CHIRAC (16) - LIMOGES (87) - FRANÇOIS RAMPNOUX DU VIGNAUD, DIACRE, EXÉCUTÉ POUR CRIME DE CHANSON CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE
Fils de Jean Rampnoux, sieur du Vignaud, Bourgeois, et de Marie Defuas, Jean-François est né à Chirac, au Mas du Bost, le 20 janvier 1764.
Il fut ordonné diacre à Limoges, le 3 avril 1790, à la dernière ordination que fit dans cette ville Mgr d'Argentré, mais plus tard il se rendit à Paris, près de lui, pour recevoir la prêtrise, comme le firent quelques autres diacres.
La tradition nous apprend qu'on "parlait de lui comme d'un ecclésiastique spirituel, un peu caustique, faisant des vers. Il avait même chansonné les travers de quelques hommes du temps, ce qui ne lui fut jamais pardonné.
L'abbé Rempnoux fut arrêté par ordre du Comité de surveillance et accusé d'avoir composé une chanson qui tendait à avilir la représentation nationale. Son exécution eut lieu le 5 décembre au milieu des manifestations les plus ignobles, dont se faisaient un jeu les clubistes de Limoges. C'est à eux seuls que nous en empruntons le récit que l'on va lire :
"Société populaire de Limoges - Séance du 9 frimaire an II (29 novembre 1793)
Lecture d'une lettre d'Imbert, commissaire envoyé à Tulle pour surveiller le transport des gens suspects de ce département dans celui de la Corrèze, par laquelle il donne le détail de la réception que les sans-culottes de Tulle ont faite à ce convoi. Il invite le Comité de surveillance à préparer une pareille réception aux gens suspects du département de la Corrèze, qui doivent arriver incessamment en cette ville. La Société arrête que le Tribunal criminel sera invité à juger quelques aristocrates détenus pour que son (sic) exécution coïncide avec l'arrivée de ceux de la Corrèze. Le comité d'instruction publique demeure chargé d'ordonner la cérémonie."
Le Tribunal s'empressa d'obéir à l'ordre de la Société populaire, il condamna à mort l'abbé Rempnoux.
Voici le jugement rendu par le tribunal criminel de Limoges :
Du quinze frimaire l'an 2e de la République française (5 décembre 1793)
Entre l'accusateur public du tribunal criminel du département de la Haute-Vienne, demandeur et accusateur en crime de chanson contre-révolutionnaire.
Contre Jean-François Rampnoux, diacre, prisonnier détenu dans la maison de justice du département, accusé dudit crime.
Vu, etc.
Le tribunal criminel après avoir entendu les deffenses de l'accusé, et les observations de l'accusateur public, déclare :
1° qu'il est constant qu'il a été composé une chanson à la suite d'une lettre adressée à madame Laubicherie (?).
2° Qu'il est constant que cet écrit tendait à avilir la représentation nationale et en provoquer la dissolution, ainsi que le rétablissement de la royauté et l'anéantissement de la liberté.
3° Qu'il est constant que Jean-François Rampnoux est convaincu d'être l'auteur de cet écrit.
4° Qu'il résulte de l'aveu de Rampnoux qu'il a été prendre la messe de d'Argentré, évêque réfractaire de l'ancien diocèse de Limoges, au mépris des principes établis pour lors dans la constitution civile du clergé.
5° Qu'il est constant que Rampnoux a cherché à se soustraire à la loi du recrutement, à laquelle il était soumis, n'étant revenu comme diacre sans fonctions ecclésiastiques.
6° Qu'il résulte pareillement de l'aveu de Rampnoux qu'il n'a pas prêté le serment de l'Egalité et de la Liberté prescrit par le décret de ...
En conséquence, ouï de nouveau l'accusateur public provisoire sur l'application de la peine, condamne le dit Jean-François Rampnoux à la peine de mort, conformément aux dispositions du décret de la Convention nationale du quatre décembre dernier et de la loi du vingt-neuf mars aussi dernier, dont il a été fait lecture ...
Déclarons les biens dudit Rampnoux acquits au profit de la République, conformément à l'article IIe du titre IIe de la loi du 10 mars dernier, dont il a fait lecture ...
Au surplus le tribunal arrête que la chanson dont il a été parlé dans l'acte d'accusation, ne sera pas insérée dans le jugement imprimé, à cause de l'avidité que chaque ennemi de la révolution aurait à la répandre et pour éviter qu'elle n'expose aucun autre citoyen aux peines de la loi.
Ordonne qu'à la diligence de l'accusateur public provisoire le présent jugement sera exécuté dans les vingt-quatre heures sur la place de la Fraternité et affiché partout où besoin sera.
Fait et jugé à Limoges les jour, mois et an que dessus. Signé : J.-J.B. Gonneau, président. Cousin, greffier.
L'organe de cette société populaire rendit compte de la cérémonie dans les termes suivants :
"Journal du Département de la Haute-Vienne, n° XVe du 22 frimaire an II (12 décembre 1793).
Parmi les différentes journées que le peuple de cette commune a consacrées à confondre l'aristocratie et à extirper les erreurs sacerdotales, celle du 15 frimaire doit être distinguée ; elle est remarquable par sa "piquante singularité".
