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La Maraîchine Normande
20 février 2018

ANGERS (49) - RÉCEPTION D'UNE PIERRE DE LA BASTILLE A ANGERS

RÉCEPTION D'UNE PIERRE DE LA BASTILLE A ANGERS

PALLOY 4 z


Le 2 novembre 1790, le sieur Palloy, entrepreneur de la démolition de la Bastille, grenadier-volontaire de la 1ère division de la garde nationale parisienne, écrivait aux administrateurs du département de Maine-et-Loire :

"Messieurs,

Aussitôt que la nation sentit que la tyrannie, exercée sous le nom du meilleur des rois, la forçait à prendre les armes pour assurer les intérêts du trône et les siens propres, que la cupidité des traîtres cherchait à ébranler, ce fut pour moi le signal d'offrir mes services à la patrie, d'après la conduite régulière et courageuse de MM. les électeurs qui tenaient la séance à l'Hôtel de Ville. Éveillé par la crainte des menées sourdes des personnes qui par leurs places étaient à portée de nous perdre, j'ai personnellement à la tête d'un grand nombre de mes ouvriers marché sur les traces de ces électeurs : je me suis porté à la Bastille, le jour même qu'on se proposait de l'emporter et qui en effet fut forcée de se rendre au patriotisme des braves citoyens et des gardes françaises, le 14 juillet 1789.

Il ne m'a pas suffi d'avoir aidé à renverser les murs de cette forteresse ; il fallait perpétuer l'horreur de son souvenir.

D'une Bastille, j'en ai fait 83, dont j'ai fait hommage à chacun des départements, afin que ses ruines s'étendent, pour ainsi dire, sur toute la France, et rappellent à jamais aux citoyens vertueux l'atrocité de nos despotes.

Des pierres mêmes de ces cachots affreux, j'ai reconstruit l'image de ce tombeau des vivants ; et les dalles sur lesquelles ont péri tant de victimes, je les consacre à porter l'empreinte du roi, l'auguste soutien de notre Constitution.

Il en sera porté au delà des mers jusque dans nos colonies.

On se propose d'élever avec ces mêmes pierres une pyramide à la mémoire de nos frères d'armes, morts au département de la Meurthe.

Daignez, Messieurs, agréer, outre le modèle de Bastille, le nouvel hommage des objets détaillés ci-dessous :

1° Un plateau fait des mêmes débris, sur lequel le modèle sera posé.

2° Une dalle provenant des cachots, portant l'empreinte du roi.

3° Un plan de cette forteresse et ses accessoires.

4° Une description exacte de la Bastille avec des certificats y annexés.

5° Un tableau représentant le tombeau sous lequel reposent les victimes trouvées mortes dans les cachots, et les procès-verbaux qui y sont relatifs.

6° Le tableau d'un projet de pyramide pour être placé à Nancy.

7° Les hommages rendus à l'Assemblée Nationale, son bouquet donné le 14 juillet.

8° Le bouquet du roi pour le jour de sa fête.

9° Trois volumes de procès-verbaux de nos électeurs faits pendant ces jours désastreux, présentés par eux à l'Assemblée Nationale et au roi.

10° Un tableau représentant le roi couronné, MM. Bailly et de la Fayette nommés par acclamation du peuple, et moi-même plaçant le portrait de M. Bailly encourageant le peuple à considérer les colonnes de la liberté et les ruines de la Bastille, qu'on aperçoit dans le lointain.

11° L'Histoire de la Bastille par le digne M. Duffault.

12° La vie de l'infortuné M. de la Tude.

Lesquels objets formeront trois caisses peintes en bleu, qui vous seront déposées au premier jour. Lesdites caisses seront plombées pour éviter toutes visites et ouvertures quelconques, et conduite par les voitures de MM. Hemery et Le Fèvre, qui vous les rendront franches de port. Je vous prie de mettre au dos de la lettre de voiture qui vous sera présentée, le reçu en forme. J'aurais été doublement flatté de vous aller voir et de vous faire moi-même cette offrande, mais ce bien sensible plaisir pour moi n'est que différé. Recevez, je vous prie, mes voeux, que la personne qui me représentera, se chargera de vous faire agréer, et qui arrivera près de vous le 27 novembre, pour faire l'ouverture des caisses.

