BEAUFOU (85) - 1705 - LA PAROISSE DU SACRÉ-COEUR
BEAUFOU
LE SACRÉ-COEUR DE JÉSUS
Dans la contrée du Bas-Poitou qui avoisine la Sèvre et s'appelle maintenant le marais et le bocage religieux de la Vendée, la dévotion au Sacré-Coeur de Jésus fut en grand honneur pendant le cours du XVIIe siècle. Mais, nulle part, ce culte d'amour ne brilla avec plus d'éclat et ne fut pratiqué avec un zèle de plus en plus fervent que dans une petite paroisse appelée, en ce temps-là, comme aujourd'hui : Notre-Dame de l'Annonciation, Beaufou.
Cette paroisse située à environ quinze lieues de la grande mer, sur le canton du Poiré, à cinq lieues du chef-lieu du département, s'étend entre deux plus grandes paroisses, sur une langue de terre de plus de lieues et demie de longueur sur à peine une lieu de largeur. Terrain plat qui retient l'écoulement des eaux et rend, pendant l'hiver les chemins impraticables. Sol ingrat, couvert de bois et de bruyères. Culture des plus pénibles. La population qui s'élevait à peine à un millier de personnes, était disséminée dans un grand nombre de hameaux ou petits villages.
L'église petite, très ancienne, plantée dans le cimetière presque au milieu de la paroisse, était entourée de quelques maisons formant un tout petit bourg. Quelques familles notables, plusieurs petits propriétaires possédèrent tout ce territoire. L'immense majorité des habitants était à leur service comme colons ou à d'autres titres.
Ce petit peuple, froid de caractère comme le sol qui lui fournissait son pain, était chrétien dans toute la force du nom, sous ses gros vêtements de laine, sous ses toits couverts de chaume, il cachait une foi vive, ardente qui jamais ne se démentit ; on à pu dire de lui que : son code de lois, c'était l'évangile ; sa règle de conduite, les commandements de Dieu et de l'Église. C'est ainsi qu'il mérite de porter cette immortelle devise : PEUPLE FIDÈLE A SA FOI. Les habitants de la contrée lui donnaient encore deux autres noms dont il sera parlé : PETIT PEUPLE DE MARIE et LA PAROISSE DU SACRÉ-COEUR.
Ce petit peuple avait dû de conserver sa religion à plusieurs circonstances favorables. Au service de maîtres religieux et attachés à leurs demeures, ces gens de travail vivaient et mouraient au lieu qui les avait vu naître. Ils aimaient leur clocher ; ils respectaient leur cimetière où dormaient leurs ancêtres ; ils vénéraient leur église dans laquelle ils avaient reçu le saint baptême, fait leur première communion, reçu le sacrement de mariage, participé à tant de grâces et de joies saintes. Ils chérissaient leur paroisse dont ils ne s'éloignaient qu'en pleurant.
On a toujours remarqué que les peuples les plus fidèles à s'affectionner (sic) à leur paroisse ont toujours été les plus fermes dans la pratique de la religion.
Une vieille légende rapporte que c'est chez ce petit peuple, dans cette pauvre paroisse de bocage, que pour la première fois, en ces contrées, on a invoqué le coeur Sacré de Jésus ; qu'une première pensée d'amour s'est élevée vers ce coeur adorable. C'est dans son antique église qu'on a vu la première image du Divin Coeur, et qu'on la porté ostensiblement sur la poitrine.
Vers l'an 1705, le curé de la paroisse, enflammé du plus grand zèle pour faire aimer notre Seigneur dans le Sacrement de l'Eucharistie, ayant pris, on ne sait comment, connaissance des saintes révélations faites à la bienheureuse Marguerite-Marie à la Coque, à Paray-le-Monial, le sentit fortement inspiré de mettre dans le coeur de tous ses paroissiens l'amour du coeur adorable de Jésus. Son zèle fut récompensé au-delà de toutes ses espérances. Les paroissiens s'éprirent d'une incroyable dévotion pour le Sacré-Coeur. Visiter sa Sainte Image exposée sur l'autel de la Sainte-Vierge Marie dans la vieille chapelle qui existe encore ; invoquer fréquemment le Divin Coeur par cette sainte prière si connue : Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous ; porter la sainte image sur son propre coeur, devinrent en peu de temps la pratique universelle.
Le bien a sa contagion comme le mal. La si tendre dévotion des gens de Beaufou pour le Sacré-Coeur gagna rapidement les paroisses environnantes qui, après, la communiquèrent à d'autres plus éloignées. En moins de vingt ans, toute la contrée, longeant la mer jusqu'à la Loire, fut dévouée au Sacré-Coeur de Jésus.
