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La Maraîchine Normande
21 septembre 2015

LA POMMERAIE-SUR-SÈVRE (85) - UN DUEL A COUPS DE JARRETS - LE GÉNÉRAL LAURAS ET JOSEPH BONIN

 

JOSEPH BONIN, de Saint-Amand-sur-Sèvre s'était fait une légendaire et terrible épée d'estoc avec la queue d'une poêle, et fut avec son ami Texier de Courlay, l'un des plus braves compagnons de la Rochejaquelein et l'un des artisans de la victoire de Boismé. (Regnabit - 2e année - n° 8 - janvier 1923)

 

POUZAUGES GRAVURE

 

UN DUEL A COUPS DE JARRETS

Lorsque les combats eurent pris fin dans la Vendée, le pays fut néanmoins occupé militairement. Cette précaution n'était pas inutile car, bien que la masse de la population désirât la paix, il ne manquait pas d'hommes qui n'avaient déposé les armes qu'à regret et qui étaient tout disposés à les reprendre à la première occasion. D'un autre côté, les patriotes par leurs provocations entretenaient les haines mal éteintes, et ils avaient tout autant besoin que les autres d'être surveillés. Pour ce double motif, on avait établi des détachements de troupes dans toutes les localités qui, à raison de leur population ou au point de vue stratégique, avaient une certaine importance. Les relations entre ces troupes et les Vendéens n'étaient pas toujours bienveillantes, mais du moins l'état de guerre avait cessé.

Le cantonnement de Pouzauges était commandé par le général Lauras. Son autorité s'étendait probablement plus loin, mais j'ignore les limites de son commandement.

Lauras était un homme athlétique et passionné pour les exercices du corps. Il remplissait ses devoirs de soldat, mais il n'avait pas pour les Vendéens la haine aveugle de son parti ; il rendait justice à leur courage et il ne cachait pas son admiration pour leur dévouement.

Il n'avait pas la même estime pour les patriotes ; la bassesse de leurs sentiments le révoltait, et quelquefois il leur lançait des sarcasmes d'une ironie véritablement cruelle. Toutefois, comme sa position lui imposait des ménagements, il dissimulait de son mieux le mépris qu'il avait de leur conduite et il entretenait avec eux les rapports nécessaires.

Un jour qu'il dînait avec plusieurs d'entre eux, il leur dit, à la fin du repas : - Voyons, citoyens ! vous qui couriez si bien devant les brigands, voulez-vous faire une course au pas gymnastique pour hâter la digestion ?
- Général, répondit l'un des convives, tu dois savoir que nous n'avons pas été seuls à fuir devant les brigands, et, pour l'honneur de tes épaulettes, tu devrais parler un peu moins de la souplesse de tes jarrets.

- Assez sur ce ton ! reprit Lauras ; ça finirait mal ! Vous savez que je suis comme les chevaux : quand ils ont mangé leur avoine, ils demandent à marcher et s'ennuient à l'écurie. Mais courir seul c'est stupide ; je voudrais un adversaire digne de moi.

- Si ce n'est que cela, on peut te satisfaire ; nous ferons venir le capitaine La Pipe ; il te rendra des points.

- Le capitaine La Pipe ! qu'est-ce que c'est que ça ? Un brigand sans doute ? Mais ça m'est égal ; s'il a de bonnes jambes et de bons poignets, faites-le venir ; vous serez spectateurs. Ce nom-là promet ; je serai enchanté de faire sa connaissance et de faire assaut avec lui.

La partie fut acceptée de part et d'autre, et l'on convint que l'enjeu serait un bon dîner payé par le vaincu.

Dès le lendemain, un des intéressés se rendit à la Pommeray-sur-Sèvre et alla trouver Joseph Bonin, sur l'agilité duquel on avait compté.

Bonin était un modeste cordonnier, qui avait repris son tranchet sans beaucoup de plaisir et qui s'en servait avec une aptitude peu remarquable. En revanche, c'était un rude soldat, très estimé de ses compagnons d'armes pour sa bravoure et sa loyauté. Il avait le titre de capitaine, et on l'avait surnommé La Pipe, parce qu'il avait l'habitude de fumer, chose assez rare parmi les Vendéens.

Le commissaire lui fit part de ce qui s'était passé ; il ajouta qu'il s'agissait pour lui et ses amis, outre l'honneur engagé, de gagner ou de perdre un dîner, et qu'il en aurait sa part, quel que fût le résultat.

Bonin était tout disposé à accepter, car ses jambes lui avaient rendu d'assez bons services pour qu'il eût confiance en elles ; mais ses comptes n'étaient pas très en règle avec les républicains. A dire vrai, il avait toujours observé les lois de la guerre ; on ne pouvait lui reprocher ni une violence ni un larcin ; mais, outre qu'il s'était battu une centaine de fois contre les bleus, il avait éludé la conscription, il avait été pris et il s'était évadé. Il savait par expérience tout ce que les amnisties et les traités de pacification avaient d'élasticité, il se tenait sur ses gardes et n'était pas sans crainte. De plus, il se défiait des patriotes de Pouzauges, avec lesquels il avait échangé plus de coups de fusil que de poignées de main.

Il répondit donc à l'envoyé : - Votre proposition peut-être sérieuse, mais, pour le croire, il me faut autre chose qu'une parole. Si c'est le général Lauras qui me demande, qu'il me donne un sauf-conduit ; c'est un homme d'honneur ; sur sa promesse, j'irai à Pouzauges. Sans cela, n'y comptez pas.

