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La Maraîchine Normande
18 août 2012

DUCHAFFAULT : MARIN-LABOUREUR - 2ème et dernière partie

DUCHAFFAULT

MARIN-LABOUREUR

2ème et dernière partie

 

Le sexe et la jeunesse n'étaient pas moins éprouvés dans cette famille. A la même époque, la jeune madame de la Roche-Saint-André, née Duchaffault, fille du capitaine de vaisseau tué au combat d'Ouessant, et petite-fille de l'amiral, mourant de faim et manquant de vêtements, fut réduite, pour vivre et se cacher, à devenir servante d'auberge dans un des faubourgs de Nantes, où elle s'était réfugiée. "On la reçut pour son pain, qu'on lui coupait, et qu'elle mangeait debout avec un peu de quelque chose qu'on lui donnait dans une assiette quand il en restait. Elle jouait l'innocente ; on l'appelait Marion, et elle couchait dans un mauvais taudis, sur le derrière de la maison. Ses nuits étaient bien tristes ; elle ne passait une grande partie à pleurer et à prier, se consolant au moins de la pensée que sa retraite était solidement fermée par un gros verrou. Une nuit, elle entend du bruit à sa porte ; elle en est grandement effrayée, et se recommande à Dieu. On frappe de nouveau, alors elle se hasarde à demander : Qui est là ? - Je suis le bonhomme Pierre, mamzelle Marion ; n'ayez pas  peur de moi, car je crains Dieu. Pierre était un vieux valet d'écurie. Que voulez-vous, bonhomme Pierre ? - Ma bonne demoiselle, vous craignez Dieu, je le vois bien. J'ai remarqué que votre mouchoir de cou est tout déchiré, et que vous avez bien de la peine à l'arranger avec des épingles : j'avais un cent sous, j'ai acheté un morceau de toile pour vous le donner et vous couvrir".

Une autre dame de la Roche-Saint-André, belle-soeur de la précédente et nièce par alliance de Duchaffault, détenue au Bon-Pasteur de Nantes, s'adressait en ces termes, dans le courant de juin 1794, au citoyen représentant du peuple :

"Je suis née noble, j'habitais Montaigu lors du commencement des évènement de la Vendée. S'ils n'eussent eu lieu quelques jours plus tard, j'aurais été à Nantes. C'est une preuve non équivoque que je ne voulais pas m'y trouver, ou que j'ignorais le projet de l'insurrection. La vérité est que je n'en étais point instruite.

Au moment de l'insurrection, notre fut ouverte aux citoyens qui nous demandèrent asile. Quatre d'entre eux furent reçus et cachés avec soin aux yeux de ceux qui auraient pu vouloir les mettre en prison ou les faire mourir. Un d'eux y est resté quatre mois, et deux autres à peu près la moitié de ce temps : ils y étaient nourris à nos dépens.

Ayant manqué de ressources pour la subsistance des prisonniers à Montaigu, je donnai trois cents livres pour cet objet, par l'ordre de mon mari.

A montaigu, à Rocheservière, j'ai été consoler les citoyens incarcérés. Mon mari leur rendait service, et ne leur a point donné, j'en suis sûre, lieu de se plaindre de lui. Si tu doutes de la fidélité de ce récit, j'offre, citoyen représentant, d'en donner des preuves. Je n'ai point suivi l'armée des insurgés. Je suis venue à Nantes, munie d'un passe-port du citoyen Merlin, représentant du peuple. J'y ai passé quatre mois, au bout desquels j'ai été conduite ici, en me disant que c'était parce que mon mari était avec les insurgés. Hélas ! il n'existe plus.

Rends une mère à ses enfants, prends pitié d'une pauvre veuve. Celle qui a soustrait des citoyens à la prison, ne peut-elle espérer de recouvrer sa liberté ? Mon enfant, citoyen Représentant, qui te remettra cette réclamation, est-il d'âge à se passer des soins maternels ?

REGNON LA ROCHE-SAINT-ANDRE".

