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La Maraîchine Normande
10 décembre 2017

LA GENEVRAYE (61) - MARIE-LOUIS-ACHILLE PERIER, COMTE DE LA GENEVRAYE, DIT NEZ-DE-CUIR (1787 - 1853)

 

Genevraye château z

MARIE-LOUIS-ACHILLE PERIER, COMTE DE LA GENEVRAYE, Conseiller général de l'Orne, chevalier de la Légion d'honneur, né le 7 août 1787, à la Genevraye, arrondissement d'Argentan, fils de François-Charles-Guillaume Perier, seigneur de la Genevraye, capitaine au Régiment du Colonel-Général des dragons, chevalier de Saint-Louis, et de Marie-Madeleine-Marguerite de Guéroud de Freuville, est mort, en son château de La Genevraye, le 30 juillet 1853.

PERRIER BAPTEME z

 

Le 8 mai 1813, le comte de la Genevraye entra comme simple cavalier au premier régiment des gardes d'honneur ; il y fut nommé maréchal des logis le 15 mai 1813, maréchal des logis chef le 4 août 1813, lieutenant en second le 16 octobre 1813 et chevalier de la Légion d'honneur à la bataille de Montmirail, le 9 février 1814, nomination ratifiée par décret impérial du 19 du même mois.

 

Montmirail 1814 z

 

Il prit part à la campagne de 1814 en qualité d'adjudant-major des gardes d'honneur et reçut de graves blessures lors d'une brillante charge de son régiment à la bataille de Reims (13 mars) ainsi que nous le voyons dans un certificat délivré par Navier, médecin et chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu de Reims. Voici en effet l'énumération des blessures constatées par ces praticiens sur le comte de Genevraye, qui avait été laissé pour mort sur le champ de bataille :

1° Un coup de sabre qui a détaché la joue droite et l'a rabattue sur le menton ;

2° Un coup de sabre qui a enlevé une portion du sourcil droit ;

3° Un coup de sabre qui a totalement emporté le nez, à partir de quelques lignes de sa racine ;

4° un coup de lance sur le sourcil gauche ;

5° Deux coups de lance, l'un à la lèvre supérieure, l'autre dans le flanc gauche ;

6° Un coup de sabre qui a divisé en Y le doit médius de la main gauche dans le tiers inférieur de sa longueur ;

7° Un coup de pistolet, reçu à bout portant, et dont la balle pénétrant un peu au-dessus de l'angle supérieur de l'occipital, a glissé entre les os et le cuir chevelu, pour sortir vers la partie moyenne de la suture sagittale.

A sa sortie de l'hôpital, le 17 août 1814, "il ne lui restait d'autre infirmité que l'absence du nez et l'éraillement de l'oeil droit, les léguments ayant dû se rapprocher en convergeant de toute la circonférence vers le centre de la plaie sur l'angle externe du coroual".

Le comte de la Genevraye ne put prendre possession de l'emploi de lieutenant en premier qui lui avait été conféré par décret du 2 avril 1814, car ses blessures "l'avaient défiguré de telle manière qu'il ne pouvait plus que traîner une existence aussi pénible qu'affreuse".

Cependant, de retour à la Genevraye, il fut nommé maire de sa commune en 1815, conseiller d'arrondissement le 15 août 1821 et conseiller général en 1828. En 1817, retiré comme propriétaire à Argentan, il résidait rue Saint-Martin.

PERIER SIGNATURE z

Destitué en 1830, à la chute de Charles X, on lui confia de nouveau en 1842 le mandat de conseiller général, qu'il remplit jusqu'au moment de son décès.

M. le comte de la Genevraye fut président de la Société des courses d'Argentan et de Nonant et président-fondateur de l'Ecole de dressage de Sées (1850).

 

Perrier décès

 

De Clarisse-Victoire-Adélaïde de LA HAYE, décédée à Argentan le 16 janvier 1823, fille de René-Jacques, écuyer, seigneur du Tertre, et de Jeanne-Henriette Verdier de Lorme, il laisse un fils unique, Victor-Louis-Achille Perier, comte de la Genevraye, dernier du nom, né à Caen, le 2 juillet 1819, membre du Conseil général de l'Orne, a épousé à Babodanges, le 8 avril 1856, Alice-Victorine Debuiis d'Ollebecked, née à Ranchicourt (Pas-de-Calais), le 25 mars 1834, fille de Victor-Edouard-Marie, demeurant en son château de Rabodanges, et de feue Adélaïde-Clémence Aronio de Fontenelle.

