1829 - UNE EXÉCUTION MARITIME A PORTSMOUTH
EXÉCUTION MARITIME
A BORD DU VAISSEAU STATIONNAIRE DANS LA RADE DE PORTSMOUTH
Il était huit heures du matin, et le pavillon de punition flottait à la tête du grand mât. On entendit un coup de canon. Ce signal annonçait la mise à exécution de l'arrêt d'une Cour martiale. Deux jeunes marins, condamnés à mort pour avoir frappé un de leurs officiers, et détenus à fond de cale, reconnurent à cette explosion, qui ébranla les panneaux mal fermés de leur prison, que le moment fatal était arrivé. Strange, pressant dans ses bras son ami Wild, s'écria : "Dieu, aie pitié de nous, notre carrière et nos maux terrestres sont près de finir." Wild était plus calme, et sa figure impassible annonçait une stoïque résignation. Le capitaine d'armes entra dans la prison, ouvrit le cadenas au bout de la barre et après avoir ôté les fers dont ils étaient chargés, il ordonna aux soldats de marine de conduire les prisonniers sur le gaillard d'arrière.
Là se passa une scène imposante et difficile à décrire. Le ciel était serein, la mer n'offrait pas une ride à sa surface, et le zéphir agitait mollement les pavillons des vaisseaux, dont les vergues étaient en croix ; les équipages, en ordonnance comme aux jours de fêtes, étaient groupés dans les haubans comme un essaim d'abeilles. Une garde nombreuse de soldats de marine était sous les armes, à bord de chaque vaisseau, et placée sur les passavans ; mais à bord du stationnaire, on l'avait postée sur le gaillard d'arrière. Trente canots faisaient la garde autour du vaisseau, ils se tenaient sur leurs avirons et chacun d'eux était monté par un lieutenant et un caporal.
Au coup de sifflet aigu de l'officier et du maître d'équipage, les matelots enlevèrent les écoutilles ; l'heure du châtiment allait sonner ... Après cinq minutes d'un silence effrayant, on entendit quelques gémissements et le bruit sourd des pas de la garde qui montait l'escalier ; bientôt on vit paraître au milieu d'elle les deux jeunes condamnés ; ils se rendirent, sans prononcer un mot, à la place qui avait été désignée ; un officier lut à haute voix la sentence de la Cour martiale et l'ordre d'exécution donné par le commandant en chef. Après cette lecture, le chapelain du vaisseau récita les prières et les psaumes d'usage, qui furent entendus avec un religieux recueillement : on demanda aux condamnés s'ils étaient prêts ; ils répondirent affirmativement. Tous les yeux étaient dirigés sur ces malheureux, destinés à sortir ignominieusement de la vie, lorsqu'à peine ils avaient parcouru la cinquième partie de la carrière de l'homme. La beauté remarquable de ces jeunes gens et la douce expression de leurs traits, ajoutaient encore à la pitié qu'ils avaient inspirée aux témoins de cette scène de douleur. Cependant ils paraissaient si calmes, que leur résignation diminuait l'horreur de leurs derniers moments. Avant de marcher vers le lien du supplice, ils demandèrent un verre de vin, ce qui leur fut accordé à l'instant même : ils burent en saluant respectueusement le capitaine et les officiers.
Un homme s'approcha pour leur lier les bras avec des cordes ; ils s'embrassèrent avant de se séparer, et le chapelain leur dit les dernières exhortations ; il lut le service funéraire, tandis que le capitaine d'armes, accompagné de deux soldats de marine, les conduisait le long des passavans de tribord sur le gaillard d'arrière. Un échafaud était dressé de chaque côté sur les bossoirs, on y montait par cinq degrés. Une poulie était fixée au cercle des boute-hors, à l'extrémité des bras de la vergue de misaine ; un des bouts de la corde passait dans cette poulie, descendant sur l'échafaud, l'autre venait s'arrêter sur le pont ; un canon placé sur l'avant, et directement au-dessus des échafauds, était amorcé et prêt à faire feu au premier signal.
Wild ne proférait pas un mot. Strange demanda au maître d'équipage chargé de l'assister dans ses derniers moments si la corde était bien attachée autour de son cou. "J'ai vu, lui dit-il, des hommes souffrir horriblement faute d'avoir pris cette précaution". Le maître d'équipage s'empressa de le rassurer contre cette crainte. On couvrit d'un bonnet blanc la tête des condamnés, et, lorsqu'ils montèrent sur la plate-forme, on le baissa sur leurs yeux ; ils dirent adieu à leurs camarades ... ; puis, se tournant vers le chapelain, ils le remercièrent, et lui dirent qu'ils mouraient heureux parce qu'ils avaient confiance en la divine miséricorde. Ils restèrent debout jusqu'à ce que toutes les dispositions fussent faites. On les amarra avec la corde, dont une extrémité était tenue par trente hommes postés de chaque côté du navire, le capitaine agita un mouchoir blanc, un coup de canon se fit entendre, et l'on vit les deux patients suspendus aux bras de la vergue de misaine.
Une heure après l'exécution, leurs corps furent placés dans des cercueils et envoyés à terre pour y être inhumés.
La Gazette des Tribunaux - n° 1291 - quatrième année - Lundi 28 et mardi 29 septembre 1829.