LA MOTHE-SAINT-HÉRAY - NIORT (79) - JACQUES BRIAULT, AVOCAT, SÉNÉCHAL, DÉPUTÉ ET PRÉSIDENT DU TRIBUNAL CRIMINEL
Le 28 septembre 1740, Briault naquit en la petite ville de la Mothe-Saint-Héray ; son père était tanneur et jouissait d'une certaine aisance.
Après de bonnes études de latinité, il acheva son droit à la Faculté de Poitiers et de là, se rendit à Paris prêter serment d'avocat au Parlement, comme il était d'usage autrefois. Il y séjourna peu de temps, pressé qu'il était de venir exercer dans son pays la profession d'homme de loi. Il s'y fit une nombreuse clientèle, et bientôt la dignité de ses manières, la prudence de ses avis lui concilièrent l'amitié des familles nobles des environs ; à Salles, par exemple, celle de M. le comte de Montausier (1) ; à la Mothe, celle de M. de Carvoisin (2), brigadier des armées du roi et père du dernier seigneur de cette terre. Au moyen de ces appuis, il devint sénéchal de la petite baronnie de Salles et du marquisat beaucoup plus considérable de la Mothe. De telles fonctions judiciaires le rendirent l'avocat consultant de la contrée, et sa probité brillant de jour en jour davantage, il reçut de ses concitoyens la plus digne récompense que ceux-ci pouvaient lui offrir : ils le choisirent pour rédiger avec M. Duval, notaire, le cahier des doléances de la sénéchaussée, puis le nommèrent à Poitiers député du tiers-état de la province aux États-généraux de Versailles.
Briault avait alors près de 49 ans ; l'enthousiasme de la jeunesse était déjà loin de lui. Aussi, bien qu'il ait suivi constamment la marche de la majorité de l'Assemblée nationale, il vota l'abolition de la noblesse et la constitution nouvelle du clergé plutôt par raison philosophique que par tout autre entraînement. Son rôle ne fut pas brillant mais utile, et suivant les procès-verbaux de la Constituante, après qu'il eût prêté le serment du Jeu de Paume, applaudi au généreux abandon que firent de leurs droits les ordres privilégiés lors de la célèbre nuit du 4 août, il fut élu, le 8 octobre 1789, membre du comité des droits féodaux. Aux renouvellements assez fréquents des commissaires, son nom sortit toujours de l'urne. Ses collègues Tronchet, Vieillart, Regnier, Goupil de Préfeln et Merlin, avec lesquels il travaillait chaque jour, apprécièrent les connaissances que de laborieuses veilles lui avaient données des complications et des subtilités de l'ancien droit ; ils ne cessèrent de lui témoigner la plus honorable bienveillance.
Indépendamment de ses travaux législatifs, il avait une correspondance très étendue. Mais si l'on excepte le récit détaillé de la prise de la Bastille qu'il fit passer à ses commettants et que plusieurs d'entr'eux ont conservé, en raison, soit de l'évènement, soit du député, il ne traite guère dans ses lettres les questions politiques à l'ordre du jour ; il y parle habituellement d'administration, et développe à ses amis, à ses clients du Poitou, le sens de différents décrets. Ainsi, le 5 mars 1790, il marquait à M. Bonneau-Duchesne, lieutenant-général au siège de Lusignan :
"Je ne vois pas que vous ayez à craindre les projets de la ville de Poitiers sur votre district. L'objection de son peu d'étendue se trouve sans force par l'examen que j'ai fait des cartes qui sont au comité, où il y a au moins soixante districts plus petits que le vôtre. On n'anéantit pas avec autant de facilité, que la ville de Poitiers le présume, des établissements déjà décrétés, pour donner aux grandes villes une influence qui deviendrait tyrannique à l'égard des campagnes, qui n'ont été que trop, jusqu'ici, dans leur dépendance ministérielle. Faites entrer à l'administration du district les meilleures têtes, en tous sens, des paroisses de campagne".