Clarisse Delahaye z

Le comte de la Genevraye est mort en son château dudit lieu le 18 mai 1892 et la comtesse, sa femme, le 12 juillet 1899.

De ce mariage était issue une fille unique : Marie-Alice Périer de la Genevraye, née à Paris le 17 mai 1860, qui épousa le 17 juin 1885 à Paris Maurice-Georges De Gasté, né à Lisieux le 16 juin 1859, fils de Paul-Joseph-Céleste de Gasté et de Mathie-Clarisse Dusaussay de Mély. Elle est décédée à Paris le 12 janvier 1899 laissant un fils unique : Hubert-Marie-Joseph de Gasté, né à Paris le 28 mars 1887.

Genevraye haras z

Bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne - 1904 - T23

Archives Nationales - Base Léonore

AD61 - Registres paroissiaux et d'état-civil de La Genevraye


 

Un jugement de la Cour Royale de Caen, du 27 août 1828, nous rapporte les détails de la relation entre Marie-Louis-Achille Perier et Clarisse-Victoire-Adélaïde De La Haye, mère de son enfant :

 

COUR ROYALE DE CAEN (Première Chambre)
Présidence de M. le baron Delhorme, premier président
Audience du 27 août (1828)
(Correspondance particulière)

SÉDUCTION - ENFANT NATUREL.

Une affaire occupait aujourd'hui l'audience de la première chambre de la cour royale. A l'intérêt qu'inspire cette romanesque affaire, se joignait une question grave sur l'étendue et les effets de la puissance paternelle quant aux enfants naturels, aussi le barreau et la salle d'audience étaient-ils encombrés depuis le marin.
Voici les faits tels que les expose l'avocat de la dame veuve Delahaye.

CLARISSE DELAHAYE, née d'une famille recommandable, habitait Argentan avec la dame veuve Delahaye, sa belle-mère et une jeune soeur. Elle eut occasion de connaître le sieur PERIER DE LA GENEVRAYE, membre de la Légion-d'Honneur, et bientôt une cour assidue fut la suite de cette rencontre.

Le sieur Perier aspirait à la main de la jeune Clarisse, et rien ne semblait devoir mettre obstacle à ses projets ; ses visites furent agréées par madame veuve Delahaye. Le sieur Perier en profita pour se rendre maître du coeur de Clarisse, et bientôt l'infortunée n'eut plus rien à refuser à l'homme qu'elle croyait devoir incessamment son époux.

CLARISSE DELAHAYE ne tarda pas à connaître toute l'étendue de son malheur, elle sentit qu'elle allait être mère, son état l'effraya, elle pressa le sieur de la Genevraye d'accomplir sa promesse, de lui conserver l'honneur avec la vie, et toujours de nouveaux délais venaient ajouter à ses nombreux chagrins, elle les déposa dans le sein de sa mère, et chercha à puiser les forces dont elle avait besoin.

Cependant le sieur PERIER affectait toujours le plus tendre attachement, et ses lettres brûlantes d'amour distillaient le plus mortel poison dans le sein de la malheureuse CLARISSE ; c'est ainsi qu'il lui écrivait.

