PARIS (75) LAVAL (53)- ANTOINE-PHILIPPE DE LA TRÉMOILLE ET SON JUMEAU, CHARLES-AUGUSTE-GODEFROY
Antoine-Philippe et son frère jumeau, le prince abbé de La Trémoille, avaient embrassé, l'un la profession des armes, l'autre l'état ecclésiastique, et ils promettaient tous deux, par leurs brillantes qualités, de figurer avec éclat dans les carrières qu'ils avaient choisies.
Lorsque la tourmente révolutionnaire assaillit la France, Antoine-Philippe, connu sous le nom de prince de Talmont, et son frère, l'abbé de La Trémoille soutinrent jusqu'à la mort les intérêts de la religion et de la royauté.
ANTOINE-PHILIPPE DE LA TRÉMOILLE, prince de Talmont, condamné par le tribunal de Vitré et exécuté à Laval le 27 janvier 1794, était frère jumeau de CHARLES-AUGUSTE-GODEFROY DE LA TRÉMOILLE, prince-abbé de La Trémoille, chanoine et grand doyen du Chapitre de Strasbourg, condamné par jugement révolutionnaire, et exécuté à Paris le 15 juin 1794.
Ils étaient fils de Jean-Bretagne-Charles-Godefroy, duc de la Trémoille et de Thouars, prince de Tarente, &c., pair de France, maréchal de camp, né à Paris le 4 février 1737 et décédé à Chambéry en mai 1792, et de dame Marie-Maximilienne-Louise-Emmanuelle-Sophie, princesse de Salm-Kirbourg, décédée à Nice, le 12 juillet 1790. Jean-Bretagne-Charles-Godefroy avait 14 ans lorsqu'il épousa en premières noces, le 18 février 1751, Marie-Geneviève de Durfort, décédée sans enfants en 1762.
Le prince de Talmont avait environ vingt-six ans lorsqu'il joignit l'armée vendéenne à Saumur ; d'autres disent à Angers. Il fut aussitôt nommé commandant de la cavalerie. C'était un très bel homme, d'une taille de cinq pieds six pouces, d'un port noble, d'une figure imposante. Des accès de goutte fréquents enchaînèrent quelquefois son activité; cependant il se distingua dans une foule de combats, particulièrement à Luçon, à Dol, à Pontorson, à la Flèche. Ce fut près de ce dernier endroit, et non au Mans, comme l'ont dit plusieurs historiens de la Vendée, qu'il fendit d'un coup de sabre la tête d'un hussard ennemi qui avait osé s'élancer sur lui.
J'ai cru que les lecteurs seraient bien aise de trouver ici quelques pièces relatives à l'arrestation et au jugement de ce prince.
"Un officier des Chouans de la forêt du Pertre, nommé Mercier, vint m'apprendre que le prince de Talmont la Trémoille, échappé de la déroute de la Vendée, était venu pour se réfugier auprès de moi, accompagné de Bougon, ancien procureur-syndic de Caën, et suivi de trois cavaliers. Ils avaient parcouru un pays immense, toujours poursuivis, et avaient enfin gagné notre camp, excédés de fatigues et dans un état déplorable. Le prince de Talmont désirait fort de me voir, et il me faisait prier de lui en indiquer les moyens. Nous n'étions pas dans une situation à pouvoir entreprendre le voyage. Je lui répondis que, comme je supposais qu'il avait besoin de repos, ainsi que nous, je l'engageais à rester où il était pour quelque temps ; que ce lieu était pour lui le plus sûr de la province ; qu'aussitôt que nous pourrions nous remettre en mouvement il aurait de mes nouvelles, et je donnai des ordres pour qu'on disposât, dans le voisinage de la forêt, plusieurs maisons où il pourrait se retirer alternativement en cas d'accident, pour que l'on veillât exactement à sa sûreté, et enfin pour qu'on prît de lui tous les soins que sa position rendait nécessaires ; car, dans l'état où il était, il n'y avait pas de possibilité qu'il s'accommodât de la vie fatigante et dénuée de toutes commodités qu'il lui aurait fallu mener dans le camp.