J'ose croire, Messieurs, que ce nouvel hommage ne sera pas moins accueilli que celui du modèle de Bastille ; l'un nous représente l'anéantissement d'un monument que le despotisme avait consacré à la tyrannie, l'autre peut servir avec les leçons que les jeunes citoyens puiseront dans vos vertus, dans votre patriotisme, à leur rappeler le souvenir des Bastilles que nous avons renversées, et à les maintenir dans le respect dû à notre Constitution.

En saisissant cette occasion, Messieurs, de vous exprimer mon attachement inviolable, je vous supplie de bien vouloir être l'organe de mes sentiments envers MM. nos frères d'armes composant les districts et cantons de votre département, de qui j'ai reçu les marques les plus sincères de leur haute estime et de leur amitié fraternelle lors de la Fédération, les assurer que mon extrême sensibilité et ma reconnaissance égaleront les sentiments respectueux qu'ils m'ont tous inspirés, et leur faire mes excuses si je ne leur fais pas l'envoi de quelques vestiges. Je m'en acquitte en vous les adressant, comme étant le principal corps des dépôts du département. Cependant j'annonce à mes frères d'armes qui composent chaque district, que je leur fais l'envoi d'une pierre des cachots, dans laquelle sera encadré le plan de la Bastille et qu'ils recevront incessamment, pour être déposée dans la salle de conseil, afin que les municipalités des cantons aient la jouissance de voir l'image de notre liberté. Je vous préviens, Messieurs, que je leur ai mandé de se rendre à votre assemblée pour assister à la réception, s'il leur est possible, et prendre communication des objets dont j'ai l'honneur de vous faire hommage. Cette marque d'intimité de votre part les flattera infiniment ; ils la regarderont comme une récompense de leur patriotisme.

Vos lumières, votre justice, vos travaux patriotiques vous ont mérité, Messieurs, les places qu'on ne pouvait plus justement vous offrir, et font mieux vos éloges que tout ce que je pourrais vous dire. Je me borne à vous supplier de trouver ici l'assurance de l'admiration et du respect avec lesquels,
J'ai l'honneur d'être, etc."


Les caisses arrivèrent à Angers le 11 novembre, et la cérémonie de la réception du modèle de la Bastille eut lieu le 27 du même mois, dans la salle électorale (ancienne église abbatiale de Saint-Aubin).


Voici le procès-verbal de la fête, rédigé par le conseil général du département de Maine-et-Loire :

"Le Conseil d'administration, assemblé extraordinairement en la salle destinée à ses séances, présidé par M. Blondé, président, et où assistaient MM. les administrateurs, en présence de M. le procureur général syndic, s'est rendu en la salle électorale du département, lieu indiqué aux compagnies invitées, pour être présents à l'ouverture des caisses contenant le modèle de la Bastille et différentes pièces patriotiques, que le sieur Palloy, architecte à Paris, et entrepreneur de la démolition de la Bastille, avait annoncées par sa lettre du 2 de ce mois, et qui sont arrivées le 11 suivant.

MM. les commissaires nommés à la levée de la séance d'hier matin, ont reçu et fait placer MM. les administrateurs du district, MM. les officiers de la municipalité, MM. les juges du tribunal de district, et MM. de la garde nationale, ayant à leur tête la musique militaire.

Lorsque ces différentes compagnies ont eu pris séance, à la droite et à la gauche du Conseil général du département, il a été donné des ordres de laisser les portes libres, et alors un grand nombre de citoyens sont entrés et se sont placés sur les gradins des extrémités de la salle.