"Impatient de recevoir de tes nouvelles, ma bonne Clarisse, à sept heures du matin j'étais à la poste, demandant mes lettres. Avec quel plaisir j'ai reconnu ton écriture, et avec quelle avidité j'ai parcouru celle que tu m'adressais ? Bien que j'aie éprouvé de la peine de te voir continuellement tracassée par ta mère, et pour moi encore, je n'ai pu m'empêcher de respirer un instant de bonheur, en apprenant que malgré tout, mon bon ange, ma tendre Clarisse m'aimait encore, et voulait bien me l'écrire, dans le moment surtout où l'on veut te faire renoncer à ton malheureux, mais fidèle et sincère ami. Que j'en ai éprouvé de bien ! En dépit de tous nos persécuteurs, je le dis comme je le pense, j'étais au comble de la joie ; mais hélas ! ce moment a été bien court, et il a bientôt fait place aux sentiments les plus tristes. Comment ne les éprouverais-je pas ? Ma Clarisse malheureuse, et malheureuse pour moi. Oh ! qu'il est vrai que j'en éprouve de la peine, et que si mon pauvre coeur pouvait t'être mis à découvert, combien tu serais fâchée de t'y voir avec tes malheureux chagrins et ta douleur. Ne sommes-nous donc réunis que pour nous faire éprouver des désagréments réciproquement ! Mais il est trop tard maintenant pour moi, il m'est impossible de faire un pas rétrograde ; et tant que ma chère Clarisse me dira : Je t'aime, rien au monde ne pourra m'en séparer ; voilà, mon bon ange, et ma profession de foi et l'état de mon coeur tout ensemble. Juge maintenant si l'homme que l'on te peint comme faux, et ne voulant que s'amuser, trace ici son portrait.

Mais mon bon ange, une chose qui m'occupe exclusivement et à laquelle je ne cesse de penser, mon attachement sincère pour toi sera-t-il suffisant pour consoler ma Clarisse de tout ce qu'elle éprouve pour moi ? Le pas est délicat, ma chère amie ; il ne peut y avoir de soulagement à tes peines, que dans le cas où ton attachement pour moi serait au même degré que celui que j'éprouve pour toi ; agis avec prudence, et ne prends pas un parti que tu serais dans le cas de désapprouver trois mois après. Je te l'ai dit dans ma dernière lettre, ma chère petite, s'il ne faut qu'une victime sur nous deux, ne balance pas à me désigner, et ton Achille saura toujours souffrir sans se plaindre lorsque ce sera pour son amie. Dans tous les cas, promets-le moi, Clarisse, quelque parti que tu prennes, agis froidement ; ne fais part de tes projets que lorsque tu le croiras indispensable, et attends pour te confirmer dans une résolution quelconque, que je me sois rendu près de toi ; oui, bien franchement, j'ai la persuasion que tu m'aimes bien, tu sauras prendre une détermination qui accorde ta réputation, tes intérêts et tes affections, et qu'en dépit de tout ce qu'il y a de jaloux de mon bonheur, je pourrai encore répéter à Clarisse, que près d'elle, et sans témoins, je suis le plus heureux des hommes. Ma Clarisse, chère amie, consentirais-tu à ne plus voir un homme qui ne pense et ne respire que pour toi ? Ah ! s'il en était ainsi, aie le courage de me l'écrire, et si tu ne me connais pas encore, tu sauras ce que vaut ton malheureux Achille : écris-moi, ma bonne Clarisse, deux mots seulement s'il en était ainsi ; mais non, je m'abuse, tu n'en aurais pas le courage, et je suis peut-être destiné à mourir de douleur en recevant de toi un adieu éternel ! Tu ne seras pas si cruelle, n'est-ce pas, chère amie ; j'espère encore à ton amitié pour moi, et rêve par moment le bonheur suprême dans tes bras.

Adieu tout ce que j'aime, ma vie, toutes mes affections comme toute ma consolation ; partage un peu le bonheur que j'éprouve à t'assurer que la mort seule pourra me séparer de ma Clarisse ; compte sur ton Achille, ma bonne mère, il t'aime et t'embrasse, il est à toi pour la vie et veut vivre et mourir pour sa Clarisse.

Adieu, ma Clarisse, aime moi un peu, je le mérite, réfléchis à cette lettre et à mes dernières ; ne désespère pas, montre un peu de caractère, nous nous tirerons de là. Je t'embrasse encore, et t'aime toujours."


