RICHELIEU (37) - CAYENNE (973) - JEAN DUBOIS, CURÉ DE PIERREFITTE (1740 - 1798)
Messire Jean Dubois
curé réfractaire
d'une paroisse du Bocage
1772 - 1798
De Pierrefitte à Cayenne
Fils de Jacques Dubois, huissier en Richelieu, et de Geneviève Robin, Jean Dubois est né à Richelieu, le 1er février 1740.
Bien que Pierrefitte fût sous l'autorité du doyenné de Bressuire, la nomination des curés était dévolue au chapitre de Saint-Pierre-du-Châtelet de Thouars.
Ayant été avisé de la maladie de l'abbé Pierre Chastenet desservant de Pierrefitte depuis 1734 et compte tenu de son grand âge, le chapitre lui envoya l'abbé Jean Dubois pour le suppléer dans son ministère. Très peu de temps après son arrivée, le 17 mai 1772, âgé de 76 ans, messire Chastenet décède. Le 19 mai eut lieu l'inhumation en présence de presque tous "ces messieurs de la Conférence", comme il est noté dans le registre paroissial par Jean Dubois.
La cérémonie achevée, ils se réunirent tous au presbytère ainsi que les fabriciens. Il est vraisemblable que messire Besson choisit ce moment pour transmettre à Jean Dubois sa nomination de curé de Pierrefitte par le chapitre de Saint-Pierre-du-Châtelet de Thouars.
Jean Dubois avait donc trente deux ans quand lui échut la responsabilité d'une paroisse. "Il était d'une corpulence moyenne se tenant bien droit. Son visage au menton volontaire était légèrement empâté, des lèvres bien dessinées, l'inférieure avançant un peu trop, un front haut, les cheveux déjà grisonnants, flottant sur le col, les yeux bleus, un nez droit, beaucoup trop long qui allonge son profil". De plus il se devait de devenir bon marcheur et se familiariser rapidement avec les chemins et sentiers de cette campagne boisée aux haies hautes et épaisses qui sont devenues l'environnement de son activité ecclésiastique.
En 1772, Pierrefitte, situé en bordure est du Bocage bressuirais, entre le chemin de Bressuire à Thouars, et celui de Bressuire à Parthenay, comptait 88 feux, ce qui devait correspondre à une population d'un peu moins de 400 habitants, se répartissant en un bourg et de nombreux hameaux.
Le curé de Pierrefitte devait en plus desservir comme prieur la chapelle Sainte-Marguerite du château de Bournizeau faisant partie de la paroisse.
Voilà donc l'environnement dans lequel va évoluer messire Jean Dubois.
Chaque année, messire Dubois recevait du procureur du roi de la ville de Thouars, en triple exemplaire, huit feuillets taxés de deux sols le feuillet, servant de registre. Ses textes manuscrits étaient écrits très serrés, par économie de papier et surtout d'argent. Au cours des années 1772 à 1792, messire Jean Dubois a béni 90 mariages et 54 durant son ministère clandestin de mai 1795 à mars 1796, et pendant les vingt ans de son ministère à Pierrefitte, Jean Dubois baptisa 296 enfants.
En ce dimanche de janvier 1791, les paroissiens réunis à l'église ont pu trouver l'attitude de leur curé bizarre, le visage creusé par la fatigue, distrait, reprenant ses prières de la messe : "il commence à vieillir notre prieur". Après l'Évangile, il gravit péniblement les degrés de la chaire et sans préambule leur annonce comme dans toutes les paroisses que le décret du 12 juillet 1790 sur la Constitution civile du clergé venait d'être imposé par l'Assemblée nationale dans sa séance du 4 janvier 1791 : "puisqu'il y avait 83 départements il y aurait autant de diocèses". La lecture achevée, il se fit un grand silence, alors messire Dubois relevant la tête reprit d'une voix plus assurée : "puisque les autorités veulent briser les liens qui m'unissent à Rome, comme prêtre, je ne puis obéir au gouvernement ; je préfère mon salut à mon bien-être et même à ma vie. Je ne ferai jamais ce serment et je continuerai à assurer mon ministère si vous m'accordez votre aide, jusqu'à mon dernier souffle". Tout était dit, il devenait prêtre réfractaire, mais toujours au service de ses paroissiens. L'office achevé, il trouva devant le "balai" tous ses paroissiens assemblés. Alors François Simard s'avança et au nom de tous remercia leur pasteur de la décision qu'il avait prise et que pratiquement ils avaient souhaitée du fond de leur coeur. Ému et réconforté par l'attitude de ses paroissiens, il retourna dans son église remercier Dieu de l'aide qu'il lui accordait dans cette épreuve.
En 1792, si de nouvelles idées circulaient, de même un nouveau vocabulaire était utilisé. Ainsi le 20 décembre 1792, messire Jean Dubois procéda à la sépulture de Jean Gorré et dans la transcription de cet acte sur le registre, il écrivit, pour la première et la seule fois, la dénomination de "citoïen" Jean Gorré, de même que pour les témoins : "les citoïens Jacques, François, René ses frères fermiers". Finalement cette famille Gorré était plutôt opposée aux républicains, puisque le 14 septembre 1793, sous le commandement du marquis de Lescure, ils firent partie de l'expédition pour la prise de Thouars, et il fallut à grand peine, lors de l'attaque, empêcher Jacques d'aller à une mort certaine en se portant en avant pour s'emparer du drapeau républicain du général Rey.
Les patriotes bressuirais ne s'aventuraient pas beaucoup en dehors de la ville, d'autre part Pierrefitte était à l'écart des principaux chemins de communications, si bien que Jean Dubois avait pu continuer d'exercer son ministère sans trop d'ennui et tenir les registres paroissiaux, d'ailleurs personne d'autre n'avait été nommé à sa place. Pourtant le 26 août 1792, un décret laisse quinze jours aux prêtres réfractaires pour quitter la France. Beaucoup prennent le chemin de l'exil ; Jean Dubois, lui, prend le risque de rester dans sa paroisse.
Le 22 septembre 1792, la République est proclamée et le premier maire de Pierrefitte est le citoyen Pierre-Victor-Jean Berthre de Bournizeau.