M. le président et M. le procureur général syndic ont successivement pris la parole.

Ces deux discours ont eu les plus grands applaudissements, et pendant que la musique militaire se faisait entendre, il a été procédé à l'ouverture des trois caisses, en présence des compagnies et de tous les spectateurs.
Dans la première, peinte en bleu, s'est trouvé le modèle de la Bastille, sain et entier, qui a été déposé sur une table, à la vue de toute l'assemblée.

Dans la seconde, se sont trouvés le plateau en bois peint destiné à déposer le modèle de la Bastille, et une dalle de pierre tirée des cachots, sur laquelle est gravée l'empreinte du roi et quelques inscriptions.

Dans la troisième, étaient enfermés : 1° un plan de la forteresse de la Bastille et ses accessoires, un boulet, une cuirasse et une calotte de fer ; 2° une description exacte de la Bastille, avec des certificats y annexés ; 3° un tableau représentant le tombeau sous lequel reposent les victimes trouvées mortes dans les cachots, et les procès-verbaux qui y sont relatifs ; 4° le tableau d'un projet de pyramide pour être placé à Nancy ; 5° les hommages rendus à l'Assemblée Nationale et son bouquet donné le 14 juillet ; 6° le bouquet du roi pour le jour de sa fête ; 7° trois volumes des procès-verbaux des électeurs de Paris, faits pendant les jours désastreux et présentés par eux à l'Assemblée Nationale et au roi ; 8° un tableau représentant le roi couronné ; 9° l'Histoire de la Bastille par M. Dussault, avec la Vie de M. de la Tude.

Toutes ces pièces ayant été successivement exposées à la vue des citoyens, tous, par des acclamations réitérées, soutenues par des fanfares, ont témoigné la plus grande satisfaction.

M. le maire et plusieurs citoyens ont fait différentes pétitions et observations relatives aux circonstances et tendantes à ordonner une fête patriotique, pour manifester leur joie sur cet agréable évènement.

M. le président, en répondant à toutes les pétitions, a assuré que le département prendrait en la plus grande considération tout ce qui pourrait tendre à l'avantage et à la satisfaction des citoyens de la ville et de tous les administrés de ce département.

M. le président a levé la séance de la salle électorale, et après que le concours des citoyens a eu joui du spectacle et de l'examen des objets qu'on venait d'exposer à sa vue, ils ont été transportés dans la salle du département, pour y être déposés avec la bannière."

 

Angers z

 

Il nous reste à donner les discours prononcés en cette circonstance et annoncés par le procès-verbal.

Voici comment s'exprima M. Blondé, président du département :

"Messieurs,

Il est sans cesse présent à votre esprit ce jour à jamais mémorable, où se préparaient les grands évènements qui font la destinée des nations, où l'on voyait encore au matin cette redoutable forteresse, affreux séjour des malheureuses victimes dont les gémissements retentissent encore dans le fond de nos coeurs ... ce jour dont le midi fut si glorieux, par la conquête de cet invincible boulevard, monument de vengeance et de cruauté ... ce jour enfin dont le soir fut si beau, où l'on vit paraître la liberté s'approcher du trône, d'une main le soutenir, étendre l'autre sur l'empire français. Fixons-la, Messieurs, cette précieuse liberté, par une entière soumission, l'obéissance la plus absolue aux lois, et le plus profond respect à toutes les autorités légitimes ; croyons que la plus légère licence est un outrage qui la fait fuir.

Pour fixer les regards des siècles à venir sur cette heureuse époque de notre bonheur, M. Palloy, chargé de faire disparaître cet antique édifice, a tiré de ces tristes décombres diverses pièces sur lesquelles ont été imprimés le portrait du roi et le sceau de la patrie, qui rendent si précieux le don et l'hommage qu'on en fait au département.

Ce sont des motifs si chers à des coeurs patriotiques qui nous ont portés à donner à cette cérémonie l'éclat et la dignité que mérite un si grand objet.