Il se montrait fort susceptible à l'endroit de tout reproche, et ne pouvait supporter qu'on doutât un instant de son désintéressement".
"On répand bien mal à propos les bruits, écrit-il vers les premiers mois de 90, qu'on nous donne ici vingt-une livres par jour. On n'en donne que dix-huit en laissant quatre mois en arrière, dont nous ne serons jamais payé. Si quelqu'un jalouse le bénéfice, qu'il vienne, je le lui céderai avec plaisir !"
"Il paraît qu'il n'y a pas d'avanie dont on ne cherche à nous accabler pour nous rendre odieux ! ... On perd de vue que, quand même cette tenue d'états coûterait vingt millions, la régénération ne serait pas encore payée cher, dans un royaume comme la France devenue libre par nos décrets. Ces vingt millions, que les ministres consommaient mal à propos en huit jours, seront bientôt gagnés en économies et améliorations. On devrait, au moins, jeter les yeux sur le passé et sur nos travaux ... Mais le monstre de la discorde écume encore de rage et cherche à mordre ceux qui le combattent avec chaleur et intrépidité."
"Je vous envoie la suite des décrets sur la féodalité. Vous verrez comme nous desséchons ce chêne antique pour le brûler et jeter ses cendres au vent !"
Quoique plusieurs députés du Poitou, MM. Agier, Bion, Cochon de l'Apparent, Gallot, Goupilleau et Lofficial appartinssent à la société des Amis de la Constitution, Briault ne s'y fit point admettre.
Au mois de mai 1791, il vint à la Mothe visiter sa famille qu'il n'avait pas vue depuis deux ans. Des troubles se passèrent à l'église de Saint-Héray à propos d'un service funèbre que les habitants voulurent célébrer en l'honneur de Mirabeau ; il se chargea de porter le dossier de cette affaire au Comité des recherches.
Après la mort de l'abbé Jallet, son compatriote, les héritiers de celui-ci envoyèrent à Briault plein pouvoir de régler les deniers d'une fort mince succession. Cette procuration lui arriva au milieu de ses préparatifs de départ, car la Constituante venait de clore sa laborieuse session.
A son retour, il siégea en qualité de juge au tribunal du district de Saint-Maixent, où il avait été élu, en même temps qu'à Melle, au mois d'octobre 1790. Il écrivit de Paris qu'il optait pour la première ville.
En 1792, l'assemblée électorale de Parthenay l'appela au conseil du directoire du département (3), et peu de jours après, le 16 novembre, les mêmes électeurs réunis à Niort, le nommèrent président du tribunal criminel, en remplacement de M. Cochon de l'Apparent qu'ils avaient envoyé à la Convention. Installé par le conseil-général de la commune de Niort, Briault prononça un discours très chaleureux, dans lequel il fait ressortir les avantages de l'institution des jurés, mais que nous ne rapporterons pas ici, tant nous sommes loin de ces journées où les citoyens, du caractère le plus pacifique, montraient une irritation extrême !
Ces fonctions, alors que la guerre civile décimait la Vendée et que notre nationalité semblait en péril, étaient assurément les plus difficiles qui pussent être confiées à son courage. Souvent il déplora de se voir l'organe impassible de la loi et de livrer à l'échafaud des hommes qui, à une époque plus calme, n'eussent point été poursuivis. Une fois son coeur de magistrat subit une horrible épreuve ; M. l'abbé Tallery, son vieux maître de latin, comparut devant lui ! Les griefs signalés par l'enquête n'étaient malheureusement pas niables, le jury donna un verdict de culpabilité ... le président se voila le visage en prononçant l'arrêt !!
Durant les plus critiques moments de la révolution, il ne cessa d'entretenir un commerce de lettres très actif avec M. de Carvoisin fils, qu'il dirigea par ses conseils à travers les inextricables précautions que nécessitait sa position de suspect d'émigration. Cette correspondance est un des documents les plus sérieux à consulter pour l'histoire intime de cette époque. A force d'adresse et de diplomatie, le comte de Carvoisin réussit à conserver sa tête et ses belles propriétés. Du reste, suivant les recommandations de Briault, il avait pris bravement son parti, demeura tout le temps à Paris et fit de la politique spéculative dans ses lettres ...