Par respect et amitié pour son chapelain P.V.J. Berthre le maintient dans ses fonctions et le prie de continuer de tenir les registres paroissiaux jusqu'à la fin de l'année. En effet, dans la maison commune de Pierrefitte, le 1er janvier 1793, le dernier registre paroissial "officiel" tenu par Jean Dubois est arrêté et paraphé par le citoyen maire Pierre-Victor-Jean Berthre.
Après cette date, on a noté que les noms des enfants enregistrés à leur naissance par l'officier d'état civil sur les registres communaux ne se retrouvent pas ultérieurement comme baptisés sur le registre clandestin tenu par messire Jean Dubois (mai 1795 - mars 1796). Cette absence laisserait présumer qu'il aurait été présent dans la région et qu'il continuait son ministère clandestinement.
L'insurrection couve en cette fin d'année 1792 ; le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné et le 24 février, la Convention lève trois cent mille hommes pour défendre la patrie.
Pourquoi ces hommes, pour un gouvernement qui combat leurs convictions religieuses en la personne de leurs prêtres et qui a tué le roi ? De surcroît le système de conscription n'était pas équitable, les habitants des campagnes étant trop souvent les seuls incorporés. Toutes ces raisons excitent les esprits et déclenchent la révolte avec les premiers combats de Saint-Florent, de Cholet (15 mars) avec Cathelineau et Stofflet à la tête des révoltés ; puis, plus proche avec La Rochejaquelein, la prise des Aubiers le 13 avril qui entame la poursuite du général républicain Quétineau vers Bressuire, puis vers Thouars qui est enlevée le 5 mai.
L'affrontement inévitable entre "Bleus" et "Blancs" est commencé. Dans la région, les "marseillais" indisciplinés de l'armée de Quétineau repliée sur Bressuire se livrent au pillage, aux arrestations arbitraires, aux exécutions, brûlant aux environs les village de Beaulieu et Saint-Sauveur, semant partout la terreur.
Durant ce temps, les armées vendéennes réunies s'élevant à 20.000 combattants volent de victoire en victoire, Cholet, Chemillé, Vihiers, Argenton-Château. Les courriers annoncent leur arrivée très prochaine à Bressuire, aussi Quétineau n'ayant que 5.000 hommes à leur opposer préfère-t-il se retirer sur Thouars, ville plus facile à défendre. Il donne l'ordre de quitter la ville discrètement dès l'aurore du 2 mai, en passant par Faye-l'Abbesse, ce qui amenait son armée à traverser Pierrefitte.
Ce jour-là François Musset, le tisserand sacristain, ayant une pièce de toile à livrer bien avant l'aube, se dirige vers Bressuire, en empruntant de petits sentiers bien dissimulés dans les taillis, la prudence étant plutôt conseillée en ces périodes si troublées. Bien lui en prend, car, soudain, il entend une conversation animée qui venait d'une haie épaisse. Approchant avec d'infinies précautions, pour mieux se rendre compte à qui il avait à faire, il découvre trois soldats "bleus", sans doute des marseillais déserteurs discutant de savoir s'ils devaient continuer de vivre de rapines ou rejoindre leur armée qui devait traverser Pierrefitte dans la journée. Sans en entendre plus, toujours sans bruit, François s'éloigne au plus vite, l'oeil et l'oreille aux aguets, pour prévenir au plus tôt tout le village du danger qui va le menacer d'ici peu.
Du côté de l'orient, le soleil n'est pas encore très haut quand il atteint les premières maisons. Sans perdre de temps, il rentre dans l'église et se met à sonner le tocsin. Rapidement les habitants accourent ; François Simard le fermier de la seigneurie jouxtant l'église est déjà là. Messire Jean Dubois n'est pas le dernier à venir aux nouvelles et la sonnerie de cloche terminée, demande à François Musset d'expliquer les raisons de cette alerte. Tous trois sont sur les marches du calvaire qui domine le cimetière entourant l'église. A mesure que François raconte, l'effroi et l'affolement se lisent sur les visages, aussi, sans attendre, messire Jean enchaîne : "Restez calmes mes amis, les "Bleus" ne sont pas encore là. Que chacun retourne chez soi, prépare un balluchon de vêtements et de couvertures, de la nourriture, nous allons aller nous cacher dans les bois de Bournizeau". Et François Simard d'ajouter : "Que ceux qui ont des chariots y attèlent leurs boeufs et transportent les paquets de leurs voisins. Poussez votre cheptel devant vous et partez rapidement vers le bois, faites vite".
Tout se réalise dans les meilleures conditions et déjà les premiers s'ébranlent, messire Jean Dubois après avoir bouclé son sac, sur le dos de sa monture, se dirige vers sa vieille église, pour recueillir les hosties et à genoux devant l'autel de Notre Dame, demande à la Vierge de prendre sous sa protection tous ses paroissiens affligés. Après s'être assuré qu'il ne reste personne dans le village, le coeur serré, il se retourne vers son clocher, puis presse sa monture pour rejoindre les traînards.
Soudain, il perçoit une galopade derrière lui ; se retournant, il reconnaît le jeune Louis Loiseau, un fort garçon de quinze ans, encombré d'une cage d'osier renfermant un couple de tourterelles. "Je les avais oubliées", s'écrie-t-il de loin, "je suis retourner les chercher, elles n'avaient plus de grain".
- "Au fait", lui répond messire Jean Dubois, "puisque tu cours si bien, passe donc au château de Bournizeau prévenir Monsieur Berthre que toute la population de Pierrefitte va se cacher dans ses bois. Tu lui expliques que le temps a manqué pour lui demander la permission ! Quand tout le monde sera en sécurité, je me rendrai au château demain. Merci mon grand Louis !"
Après qu'ils se furent enfoncés suffisamment dans les futaies, Joseph Gelle qui avait pratiqué des coupes de bois, les dirigea vers une clairière spacieuse où existaient déjà quelques cabanes de branchages, laissées par des bûcherons. Tout le restant de la journée servit à installer au mieux ce camp improvisé.