Nous vous avons invités à cette auguste assemblée, généreux citoyens, placés dans les différents corps administratifs par la confiance à laquelle vous répondez si dignement, par le plus entier dévouement à la chose publique, en vous oubliant vous-mêmes.

Et vous, arbitres de nos fortunes, que votre présence nous est chère ! Qu'on aime à voir ceux sur lesquels reposent avec une sécurité fondée sur le plus heureux choix, l'ordre, la conservation des propriétés et la sûreté de nos personnes ! ... Braves citoyens guerriers, vous donnez un grand éclat à cette fête, en y répandant les rayons de la gloire dont vous vous êtes couverts dans la belle et courageuse défense de vos foyers. Vous aussi, citoyens de tous les états, chers à la patrie, que son amour pour elle a conduits parmi nous, réunissez vos voix aux nôtres pour célébrer le patriotisme des Français, l'amour et la fidélité pour leur roi."

Le procureur général syndic, Pierre-Marie Delaunay, prononça le discours suivant :

"Messieurs,

Il n'existe donc plus ce monument des fureurs du despotisme, cet antre odieux où la puissance des grands précipitait les victimes malheureuses de la haine et de l'intrigue.

Le génie tutélaire des Français a dit : "Que ce repaire affreux des vengeances humaines ne soit plus ! et la Bastille s'est écroulée.

Des citoyens patriotes se sont avancés au travers de mille morts. Bientôt le talisman fatal qui tenait la liberté des Français enchaînée, est tombé sous les coups des Vainqueurs de la Bastille.

Cette orgueilleuse forteresse n'est plus qu'un monceau de ruines. Son nom serait déjà ignoré, si le 14 juillet n'était un jour mémorable pour nous et consacré à jamais dans les fastes de notre histoire. Un Français vertueux a cru que les bannières de la liberté devaient planer sur ses décombres. Des artistes ont saisi son idée avec la rapidité de l'éclair. Quatre-vingt-trois Bastilles retracent aujourd'hui le souvenir de celle qui était l'ouvrage des ministres despotes.

Vous avez devant vous, Messieurs, le modèle du tombeau des bons citoyens persécutés. Qu'il vous rappelle sans cesse ce qu'était l'homme sous l'ancien régime et ce que vous devez aux mânes de vos frères qui se sont sacrifiés pour vous rendre libres.

Fixez vos regards sur ces dalles, seuls témoins des plaintes de l'innocence opprimée et des gémissements du désespoir. Elles seraient à vos yeux des objets d'horreur, si elles n'étaient purifiées par l'empreinte d'un monarque, votre père et votre ami.

Que votre réunion dans cet auguste sanctuaire, consacré à l'élection de vos administrateurs et de vos juges, annonce aux mauvais citoyens quelle est notre force. Montrez-leur ces monuments de la Bastille, destinés à graver le civisme dans tous les coeurs. Ils pâliront à leur aspect et ils frémiront de leur rage impuissante.

Vos bras sont armés, citoyens soldats, pour la défense de la Constitution. Vos frères ont péri sous les murs de Nancy pour la maintenir. Jurez sur ces monuments de périr à votre tour, plutôt que d'y laisser porter la moindre atteinte.

Dépositaires de votre Bannière, nous le serons de ces gages sacrés du patriotisme, et pour cet effet, je requiers qu'ils soient déposés au département."

Telle fut la dernière fête patriotique de l'année 1790 en Maine-et-Loire. Aussi bien ce même jour, 27 novembre 1790, l'Assemblée Nationale votait le fameux décret obligeant tous les ecclésiastiques fonctionnaires publics à jurer la constitution civile du clergé. A partir du jour où le roi sanctionna ce décret (26 décembre 1790), l'union cessa d'exister dans les esprits comme dans les coeurs.


F. UZUREAU
Annales historiques de la révolution française - Tome treizième - Janvier-Décembre 1918

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