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La Maraîchine Normande
15 avril 2012

Infortunes et vie proscrite de Mesdames de Cambourg et de la Paumelière

Infortunes et vie proscrite de Mesdames de Cambourg et de la Paumelière, pendant la Terreur.

« À la fin de l'année 18S5, nous dit Monsieur de Quatrebarbes, à quelques lieues de Chanzeaux, sur les bords du Layon, dans un modeste manoir à demi caché sous les saules, s'endormait dans le Seigneur une admirable femme, dont les pauvres conserveront longtemps le souvenir.

« Née au cœur de la Vendée angevine, au château du Boisgrolleau, Madame de Cambourg avait deux enfants, lorsque son mari quittait la France, et se rendait à l'armée de Condé, avec son beau-frère, le baron de la Paumelière.

« Les deux épouses, deux sœurs, restées seules avec leurs vieux parents, s'étaient retirées à Angers. Mais au mois de juin 1793, l'entrée victorieuse de l'armée ven¬déenne dans cette ville leur inspira la pensée de chercher une retraite plus sûre au fond du Bocage.

« Retirées au centre du pays insurgé, elles y trouvèrent quelques mois de calme.

« Madame de Cambourg partageait son temps entre la prière, le soin de ses enfants et les secours qu'elle donnait aux pauvres paysans, blessés ou malades.

« Mais le fer et le feu allaient bientôt la chasser de sa demeure. Elle se trouvait à Cholet la veille de la grande bataille qui allait décider du sort de la Vendée.

Le lendemain, le canon, qui grondait de toutes parts, annonçait l'approche de l'armée ennemie.

« Après la défaite des Vendéens, tous les sentiers se couvraient d'une foule d'enfants, de femmes et de vieillards. Madame de Cambourg dut abandonner en toute hâte la chaumière qui lui servait d'asile.

« Décidée à partager le sort de l'armée vaincue, elle place sur un cheval de ferme ses deux enfants dans deux paniers, et au milieu, leur bonne, dangereusement malade.

Elle suit à pied, derrière eux, donnant la main à sa vieille mère.

C'est ainsi qu'elle traverse Jallais et Neuvy, pour se réunir, au château du Lavouër, à Madame de la Paumelière et à son beau-père

Déjà les avant-postes républicains avaient intercepté le chemin de Saint-Florent. Que pouvaient faire deux pauvres femmes isolées, sans appui, avec six enfants, au milieu de ces périls ?

Une cruelle séparation mit le comble à ces douleurs.

En face du grand désastre de son parti, Monsieur de Cambourg, bien qu'âgé de 70 ans, sentit bouillonner dans ses veines le sang du vieux militaire.

Mes chères enfants, dit-il à ses deux filles, Dieu veut que je vous quitte.

Je suis trop vieux pour marchander ma vie et cacher ma croix de saint Louis. Ce soir, je serai mort ou je rejoindrai l'armée. »

Puis, abrégeant la douleur d'un dernier adieu, il monte à cheval, escorté de quelques paysans fidèles.

Quelques mois après, il tombait au premier rang, sous une balle ennemie.

Ses deux filles durent abandonner le Lavouër, sans cesse visité par les patrouilles républicaines. Déguisées en paysannes, elles trouvèrent l'hospitalité dans une ferme située sur les bords du Layon.

Elles la quittèrent bientôt, forcées de reprendre leur vie errante.

Les colonnes infernales sillonnaient le pays, semant sur leur passage la dévastation et la mort. Il fallait, pour les éviter, passer le jour dans les bois, et marcher seulement la nuit, avec des précautions infinies.

« Je portais alors ma fille sur mon dos, nous dit Madame de Cambourg dans ses Souvenirs. Elle passait autour de mon cou ses petits bras, et, de temps en temps, elle m'embrassait, en me plaignant de ma fatigue.

La bonne portait mon fils, trop jeune encore pour comprendre notre malheur. Le pauvre petit étouffait cependant ses sanglots. Je lui avais dit que ses cris seraient entendus des méchants, qui viendraient le tuer avec sa sœur et sa mère. »

Les deux belles-sœurs étaient devenues inséparables. Elles s'étaient retirées, pendant l'hiver de 1793 à 1794, à la métairie de la Planche, à quelques pas du Lavouër.

Un grand champ de genêts touchait la maison.

Dès avant le jour, les fermiers montaient la garde, et à la moindre alarme, tous se réfugiaient dans le fourré le plus épais.

Un matin qu'elles s'étaient un peu attardées, trompées par une fausse sécurité, elles aperçurent avec effroi une colonne républicaine, composée d'un détachement de la garde nationale de Chalonnes et d'un escadron de hussards.

De nombreux coups de fusil, tirés sans les atteindre, rendaient la fuite impossible. Les pauvres mères s'arrêtent et couvrent leurs enfants de leur corps.