Durant ces temps, les frères Gorré commençaient à sillonner le camp, s'arrêtant près de ceux qui chassaient au fusil habituellement, les invitant, s'ils étaient d'accord, pour une certaine partie de chasse. Ils partirent ainsi une demi-douzaine vers le "quereux" du chemin de Faye-l'Abbesse à Thouars et du chemin de Bournizeau à la forêt de Geay. Ils n'eurent pas à attendre longtemps, car arriva une bruyante dizaine de soldats républicains, des "Marseillais", qui s'étaient livrés au pillages et essayaient de rattraper l'arrière-garde de leur armée, filant vers Thouars. A un signal donné les embusqués se mirent à tirer et en descendirent six. Avant que les quatre autres aient le temps de se rendre compte de la situation, six excités hurlant leur fracassèrent le crâne de la crosse de leur fusil. Ce premier combat n'avait peut-être pas été très glorieux, mais cela leur avait permis de récupérer des armes et des munitions. Plus tard, il fut érigé une croix à cet endroit, qu'on appela "La Croix Rouge" (tradition ; actuellement cette croix a disparu).
Comme convenu, le lendemain, rassuré sur le sort de ses ouailles, messire Jean se dirigea vers Bournizeau. Sorti du bois et traversant le grand jardin potager derrière le château, il constata une grande effervescence tout autour.
En effet, des paysans en sabots de bois, abrités par des chapeaux de feutre à larges bords, dits "à la grelle", pistolets passés à la ceinture d'où pendaient de grands sabres attachés avec une corde, un coeur rouge surmonté d'une croix cousu sur la poitrine et armés d'un fusil circulaient en tout sens après avoir attaché leurs chevaux aux arbres de l'allée. A son arrivée, l'un d'eux, en sentinelle, lui pointa sa baïonnette sur la poitrine lui demandant qui il était. Après s'être fait connaître, à son tour, il s'enquit d'où venaient tous ces paysans armés et ce qu'il faisaient là.
Il apprit ainsi qu'ils faisaient partie de la garde de Monsieur Henri, un chef de l'armée royaliste qui venait d'investir Bressuire.
- "Mais qui est ce Monsieur Henri ?" interroge messire Dubois.
- "Nous sommes les gars de Châtillon et c'est Monsieur Henri de La Rochejaquelein, seigneur de la Durbelière, un tout jeune "Maître", vingt ans, mais quel soldat, quel chef, on l'appelle l'intrépide."
Alors, il se rendit compte qu'il ne s'agissait plus d'escarmouches, que la guerre était présente, et que le Bocage devenait une zone de combat. Tous ces hommes étaient bien décidés à combattre pour leur foi et leur roi, n'était-ce pas "l'Armée catholique et royale" et même à mourir, s'il le fallait.
"Mon Dieu", pouvait-il penser, "pourquoi toutes ces souffrances, tant de vies sacrifiées !"
Mais, il faut revenir aux réalités et entrant dans la cour du château, il y rencontre justement monsieur Berthre qui, après l'avoir salué, lui fait savoir qu'il est déjà au courant de la décision de ses paroissiens et qu'il l'approuve. Malgré tout, par sécurité, ils feront mieux d'y prolonger leur séjour, même si c'est une situation inconfortable. Il ajoute : "Je vais vous présenter à un des chefs de notre armée, Monsieur de La Rochejaquelein. Il revient d'une chevauchée du côté de Parthenay et Amailloux, pour essayer de rallier des populations. Je connais bien Monsieur de La Rochejaquelein, pour l'avoir rencontré à des chasses au château de Maulévrier, et il me fait l'honneur au passage de me rendre visite. Il a même l'intention demain soir de réunir au château les autres chefs de l'armée pour préparer en Conseil de Guerre l'attaque de Thouars ; connaissant bien la ville ainsi que mon cousin François Rocquet des Vannes qui vient de nous rejoindre, nous leur serons très utiles pour décrire le terrain. Bien que n'étant pas militaire, vous serez des nôtres car je compte sur notre chapelain pour célébrer le Saint Office dans notre chapelle, avant leur départ pour le combat".
Messire Jean Dubois était tout heureux de l'honneur qui lui était fait de rencontrer les chefs de l'armée catholique et royale. Il exprima ses remerciements et assura Monsieur Berthre de son concours.
Le lendemain, en effet, ils étaient tous là : Stofflet, le garde du comte de Maulévrier, Cathelineau, du Pin-en-Mauges, Bonchamp, de Saint-Florent, d'Elbée, de Cholet et Beaupréau, Lescure, du château de Clisson, récemment délivré des prisons de Bressuire, et ce tout jeune de La Rochejaquelein, appelé avec beaucoup de respect "Monsieur Henri", de Marigny, ancien officier de marine, commandant l'artillerie. Une stratégie devait sortir de cette confrontation car demain, ils devaient mener leurs troupes à la victoire.
Messire Jean Dubois avait été impressionné par Monsieur Henri, car si son air paraissait "timide", il n'oublierait jamais ses yeux bleus, vifs, devenu comme le dit Madame de Lescure "fiers et ardents" ; elle ajoutait même "un regard d'aigle".
5 mai 1793 : le rose de l'aube commence à teinter le ciel du côté de l'est ; depuis quelques heures déjà les troupes ont commencé de s'acheminer vers Thouars. Dans la cour de Bournizeau, les chevaux piaffent et hennissent, les ordonnances les maintenant par la bride. Les uns après les autres, les généraux vendéens sortent de la chapelle du château, saluent leurs hôtes, et rapidement, enfourchent leur monture. Quand tous sont en selle, levant leur chapeau, dans un dernier salut, et éperonnant leur coursier, ils disparaissent au bout de l'allée de platanes, dans un nuage de poussière pour aller prendre la tête de leurs soldats.
Messire Jean, juché sur le petit perron situé en face de la chapelle servant aux amazones pour se mettre en selle, esquisse un signe de croix, dernière bénédiction avant le combat.
Commencée à six heures, la bataille se termina en début d'après-midi. Thouars était une ville conquise ...