La plupart des faits personnels à Duchaffault sont relatés dans deux pétitions aux représentants du peuple, alors en mission à Nantes ; pièces que nous avons sous les yeux. La première, en date du 20 ventôse an II (10 avril 1794), seulement signée de lui, est ainsi conçue :

"Le citoyen Duchaffault expose qu'après que la Nation lui eût accordé le grade d'amiral de la marine, on a cessé de lui payer, depuis près de trois ans, les pensions dont il jouissait pour avoir servi la patrie pendant soixante-neuf ans ; - qu'il a, depuis ce temps, vécu sur son patrimoine, sans réclamer ce qui lui était dû par le Gouvernement, et qu'il aurait toujours attendu dans sa retraite que la Nation l'employât, si les malheurs de la Vendée, auxquels il n'a pris aucune part, n'eussent détruit ou incendié vingt maisons ou métairies du produit desquelles il vivait ; - que forcé par ses besoins d'aller à Montaigu, dans l'espoir d'y trouver quelques ressources, il s'était vu arrêté à son arrivée, malgré un passe-port du commandant Chavanne, qui le fait conduire à Nantes, où il est détenu, depuis cinq mois, dans la maison d'arrêt des étrangers, sans avoir rien fait en aucun temps contre la révolution, et sans qu'on l'ait interrogé jusqu'à ce moment ; - qu'à l'âge de quatre-vingt-six ans, avec des infirmités, suites d'une glorieuse blessure dont il ne guérit point depuis quatorze ans, dénué de tout, sans pain, sans secours, il lui est impossible de subsister, si vous ne venez promptement à son aide.

En conséquence, l'exposant vous prie, citoyen Représentant, de vous faire rendre compte des motifs qui l'on fait arrêté, et comme il est convaincu que vous n'en trouverez aucun à sa charge, il espère de votre justice que vous le ferez mettre en liberté, et de votre humanité que vous voudrez bien vous occuper des moyens de lui procurer de quoi vivre, en indemnité des pertes qu'il a faites et du sacrifice des pensions qu'il n'a point réclamées.

Salut et fraternité.

DUCHAFFAULT" .

Il paraît que cette pétition ne fut pas remise de suite, ou plutôt qu'on ne s'empressa pas d'y faire droit ; ce qui en motiva, deux mois après, une seconde écrite en entier de sa main ; la voici :

"CITOYEN REPRESENTANT

D'après la réputation dont vous jouissez depuis que vous êtes à Nantes, c'est avec une parfaite confiance que je réclame votre justice, me flattant que je ne serai pas le seul qui ne l'éprouverai. Je suis dans ma quatre-vingt-septième année, j'ai servi ma patrie pendant soixante-neuf ans avec quelque dinstinction ; je me ressens encore tous les jours d'une cruelle blessure que je reçus au combat d'Ouessant, où je commandais la 2e division de l'armée navale ; je suis en outre fort tourmenté de la gravelle. Il y a plus de six mois que j'habite la maison d'arrêt de Lusançay, où le Comité révolutionnaire m'a fait conduire par une faveur particulière, en considération de mon âge, de mes infirmités, de mes services et de la conduite irréprochable que j'ai toujours menée. Daignez, citoyen Représentant, vous en faire rendre compte. J'ose me flatter que vous en serez content ; auquel cas je vous demande ma liberté, ou du moins la ville pour prison, afin d'être plus à portée des secours dont j'ai journellement besoin, et que je ne puis avoir à la distance où je suis de la ville, en attendant la saison des eaux, dont j'ai le plus urgent besoin pour adoucir les derniers instants de ma malheureuse vie ; car je suis dénué de tout, moins douleurs

Salut et fraternité

DUCHAFFAULT

21 floréal an II de la République, une et indivisible

( 10 mai 1794)

A cette nouvelle pétition d'un Forbin d'un autre âge, on répondit par une fin de non recevoir banale et cruelle, qu'on lit en marge : "Vu les mesures qu'ont nécessitées contre eux les gens de cette classe, il n'est pas possible." En moins de deux après, le 11 messidor an II (29 juin 1794), le vieil amiral, accablé d'ans, d'infirmités et de chagrins, expirait dans la maison où il était détenu. Il paraît qu'il fut puni par où il avait péché (punitus in quo peccavit), comme il arrive souvent ; car de tant d'or et d'argent qu'il avait enfoui, tout ne lui servit de rien et les siens n'en profitèrent pas davantage. Par la fatalité des circonstances, il se trouva dénué de ce dont il manquait le moins, et subit même quelques privations. Qui ne sème que pour soi ne récolte jamais.

