PAULX (44) - 1925 - ASSASSINAT DE MME VALENTINE DESCROIX D'ESTRÉES VEUVE LE LOU DE LA BILIAIS
1925 - L'ASSASSINAT DE MME DE LA BILIAIS
MARIE MUSSEAU, LA SERVANTE CRIMINELLE COMPARAÎT DEVANT LES ASSISES DE LA LOIRE-INFÉRIEURE
De la rédaction nantaise de l'Ouest-Eclair :
Nantes, 30 mars.
- Au bourg de Paulx, sur les confins de la Loire-Inférieure et de la Vendée, dans une maison qui regarde la vieille église, Mme Valentine Descroix d'Estrées, veuve de M. Henri Le Lou de la Biliais, ancien député de la Loire-Inférieure, ancien conseiller général du canton de Machecoul et maire du chef-lieu, achevait paisiblement sa vie déjà longue. Elle avait quatre-vingt-cinq ans et son activité, quoique ralentie, ne cessait point. Elle aimait à se servir elle-même ; elle vaquait à de multiples besognes domestiques, tout en tricotant, à ses loisirs, des lainages pour les pauvres. Elle ne négligeait aucune bonne oeuvre et la reconnaissance publique l'appelait la Providence du pays.
Dans la campagne de Paulx se dresse, entourée de douves moyenâgeuses, dans un écrin de verdure, la Caraterie appartenant à M. Léon de la Biliais, conseiller général de Machecoul, maire de Saint-Etienne-de-Mer-Morte. C'est une antique maison forte, de seigneuriale allure.
Ce château, Mme veuve de la Biliais l'habita jusqu'au mariage de son fils ... Elle vint alors occuper la maison basse et trapues où elle devait mourir.
Il arrivait parfois que Mme de la Biliais sortit dans le bourg. On remarquait sa mise singulière, rustique, si différente de son origine et de sa condition. Mais nul ne se fût avisé de sourire. Le grand coeur de l'octogénaire la préservait de la malignité qui s'éveille aisément derrière les vitres des villages.
Mme de la Biliais n'était point riche. Elle vivait d'une rente viagère de six mille francs que lui servaient deux de ses enfants : M. de la Biliais qui la lui versait le plus souvent en nature, et Mme Isabelle de Caslou, domiciliée à Redon, qui lui assurait trois mille francs en espèces et la jouissance gratuite de la maison. Avec ces ressources modestes, Mme veuve de la Biliais faisait le bien et jamais misère n'avait laissé sa charité indifférente.
MARIE MUSSEAU
L'unique servante de Mme de la Biliais était Marie Musseau, une solide et massive rustaude de vingt-quatre ans, qui vit le jour au Bois-Guérin, à trois kilomètres de Paulx, où ses parents cultivaient leur bien de six hectares de terre.
On les appelle, avec une nuance de décri, les "Musseau". Ils vinrent de la Garnache, le plus prochain bourg vendéen, s'installer là. Depuis lors il y sont toujours guettés par la suspicion publique.
Ce ne sont point des gens comme les autres. Leurs voisins les tiennent en quarantaine. Ils vivent à part de la communauté rurale, toujours regardés de biais.
C'est là que grandit Marie Musseau et qu'elle aida ses parents et ses soeurs aux besognes de la terre, après avoir quitté l'école vers dix ans et demi, à peu près illettrée.
A vingt et un an, Marie quitta les champs pour entrer en condition chez Mme veuve de la Biliais d'où la modicité des gages écartait nombre de jeunes filles. La nouvelle servante y reçut cinquante francs par mois, les vivres et le couvert.
L'ENTENTE NE RÉGNAIT PAS
Il arrivait souventes fois que les rapports fussent tendus entre la vieille dame, d'humeur un peu fantasque, et la fille d'esprit borné et de manières rudes. Elle esquiva toujours son congé qui lui avait été signifié à plusieurs reprises à la suite de discussions parfois injurieuses et qui devenaient de plus en plus fréquentes.
Encore que M. Léon de la Biliais eût toujours recommandé à la servante de soigner convenablement sa mère et qu'il eût, en dernier lieu, appuyé ses instances de petites libéralités. Marie Musseau demeurait revêche, méconnaissant les prévenances dont la jeunesse est toujours redevable au grand âge.
LE 8 JANVIER, AU MATIN ...