L'armée vendéenne n'était pas une armée permanente et dès le but atteint, ou parfois même en cours d'opérations, les paysans regagnaient leurs paroisses d'origine pour y reprendre les travaux des fermes interrompus par le rassemblement. Par contre, des détachements permanents formés de soldats professionnels composeront un noyau expérimenté au milieu d'une masse de combattants.
Toutes ces troupes, républicaines et "vendéennes", sillonnaient les chemins de cette région, prenant et reprenant des villes clés comme Châtillon, Argenton, Bressuire, Thouars, dans des combats acharnés à la suite desquels les habitants subissaient de terribles et cruelles conséquences, aussi fuyaient-ils.
Pierrefitte se situe dans l'orbite de Bressuire, le centre attractif de cette partie du Bocage, limite extrême à l'est du territoire dit "Vendée militaire". Ce petit bourg subira donc des incursions de diverses troupes qui occuperont Bressuire. Son éloignement et son isolement par rapport aux principales voies de communication amoindriront cet impact.
Dans l'immédiat, le Bocage étant occupé par les "Blancs", les habitants de Pierrefitte et leur curé étaient retournés dans leur paroisse vaquant à leurs occupations, mais toujours à l'affût des différents mouvements des troupes.
Début septembre, les généraux Chalbos et Westermann, malgré leur défaite de Torfou, passant par Cerizay, se dirigent sur Bressuire, mettant tout à feu et à sang sur leur passage. Par sécurité, toute la population de Pierrefitte reprend le chemin des bois de Bournizeau. Lescure attaque Bressuire dans la nuit du 6 au 7 octobre, sans succès. Reprenant l'offensive, Westermann s'empare de Châtillon et en est chassé aussitôt. De nouveau, il investit la ville, la brûle, et revient à Bressuire. Là les armées républicaines se reforment, et le 17 octobre battent à Cholet les troupes vendéennes qui se repliant sur Saint-Florent, passent la Loire. C'est alors la fameuse "Virée de Galerne". Il n'y a plus de combat dans le Bocage.
Toutes les administrations reviennent à Bressuire, et les Pierrefittois reviennent dans leur paroisse. On peut lire dans le registre d'état-civil "communal" de Pierrefitte, l'inscription de l'officier commis pour sa tenue : "Vu les troubles occasionnés par la guerre de Vendée dans cette commune, nous n'avons pu dans les temps insérer au présent registre, les deux naissances suivantes, ce qui fait que nous les rapportons ici le 22 nivôse an II de la République Française une et indivisible". Ces naissances étaient du 8 et 10 septembre 1793.
La Convention veut en finir avec la Vendée, et va appliquer le fameux plan Turreau qui se traduisait par la politique de la terre brûlée, et la destruction systématique de ses habitants. Par dérision, il fut appelé "la promenade militaire".
A partir du 20 janvier, plusieurs colonnes sillonnent le Bocage d'est en ouest et du nord au sud, et si une première fois Bressuire est épargnée, Turreau fait cependant évacuer toute son administration vers Airvault et Saint-Jouin-de-Marne.
Après une incursion de Stofflet, Grignon, à la tête d'une colonne, revient sur Bressuire, brûle la ville et massacre les derniers habitants quelle que soit leur appartenance politique.
Pierrefitte a souffert également du passage des fameuses colonnes, car d'après les registres d'état-civil communaux, les habitants ont dû quitter leur village de mars 1794 jusqu'au printemps 1795, puisqu'il n'y a aucun enregistrement d'acte durant cette période. Il n'est pas fait mention non plus de ou des pays où ils se sont réfugiés en dehors d'Airvault. Qu'était devenu messire Jean Dubois durant cette période ? Était-il caché dans la région ? En tout cas, au retour de ses paroissiens, il était parmi eux.
Le 2 décembre 1794, la Convention décrète une amnistie. Charette signe le traité de la Jaunaye le 17 février 1795, qui accorde la liberté religieuse, et plus tard, le 2 mai 1795, Stofflet signe le traité de Saint-Florent, qui aboutit à la cessation des combats.
Les administrations n'étant pas réorganisées à Bressuire, ville sinistrée à presque 100 % et les risques s'étant estompés, Jean Dubois, toujours réfractaire, reprend son ministère en mai 1795. D'ailleurs, il y avait une amorce de réorganisation de la hiérarchie avec les prêtres qui restaient encore, assermentés ou insermentés. Il ne semble pas qu'un prêtre assermenté ait été nommé à Pierrefitte.
Dans le diocèse, monsieur de Bruneval était fondé de pouvoir de l'évêque de Poitiers et tentait une réorganisation du clergé restant.
La nouvelle de la présence de messire Dubois à Pierrefitte se répandit rapidement dans les environs, car dès juillet de nombreux parents lui amènent leurs enfants ondoyés pour être baptisés. De mai 1795 à mars 1796, date d'une nouvelle disparition, il en baptisa 81, dont 20 de Pierrefitte, et 61 de paroisses des alentours : Saint-Varent, Glénay, Faye-l'Abbesse, Sainte-Gemme, Luché, Geay, Mauzé et même Airvault et Saint-Laon de Thouars ...
Les deux chefs prestigieux Stofflet et Charette qui avaient repris les armes voyaient leurs troupes s'amenuiser autour d'eux. Les paysans croyant avoir retrouvé la liberté religieuse étaient moins combattifs et manquaient d'enthousiasme. Bientôt ces deux chefs n'eurent plus que quelques fidèles, et pourchassés sans relâche, ils finirent par être arrêtés et condamnés à mort. Le 25 février 1796, Stofflet est fusillé à Angers, et Charette à Nantes le 29 mars.
Le général Hoche qui, depuis longtemps avait compris que la seule façon de ramener la paix en Vendée et en Bretagne était d'appliquer "la tolérance religieuse", en recréant dans cette région une organisation civile dont les agents seraient recrutés parmi les réfugiés et les habitants de ce pays.
Bien que le phénomène fut plus complexe, le Directoire n'admettait pas cette solution et les administrateurs poussés par leur anticléricalisme accusaient les prêtres de fomenter les troubles et en profitaient pour les emprisonner. C'est ainsi que le curé de Faye-l'Abbesse fut arrêté par des soldats (1796). Heureusement pour lui, les habitants de sa paroisse s'étaient cachés le long du chemin qu'ils devaient prendre, et à leur passage, ils tuèrent ses gardiens et libérèrent leur curé en lui disant : "Ah Monsieur le Curé, O l'était ben temps !"