Six mois après la plus jeune fille de Duchaffault, mariée dans le midi de la France, n'était pas encore instruite, malgré des démarches multipliées, de la mort de son père, ni même de celle de sa mère, qui l'avait précédé de plus d'une année dans la tombe. La guerre civile ne recommencera plus en Vendée, elle y est bien morte désormais, et l'on sait que les morts ne reviennent plus. Personne le la fera renaître de ses cendres. Nous recommandons toutefois cette dernière lettre aux réflexions de ceux qui pourraient en nourrir ou caresser le fol et vain espoir, en leur disant : instruisez-vous et comprenez donc, vous qui lisez ces choses !

"A Castres, département du Tarn, le 18 frimaire an III de l'ère républicaine (8 décembre 1794)

Par duplicata

CITOYEN REPRESENTANT

Je suis née, comme toi, à Montaigu. Mariée avec un ci-devant Languedocien, nous avons fixé, depuis douze ans, notre séjour à Castres. J'aurais bien désiré que ta mission dans les départements voisins t'eût donné des pouvoirs pour celui du Tarn. J'aurais réclamé ta justice pour rendre la liberté à mon mari encore en détention depuis près de quinze mois, comme plusieurs autres qui, quoique irréprochables également, attendent tous les jours les représentants Mallarmé et Bouillerot pour être jugés et mis en liberté.

Ce n'est pas la seule peine qui m'afflige ... J'ai écrit plusieurs fois au citoyen Duchaffault mon père, à ma soeur Lécorce, à ma belle-soeur ; je leur faisais de tendres reproches sur leur long silence ; je me suis adressée au Maire de Montaigu, en lui envoyant le certificat de résidence de mon mari et le mien ; j'ai prié le directeur de la poste aux lettres de Castres d'écrire à celui de Montaigu, tous ces moyens ne m'ont pas réussi. Aurais-je le malheur de n'avoir dans mon pays natal ni parents, ni patrie, ni magistrats ?

L'humanité et la justice te caractérisent, citoyen Représentant ; tu peux calmer mes inquiétudes, ou si malheureusement la cause existe, tu peux me tirer de la cruelle incertitude qui abreuve mes jours de fiel et d'amertume. Si tu es instruit du sort de mes parents, apprends-le moi, ou si tu l'ignores, il te sera peut-être aisé de prendre des renseignements sur un objet aussi intéressant pour moi.

Ma mince dot est restée entre les mains de mes père et mère ; j'en recevais exactement les intérêts ; leur amitié y joignait des secours, et ils me prodiguaient leurs bienfaits. Depuis deux ans, je suis privée de cette ressource. Les brigands de la Vendée auraient-ils ravagé et détruit leurs possessions ? Ce n'est pas ce qui me touche le plus ; mais si tu peux nous procurer quelque éclaircissement là-dessus, tu nous rendras service à mon mari et à moi. Pardon, citoyen Représentant, si je dérobe quelques instants à tes occupations multipliées et si utiles au bien public. Viens au secours de l'humanité souffrante, et apprends-moi, si tu le peux, ce que sont devenus mon père et ma mère presque nonagénaires, et ce que je dois craindre ou espérer.

Salut et fraternité

BRASSAC née DUCHAFFAULT

(Au citoyen Goupilleau de Montaigu, représentant du peuple dans le département du Vaucluse)