Jusque-là le sieur PERIER rejetait sur sa mère le retard qu'il apportait à l'accomplissement des plus saintes promesses. Elle seule, en refusant son consentement à ce mariage, s'opposait à sa félicité, et la crédule Clarisse n'osait accuser son coeur. Cependant il semble un peu plus tard vouloir la préparer au coup qu'il destine à sa victime, et c'est alors qu'il lui écrit :

"Enfin, je n'y puis plus tenir, ma bonne Clarisse. Quelle nuit j'ai passée ! Et avec quelle impatience j'attendais le jour pour t'écrire ! Il n'y a plus à remettre, tout doit finir ; j'attends avec anxiété l'arrêt que tu vas prononcer pour ou contre moi ; explique-toi franchement, mon bon ange, ne m'épargne pas, dis-moi ce que tu penses, et que nos dernières relations ; si elles doivent finir aujourd'hui, ressemblent au moins, par la douceur, au commencement de notre correspondance ; quelque peine qu'il m'en coûte, je vais le premier t'en donner l'exemple. Tu connais, ma tendre amie, toute la répugnance que j'ai pour le mariage, sans t'en relater les raisons, elle devient de plus en plus invincible ; après un pareil aveu, je le sens, tu va consentir à tout et peut-être toi-même, vas-tu me dire : Ne revenez plus ici. Ah ! ma chère petite, si vous en aviez le courage, écrivez-le moi, et évitez-moi une scène et une séparation que je n'ai plus la force de supporter".

Clarisse fut étonnée, mais bientôt des protestations nouvelles vinrent rassurer son coeur, la confiance est si douce pour celui qui aime ! ... Le sieur de la Genevraye connaissait si bien tout son empire sur le coeur de celle qu'il avait su séduire ! ... Bientôt pourtant le désespoir s'empara de cette malheureuse fille, et elle le menaça d'aller s'enfermer dans un cloître pour le restant de ses jours.

"Agis avec prudence, caractère et sang-froid, ma pauvre amie ; lui écrivit-il alors, il n'y a rien de perdu encore, et surtout loin de toi l'idée de terminer ta vie dans un cloître ; faite pour le monde, tu dois y figurer d'une manière charmante et charmer les personnes qui auront le bonheur de t'y intéresser ; c'est ma manière de voir, et si j'ai quelque influence sur ta détermination, j'insiste pour que ce ne soit pas à ce vilain projet que tu donnes la préférence. Le difficile est de savoir comment faire ; le dirai-je, ma chère petite, si je connaissais bien l'état de ton coeur, il me serait aisé de te donner un conseil ; à tout hasard je te dirai seulement qu'à ta place, si ta mère persistait à te rendre la vie dure, je ne balancerais pas à prendre une chambre à Argentan même, etc., etc.

Alors les yeux se dessillèrent, les projets du sieur PERIER se montrèrent à nu à la dame veuve Delahaye qui lui répondit : "Que c'était à ses côtés qu'il devait prendre Clarisse malgré l'état où il l'avait mise".

Et cette volonté servait encore les projets du sieur de la Genevraye, puisqu'il mettait pour condition au mariage, que Clarisse, avant tout, quitterait sa mère ; mais on ne tarda pas à connaître tout à fait le sieur de la Genevraye ; car, mettant de côté toute dissimulation, aux promesses les plus tendres succédèrent les scènes les plus cruelles, les calomnies les plus perfides, s'il n'épousait pas, disait-il, c'est que l'enfant n'était pas de lui ; rien ne lui parut plus sacré ; par des mauvais traitements il chercha à forcer Clarisse à ce hideux aveu, et la mère même de cette infortunée devint l'objet de ces sarcasmes.

Comme la grossesse avançait, madame Delahaye conduisit sa fille au Mans et la mit en pension sans vouloir la quitter, car elle craignait tout de son désespoir. C'est alors que M. DE LA GENEVRAYE s'érigea tout-à-fait en maître, et exigea que les couches se fissent à Caen. Clarisse, dans sa douloureuse résignation, voulait donner un père à son enfant. Elle obéit. Ce fut le 2 juillet 1819 qu'elle mit au monde un fils qui fut présenté à l'état-civil sous les noms de Louis-Victor-Achille. Le 30 du même mois cet enfant fut authentiquement reconnu par le sieur PERIER et la demoiselle Delahaye, et de ce jour cessèrent leurs rapports, le sieur PERIER ne voulut jamais revoir ni la demoiselle Clarisse ni son malheureux enfant, il exigea même qu'ils s'éloignassent d'Argentan, refusant jusque-là de rien faire pour son enfant.

La demoiselle Delahaye y consentit et, accompagnée de sa mère, elle se retira avec son fils dans un vieux château qui leur appartient dans la forêt des Ardennes, et expia, par trois années de souffrances et de privations, l'erreur d'un moment, sans que jamais le sieur de la Genevraye s'inquiétât de son sort, bornant leurs relations à celles indispensables à l'obtention d'une pension pour l'enfant.