Son aventure servit de leçon à son voisin de Pierrefitte, messire Jean Dubois se rendit compte qu'il fallait redoubler de prudence pour éviter les risques de l'arrestation par surprise.
Un nouvel événement politique devait encore accentuer la précarité de la situation des prêtres et des émigrés : le coup d'État du 18 fructidor (4 septembre 1797) fomenté par Barras, La Réveillère-Lépeaux et Reubelle avec l'aide du général Augereau. Il donnait aux directeurs les pleins pouvoirs et remettait en vigueur les lois de thermidor de l'époque de la Terreur, emprisonnant et déportant les prêtres accusés d'incivisme et pour ceux qui ne prêtaient pas serment de "haine à la royauté". A nouveau la chasse aux prêtres s'intensifia ...
... La première précaution pour Jean Dubois était de ne pas attirer l'attention, si bien qu'il avait adopté la tenue d'un ouvrier agricole ce qui n'était pas insolite à la campagne. Malgré ses changements incessants de caches, passant de la hutte au fond d'un bois à un fenil ou parfois l'abri d'un grenier, il sentait que sa situation devenait de plus en plus dramatique. Il risquait à tout instant de se faire arrêter et son inquiétude était de mettre en danger la vie de ses paroissiens qui par dévouement était de mettre en danger la vie de ses paroissiens qui par dévouement lui donnaient souvent asile. Devant cette dernière responsabilité il prit la décision de quitter Pierrefitte.
Saint-Porchaire, devenue la commune la plus peuplée du canton par suite de l'arrivée de nombreux habitants de Bressuire détruit presqu'à 100 %, n'eut aucun prêtre, même clandestin, entre 1792 et 1795.
Dans le cadre d'une tentative de réorganisation du clergé restant, l'abbé Pierre-Joseph Abaylard (ou Abelard), ancien vicaire de Noirterre, non assermenté, était devenu desservant de Saint-Porchaire en 1795.
Était-ce à cause de Saint Porchaire, patron de sa paroisse, la région lui était-elle apparue plus sûre ? En fin de compte messire Jean Dubois était venu assister Pierre-Joseph Abaylard au printemps 1796.
Ils séjournèrent donc tous les deux à Saint-Porchaire plus ou moins clandestinement et apportèrent tout leur dévouement à soutenir la foi de cette population particulièrement éprouvée.
Les décisions du Directoire étant impitoyables, les ministres de la religion catholique devaient inexorablement disparaître et à moins de s'expatrier, la délation et la multiplicité des patrouilles de gendarmes ne pouvaient aboutir qu'à leur arrestation.
C'est ce qui se produisit pour ces deux curés. Début janvier 1798, ils furent arrêtés : Abaylard à Noirterre et Dubois à Saint-Porchaire.
Conduits immédiatement à Parthenay, ils furent jetés au cachot. Là ils n'étaient pas les seuls, car ils y rencontrèrent l'abbé Batard, curé du Pin, l'abbé Naudeau, curé de Tessonnière et l'abbé Jean-Mathias Germond déjà emprisonné depuis le 21 janvier et arrêté à Mazière.
Le 28 janvier 1798, fers aux pieds et aux mains, ils furent dirigés vers Niort, à pied et sous bonne escorte, puis de prison en prison, par Mauzé et La Rochelle, ils arrivèrent une semaine plus tard à Rochefort.
Durant ce parcours, des personnes charitables, forçant les consignes, les visitaient dans les prisons successives où ils passaient les nuits, essayant de leur procurer des couvertures, de la nourriture et un peu d'argent.
Ils avaient hâte, le soir, d'arriver à la prison, car durant la journée, ils n'avaient pas le droit d'échanger un mot ; de plus, leurs fers qui entravaient leurs mouvements les faisaient horriblement souffrir. Ils grelottaient aussi avec le froid d'un hiver rigoureux. Malgré l'inconfort de leur geôle, ils étaient à l'abri de la bise ; alors ils mettaient en commun leur détresse, offrant à Dieu leurs souffrances, s'encourageant mutuellement à reprendre confiance pour surmonter celles du lendemain.
Épaulé par son ami Pierre-Joseph Abaylard, Jean Dubois avait trouvé également un compagnon compréhensif et compatissant en la personne de Jean-Mathias Germond qui dans la force de l'âge (la quarantaine) l'aidait lui aussi à supporter ses faiblesses. Quant à Pierre Naudeau, la cinquantaine, il ne cessait de vitupérer contre son voisin de paroisse Jacques-Joseph Morisset, curé de Saint-Loup, qui, renégat et défroqué, avait fait un grand feu de joie sur la place de livres religieux et de vieilles statues en bois polychromes qui ornaient son église. D'ailleurs ce n'était plus la paroisse de Saint-Loup-sur-Thouet, mais la commune de "Voltaire", ses ancêtres, les Arouet, étaient natifs de cette petite ville. Mais leur résistance finissait par lâcher, et la fatigue les plongeait dans un mauvais sommeil peuplé de cauchemars.
Leur arrivée à Rochefort se fit de nuit, et quand le jour parut, "nous vîmes une soixantaine de personnes couchées sur des matelas" écrit plus tard Jean-Mathias. C'était la prison Saint-Maurice, ancienne poudrière, ainsi appelée car en 1758 elle avait eu un gardien, un archer de la marine du nom de Jean-Baptiste de Saint-Maurice.
Les prisons de Rochefort et de Saint-Martin-de-Ré regorgeaient de reclus ... Devant cet encombrement, le Directoire prit la décision de déporter tous les prisonniers de Rochefort à Cayenne. Par manque de bateau, et du fait du blocus des ports par la marine anglaise, les départs étaient repoussés et l'attente se prolongeait dans les geôles.
Le 21 ventôse an VI (11 mars 1798) à 6 heures du matin, le geôlier entra dans la prison et dit d'un air ironique "Levez-vous Messieurs, je vous mets au large".