Les indications que Duchaffault donna en mourant pour retrouver ses caches, ne furent pas assez précises, ou ont été trop inexactement recueillies pour qu'on ait pu y parvenir, de sorte que la plus grande partie de son capital est encore perdue. Une fraction seulement fut découverte fortuitement, vers 1822, par des cultivateurs nommés Vachon, à l'angle d'un ancien jardin qui lui avait appartenu, et où se trouvait une maisonnette ruinée durant l'insurrection. Cette cache, soigneusement pratiquée sous le carrelage, comprenait à la fois de l'argenterie, des bijoux, la grande croix de Saint-Louis que portait l'amiral, et pour 50 à 60 000 fr. d'or et d'argent monnayés ; il y avait aussi des papiers qui furent brûlés pour qu'il ne put en résulter d'éléments de revendication. Nous avons été témoin, dans notre enfance, de la vive, mais courte allégresse que procura cette bonne aubaine pour ses inventeurs. Ce fut, pendant quelques mois, une bombance, un gala, un vrai festival, où les tonneaux se vidaient et le vin coulait à flots dans la joyeuse métairie de la Robinière. Tous les petits loups-cerviers, tous les bas intrigants du pays, les aubergistes, orfèvres, etc., s'accrochaient comme des vampires à ces paysans. C'était à qui les allècherait pour avoir sa part de la curée ; l'un dleur donnait sa ville, l'autre sa servante ; celui-ci leur servait du vin rouge, cet autre du café. On eut un moment sous les yeux une scène de la grande convoitise humaine. Mais si à quelque chose malheur est bon, à quelque chose aussi bonheur est mauvais. L'aîné de ces Vachon, étant allé en caravane à Nantes chercher du noir animal qui commençait à être fort en vogue pour engrais, périt sur la route à force de boire ; et comme c'était le plus intelligent, qu'il avait lui-même pratiqué une autre cachette qu'on ne put retrouver, le reste fut bientôt dissipé. Le surnom de cordon rouge, que portait l'amiral, est aujourd'hui tout ce qui reste de la trouvaille à son principal inventeur : un mot, et puis rien. C'est ainsi que dans le monde tout est vanité, et souvent affliction d'esprit.

L'or est fumée aussi bien que la gloire. (Voltaire)

On voit dans les galeries de Versailles, douzième salle des maréchaux, n° 56, un portrait de l'amiral Duchaffault ; mais ce n'est pas celui qui dut être exécuté, en 1756, par les peintres du roi pour représenter le glorieux fait d'armes de l'Atalante, dont il a été question. C'est le portrait peint par Marlet, qui a été gravé par Delannoy. Malheureusement ce dernier, au cas où il y en aurait deux, n'est pas ancien, car nous croyons que Marlet est un artiste de nos jours. Quoi qu'il en soit, dans la gravure que nous avons sous les yeux, le portrait est vu de face, légèrement incliné à gauche. La chevelure est frisée, avec ailes de pigeon. Le personnage, dont la physionomie sèche indique un homme de soixante ans bien conservé, porte chemise à jabotière. A son uniforme brodé est fixée vers le coeur la grande croix de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, et le cordon de commandeur passe en sautoir sur son épaule droite. On lit au bas : "DUCHAFFAULT DE BESNE (Louis-Charles de Rezay comte), amiral le 15 mai 1791 + 1793. - MARLET pinx ; DELANNOY fec. - Diagraphe et pantographe Gavard."

D'après ce que nous ont rapporté plusieurs de ses contemporains, il était grand de taille et assez gros ; il avait une belle figure martiale et caractérisée ; ce qui est conforme à l'expression de la gravure. Il parlait bref et sec, comme un homme habitué à commander. S'il y eût un type Duchaffault, comme cela s'est vu en quelques races, l'amiral l'avait sans doute, car il suffit d'avoir connu son petit neveu Gabriel, l'un des 221, surnommé par les patriotes de 1830 "le Lafayette de la Vendée", pour reconnaître de prime abord le grand oncle en voyant son portrait ; circonstance qui nous inspire des doutes sur l'authenticité du tableau de Versailles, parce qu'il n'est pas ancien.

Sur sa tombe, dans le cimetière de Miséricorde à Nantes, on lit cette épitaphe arriérée, mais assez conforme du reste à l'esprit qui l'animait, et où l'on n'a tenu aucun compte, sciemment ou par ignorance, de sa promotion d'amiral en 1791 :

"A LA MEMOIRE DU TRES HAUT ET TRES PUISSANT SEIGNEUR LOUIS-CHARLES DUCHAFFAULT DE BESNE, COMTE DUCHAFFAULT, LIEUTENANT GENERAL DES ARMEES NAVALES, GRAND'CROIX DE L'ORDRE ROYAL ET MILITAIRE DE SAINT-LOUIS, DECEDE LE 29 JUIN 1794, A L'AGE DE 87 ANS."

DUCHAFFAULT : marin-laboureur de Dugast-Matifeux

Archives départementales de la Vendée

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