On attendait depuis quelques jours les hommes suspects de la Corrèze dont l'échange avait déjà été arrêté. L'on fut enfin instruit qu'ils devaient arriver le 15. Les sans-culottes de Limoges crurent qu'il convenait de leur donner une "scène intéressante" et de se montrer dignes de l'idée qu'on avait conçue de leur républicanisme. Une affluence de peuple se porta dans le temple de la Raison (l'église de Saint-Michel-des-Lions), pour délibérer sur le mode de réception. On convint généralement que l'on ne pouvait mieux les recevoir qu'en repaissant leurs yeux de tout ce qui faisait "le beau" de l'ancien régime, de tous ces objets pour lesquels ils avaient marqué un attachement si vif et si soutenu.
En conséquence, les uns endossèrent des chapes et des chasubles, les autres des robes de conseillers, d'avocats et de procureurs. Quelques-uns s'étaient métamorphosés en pénitents. Plusieurs avaient préféré le costume des carmes et des nonnes. On voyait à la porte du temple un bouc qui devait traîner les titres de la féodalité et de la superstition, et un âne mitré sur lequel devait monter un prêtre. Ils semblaient être impatients de remplir leur tâche patriotique.
D'un autre côté, on voyait construire un sarcophage représentant la destruction du royalisme, du fanatisme, etc. Tout ayant été disposé, on est parti du temple de la Raison pour aller sur la route de Tulle (faubourg du Pont-Saint-Martial), au-devant du cortège. A son approche, tout a pris figure. On a ouvert la marche. Un détachement de la garde nationale allait en avant ; après lui venaient les pénitents, qui encensaient de vaines idoles, au milieu desquelles était un âne, monté par un prêtre. Ce dernier était placé à rebours ; il tenait à l'une de ses mains une patène et de l'autre un purificatoire ... Venait ensuite un évêque qui marchait à pas lents et donnait à chaque instant la bénédiction au peuple. Il était suivi du roi Cochon ; c'en était un véritable, à la tête duquel on avait mis une couronne et que l'on avait chamaré de cordons et de crachats. Il portait cette inscription : Je suis le roi Cochon. Un second cochon, attaché, comme le premier, à une pique, représentait le pape ; sa triple couronne était renversée ; il était revêtu de ses habits pontificaux, et on lisait sur son ventre cette inscription : Ego sum papa. Après le pape, on voyait quatre sans-culottes porter un grand sarcophage, sur lequel on lisait ces mots : Royalisme, féodalité, fanatisme, égoïsme, fédéralisme. utour de lui, des sons lugubres se faisaient entendre ; des hommes, les cheveux épars et en habits de deuil, se lamentaient et faisaient retentir les airs de leurs gémissements. Une foule de sans-culottes suivait de près, en chantant : Requiescant in pace. La déesse de la Raison, accompagnée du président de la Société populaire, venait après en chantant des hymnes patriotiques. La marche était fermée par douze chariots de la mauvaise marchandise de Tulle. La procession a fait dans cet ordre le tour et la traversée de la ville et s'est rendue sur la place de la Fraternité. Là on a vu dame Guillotine disposée à expédier un prêtre fanatique. On a rangé les aristocrates autour d'elle, et l'exécution a eu lieu. On a ensuite terminé la cérémonie en brûlant le sarcophage et les dépouilles des églises, au milieu des cris de Vive la République !"
Il est bon de citer ici les réflexions suivantes sur cette mascarade sacrilège :
"Le supplice de l'abbé Rempnoux s'est perdu dans le nombre des crimes de la Révolution ; il est cependant un des plus iniques, des plus atroces, à cause des circonstances qui le précédèrent. Chose triste à dire. Il se trouvait dans cette honteuse mascarade qui assista à l'exécution du prêtre, des hommes qui ont été honorés plus tard, et qui peut-être, hélas ! ont été vraiment honorables. Ont-ils pu oublier, dans les positions éminentes qu'ils ont occupées la complicité qu'ils eurent dans cette profanation de toutes les choses saintes ? Dieu seul le sait ; mais ce qui a pu frapper tous ceux qui les ont connus ; c'est que, à mesure qu'ils se sont élevés, ils ont voulu faire honorer en eux les caractères sacrés qu'ils avaient si solennellement bafoués. Le peuple, qui garde si bien la mémoire des fautes, s'est souvent étonné de voir quelques-uns de ceux qui avaient participé à ces actes abominables, si bien récompensés ; il l'a exprimé parfois d'une façon bien sanglante ; et, plus sévère que les fils des victimes de la Révolution, il n'a jamais accordé son respect ou sa confiance à ses compagnons de débauches politiques". (Journal La Province, du 20 novembre 1849).
Une inscription gravée sur une plaque de marbre a été posée dans l'église d'Eymoutiers pour conserver son souvenir et celui des autres prêtres guillotinés à Limoges ; mais cette inscription est incomplète et renferme quelques inexactitudes. Voici comment elle doit être rectifiée, d'après les documents originaux, actes de baptême, jugements du tribunal, actes mortuaires :
Histoire de l'Eglise & de la paroisse de Saint-Michel-des-Lions, à Limoges - par l'abbé A. Lecler - 1920
Le Tribunal criminel de Limoges sous la Convention - par l'abbé A. Lecler - 1918
AD16 - Registres paroissiaux de Chirac
AD87 - Registres d'état-civil de Limoges