Des évènements, quoique toujours désastreux, vinrent, à cette époque donner un nouvel aliment à la dévotion déjà si grande des habitants de Beaufou et les affermir à tout jamais dans l'amour du Coeur adorable de Jésus.
Voici à quelle occasion :
Trois maisons de nobles avaient en leur possession la plus grande partie de la paroisse. Le plus riche des gentilshommes portaient le nom de Seigneur de Beaufou. C'était un homme bon, compatissant, foncièrement pieux, son ambition était de rendre heureux tous ceux qui vivaient sous sa dépendance. Non content de faire le bien chez lui, il sut inspirer les mêmes idées de bienfaisance à ses amis. De la sorte, la paroisse tout entière ne semblait être qu'une seule famille vivant en paix et dans l'aisance.
Les affaires ne se faisaient pas partout de la même manière. Le Seigneur de St-Etienne, entr'autres, à qui appartenait le manoir de la Roche-Guerry, était un homme dur et sans la crainte de Dieu. Il ne connaissait pour loi que sa volonté et la force de son bras. Il mettait sa gloire à se faire craindre. Aussi ses terranciers le craignaient-ils fortement ; ils ne l'aimaient point. Comparant leur sort à celui de leurs voisins, ils s'abandonnaient aux murmures et à des résistances qui amenaient des troubles et toujours de plus grandes misères.
Le vilain seigneur n'ignorait point les sentiments haineux de son peuple ; mais au lieu d'y apporter le seul remède possible et qui était en son pouvoir, il se prit d'une grande jalousie contre son voisin le Seigneur de Beaufou. Il le prit en grande haine et jura de se venger sur lui du mauvais état de ses propres affaires.
Chose semblable se passait au chef-lieu du district du Poiré. Le Seigneur, maître du château de Pont-de-Vie était un homme très vicieux, livré aux plus vilaines passions. Ne cherchant qu'à satisfaire ses seuls plaisirs, il tenait son pauvre monde et leur rendait la vie tout-à-fait misérable. Il n'était point aimé et l'on ne se gênait point pour dire qu'on voudrait appartenir au Seigneur de Beaufou. Le châtelain de Pont-de-Vie furieux de se voir si détesté entra dans une sourde colère contre les gens de Beaufou, surtout contre le Seigneur, et il jura aussi à sa manière d'en tirer vengeance. Mais comme il n'était point guerrier et très lâche, il fit alliance avec le Seigneur de Saint-Etienne et ils complotèrent d'unir leurs forces pour s'emparer de la paroisse de Beaufou, et de se la partager entr'eux.
En ces temps-là, il était permis aux Seigneurs de se faire mutuellement la guerre.
La nouvelle de ce perfide complot répandit la désolation dans toute la paroisse de Beaufou. Cela se comprend aisément. Seule à lutter contre deux puissantes paroisses, elle était humainement parlant, tout-à-fait perdue. La douleur de ces pauvres gens devint de la consternation. La peur les jetait déjà dans le désespoir, quand un secours inespéré leur vint du Ciel. Le coeur de Jésus était là !
Le dimanche suivant, le vieux curé rassemble tout son monde dans l'église. Il leur montra en pleurant la sainte image du Coeur de Jésus. Il releva quelque peu les courages en parlant des grandes bontés du Divin Sauveur. Il pria, il fit prier, il fit pleurer. Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous, criaient bien fort ces pauvres gens ! Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous !
Alors cédant à une salutaire pensée, les Seigneur de la paroisse, les notables, tous les chefs de famille convinrent ensemble de faire un voeu au Sacré-Coeur pour s'assurer efficacement de sa puissante protection.
Le jour de Noël qui se fêtait deux jours après, la paroisse, au grand complet, se consacra et se voua solennellement au Sacré-Coeur de Jésus et fit voeu de porter, à l'avenir, le nom de paroisse du Sacré-Coeur, si elle était délivrée de ses perfides ennemis.
Ce fut une scène des plus touchantes. Le vieux curé à genoux devant l'autel, entouré de tout son petit peuple aussi à genoux ... (illisible) tous au Coeur adorable du Bon Dieu, au milieu du silence interrompu seulement par les gémissements. On pleurait. On se lamentait. On criait : Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous : Doux Coeur de Jésus, sauvez vos enfants ! Les hommes sanglotaient. Les femmes tendaient les bras vers la sainte image. C'était pitié à voir ! répétait un vieux des anciens temps, après l'avoir entendu répéter lui-même à de plus ancien que lui.