— Halte-là, Brigandes, leur crient les cavaliers, et puisque vous vivez encore, nous allons vous conduire au général.

Celui-ci galopait dans une des avenues du Lavouër, et arrivait dans un instant près des captives.

— Vous n'êtes point de simples paysannes, leur dit-il ; vous êtes des femmes de chefs de Brigands. Demain, vous irez à Angers, et le Comité révolutionnaire décidera de votre sort.

Dans ce moment, un hussard poursuivait la bonne, qui tenait dans ses bras Paul de la Paumelière.

Ce charmant enfant, âgé de 2 ans à peine, jetait instinctivement ses deux bras devant le visage de la jeune fille qui le portait, comme s'il eût voulu parer les coups de sabre des soldats.

Les autres enfants se serraient autour de leurs mères, et la fidèle servante de Madame de Cambourg (1) assurait hardiment qu'elles étaient toutes de pauvres femmes de la même famille, chassées de leur chaumière par l'incendie, et que pour elle personnellement, elle refusait la liberté qui lui était offerte, ne voulant pas séparer son sort de celui de ses sœurs.

Un attendrissement involontaire commençait à gagner les hussards.

Ils attendaient en silence la décision du général, quand tout à coup celui-ci s'écrie : « Je ne puis risquer ma tête pour sauver des Brigandes. Les enfants et les jeunes filles resteront ici ; emmenez ces deux femmes, et que demain, elles soient conduites à Angers. »

C'est alors, comme nous l'avons déjà raconté, que l'aîné des enfants, Louis de la Paumelière, qui n'avait que 6 ans, jetant à terre son bonnet de laine, le visage inondé de larmes et à moitié caché sous ses beaux cheveux blonds, tombe à genoux, et joignant ses petites mains, s'écrie : « Grâce ! grâce ! Monsieur, pour ma mère et pour ma tante : au nom du bon Dieu, ne nous séparez pas. »

Le général, ému, dit à ses soldats : « Il en arrivera ce qu'il pourra ; laissons ces pauvres gens et suivons une autre route. Quant à vous, ajouta-t-il, en s'adressent aux femmes, retirez-vous bien vite, et cachez-vous mieux. »

En racontant cette bonne action, Madame de Cambourg écrivait dans ses Souvenirs : « Chaque matin et chaque soir, nos enfants n'oubliaient pas de prier Dieu pour le général qui les avait sauvés.

« L'éloignement devenait nécessaire après cette cruelle épreuve, nous dit la pieuse proscrite. Nous partîmes, ma sœur et moi, avec nos enfants ainés, confiant les plus jeunes à la charité de la bonne métayère de la Couran-dière.

Une excellente femme, Madame Raimbaulf, s'était chargée de cacher ma mère. Mais la terreur était telle que, pendant huit jours, toutes les maisons nous furent fermées.

« Un soir, après une journée de décembre passée tout entière dans les genêts, nous nous décidâmes à frapper à la porte d'une ferme où nous étions connues.

Il faisait déjà noir, et la pluie tombait par torrents. Accueillie par un dur refus, je me bornai à demander au moins un refuge pour la nuit, promettant de sortir de grand matin.

Deux jeunes gens, qui tenaient la porte entr'ouverte, la refermèrent en disant que leur père ne voulait pas nous recevoir.

Les sanglots m'étouffaient ; je restai à la même place, et je renouvelai bien haut ma prière.

« Enfin le bon Dieu eut pitié de nos chers enfants, qui tremblaient de froid sous leurs vêtements glacés.

J'entendis une voix douce qui disait : « Je vais leur ouvrir la porte. »

« C'était une pieuse fille de la Poitevinière, remplaçant dans la paroisse la sœur de charité, que les Bleus avaient massacrée.»

« Elle gardait une malade à toute extrémité, la sœur des deux jeunes gens qui venaient de nous fermer la porte. Elle accourut à notre voix ; puis, se tournant du côté du vieux métayer et de ses fils :

« Vous voyez votre fille ; vous voyez votre sœur presque agonisante, leur dit-elle : auriez-vous le cœur assez dur pour laisser mourir de froid, à votre porte, de pauvres mères avec leurs enfants ?

Vous voulez donc que Dieu vous abandonne !

Je suis la maîtresse ici, cette nuit : je veillerai avec elles au coin du foyer. »

« Puis, elle les décida à se retirer dans l'étable.

Elle nous servit à souper, et fit coucher nos enfants dans une chambre voisine.

« Quant à nous, nous passâmes toute la nuit auprès de la malade, et après lui avoir récité les prières des agonisants, nous lui avons fermé les yeux.

« Nous sortîmes au point du jour, suivant notre promesse.

J'emportai un peu de feu dans une chaufferette de terre, un morceau de pain noir et deux pommes.