Dans un brouhaha et un désordre indescriptible, les prisonniers rassemblent leurs misérables hardes, bouclent leur balluchon et l'appel commence dans l'angoisse et le silence. Les quatre prêtres gâtinais se font le mot, pour se regrouper après l'appel (Batard ne faisait pas partie de leur convoi). "Alors le gardien déroule un beau cahier, noué de deux faveurs où chaque nom est inscrit en gros caractère, et entouré de notices particulières qui sont les motifs de déportation".
On s'aperçoit que le seul titre de la loi suffit à la condamnation, car tous les individus, prêtres ou laïcs, d'un même département sont rassemblés dans la même parenthèse.
Les appelés des différentes prisons sont regroupés dans la cour de l'hôpital et leurs effets entassés dans des charrettes : "En colonne précédée du tambour qui bat aux champs l'air "Ça ira" flanqué du commissaire du Directoire Boschot, en grande tenue, plein de superbe, le sabre au côté, le plumet tricolore sur la tête, ils se dirigent vers l'embarcadère".
Montés sur des barques, descendant la Charente, ils sont conduits dans la rade où les attend leur navire "La Charente", commandé par le capitaine Bruillac. Ils étaient au nombre de 193, logés dans l'entrepont, tassés dans un local particulièrement exigu, couchant dans des hamacs superposés, disposés sur plusieurs rangées. Le jour ne pénétrait jamais dans cet antre. C'est un véritable tombeau où l'on respire à peine : c'est une torture permanente.
Les uns disaient : "on nous mène à Madagascar, les autres : dans une île déserte, d'autres encore : au milieu de la mer, où l'on nous jettera tous pour nous noyer".
De crainte en crainte, ils se préparaient à la mort, dans l'attente épuisante de leur départ de France. Trois bâtiments anglais croisaient au large de la rade, empêchant toute sorte de bateau, et leur frégate resta ainsi ancrée jusqu'au 1er germinal an VI (21 mars 1798). Leur attente avait déjà duré dix jours, dix jours de supplice dans un véritable tombeau sans pouvoir se tenir debout.
Croyant la voie libre, "La Charente" enfin appareilla et prit le large. Mais les trois navires anglais veillaient et par trois fois l'attaquèrent dans les eaux d'Arcachon, criblant les voiles et les vergues de leurs boulets et la démâtant. Malgré une vaillante défense du capitaine et de son équipage, la nuit, seule, permit à "La Charente" de s'échapper et de se réfugier au Verdon à l'embouchure de la Gironde. Durant tout ce temps, c'est l'affolement chez les déportés, dont les trois-quarts, anciens curés de campagne, "sont plus habitués à entendre le bruit des cloches que celui du canon". Heureusement malgré toutes les avaries causées par les tirs, on ne déplore aucun mort.
Les commissaires du gouvernement venus inspecter "La Charente" décident que la frégate est hors d'état de mettre à la voile. Nous sommes le 24 mars 1798 ?
Le 5 avril, une lettre de Rochefort annonce l'arrivée de "La Décade" au Verdon, pour transporter les déportés à la Guyanne. Durant ce temps, les prisonniers continuaient de vivre dans l'entrepont, dans des conditions toujours aussi pénibles. Enfin le 20 avril (1er floréal an VI) un navire est signalé et "La Décade" vient mouiller près de "La Charente" à la chute du jour.
Pour tromper l'ennui, Jean Dubois, Pierre-Joseph Abaylard, Pierre Naudeau et Jean-Mathias s'étaient arrangés pour être voisins ; combien de fois leur imagination retrouvait-elle leur Bocage et leur Gâtine, évoquant leurs longues marches dans les chemins creux, à l'écoute de tous les bruits de la nature dont ils avaient la nostalgie, et même les derniers temps aux aguets d'une patrouille en chasse de réfractaires. Ainsi pour quelques temps, ils réussissaient à effacer le triste spectacle de ce maudit entrepont.
Mais quel cri de joie, quand à huit heures le matin du 4 floréal (23 avril) la porte de l'entrepont s'ouvrit, et le geôlier s'y encadrant leur annonce qu'ils vont se rendre sur "La Décade".
On les fit passer sur le pont où après quelques instants d'éblouissement, en retrouvant la lumière, ils s'émerveillèrent de revoir le bleu du ciel et toutes les couleurs environnantes, d'aspirer profondément cet air salin venant du large, qui leur avait tant manqué, mais aussi, frappés de leur déchéance physique. Quel que soit leur âge ou leur état de santé, ils sont tous regroupés sur le pont de "La Décade" et aussitôt à l'aide d'un porte voix, un officier de la part du commandant Villeneau, leur lit les treize articles auxquels ils devront se conformer sous peine d'être mis aux fers.
Le lendemain, c'est enfin le départ pour Cayenne. Vers midi la frégate double le phare de Cordouan et toutes voiles dehors cingle à sept noeuds vers les Canaries.
"La Décade" traverse le golfe de Gascogne. Jean Dubois et Pierre-Joseph aperçoivent les sommets des Pyrénnées. Longtemps leurs yeux restent fixés sur l'horizon, bien qu'ils aient disparu. Alors leur coeur se serre, après cette dernière vision de la France, reverront-ils un jour leur Bocage ?
Le 3 mai (1er floréal) sur les 10 heures "La Décade" retrouve "Les Sept Amis", bâtiment corsaire devant l'accompagner pour la protéger des attaques des Anglais.
Durant le jour, les déportés appréciaient l'air du large sur le pont où pendant cette détente, ils pouvaient discuter et les meilleurs conteurs narrer leurs histoires. Il fallait absolument capter l'attention, afin d'éviter à chacun de réfléchir sur sa malheureuse condition ; si l'on en croit Ange Pitout, les sujets les plus divers étaient exposés : de la perspective de l'aérostat, l'électricité du docteur Franklin, quelques contes galants de la vie privée du cardinal de Rohan, à quelques particularités de Voltaire, exposées par le chanoine Saint-Claude qui l'avait cotoyé à Ferney. Jean Dubois ne se faisait pas prier pour relater la préparation de la prise de Thouars, le 5 mai 1793, avec les plus prestigieux des généraux vendéens au château de Bournizeau.