Le Coeur adorable de Jésus, si pieusement invoqué, eut, en effet, grande pitié de son petit peuple, et le délivra puissamment des méchants ennemis, comme on va le voir.
Quelques jours plus tard, un matin, un homme de Saint-Etienne accourt en disant que le marquis Seigneur de Saint-Etienne arrivait à la tête d'une bande pour surprendre le bourg et le saccager. Il n'y avait pas une minute à perdre pour se sauver. Le châtelain du bourg ramasse à la hâte une vingtaine d'hommes et court s'embarquer sur les bords d'un sentier étroit par lequel le marquis devait passer.
Le marquis y arriva bientôt avec sa bande ; mais dès que les gars de Beaufou les virent entrer dans ce chemin étroit et profond, ils poussèrent ensemble un grand cri : Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous ! Puis, ils tirèrent des coups de fusils, mais comme ils étaient bien bons, ils tirèrent en l'air pour ne pas faire de mal aux pauvres hommes de Saint-Etienne qui étaient venus là bien malgré eux. A ce bruit, toute la bande se prit à avoir peur, ou fit semblant d'être épouvantée. Ces hommes-là tournent aussi la tête et s'en retournent au galop à travers les prés et les champs dans leurs villages. Il n'en restes pas guère, dit la légende avec le méchant Seigneur qui voulait tenir bon quand même. Mais les gars de Beaufou, sautant dans le chemin creux, le mirent en fuite aussi lui, lui faisant presser le pas en le menaçant de le percer avec les fourches dont quelques-uns étaient armés. On raconte que ce méchant Seigneur était en grande colère contre les gens qui l'avaient abandonné et qu'il jurait de gros mots. Mais les gars de Beaufou ne lui donnèrent point de répit et ils le poussèrent gaillardement jusque dans son château où ils l'enfermaient tout écumant de rage. Alors les hommes de Beaufou jetèrent tout un tas de pierre contre la porte ; brisèrent les vitres à coups de fusils ; puis ils lui firent des grimaces et s'en retournèrent bien contents au bourg où ils trouvèrent les autres personnes dans l'église à prier le doux Coeur de Jésus et réciter leur chapelet.
La prière du chapelet, c'était, en ces bons vieux temps, les armes de tous ceux qui n'en avaient pas d'autres.
Cette première aventure fut la cause d'une grande joie dans toute la paroisse qui se voyait délivrée si promptement d'un grand ennemi qui, en effet, ne revint plus jamais l'inquiéter ni la troubler. Cette petite victoire ne leur avait pas coûté beaucoup d'efforts, mais ce qui enflammait merveilleusement leur courage c'était la protection visible du Coeur adorable de Jésus. Aussi, ils ne furent point ingrats. Ils rendirent au Divin Coeur les plus solennelles actions de grâces et continuèrent à lui adresser les plus grandes supplications afin d'obtenir leur entière délivrance ; car, ils voyaient menacer de bien plus grands périls encore.
La paroisse du Poiré, grande, populaire, enveloppant la paroisse de Beaufou dans toute sa longueur, semblait n'avoir qu'un pas à faire pour s'en emparer. Quelle résistance, d'ailleurs, ce petit peuple pouvait-il opposer à ces masses d'hommes débordant de plusieurs côtés à la fois ?
Aussi, à la joie de la victoire, succédèrent immédiatement les tressaillements de la crainte la plus grande. Il y avait sujet de beaucoup trembler. Le Seigneur de Pont-de-Vie n'était point guerrier ; mais il avait un coeur de bête fauve. On ne pouvait donc rien en attendre de bon. On n'était point non plus trop rassurer sur les dispositions de ses gens qui, par lâcheté ou d'autres caprices, pouvaient faire bien du mal.
Mais, le Bon Dieu permit encore que les choses tournassent pour le mieux pour son petit peuple.
Au lieu de faire irruption sur plusieurs endroits à la fois, le Seigneur de Pont-de-Vie mena tout son peuple à la prise du bourg. La rencontre se fit dans de vastes landes qui s'étendent en deçà du petit logis de la Caunière. La petite troupe de Beaufou ne paraissait guère qu'une poignée d'hommes en face des grandes bandes du Poiré qui pouvaient facilement les cerner de tous côtés et les prendre comme oiseaux en cage.
A cette vue, s'écrie le Seigneur du bourg, nous sommes bien perdus si le Bon Dieu ne nous vient pas en aide.
En entendant ces paroles, la petite troupe se met à genoux, prend son chapelet, fait un grand signe de croix, et d'une commune voix mêlée de sanglots, crie bien haut : Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous. Ste Bonne Vierge Marie, sauvez-nous !