Aussi la demoiselle Clarisse vit-elle sa santé s'altérer chaque jour davantage. Bientôt une maladie grave ne lui laissa aucun doute sur sa fin prochaine, et, dans sa sollicitude pour son fils, elle écrivit à la mère du sieur de la Genevraye.

Nous croyons devoir rapporter textuellement une lettre que la Cour et l'auditoire n'ont pu entendre sans la plus vive émotion :

"Madame,

Je vous écris dans un état de santé dont les médecins désespèrent de me retirer, et qui s'aggrave chaque jour, pour vous recommander un être qui m'est bien cher, mon malheureux enfant. L'idée qu'il va passer dans les mains d'un père qui ne le connaît pas, qui n'a pour lui aucun attachement, puisqu'il ne s'en est jamais occupé, et qu'il ne s'est pas même informé de lui auprès de M. Berrier-Fontaine, lorsqu'il va toucher sa pension ; l'idée de penser qu'il l'enverra dans des pays éloignés, comme il me l'a dit, me fait frémir et avance mes jours. Vous êtes mère, Madame, c'est donc à vous que je m'adresse, pour vous demander qu'on laisse mon fils à maman et à ma soeur, jusqu'à ce qu'il soit en âge d'être mis en pension. Cet enfant est très-sensible : sa séparation des gens qui l'ont élevé en le caressant, le rendrait très-malheureux, puisque dans un âge aussi tendre, l'idée de me perdre le fait fondre en larmes.

Votre fils peut aujourd'hui, madame, se réjouir de m'avoir conduite au tombeau, en m'abreuvant de chagrins. M'avoir déshonorée et m'avoir si cruellement abandonnée en me calomniant ! Tant de peines ont été au-dessus de mes forces, et, je puis, madame, vous dire aujourd'hui, n'ayant plus rien à espérer et voyant mon tombeau ouvert sous mes pieds, que votre fils vous a trompée, lorsqu'il vous a dit qu'il ne m'avait jamais promis de m'épouser. Qu'il ose vous dire, en lisant cette lettre, que j'en impose ! Oui, madame, je vous le jure, qu'ayant cessé tout commerce avec lui, puisque j'avais été à confesse et étais revenue à Dieu de tout mon coeur, il a eu la perfidie de me jurer à mes pieds, plus de dix fois, que si je voulais consentir à ses désirs, il m'épouserait aussitôt après son retour de Paris, en me disant : "Que voulez-vous faire ? Préférez-vous rester dans cette position ? J'ai besoin de ce nouveau sacrifice et de cette nouvelle preuve de votre attachement, dans un moment où nous sommes tous mal ensemble.

Qu'auriez-vous fait, Madame ? Peut-être eussiez-vous eu plus de force ; mais l'idée de donner un père à mon enfant, de ne pas faire tort à ma jeune soeur, de voir terminer tous mes malheurs et les chagrins que je donnais à ma famille, me fit commettre encore cette nouvelle faute. Je n'ai jamais parlé de cette particularité qu'à M. le curé, espérant que la conduite que je tiens depuis mon malheur, aurait fait ouvrir les yeux à votre fils sur mon compte. Je ne suis pas tout ce qu'il a voulu dire ; je ne mérite pas les scènes affreuses qu'il m'a faites ; je ne mérite pas d'être traitée comme la plus vile créature. Je ne me suis jamais plainte, Madame, espérant que ma douceur et mon silence le feraient revenir à ses devoirs et aux promesses qu'il m'a tant de fois faites.

Je meurs sans remords, avec l'estime et la considération de toute ma paroisse, espérant avoir bien expié ma faute, en sacrifiant mon existence à mon malheureux enfant, m'éloignant de ceux qui me portaient intérêt, et qui pouvaient me rendre justice.