Soit que Bougon craignit de me revoir, soit qu'il eût plus de confiance dans le pays qui lui avait servi de retraite depuis sa fuite de Caën, que dans une place où tout lui était étranger, il persuada au prince de Talmont de l'y suivre. Ils étaient partis de la forêt lorsque ma réponse y arriva. Mais comme ils n'avaient aucune connaissance locale sur l'opinion des habitans du pays qu'ils avaient à traverser, ils se jetèrent dans un village nommé la Bazouge, ou Pont-au-Guérin, qui était peuplé de Jacobins, et s'y arrêtèrent dans la maison d'un homme que le prince de Talmont avait connu avant la révolution, et en qui, quoiqu'il fût anti-royaliste, il se flattait de trouver des sentimens d'humanité. Malheureusement cet homme était absent. L'arrivée de personnes inconnues donna l'éveil au comité de surveillance. Huit ou dix paysans armés se portèrent à cette maison, et demandèrent à voir les passeports des voyageurs. Ils n'en avaient pas d'autres que leurs armes ; mais l'assurance qui leur fut donnée qu'il ne leur serait fait aucun mal trompa leur crédulité ; ils les rendirent à ces misérables, qui, n'ayant plus rien à craindre, se saisirent d'eux et les conduisirent en triomphe à Vitré. Bientôt ils furent transférés à Rennes, et après trois semaines de traitemens barbares, dans les horreurs d'un cachot où ils furent chargés de fers et où on les laissa manquer de tout, ils furent traînés à demi morts à Laval, où ils perdirent la tête sur l'échafaud. Pendant la procédure qui précéda leur jugement, je fis tout ce qui était en mon pouvoir pour les délivrer ; mais la terreur était telle dans les villes, à cette époque, et les précautions furent si multipliées, que tous mes efforts devinrent inutiles". (Mémoires de M. de Puisaye)
"L'ex-prince de Talmont vient d'être arrêté près de Fougères. Ce Capet des brigands, souverain du Maine et de la Normandie, mérite bien de figurer sur le même théâtre que son ancien confrère ... Avec ce grand prince a été aussi arrêté Bagon, ex-procureur-syndic. Il était chancelier de Talmont. Il aurait été à souhaiter qu'il eût assisté à la cérémonie pour apposer le sceau au couronnement de son maître ; mais, mis hors la loi, Lavallée l'a fait exécuter. Les brigands exterminés, nous allons nous occuper de l'entier anéantissement des Chouans ..." (Rapport fait à la Convention par Garnier de Saintes, représentant du peuple, le 15 nivôse an 2. N° 108 du Moniteur).
Le Général de division Beaufort, au Président de la Convention.
Vitré, 17 nivôse an 2.
Je te fais part de l'arrestation de l'ex-prince de Talmont ..., et de cinq autres ... La plupart ont envoyé leur âme au Père éternel ; je leur ai donné cette permission ; et, comme ils n'avaient besoin que d'une obole pour le passage du Styx, je leur ai retenu 24.000 francs que j'ai distribués à la garde-nationale de la Bazoche, qui a arrêté l'ex-prince ... Nous faisons des prises tous les jours ; nous détruisons la horde infernale des Chouins (sic) ... (N° 117 du Moniteur).
Rennes, le 6 pluviôse, deuxième année républicaine.
ESNUE-LAVALLÉE, représentant du peuple dans les départemens de l'Ouest et du Centre, aux citoyens composant le Comité révolutionnaire de Laval.
CITOYENS,
Je viens d'envoyer à la commission militaire l'ex-prince de Talmont ; j'envoie également à Laval, à la commission militaire, Enjubault-la-Roche, afin qu'il soit jugé. Je vous engage à donner à cette dernière commission toutes les instructions et les renseignemens nécessaires relatifs à Enjubault. Vous voudrez bien, sitôt l'exécution de Talmont, faire attacher sa tête au bout d'une pique, et la faire placer de suite sur la principale porte du ci-devant château de Laval, pour évanter les royalistes et fédéralistes dont vous êtes environnés.
Voudrez-vous bien aussi faire les mêmes honneurs à la tête d'Enjubault-la-Roche, si ce fameux fédéraliste est condamné à la peine de mort.