Il ne fallait pas qu'il y eut d'interruption à ces monologues, ou à ces discussions, car, dès que le silence s'établissait, ils sentaient venir la crainte de la nuit avec la terreur du dortoir de l'entrepont, dans une atmosphère de cauchemar, qui les empêchait de trouver le sommeil et l'oubli. Ils en étaient tous conscients, et les plus intuitifs sollicitaient ceux qui savaient intéresser. Tous les événements, même les plus banals, étaient les bienvenus pour les divertir : un groupe de marsouins, une famille de baleines, que le capitaine Villeneau avait pris au loin pour des bâteaux anglais ce qui l'avait ridiculisé, la pêche d'un requin qui avait duré presqu'autant qu'une bataille navale.
Après les Canaries, ils quittent "Les Sept Amis" et piquent vers le Brésil, afin d'y rencontrer les alizés.
Dans l'entrepont, Jean Dubois dormait près des autres prêtres, ses amis, dans les hamacs de la rangée du dessus plus confortablement installés que ceux du dessous, sur une paillasse, directement sur le plancher. Dans la nuit du 14 mai, la frégate fut prise dans une tempête épouvantable, avec vent très violent, orage, pluie, une mer démontée qui secouait dangereusement le navire qui vibrait de toutes ses membrures. Soudain, sous l'effet d'une vague plus puissante, la secousse fut si brutale que les attaches de certains hamacs se rompirent laissant choir brutalement les dormeurs du dessus, sur ceux du dessous qui, surpris, cessèrent leurs prières et se mirent à hurler sans savoir, dans le noir le plus absolu, ce qui leur arrivait. Ce fut une panique effroyable à tel point que le geôlier crut à un début de révolte et ouvrit la porte. La lumière de son fanal éclaira la scène et rétablit le calme parmi les prisonniers, sans toutefois chasser toutes leurs craintes. Heureusement les hamacs des quatre amis ayant résisté, grâce à une vérification des attaches opérée par le précautionneux abbé Abaylard deux jours avant, ils se remirent plus rapidement de leur frayeur et finirent par sombrer dans le sommeil avec l'apaisement de la violence des vagues.
Finalement la tempête s'atténua avec l'aube, et dans l'entrepont s'éleva une prière de reconnaissance vers le Seigneur.
Au passage du tropique, le 20 mai, pour sacrifier au rituel du passage de la ligne, messire Jean Dubois et ses amis n'apprécièrent pas de verser une amende pour être copieusement douchés, sous les rires de l'équipage et des autres déportés.
Profitant d'un bon vent, "La Décade" se retrouve sur la même route que Christophe Colomb, puis longeant les côtes du Brésil, doublant l'estuaire de l'Amazone, et le cap Orange, le 9 juin, à 4 heures du matin, on jette enfin l'ancre dans la rade de Cayenne.
Le matin du 14 juin, une goëlette, "L'Agile", commandée par le capitaine La Marillière, transporte à Cayenne 55 malades, qui furent conduits directement à l'hôpital civil et militaire.
Malgré les aventures de la traversée, il n'y eut aucun décès à déplorer et, à l'arrivée, on retrouve les 193 déportés du départ.
Alors, les rescapés n'ont plus qu'un désir : quitter au plus vite ce navire, et toucher la terre ferme. Hélas ! par suite d'une évasion récente de prisonniers à Cayenne, leur débarquement est retardé.
Le 15 juin, sur "L'Agile" et "La Victoire" commandée par le capitaine Le Danseur, tout le reste des prisonniers de "La Décade" est débarqué.
Il est 5 heures du soir, quand, en haillons, ils sont tous rassemblés sur la grève du port à 1500 lieues de Rochefort, à 1632 lieues de Paris, après 45 jours de traversée, trois mois d'embarquement, et 3.325 lieues de route, et toujours prisonniers ...
La milice, composée de noirs, anciens esclaves libérés, les pieds nus, les encadre et les conduit dans une grande maison appelée "Maison Lecomte" ou "La Cigoigne" sise dans la grand'rue et qui allait leur servir de prison.
Si leurs principes de charité leur font considérer les noirs comme leurs prochains donc leurs égaux, ils ont de la peine à admettre d'être leurs prisonniers, ne sommes-nous pas nés tous libres ? C'est une humiliation de plus qui s'ajoute à leur triste condition.
Après l'enregistrement des prisonniers, la vie s'organise dans la prison. Au moins, ils pourront dormir tranquilles, car ils sont gardés par une forte patrouille. Autre avantage, ils disposent d'un balcon qui leur permet d'observer les habitants dont les couleurs de peau diffèrent beaucoup. Bien que fatigués, les quatre inséparables ne peuvent résister au spectacle de la rue, haut en couleurs.
Leur arrivée a attiré une partie de la population, les colons blancs, avec leur chapeau, signe d'autorité, des noirs, anciens esclaves, venus d'Afrique, et des Indiens, de couleur rouge, le corps enduit de roucou, d'odeur désagréable, mais très efficace pour éloigner les insectes et ainsi éviter leurs piqûres.
Ils sont soumis à un appel matin et soir ; quant aux repas, ce sont les rations de marine. Parfois des colons qui ont pitié de leur sort leur envoient des fruits, du vin, du poisson bouilli.
Dans la journée les prisonniers sous bonne garde ont droit de se promener dans la ville de 6 à 8 heures du matin et de 4 à 6 heures du soir. Les habitants en profitent pour les combler de présents et de promesses. Ils ont une compassion pour les prêtres, et en particulier, pour ceux qui n'ont pas prêté serment, et essaieront de les employer chez eux, ne serait-ce que pour les empêcher d'être envoyés à Konanama ou à Sinnamary, régions des plus insalubres. Déjà Jean Dubois dont le visage et l'allure sont très marqués par l'âge et par son long séjour dans la frégate a été sollicité pour travailler à Cayenne. Un colon s'appitoie sur son sort et lui affirme qu'il fera la demande de l'employeur au chef de la colonie, et qu'il fera de même pour son ami Pierre-Joseph Abaylard.