Le 8 janvier sera le dernier jour de l'octogénaire que l'on trouvera morte, le crâne fracassé sur la terre battue du cellier de son habitation.
M. Léon de la Biliais était à Paris où un de ses fils, Guy de la Biliais, poursuit son éducation. Avant son départ, il avait confié à sa mère une petite chienne blanche "Grenade" qu'il affectionnait. Mais la bête s'ennuyait loin des verdures de la Caraterie. Elle s'échappait du logis sévère de son hôtesse pour retourner à ses habitudes de liberté.
Il revenait à Marie Musseau, de ramener l'évadée. La servante rechignait à cette besogne qu'il lui fallait accomplir dès son lever, avant l'aube, à l'heure où les campagnards en "ginotte" et les boeufs "enjugués" commencent à peine de paraître sur les routes ...
Au matin de ce jeudi d'hiver, Marie Musseau, que l'on prénommait communément Marie-Thérèse, venait prévenir des voisins immédiats qu'elle avait découvert sa maîtresse inanimée et blessée dans le cellier.
DES TACHES DE SANG
C'était à l'entendre, un accident terrible qu'elle expliqua froidement, d'une voix tranquille et sans que son visage pourtant taché de sang, comme d'ailleurs une partie de ses vêtements, accusât la moindre altération. Elle représenta Mme de la Biliais montant à une soupente par une échelle qui glissait et se renversait avec un égouttoir à vaisselle accroché au passage, sur la vieille dame entraînée par la chute et privée de secours, car elle-même, disait-elle, se trouvait alors sur le chemin de la Caraterie, en quête de "Grenade" la fugitive.
On accourut au cellier : l'octogénaire était morte.
Le docteur Voyer, de Machecoul, fut mandé pour constater le décès. Un examen du cadavre le détermina au refus du permis d'inhumer. Il avait en effet relevé au cuir chevelu des plaies profondes qui ne pouvaient être que la conséquence de coups assénés violemment avec un instrument contondant. Il avait constaté un véritable écrasement du visage. Personne encore ne soupçonnait Marie Musseau, toujours impassible et dont la contenance renforçait encore la version mensongère qu'elle avait commencé d'accréditer.
Les gendarmes de Machecoul, dirigés par le chef de brigade Ardois, ne devaient point être les dupes de la servante bien que l'opinion lui fût favorable. Ils l'arrêtèrent, après une sommaire enquête, en dépit de ses dénégations et de l'attitude des habitants qui se fussent volontiers portés caution de l'innocence de la bonne.
Puis ce fut l'arrivée au Parquet de Nantes ; l'autopsie du médecin-légiste qui conclut formellement au crime ; et l'action de M. Mallet, le distingué commissaire de la 13e brigade mobile, et des inspecteurs Thomas frères et Guyomard. Une heureuse collaboration des policiers et de la gendarmerie forçait Marie Musseau aux aveux. Chambrée dans une salle de la mairie de Paulx, elle résistait à la sincérité. Quand les gendarmes qui n'avaient cessé leurs investigations dans la maison eurent retrouvé son tablier souillé de giclures de sang et un piquet où adhéraient encore, à la pointe, de minuscules fragments de chair, elle ne sut plus se défendre contre les sollicitations de M. Mallet et de ses auxiliaires.
LA MEURTRIÈRE FAIT LE RÉCIT DU CRIME
Le samedi 10 janvier, vers une heure du matin, la fille, en larmes, se laissait arracher, petit à petit, la vérité.
Elle était à la fois simple et tragique. Les deux femmes avaient eu, encore une fois, une altercation motivée par une escapade de "Grenade" que la servante devait aller chercher à la Caraterie. Agacée de la mauvaise volonté de Marie Musseau, Mme de la Biliais lui avait porté, paraît-il, un coup avec une pelle à feu. Elle avait riposté par un coup de poing et, comme l'octogénaire la frappait toujours, elle s'était débarrassée d'elle en lui assénant, avec le piquet, des coups sur la tête. Elle avait achevé la vieille dame à l'aide de l'égouttoir à vaisselle, lourd meuble de cuisine qui lui avait servi de massue pour broyer le visage de sa victime.
"JE SAVAIS BIEN QUE J'ALLAIS LA TUER"
Voilà, en substance, le récit de Marie Musseau qui, plus tard, dira cyniquement à M. Lemarchand, juge d'instruction : "En la frappant, je savais bien que j'allais la tuer".