Au même moment, le bon homme curé qui était là revêtu de ses vêtements de prêtre, comme à l'église, s'approche les hommes du Poiré, serrant dans sa main une petite croix. Arrivé tout auprès, de la main leur montrant les paroissiens à genoux et qui tous portaient un coeur sur la poitrine, il leur dit bien fort : Chrétien du Poiré, nos frères, tirez, si vous l'osez, sur le Coeur de Jésus, sur le Coeur du Bon Dieu !
A ces mots, les gens du Poiré, tout honteux de la besogne qu'on leur faisait faire, répondent tous à la fois : Pas vrai ! jamais ... Vive le Coeur de Jésus ! Vive le Coeur de Jésus !
Puis, mettant leurs armes sur leurs épaules, ils s'en retournent gaillardement dans leurs villages, en criant par-ci par-là : Vive le Coeur de Jésus !
Le châtelain de Pont-de-Vie, se voyant seul, entra dans une furieuse colère, et se jetant sur le bon homme curé, il essaya de le tuer en le pressant à la gorge. Mais, voilà que les gars de Beaufou accourent, ils délivrent bien vite leur prêtre des mains de ce scélérat ; ils le prennent et l'entraînent à coups de poings dans le bourg ; et ils le renferment dans un souterrain. Il y passa une nuit et un jour sans feu ni lumière. Il était si fort en colère, il ne voulait ni boire ni manger. A la fin, il cria pitié. Le Seigneur de Beaufou lui fit promettre de ne jamais plus faire de misères aux habitants et pour gage de sa parole, il lui demanda de lui abandonner sur le territoire du Poiré, une étendue de terrains aussi longue que celle qu'il avait fait parcourir à ses bandes en envahissant la paroisse de Beaufou.
Le vilain homme promit tout. Alors, il s'en alla tout honteux en son manoir de Pont-de-Vie, où il mourut dans les excès de la débauche. Les terranciers ne le pleurèrent point du tout. Au contraire, ils se prirent à rire le jour de son enterrement.
Ainsi fini cette petite guerre qui pouvait avoir pour la paroisse de Beaufou les conséquences les plus déplorables, mais qui fut, au contraire, le coeur de son bonheur et de la grande renommée qu'elle a eue, bien longtemps, dans tout le pays.
Ces succès si heureux, si inespérés, elle les devait à sa dévotion, à sa confiance au Coeur de Jésus. Au Coeur de Jésus, elle en renvoya fidèlement toute la gloire. A dater de cette époque, l'amour de ces bonnes gens pour le Coeur adorable du Sauveur ne connut plus de bornes, et l'on put dire d'eux tous : que le Coeur de Jésus était leur tout.
Ils s'étaient voués à ce Divin Coeur ; ils prirent leur consécration à la lettre. Ils firent profession publique de l'honorer, de le faire honorer ; de l'aimer, de le faire aimer partout et partout ainsi qu'il était en leur pouvoir. Tout fiers de porter le nom de paroisse du Sacré Coeur ; ils s'en firent un titre de gloire. Mais ce qui leur fut encore bien plus profitable, c'est qu'ils surent porter dignement ce beau nom par leur conduite chrétienne.
Il fut décrété et promis solennellement en levant la main vers le ciel, que tous les habitants de la paroisse, sans exception d'âge, de sexe et de condition :
1° qu'ils observeraient fidèlement les commandements du bien et de l'église ;
2° qu'ils porteraient nuit et jour sur la poitrine une image du Sacré-Coeur ;
3° que les petits enfants aussitôt leur baptême seraient voués à la Sainte Bonne Vierge Marie et au Sacré Coeur, et recevraient au même moment sur leur petit coeur naissant l'image du Coeur de Jésus ;
4° que matin et soir, à la fin de la prière, tous diraient la pieuse invocation : Doux Coeur de Jésus, ayez pitié de nous ; invocation qui devrait être redite dans tous les périls et divers besoins de la vie ;
5° que dans toutes les maisons, il y aurait à côté de la croix, avec l'image de la Sainte Bonne Vierge Marie, une image du Coeur de Jésus ;
6° que les hommes, quand ils iraient en voyage, répondraient à ceux qui demanderaient leur domicile ; nous sommes de la paroisse du Sacré Coeur.
Ces promesses furent religieusement observées par tous ceux qui les firent, et longtemps encore après eux par leurs descendants.
Histoires et légendes pieuses - Cahier de 2 mains de papier, 117 p. - AD85 1 Num 396/2 - vues 31 à 35