Votre fils est jeune ; se porte bien, est occupé ailleurs ; voilà ce qui a fait et ce qui fait encore mon malheur. Il a préféré le brillant du monde à une femme qui, je vous le dis en mourant, l'a aimé par-dessus tout, lui a tout sacrifié, son honneur, sa réputation. Je lui aurais donné ma vie s'il l'avait exigée. Oui, Madame, la conduite légère que j'ai tenue, la manière dont je me suis compromise, les démarches déplacées que j'ai faites, tout a été exigé en tyran ; et j'étais loin de penser que ce n'était qu'un calcul pour me perdre dans l'esprit du public, pour dire après cela que l'on ne pouvait épouser une femme qui s'était compromise de cette manière.

Hélas ! Madame, quelle perfidie ! Il est une autre vie ; je suis heureuse de penser que si j'ai commis une aussi grande faute, j'ai au moins fait tout mon possible pour l'expier, en abandonnant le monde, et en sacrifiant ma triste existence à mon enfant. J'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour me rendre ma tranquillité et oublier toutes mes peines ; mais, Madame, cela m'a été impossible ; votre fils était trop près de moi ; son indifférence pour son malheureux enfant et pour moi m'ont fait trop de mal ; mille rapports avec cela, qu'il est inutile de joindre à cette lettre, la vie gaie et heureuse qu'il mène, tandis que moi, loin de mes amis, de mes connaissances et des gens qui m'ont vu élever, je languis dans le fond d'une forêt comme une criminelle ; je n'ai cependant trompé personne ; tout, Madame, a mis le comble à mon malheur ; il faut succomber !

Je vous recommande de toute mon âme mon fils : voyez-le, accordez-lui votre amitié, votre tendresse. Je vous demande en grâce de le laisser à maman et à ma soeur, qui le chérissent autant que moi, et je mourrai calme et tranquille.

Je dois aussi, Madame, justifier à vos yeux ma malheureuse mère qui ne m'a jamais abandonnée, et vous dire que M. votre fils sait bien que tous les propos qu'il a tenus sur son compte ne sont pas vrais, et qu'elle n'est pas, comme il l'a dit, la cause qu'il ne m'a pas épousée. Maman a été témoin, pendant huit mois, des scènes affreuses qu'il me faisait tous les jours, en me disant que mon devoir était de m'épouser, et qu'il ne le faisait pas, parce que l'enfant n'était pas de lui. Il m'a fait souffrir tous les tourments possibles afin de m'arracher cet aveu, jusqu'à me dire que c'était le seul moyen pour que nous ne nous séparions jamais. J'ai des lettres à l'appui de ce que j'avance.

Il ne s'est fâché avec maman parce qu'elle lui a reproché qu'il était horrible, après m'avoir déshonorée, de me calomnier et de me maltraiter. Je rends cette justice à maman, qu'elle n'a jamais su la conduite que je tenais avec votre fils ; qu'elle l'a renvoyé trois fois de chez elle, voyant qu'il ne terminait rien et qu'il lui disait toujours qu'il fallait tout attendre du temps, et, lorsque je fus grosse, je le dis à maman ; elle se jeta dans les bras de votre fils, en pleurant, en lui disant : qu'allons-nous devenir ? Il lui dit d'être tranquille, qu'il était un homme d'honneur ; que s'il y avait un malheur, il était là pour le réparer. Hélas ! madame, que j'ai été heureuse de trouver une aussi bonne mère. Votre fils, par ses mauvais traitements, m'avait mise tellement au désespoir, que, sans les soins de cette bonne mère, je voulais me détruire moi et mon enfant. Votre fils sait bien qu'il m'a gardée toute une nuit dans des convulsions affreuses.

Je meurs en recommandant à ma famille de ne pas venger ma mort. Je meurs en vous demandant pardon, Madame, des peines et des chagrins que je vous ai donnés, et du scandale que ma conduite a occasionné. Je meurs en vous priant de penser qu'il a été un temps où vous aviez pour moi de l'amitié ; que vous-même aviez désiré ce mariage. Rendez-là moi cette amitié en la personne de mon fils. Je ne me fais qu'un reproche, c'est de n'avoir pas été me jeter dans vos bras lors de mon malheur : vous auriez peut-être compati à ma position, vous auriez peut-être sauvé mon honneur. Mais votre fils m'en a toujours empêchée, en me disant de s'en rapporter à lui ; qu'il aimait mieux que vous l'apprissiez par un autre que moi. Hélas ! Madame, je sais tout ce qu'il a dit à cette époque ! Dieu et moi seule savons ce qu'il m'a fait souffrir, et cependant je meurs en lui pardonnant tout ce qu'il m'a fait.