Les mobiles de ce crime atroce ? On a voulu trouver les plus singuliers, les plus invraisemblables, à travers le prisme de l'imagination. On a édifié les plus romanesques hypothèses. On a même fait d'indécentes incursions dans l'existence privée de personnes honorables, afin d'y rencontrer des éléments de scandale. Cependant la conviction des enquêteurs était déjà formée, nettement arrêtée, depuis la confession de la servante. La mort violente de Mme de la Biliais était simplement le crime d'une brute à-demi inconsciente et qui, dans un délire sanguinaire, avait assouvi de petites, de basses rancoeurs ancillaires.
Marie Musseau est inculpée de meurtre. Son défenseur, Me Alexandre Bricart, un des avocats les plus en renom du barreau de Nantes, plaidera l'acquittement en s'appuyant sur le rapport de l'expert-aliéniste qui représente la servante criminelle comme atteinte de débilité intellectuelle, sentimentale, morale et volontaire et comme diminuée, au point de vue psychique, par une insuffisance cérébrale héréditaire, atténuant sa responsabilité.
L'AUDIENCE
Dès 13 heures, la salle est comble. On se désigne discrètement les témoins et Me Alexandre Bricart qui, fort de son grand talent, a assumé la lourde charge de défendre l'inculpée. A côté de lui est assis le bâtonnier Crimail qui, au nom de M. Léon de la Biliais, fils de la victime, réclamera à la meurtrière le traditionnel franc de dommages-intérêts. Me Leroque, procureur de la République, occupe en personne le siège du ministère public.
Marie-Thérèse Musseau est une forte fille qui parle avec un accent de terroir prononcé. Modestement vêtue de noir, coiffée d'un béret de même couleur qui enserre la tête jusqu'aux oreilles, elle est tournée de biais vers la Cour, les yeux baissés et les mains croisées sur les genoux. Aucune émotion : aucune larme ; une voix assurée quoique assourdie ...
M. Rémy, président du tribunal de première instance, préside l'audience au lieu et place du conseiller Bouchard, toujours retenu à la chambre.
L'INTERROGATOIRE
Le début de l'interrogatoire qui porte sur le passé de l'inculpée, n'est proprement qu'un monologue de M. Rémy. Marie Musseau en confirme l'exactitude par de fréquents acquiescements de la tête. Elle ne souffle mot. Pourtant elle affirme d'un ton bas, qu'elle était insuffisamment nourrie :
- Je n'avais pas le "nécessaire tout les jours"
Elle faisait des travaux rudes, qu'elle trouvait excessifs :
- Je bêchais le jardin.
- Pourquoi ne vous êtes-vous pas plainte ?
- Je ne me plaignais jamais.
Marie Musseau a prétendu qu'elle avait été maltraitée. Cependant elle a déclaré à l'instruction que sa maîtresse était très bonne pour elle.
Les rapports des deux femmes étaient très tendus aux approches du 8 janvier. Mme de la Biliais avait des sautes d'humeur et la servante manifestait une indocilité chaque jour plus marquée :
- Non, proteste Marie Musseau, j'ai toujours bien obéi à ma patronne.
Le 6 janvier un gros dissentiment éclatait entre l'octogénaire et la fille à propos d'une pièce où celle-ci couchait, s'y trouvant assez bien, et qu'elle dût abandonner sur l'ordre de Mme de la Biliais, pour un galetas ouvert à tout vent. Immédiatement au-dessous se trouvait la chambre même de l'octogénaire qui se servait d'un manche à balai pour frapper un plafond afin d'appeler sa bonne, dès la première heure du matin. Le 8, Marie Musseau commet son crime.
LE CRIME
Le président s'interrompt enfin de soliloquer et demande à l'inculpée d'en faire le récit :
- Je ne me souviens pas !
- Enfin, il n'y a pas eu d'accident ; vous avez bien tué Mme de la Biliais !
- Oui, Monsieur.
Elle explique les circonstances du meurtre :
Mme de la Biliais m'avait battue d'une pelle à feu.
- Pourquoi ?
- Parce que j'étais descendue trop tard de ma chambre. Je suis allée chercher du genêt dans le bûcher. Mme de la Biliais m'a poursuivie en continuant de me frapper. J'ai alors saisi un piquet et j'ai riposté sans me rendre compte de ce que je faisais.
Marie Musseau a achevé sa victime avec l'égouttoir à vaisselle.