Du courage, de l'activité, de l'énergie, les aristocrates trembleront, et çà ira. Vive la République !
Salut et fraternité,
Votre concitoyen,
Signé : ESNUE-LAVALLÉE.
P.S. Accélérez, par vos sollicitudes, le jugement d'Enjubault, afin que, s'il subit la peine de mort, il soit exécuté en même temps que Talmont ; l'agent et le seigneur feront le pendant. Talmont sera sûrement jugé demain, et conduit à Laval pour y être supplicié. Ainsi, faites en sorte, et pressez la commission militaire de Laval de faire prompte diligence, afin qu'à l'arrivée de Talmont, Enjubault soit prêt à recevoir les mêmes honneurs.
Signé : ESNUE-LAVALLÉE.
Rennes, le 9 pluviôse, an 2 de la République une et indivisible.
ESNUE-LAVALLÉE, représentant du peuple, actuellement à Rennes.
CITOYENS,
J'apprends dans ce moment, par François, mon collègue, qu'Enjubault-la-Roche, père, doit être jugé, et partir de compagnie de Talmont, qu'il m'a aussi annoncé avoir arrivé hier soir à Laval.
Je vous recommande aussi de faire à Jourdain, après son jugement et son exécution, les mêmes honneurs qu'à Enjubault père et à Talmont ; ce sera une pique de plus à faire fabriquer. Je crois que vous ferez bien d'en fabriquer quelques autres, afin d'en avoir de prêtes au besoin, à fur et mesure que les conspirateurs Mayennois, &c., seront arrêtés.
J'attends de vos nouvelles au premier moment, sur l'exécution des mesures que je vous ai recommandées relativement à Talmont et à son agent le concierge, et que je vous recommande relativement à Jourdain.
Salut et fraternité,
Votre concitoyen,
ESNUE-LAVALLÉE, représentant du peuple.
Tandis que le prince de Talmont versait son sang pour la monarchie, son frère jumeau, l'abbé de La Trémoille, était jeté dans les cachots de la Terreur, d'où il ne sortit au bout de quelques mois que pour entendre le tribunal révolutionnaire de Paris prononcer son arrêt de mort ; Jarousseau résume exactement le procès-verbal de l'interrogatoire qu'il subit lors de son arrestation :
"Le comité révolutionnaire de la section de la Montagne a arrêté, sur les minuit, dans une maison rue des Boucheries-Saint-Honoré, le nommé La Trémoille, ci-devant. Conduit au comité, interrogé, a dit qu'il n'avait point sorti de Paris : "Où demeuriez-vous ? - Tous les jours dans différents endroits. - Nommez-en un ?" A répondu que la guillotine serait présente qu'il n'en dirait pas davantage, qu'il ne voulait point compromettre les personnes qui l'avaient obligé. A dit connaître le juge de paix de la [section de la] Montagne, que même il lui avait prêté 14.000 livres à cinq pour cent. "A quelle époque ?" - A répondu qu'il y avait environ dix-huit mois. Demandé en quelles espèces, a répondu : "En papier assignats. C'est le moment où les ennemis étaient les plus dangereux." "Vous avez été à la Vendée ? Votre nom est connu là. - Non, c'est mon frère qui était en Angleterre qui m'est venu trouver. Je lui ai dit qu'il y avait un décret qui punissait les émigrés de mort, qu'il ne pouvait point rester à Paris. Ne sachant où aller, il s'est retirer dans la Vendée pour pouvoir passer."
Charles-Auguste-Godefroy de la Trémoille, prince-abbé, condamné comme conspirateur par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris fut décapité dans cette ville, le 27 prairial an II (15 juin 1794) trois mois vingt jours après Talmont.
Lettres sur l'origine de la Chouannerie et sur les Chouans du Bas-Maine ... Par J. Duchemin Descepeaux - Tome premier - 1825
Paris pendant la Terreur de Pierre Caron
Les héros de la Vendée, ou biographie des principaux chefs vendéens par M. de Préo - 1841
Revue historique de la noblesse - volume 1 - publiée par M. André Borel d'Hauterive - 1841