Mais puis-je oublier la position où il laisse mon fils ? Dieu veuille que sa naissance ne soit pas pour lui le sujet de bien des peines ! Puisse cette confession, Madame, vous faire ouvrir les yeux et rendre à ma mémoire la justice qu'elle mérite ! Veuillez recevoir mes derniers adieux et croire à l'assurance de la parfaite considération que je vous ai vouée."


Cette lettre ne changea rien aux dispositions du sieur de la Genevraye et de la dame sa mère ; Clarisse ne reçut aucune réponse, aucune consolation ne vint adoucir ses douleurs. L'approche de sa mort ne pouvait plus laisser de doute ; elle fit un testament authentique ainsi conçu :

"Dans l'évènement où je viendrais à décédé pendant la minorité de Victor-Louis-Achille Perier de la Genevraye, et que son père naturel fût alors lui-même décédé, mon intention est que mon fils ait pour tuteur M. Jean-Louis Berrier-Fontaine, avocat à Argentan, que je nomme et choisis audit cas, le priant de ne pas me refuser, et d'accepter cette commission, à l'effet de gouverner la personne et les biens de mon fils.

Je prie aussi le tuteur par moi choisi, de laisser à madame Blanche-Victoire Verdier de l'Horme, veuve de M. Jacques Delahaye, ma belle-mère, le soin de mon fils jusqu'à l'âge où il pourra être mis en pension, et de lui conserver ses soins jusqu'à sa majorité.

Et dans le cas où lors de mon décès, M. Perier de la Genevraye serait existant, je désire que, comme la loi l'investit de la tutelle légale de son fils, ce dernier ait pour subrogé-tuteur M. Berrier-Fontaine, avocat, que je choisis à cet effet.

Je prie M. Perier de la Genevraye, père de mon fils, de ne pas s'opposer à l'exécution de mes volontés à cet égard, de consentir dans tous les cas aux soins de mon fils sus-déférés à ma belle-mère et à ma soeur, et à l'entière exécution du présent.

Je prie également M. de la Genevraye de continuer ses bontés à notre fils commun.

Telles sont mes dernières volontés."


Ce fut à Argentan, chez sa belle-mère, le 16 janvier 1823 que CLARISSE DELAHAYE rendit le dernier soupir, et ses cendres étaient à peine refroidies que le SIEUR DE LA GENEVRAYE se rendit chez un notaire et lui donna procuration à l'effet de réclamer son fils naturel de toute personne qui peut l'avoir en garde, ou voudrait le conserver, en cas de refus L'Y CONTRAINDRE, etc., et à peine était-on de retour de l'inhumation qu'un prêtre se présente chez la dame veuve Delahaye, et vient au nom de la mère du sieur de la Genevraye réclamer l'enfant de la malheureuse Clarisse, qu'il veut emmener le lendemain pour le conduire à Versailles où, dit-il, sa pension était retenue.


La dame veuve Delahaye résistât, et une transaction fut signée le 27 avril. Les parties avaient promis de l'exécuter sur l'honneur, et bientôt un procès porté au tribunal d'Argentan, apprit que cette promesse, comme beaucoup d'autres, n'avait rien eu de sacré.


Le 15 décembre 1827, le tribunal rendit un jugement ainsi conçu :

"Considérant que la transaction du 2 avril 1823, dont l'exécution est demandée, est un de ces pactes de familles, dont l'honneur qui en formait la garantie eût dû assurer l'exécution ;

Considérant que quoique l'honneur et les convenances prescrivissent au sieur de la Genevraye d'exécuter ce pacte, il ne s'en suit pas que le tribunal doivent l'y condamner, sans examiner quelle est la légalité de l'acte ;

Considérant que, cet acte ayant pour objet de répartir et diviser la puissance paternelle que la loi et la nature accordent au père sur son enfant, est illégal et contraire au texte de l'art. 1388 du Code civil ;

Considérant que le sieur de la Genevraye étant investi de la puissance paternelle sur son fils, n'a pu valablement aliéner cette puissance, et que, si par des considérations qu'il n'aurait pas dû oublier, il avait fait participer les bienfaitrices de son enfant, à cette autorité, il n'en résulte pas contre lui un lien légal dont la justice puisse ordonner l'exécution.