- Elle n'était pas morte lorsque vous vous êtes servi de ce meuble ?
- Non, Monsieur.
- Vous vouliez la tuer ?
- Oui, Monsieur, j'ai vu rouge.
Cependant elle dira, un instant plus tard, qu'elle n'avait point d'intention homicide.
M. Rémy veut savoir comment la bonne avait agencé la mise en scène qui devait accréditer la version de l'accident. Il en est pour ses frais. La servante se défend d'avoir assailli d'abord la vieille dame dans sa chambre et de l'avoir ainsi contrainte à fuir dans le bûcher ou cellier.
- Comment expliquez-vous qu'on ait relevé des taches sanglantes dans la chambre et que le lit fut trouvé en désordre ?
- Je ne me souviens pas ...
Le président rapporte les conclusions du rapport médico-légal et l'interrogatoire est clos.
LES TÉMOIGNAGES
On nous permettra de les résumer. Aucun d'eux, en effet, n'apporte des faits nouveaux à la cause.
Le chef de brigade Ardois, de Machecoul, et le commissaire de police mobile, Mallet, relatent, chacun en ce qui le concerne, les phases et les conclusions de leur enquête. Avec M. le docteur Gustave Ollivier, médecin-légiste, auteur de l'autopsie, une évocation sanglante plane sur l'auditoire. M. de la Biliais, fils de la victime, confirme que Marie Musseau mangeait à sa faim, avait des occupations nullement pénibles et n'était pas inintelligente, car elle savait soigner une malade et acheter des poulets au marché. Elle ne se trompait ni dans l'un ou l'autre cas. Mme de Caslou, soeur du précédent témoin, et domiciliée à Redon, estime que sa mère était une femme parfaite.
Plusieurs témoins de feu Mme de la Biliais présentent celle-ci comme une personne vive, d'humeur un peu singulière, d'une grande bonté d'âme, et l'inculpée comme une fille brutale, inintelligente mais non folle. Ils sont à peu près d'accord pour dire que Marie Musseau ne faisait aucune besogne pénible chez Mme de la Biliais et que celle-ci était incapable de la frapper. L'octogénaire se plaignit souventes fois à eux des brutalités de langage et de manières de sa bonne.
Mlle Raymonde Fleury rapporte que Marie Musseau lui parlait volontiers, bien qu'elle ne fréquentât personne. Elle voit en elle une jeune fille "comme les autres" mais très taciturne. Enfin, voici le docteur Eugène Coulonjou, médecin-psychiatre, directeur de l'asile départemental d'aliénés de Saint-Jacques. Sa déposition était attendue avec une certaine curiosité, car, semble-t-il, elle décidera de l'issue de ce procès.
Le témoin voit dans Marie Musseau une fille atteinte de débilité mentale, parfois entraînée par une irritabilité excessive due à une indisposition de nature organique et permanente. C'est une triste, un insuffisance cérébrale. Elle est incapable de volition raisonnée, car elle n'a pas une entière liberté d'agir et de se décider.
Le médecin considère, en conclusion de ses observations, que la responsabilité de la servante est atténuée. Il regrette toutefois qu'il n'existe pas en France de maisons spéciales de rééducation pour les insuffisants cérébraux comme l'inculpée.
- Docteur, intervient M. Laroque, procureur de la République, la place de Marie Musseau est donc dans une prison ?
- Oui, à défaut d'autres établissements plus appropriés.
- Je demande alors au témoin, dit Me Bricard, comment le docteur, qui estime que l'inculpée doit être emprisonnée, a pu écrire dans son rapport que les peines infamantes découragent les débiles mentaux comme Marie Musseau et peuvent les exposer à récidiver.
Témoins et défenseur restent chacun sur ses positions.
A 6 heures 15, le bâtonnier Crimail commence une remarquable plaidoirie pour la partie civile : M. Léon de la Biliais et Mme de Caslou demandeurs en 1 franc de dommages et intérêts.
Il l'achève en demandant justice contre Marie Musseau.
LE VERDICT
Le Jury délibère un quart d'heure. Il déclare Marie-Thérèse Musseau coupable, avec circonstances atténuantes, et la Cour la condamne à huit ans de réclusion.
La partie civile obtient le franc de dommages-intérêts qu'elle réclamait.
Louis Castel
L'Ouest-Éclair - 31 mars 1925.