D'autre part, la maison de Mme Élisabeth Briault, à la Mothe, servit d'asile à de pauvres religieuses éplorées. On raconte même que, trompant les regards de la municipalité, elle y fit dire mystérieusement l'office divin.
Briault fut maintenu par les électeurs des Deux-Sèvres à la présidence du tribunal criminel, jusqu'en l'an VIII, date, où en vertu de l'article 68 de la constitution consulaire, sa charge devint inamovible ; M Dupin, premier préfet du département, le réinstalla le 5 mars 1800, ainsi que tous les autres corps constitués. Notre compatriote prépara un discours de circonstance dans lequel on rencontre ces paroles très significatives, indice certain du pouvoir qu'allait exercer Bonaparte sur les destinées du pays et sur le langage des fonctionnaires.
"... La France a été agitée depuis le commencement de la révolution. Des malveillans de toute espèce ont voulu se signaler à chaque époque. Mais le voile du génie tutélaire de la république vient d'être déchiré par un homme à grand caractère qui a mis à exécution un travail dont l'Europe a été étonnée. Cet homme né pour de grandes choses a démontré qu'avec de l'union et de l'intelligence, les agens du gouvernement peuvent opérer le bien sans secousse, en prenant une sage-modération pour le régulateur de leur conduite ..."
Il persévéra jusqu'à la fin de sa vie dans l'admiration qu'il manifeste ici pour le vainqueur de l'Égypte et de l'Italie, et quand Napoléon, en 1808, fit annoncer qu'en revenant de Bayonne, il passerait le 7 août par la ville de Niort, le vénérable président, impatient de voir la plus grande célébrité des temps modernes, se rendit au loin à sa rencontre. L'extrême chaleur qu'il éprouva au milieu d'une foule innombrable et sous les rayons d'un soleil ardent, le fit tomber malade presque aussitôt ; quoique doué d'un tempérament robuste, il ne se rétablit point des suites d'une aussi grave imprudence : le 25 septembre 1808, il mourut sans postérité, âgé de 68 ans. - Ses héritiers eurent à se partager une valeur réelle d'à peu près trente mille francs.
- Briault était très populaire à Niort. Lorsque le portrait dont on a fait hommage à la Société fut achevé, l'artiste l'exposa quelques jours dans son atelier. Les premières femmes qui le virent lui souhaitèrent le bonjour comme si elles eussent parlé à l'original même. Une d'elles plus naïve s'écria, en l'apercevant si haut placé et d'une façon si périlleuse : ah ! M. Briault vous allez tomber ! ... Le hasard permit qu'il entendit ces témoignages d'intérêt, il y fut très sensible. Il aimait à raconter cette anecdote et il en riait de bon coeur. Promu à de hauts emplois, il n'oublia jamais que son père avait été ouvrier, et qu'au sein de la Société nouvelle, dont il était un des fondateurs, il doit y avoir place pour tous, lorsque l'on sait réunir la moralité au talent.
(1) Messire André-Anne-Marie de Crussol d'Uzès, seigneur comte de Montausier, maître de camp du régiment d'Orléans (infanterie), chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis.
(2) Charles-Louis de Carvoisin, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, brigadier des armées du roi, enseigne de la première compagnie des mousquetaires de Sa Majesté. - Son fils, Antoine-Charles-Vincent de Carvoisin, qui vendit en 1801 sa propriété à Murat, est mort à Paris, en 1837, âgé de 80 ans.
(3) Cette administration le nomma en juin 1793, commissaire du département. Une pareille mission devait être toute temporaire et nous ne savons comment la concilier avec le caractère de juge criminel.
Mémoires de la Société de statistique du département des Deux-Sèvres - 1841-1842 - Tome VI -p. 149 à 155