Considérant, en effet, qu'il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent faire l'objet de conventions (art. 1183 du Code civil), et qu'à l'exception des pays où l'esclavage est admis, un père n'a jamais pu transmettre et aliéner son autorité sur son fils mineur ; or, qu'une telle convention étant illicite et nulle, aux termes de l'art. 1183 dudit Code, il devient inutile et sans objet de déclarer les signatures apposées sur la transaction ci-dessus datée reconnues, puisqu'elles ne pourraient être exécutoires ;

Par ces motifs,

Le tribunal vérifiant le défaut prononcé le 22 novembre dernier, déclare la transaction du 2 avril 1823 nulle et de nul effet, en conséquence en délie le sieur de la Genevraye".

Les dame veuve Delahaye, demoiselle Delahaye et M. Berrier-Fontaine, subrogé-tuteur, interjetèrent appel.

L'avocat abordant le point de droit soutient que, quant aux enfants naturels, la puissance paternelle diffère essentiellement de celle dont est investi le père dans le cas de mariage ; que le père naturel n'a pas exclusivement la garde des enfants mineurs ; qu'il appartient aux tribunaux d'apprécier les motifs qui peuvent leur mériter ou leur ôter cette garde ; que dans la cause, les circonstances démontrent assez le peu d'intérêt du sieur de la Genevraye pour son fils naturel. Il soutient que la transaction du 2 avril 1823 doit être exécutée ; que tous les arguments des premiers juges sur la puissance paternelle, ne peuvent s'appliquer aux cas où il s'agit d'enfants naturels ; que le père et la mère n'étant liés par aucun lien civil, de leur vivant, l'un ne peut, à l'exclusion de l'autre, invoquer la loi pour avoir la tutelle de l'enfant commun.

Le défenseur du sieur PERIER DE LA GENEVRAYE s'étonne, en commençant sa plaidoirie, qu'alors qu'il ne s'agit comme dans la cause que de la discussion d'un point de droit, on se soit livré à des digressions étrangères à cette discussion, et qu'on ait livré à la publicité des faits tout à fait controuvés, et voulut jeter une défaveur publique sur le sieur de la Genevraye en donnant à cette affaire une couleur romantique et mensongère. Il nie que jamais M. PERIER ait promis le mariage à la demoiselle Delahaye ; il soutient enfin que jamais le sieur de la Genevraye n'a violé la transaction, et déclare s'en rapporter à la justice sur la validité de cette transaction.

LA COUR,

"Attendu que la loi n'investit pas les père et mère naturels d'une puissance aussi étendue sur leurs enfants que les père et mère légitimes ; qu'ainsi tout est abandonné à l'arbitrage du juge. Que dans l'espèce la transaction du 2 avril 1823 paraissant avoir été faite dans l'intérêt de l'enfant, dont le père d'ailleurs est constitué le premier juge, devrait être validée. Que le motif du législateur en abandonnant l'état des enfants naturels à la sagesse des juges, peut être puisé dans cette considération, que les parents, dans ce cas, n'inspirent pas toujours une confiance pleine et entière pour les soins à donner aux victimes de leurs erreurs, parce que leur conduite n'est jamais louable, et que leurs moeurs sont toujours reprochables et sujettes au blâme ; que dans l'espèce, les intéressés avaient adopté le parti qui paraissait le plus avantageux, et que rien ne s'opposait à sa sanction ;

Infirme le jugement du tribunal d'Argentan, et considérant que l'enfant ne pourrait rester à Argentan, théâtre des dissensions dont il a été l'objet ; qu'il est prudent de le placer dans un collège qui présente des garanties, ordonne qu'après les vacances, il sera mis au collège d'Alençon, où pourront le visiter la dame Delahaye et le subrogé tuteur ; condamne le sieur de la Genevraye à payer le prix de la pension et les frais d'entretien du jeune Périer, et le condamne aux dépens".

 

Annales du commerce : journal de jurisprudence ... Lundi 8 septembre 1828 - Deuxième année - n° 238

 

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