La pluie continuait de tomber, et nous essayâmes en vain de nous faire un abri dans un champ de genêts.

« Après y être restée plusieurs heures, je sortis dans l'espérance d'apercevoir la fumée d'une cheminée.

Nous nous trouvions sur un coteau élevé, dominant la rivière de Jallais.

Je fus assez heureuse pour découvrir, au fond d'un ravin, une maison de meunier échappée à l'incendie.

Je courus sur-le-champ annoncer à ma sœur cette bonne nouvelle. Un quart d'heure après nous frappions à là porte du moulin...»

« Une femme, dont les traits révélaient la bonté, vint nous ouvrir.

— Je ne vous demande pas qui vous êtes, nous dit-elle. Je crois le deviner, et c'est le bon Dieu qui vous a conduites ici.

Je vous garderais bien à la maison, si notre état de meunier ne nous forçait pas à voir trop d'étrangers.

Mais je vous trouverai un bon gîte.

En attendant, chauffez-vous bien : je vais vous préparer à souper.

« Après le repas, elle nous conduisit à la ferme du Chêne-Percé, et ne dit que quelques paroles à la métayère, qui répondit aussitôt :

— Comment refuser un abri à des personnes semblables et qui se trouvent en pareille peine ?

Le bon Dieu me fermerait la porte de son Paradis au dernier jour. Venez, venez; je vais voir où je puis vous loger.

« Elle courut chercher son mari, qui joignit ses instances à celles de sa femme.

Celle-ci déplaça ses quatre enfants pour nous donner leurs lits, en témoignant son bonheur de nous recevoir.

« La bonne meunière partit toute joyeuse.

Elle nous promit qu'elle nous fournirait, tous les jours, du lait et des œufs frais, ajoutant qu'à son grand regret, elle ne pourrait nous les porter.

J'allais, à l'entrée de la nuit, chercher le pot de lait et les œufs pour les enfants.

Ma sœur et moi, nous mangions des pommes et la soupe de la ferme.

« Deux mois se passèrent ainsi, dans cette maison de Dieu.

Le jour, nous nous cachions sur les coteaux voisins ; mais au moins nous avions la certitude de trouver, le soir, un abri et des visages heureux de nous recevoir.

« Nous disions la prière et le chapelet en commun.

De temps à autre, nous avions la consolation d'entendre la messe du saint abbé Montgazon, qui était caché, non loin de là, dans une ferme de Saint-Martin de Beaupréau, et qui n'avait jamais voulu abandonner sa paroisse.

« Un jour, que nous étions réfugiées dans un champ de genêts, nous aperçûmes, sur le sommet du coteau, une colonne républicaine.

La voix du commandant dominait les chants et les blasphèmes.

Il ordonnait à ses soldats de fouiller la vallée, d'incendier les maisons, et de tuer indistinctement tous les habitants qu'ils rencontreraient.

Dieu seul pouvait conjurer cet affreux péril.

Pressés les uns contre les autres, nous tombâmes à genoux, en le priant avec ferveur.

Les enfants avaient silencieusement élevé leurs petites mains au Ciel.

La métayère du Chêne-Percé était au milieu d'eux, et tenait son dernier né dans ses bras.

« Après quelques minutes d'une attente cruelle, la colonne s'éloigna.

Les soldats avaient traversé, à quelques pas de nous, les genêts qui nous servaient d'asile.

 Ils descendirent dans le vallon, et bientôt nous vîmes des nuages d'une fumée noirâtre obscurcir les airs.

L'incendie dévorait toutes les maisons voisines. On entendait les chiens hurler et les bœufs mugir sur les coteaux.

Le soir, tout l'horizon était en feu, et la nuit disparaissait sous des clartés sinistres.

« Nos bons métayers se désolaient à nous fendre le cœur.

« Ο mon Dieu ! disaient-ils, nous n'aurons plus d'abri à vous offrir ! »

Il semblait qu'ils étaient aussi affligés pour nous que pour eux-mêmes.

Mais quelle fut notre joie, en retrouvant leur maison debout et leurs bestiaux revenus près de l'étable !

Dieu avait récompensé visiblement leur grande charité.

Cachée dans son bouquet d'aulnes, la pauvre ferme, seule de toutes les maisons d'alentour, avait échappé à la dévastation et aux flammes.»

Ici s'arrête le récit de Madame de Cambourg. N'est-ce pas le martyre de la Vendée catholique, qui nous apparaît tout entier dans ces pages intimes et touchantes ?

La châtelaine du Lavouër avait 91 ans, quand elle nous traçait ainsi, dans ses propres infortunes, un tableau si vivant de la persécution, qui martyrisait toutes les populations vendéennes (1).

(1) Une paroisse vendéenne pendant lα Terreur, par M. de Quatrebarbes.

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