Le sauf-conduit fut donné et Bonin se rendit à Pouzauges au jour convenu. On le présente à Lauras, qui, en le voyant, ne fut pas éloigné de croire à une plaisanterie. Bonin était de taille médiocre et avait les jambes cambrées comme un cavalier. Ses yeux étaient noirs et petits, son nez court et taillé en biseau et sa barbe peu fournie. Seules, sa poitrine saillante et ses larges épaules annonçaient de la vigueur.

Lauras redressa devant lui sa haute taille, le regarda fixement et l'examina de la tête aux pieds. Bonin avait son chapeau à la main et demeura impassible sous ce regard scrutateur.

Le général lui tendit la main : - C'est donc toi, lui dit-il, qu'on appelle le capitaine La Pipe ?

- Oui, général ! et je crois avoir assez honoré ce sobriquet pour n'en pas rougir.

- Tu dois avoir raison, car tu es un brave ; je m'y connais !

Cependant, ce n'est pas pour montrer ton courage que tu es ici ; il s'agit de jouer des jambes. Les tiennes méritent-elles la réputation qu'on leur fait ?

- Général, je n'en sais rien, mais je puis bien dire pourtant que, si elles étaient tout à fait mauvaises, il y a longtemps que vos soldats m'eussent fait passer dans l'autre monde.

- Tu n'as donc pas peur des miennes ?

- Je ne puis rien dire pour le moment ; je ferai de mon mieux ; si vous êtes plus agile que moi, je n'en serai pas jaloux.

- Tu parles sensément, mon garçon. C'est bien ! Mais lequel aimes-tu le mieux, courir ou sauter ?

- Oh ! ça m'est à peu près égal ; mais, si nous choisissons la course, l'un de nous deux prendra nécessairement le devant, et l'autre aura l'air de le poursuivre ; et c'est un métier que nous avons fait assez longtemps l'un et l'autre ; je suppose que vous n'auriez pas plus de plaisir que moi à le continuer.

- Ta plaisanterie vaut une bonne raison ; j'accepte. Repose-toi et dans une heure nous nous retrouverons sur la place.

Les deux champions furent exacts au rendez-vous, et les spectateurs ne manquaient pas.

Il y avait là ce que l'on appelait des buvards, c'est-à-dire de petits tonneaux défoncés par un bout, dans lesquels on mettait de l'eau pour l'usage de la troupe. Lauras en fit aligner une demi-douzaine, en réservant un peu d'espace entre chacun d'eux.

Quand ils furent ainsi disposés, il dit à Bonin : - A présent, mon garçon, il s'agit de sauter dans le premier buvard et dans les autres, si l'on peut. Veux-tu commencer ?

- Oh ! mon général, à vous l'honneur d'aller le premier. Puis vous me faites faire là une manoeuvre que je ne connais pas. En vous voyant agir, je saurai un peu mieux comment il faudra m'y prendre.

Lauras quitta son habit d'uniforme ; il sauta lestement dans le premier buvard, puis dans le second, et dans le troisième, où il s'arrêta.

- Voyons, La Pipe, à ton tour ! Je crois que je serai battu ; mais je ne m'en plaindrai pas. Commence et fais de ton mieux.

Depuis qu'il observait Bonin, il avait vu, à l'aisance de ses mouvements, que sa première impression n'était pas juste, et il avait cru remarquer que ses petits yeux prenaient une expression légèrement narquoise.

Quand il fut sorti de son tonneau, La Pipe quitta, lui aussi, sa petite veste et son chapeau. Il joignait les pieds et sauta dans le premier buvard, en s'élevant de trente ou quarante centimètres au-dessus du bord. De deux autres bonds il fut dans le troisième. Il s'arrêta et, sans paraître essouflé, il dit, du ton le plus tranquille : - Faut-il aller plus loin, général, ou voulez-vous recommencer ?

- C'est inutile, répondit Lauras, je suis battu, et bien battu ! Sors de là, le combat est fini. Tu peux te flatter, mon garçon, d'avoir de bons jarrets. Si tes camarades étaient comme toi, il n'est pas étonnant que vous ayez si bien réussi à échapper à nos colonnes. Mais, dis-moi, en as-tu trouvé beaucoup de ta force dans votre armée ?

- Je n'étais pas le moins agile, mais M. Texier de Courlay sautait deux sillons de plus que moi.

- Diable ! deux sillons de plus ! je lui en fais mon compliment, et je te félicite aussi toi, tu es un rude jouteur. C'est égal, je suis enchanté de ton succès, j'ai perdu un dîner, mais je le mangerai de bon coeur avec toi.

Un moment après on se mit à table. Lauras plaça Bonin à côté de lui, et durant le repas, ils s'entretinrent ensemble de leurs campagnes. Le général fut tout surpris d'entendre son interlocuteur lui rendre un compte fort lucide des combats auxquels il s'étaient trouvé, et montrer une intelligence de la guerre qu'il était loin de soupçonner dans un petit cordonnier de vingt-trois ans.

En le congédiant, il lui dit : - Tu es un brave et loyal garçon ; j'espère que tu n'auras pas besoin de mes services, mais si par hasard ils te devenaient nécessaires, tu peux t'adresser à moi, je me ferai un plaisir de t'obliger.

Bonin remercia de son mieux, et regagna sa petite maison de la Pommeraye.

 

AUGEREAU
Curé du Boupère
Revue de Bretagne et de Vendée

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