Ils s'en réjouirent tous les deux, car rapidement ils furent mis au courant du sort qui attendait ceux qui étaient envoyés à Konanama, Sinnamary ou Approuague : les colonies y étaient vite décimées par le climat, les fièvres et les piqûres d'insectes.
"A cette époque, le chef suprême à Cayenne était sans conteste, le Citoyen Jeannet-Oudin (Nicolas-Georges), neveu de Danton, auquel il devait son avancement. Sous le nom d'Agent du Directoire, il commandait en sultan aux Noirs auxquels il avait donné la liberté, aux soldats, aussi bien qu'aux habitants, n'ayant de compte à rendre qu'au Directoire qui lui, est bien loin de Cayenne."
Les déportés savent que le moment de leur départ ne peut tarder. En effet, le 18 juin (30 prairial an VI), Jeannet prend la décision suivante :
"Arrêté de l'agent du Directoire exécutif délégué dans la Guyanne.
Article premier : Aucun déporté ne pourra rester à Cayenne ni dans l'île (île de Cayenne).
Article deux : Tout déporté qui désirera former un établissement de commerce et de culture, dans les parties non exceptées par l'article précédent, sera tenu de s'adresser par écrit au Commandant en chef, qui fera part de la demande à l'Administration départementale.
Article trois : la pétition sera appuyée d'un certificat d'un citoyen domicilié et bien connu, qui prouve que l'exposant est en mesure d'acheter ou de louer, soit une habitation, soit une maison, et qu'il a les moyens suffisants, soit pour faire valoir l'habitation, soit pour entreprendre le commerce.
Article quatre : l'Administration Départementale s'assurera des faits dans le certificat à l'appui de la demande qu'elle fera passer de suite avec son avis motivé à l'Agent du Directoire pour être par lui pris sur le tout telle détermination qu'il appartiendra.
A Cayenne le 30 prairial an VI (18 juin 1798).
Signé Jeannet, contresigné : Elmé Mauduit secrétaire."
Mais comment ceux qui ne possèdent rien pourront-ils payer les frais pour acquérir un établissement ? Car sans asile assuré ou sans argent, c'est l'envoi à Konanama d'où l'on ne revient pas. Quatre vingt deux déportés de "La Décade" y furent acheminés par mer, seul moyen d'accès, où un camp leur avait été préparé.
La "Maison Lecomte" se vide petit à petit ; chaque habitant venu faire son choix de main-d'oeuvre envoie sa liste de noms à l'administration, puis les déportés doivent faire enregistrer leur bail de location auprès du commandant, en l'occurence Jeannet. Ainsi le reste des déportés est reparti entre Cayenne, Kourou, Makouria, Sinnamary et Approuague sur la côte.
Par quel miracle Jeannet avait-il donné son accord à la demande du colon qui avait demandé Jean Dubois ? Toujours est-il qu'il est affecté à Cayenne alors que Pierre-Joseph et les deux autres prêtres gâtinais étaient désignés pour Sinnamary de climat aussi épouvantable que Konanama. Avant de se quitter, ils se jetèrent dans les bras les uns des autres, ne pouvant contenir leur émotions. Se reverraient-ils un jour ?
A genoux, l'un après l'autre, ils se donnèrent une bénédiction. La colonne s'ébranla vers le port ; au détour de la rue, Pierre-Joseph se retourne et fait un petit signe de la main à Jean Dubois.
Ce sera leur dernier geste d'amitié, expression de leur espoir de se retrouver dans les verts paturages dont parle la Bible.
Au bout de quelques mois sa santé, déjà bien altérée, ne put résister au climat, il tomba gravement malade au point de rendre nécessaire son hospitalisation (17 fructidor an VI - 3 septembre 1798).
Reprenant le texte de Guillon (Les martyrs de la foi pendant la Révolution Française, vol III, p. 15), il écrit :
"Celle-ci (La Décade") le déposa vers le milieu de juin dans la ville de Cayenne où son âge ayant enfin obtenu quelque grâce pour lui, il put rester, sans être relégué à Synamary ou Konanama. Les influences du climat n'y étaient pas aussi mortelles, mais elles étaient encore beaucoup pour lui. Le curé Jean Dubois, chargé d'années, avait été éprouvé par trop de fatigue, et de maux. Il tomba gravement malade, fut transporté à l'hôpital de Cayenne et y mourut "dans le courant de novembre de la même année 1798 à l'âge de 60 ans."
L'acte de décès des registres de Cayenne précise que Jean Dubois est décédé d'une hydropisie générale, le 2 frimaire an VII (22 novembre 1798).
Ainsi se termine, loin de son pays et des siens, la vie devenue aventureuse du curé réfractaire d'une paroisse du Bocage bressuirais, ce 22 novembre 1798.
NOTA : Que sont devenus ses compagnons du cachot de Parthenay ?
- L'abbé Batard, ne fit pas partie de leur convoi.
- L'abbé Abaylard Pierre-Joseph (40 ans), vicaire de Noirterre est revenu par la Martinique, rentré en France, le 31 octobre 1801, sur "La Caroline".
- L'abbé Naudeau Pierre (57 ans), curé de Tessonnières, parti à ses frais (16 F) est rentré par les États-Unis le 16 mai 1801 sur "L'Assistance".
- L'abbé Jean-Mathias Germond (40 ans), vicaire de Talmont près des Sables-d'Olonne, remplaçant du curé de Mazière, est rentré sur "La Jeune Annette" le 12 décembre 1800. Il devint curé de Saint-Germain-de-Longue-Chaume. Il écrivit un résumé de sa déportation sur un papier collé à l'envers de son portrait conservé au presbytère de Saint-Germain-de-Longue-Chaume.
Bulletin de la Société des antiquaires de l'Ouest et des Musées de Poitiers - 5e série - tome VI - 4e trimestre de 1992 - extrait article de Michel Devasle - 1er octobre 1992 - pp. 257 à 299.
AD37 - Registres paroissiaux de Richelieu
Archives nationales d'outre-mer - Registre d'état civil - Cayenne - 1798