre faveur le rendroit valide et fructueux ... qu'enfin, si les schismatiques étoient assez inhumains pour vous refuser la sépulture des saints, après votre mort, vos cendres, pour être jettées à l'aventure, n'en seroient pas moins recueillies par le Seigneur ; et qu'il vous importe encore plus d'aller au ciel que d'être inhumé en terre sainte.
Le Constitutionnel - Enfin, monsieur, il me paroît que le grand nombre reconnoît les nouveaux pasteurs ; sans tant de discussion je suivrai le grand nombre.
Le Catholique - Vous suivrez le grand nombre ! Que je courez-vous donc aussi (en admettant votre supposition, qui, généralisée partout le royaume, est d'une fausseté manifeste) que ne courez-vous, dis-je, vous ranger parmi les impies et les libertins, les hommes sans honneur et sans probité ? car s'ils n'ont pas la raison et la religion, ils ont au moins le nombre pour eux. Suivez, à la bonne heure, le plus grand nombre, si le plus grand nombre se conduit sagement, et motive le mieux ses démarches ; mais songez que dire inconsidérément, alors même que le grand nombre n'a pas la raison pour lui, "je suivrai le plus grand nombre", c'est dire une absurdité palpable, et le suivre en effet, faire un trait de folie. Il ne faut pas toujours compter, mais bien quelquefois apprécier les suffrages.
Le Constitutionnel - Oui, monsieur, vous réussiriez peut-être par la solidité de vos raisonnemens, à retenir ou ramener quelques âmes droites dans le sein de l'église : je n'en crois pas moins le mal général sans remède ; je n'en suis pas moins convaincu que c'en est fait de la religion en France, et que tant parler et tant écrire, c'est peine perdue.
Le Catholique - Sans contredit, débiter de pareilles maximes, et sur-tout y conformer sa conduite, ce seroit le vrai moyen de vérifier ces sinistres pressentimens. Que les défenseurs-nés de la religion restent immobiles et muets de crainte et de douleur à la vue des funestes atteintes qu'on lui porte, il n'est pas douteux que la France entière deviendra insensiblement schismatique. Mais est-ce donc au moment où l'ordre sacerdotal a donné de si grands exemples de constance, où les rétractations les plus édifiantes se multiplient chaque jour, qu'il sied de prêcher cette doctrine pusillanime et décourageante ? Le monde seroit encore idolâtre, si telle eût été celle des apôtres. Osons espérer que nos maux, quelque grands qu'ils soient, ne sont pas sans remède. les momens du Seigneur sont marqués, et nous savons d'ailleurs, que si sa parole ne rend pas nos frères meilleurs, elle servira au moins à les rendre inexcusables et à nous acquitter envers eux.
Le Constitutionnel - Je ne puis, monsieur, qu'applaudir à votre zèle et à vos lumières ; vraiment vous me paroissez répondre d'une manière assez raisonnable à tout ce qu'ont coutume d'objecter, en faveur du parti constitutionnel, et les schismatiques déclarés, et même les catholiques foibles et craintifs ; car j'ai tâché de n'omettre aucune de leurs objections, et même de les présenter de la manière la plus spécieuse qu'il m'a été possible. Je ne croyois pas, je l'avoue, qu'on pût y répondre rien d'aussi satisfaisant, et je commence à croire que j'ai été la dupe des prêtres constitutionnels, et qu'ils ont indignement abusé de ma crédulité. Et puis, monsieur, voici une réflexion qui s'offre tout-à-coup à mon esprit. Je me rappelle que les partisans eux-mêmes de la constitution du clergé sont convenus plusieurs fois, qu'on pourroit se sauver dans votre religion, tandis que vous niez, vous, qu'on puisse opérer son salut dans la nôtre. Oh ! cela posé, je me range du côté des catholiques : car, enfin, dans le doute, la sagesse prescrit d'embrasser le parti le plus sûr, et pour raisonner à-peu-près, comme j'ai oui dire que raisonnoit notre bon Henri IV, sans être toutefois un grand théologien, je ne risque rien en aucun cas, à adopter votre religion, au lieu que je risque tout à rester dans la mienne, si elle est fausse.

Texte de Pierre Grégoire LABICHE de REIGNEFORT
"Le peuple enfin éclairé, ou, le pour et le contre
de la nouvelle religion"
Paris - Imprimerie de Crapart, 1792

Publicité
Commentaires
La Maraîchine Normande
  • EN MÉMOIRE DU ROI LOUIS XVI, DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE ET DE LA FAMILLE ROYALE ; EN MÉMOIRE DES BRIGANDS ET DES CHOUANS ; EN MÉMOIRE DES HOMMES, FEMMES, VIEILLARDS, ENFANTS ASSASSINÉS, NOYÉS, GUILLOTINÉS, DÉPORTÉS ET MASSACRÉS ... PAR LA RIPOUBLIFRIC
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Archives
Derniers commentaires
Publicité