QUIMPER (29) - MLLE MARIE-PÉLAGIE ALENO DE SAINT-ALOÜARN
ALENO DE SAINT ALOUARN
Armes : d'argent à trois hures de sanglier arrachées de sable, 2 et 1 (Alleno) ou d'azur au griffon d'argent (St-Allouarn).
- Devise : Mat eo kelenn e pep amzer (en français : Enseigner est bon en tout temps).
La famille Aleno ou Alleno de Saint-Alouarn appartient à la noblesse de l'ancien évêché de Cornouailles en Bretagne ; elle figure de 1448 à 1562 aux réformations et montres de la noblesse des diocèses de Vannes et de Cornouailles et a été maintenue dans sa noblesse d'ancienne extraction aux ressorts de Vannes et de Quimper par arrêt du 5 août 1669 sur preuves de huit générations remontant à Geoffroy Alleno, sieur de Kersperlan, qui épousa vers 1460 Catherine de Guermarpin.
La famille Aleno de Saint-Alouarn a fourni des officiers, un père jésuite en 1893, longtemps professeur au collège de Vannes.
Principales alliances : de Pompéry, du Fou, de Saint-Pern, Huchet, etc. (Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle - 1903 - Par Chaix d'Est-Ange - 1903-1929)
Mlle MARIE-PÉLAGIE ALÉNO DE SAINT-ALOÜARN
Marie-Pélagie Aléno de Saint-Aloüarn mérite de n'être pas oubliée dans l'Histoire de la Chouannerie ; car si, "à son grand regret," elle ne put pas y prendre une part active, elle était de tout coeur avec ceux qui combattaient "pour la religion et le Roi".
Le 15 octobre 1793, âgée de 60 ans, elle est mise en état d'arrestation, au manoir de Kernisy, près Quimper, et ainsi qualifiée sur le registre d'écrou : "Marie-Pélagie Aléno, 60 ans, domiciliée à Quimper, fille, ci-devant noble, tante d'émigré, aristocrate turbulente".
Mise en liberté après la Terreur, Mlle de Saint-Aloüarn, fort peu intimidée par les rigueurs de sa détention, n'en continua pas moins à manifester hautement ses sentiments hostiles au gouvernement révolutionnaire.
C'est ainsi qu'elle osait bien écrire au percepteur de Guengat, le 5 novembre 1796 :
"Je vous déclare, Jean Jugo (Jugeau), que si vous faites la moindre violence à mes vassaux pour payer aucune espèce d'impôt à la nation, je vous en demanderai un compte exacte et rigoureux, ne reconnaissant aucune loi qui vous y autorise.
A Quimper, le 5 novembre 1796.
ALÉNO DE ST-ALOÜARN".
Et pour être plus sûre d'en arriver à ses fins, elle adressait une lettre comminatoire du même genre à ses fermiers eux-mêmes :
"Je certifie de nouveau au nommé Jean Hollu, que s'il paye à la nation l'impôt foncier du lieu qu'il occupe, je ne le lui passerai jamais en compte, et à fin qu'il n'en ignore, ainsi que ceux qui l'exigent, je déclare formellement que la raison en est toujours, que je ne veux contribuer en rien aux frais d'une guerre aussi odieuse que celle qui se fait aujourd'hui.
A Quimper, le 9 septembre 1796.
ALÉNO DE ST-ALOÜARN".
Et le 27 septembre 1796 : "Ne reconnaissant nullement les lois de la République, je m'oppose formellement à ce que mes fermiers de Kerlividic payent et fournissent le moindre objet pour le service de la dite République et en rendrai responsable tout individu qui se porterait à quelque violence contre eux à cet égard."
Une telle audace nécessitait des poursuites, et Mlle de Saint-Aloüarn fut traduite devant le jury d'accusation pour y répondre de ses agissements.
"30 frimaire an V (20 décembre 1796.
Devant nous, Jean-Marie-Charles Gaillard, directeur du jury d'accusation de l'arrondissement de Quimper,
A été conduite une citoyenne portant une citoyenne portant une mante fourrée, un capot sur la tête, le visage gravé de petite vérole, nez cassé, yeux bruns, figure ronde, taille 4 pieds 8 pouces (1 m 42)
D. - Nom, âge et qualité ?
R. - Je me nomme Pélagie Aléno Saint-Aloüarn, demeurant à Quimper.
D. - Votre âge ?
R. - A compter les années de la Révolution, cela est incalculable.
D. - Que font les années de la Révolution pour votre âge ?
R. - C'est que je les trouve fort longues, et elles en valent bien d'autres.
D. - Avez-vous fait passer à Jean Valler et Joseph Quintin, vos fermiers de Kerlividic, en Kerfeunteun, deux billets par lesquels vous leur faites défense de payer l'impôt foncier et tout objet qui peut se rapporter au service de la République ?
R. - C'est l'exacte vérité.
D. - Il y a cinq mois, n'aviez-vous pas fait la même défense à vos fermiers, et pour ce, traduite devant le jury ? Comment cette première école ne vous a pas rendue plus prudente ?
R. - C'est bien vrai, mais je suis incorrigible sur cet article !
D. - Qu'entendez-vous dans vos premiers billets lorsque vous dites, pour motif de votre défense, que vous ne voulez pas contribuer à une guerre odieuse.
R. - J'entend la guerre faite à la religion et à mon Roi.
D. - Ne reconnaissez-vous pas un gouvernement en France ?
R. - Non, je n'y vois qu'une affreuse anarchie.
D. - Ne croyez-vous pas que l'anarchie affreuse qui, dites-vous, déchire la France, vient de la force d'opposition des personnes qui pensent et parlent comme vous ?
R. - Si toutes pensaient comme moi, elles seraient toutes heureuses.
D. - N'avez-vous pas fait également défense à René Cotten, votre fermier de Saint-Yvi, de payer aucun impôt à la Nation ?
R. - Oui, certainement.
D. - Ne reconnaissez-vous pas ce billet, adressé par vous au sieur Jugeau, percepteur à Guengat, lui défendant de faire la moindre violence à vos vassaux, à raison des impôts, et qu'elle lui en demandera un compte rigoureux ?
R. - Je reconnais parfaitement ce billet.
D. - Vous avez donc fait la même défense aussi bien à vos fermiers de Guengat qu'à ceux de Saint-Yvi ?
R. - Oui, et à tous ceux qui sont sous ma dépendance.
D. - Pourquoi, dites-vous, dans ce billet, que vous ne connaissez aucune loi qui autorise Jugeau à percevoir les impôts de la Nation ?
R. - Parce que je ne reconnais ni la République ni ses lois.
D. - Pourquoi vous servir de l'expression "mes vassaux", au lieu d'employer l'expression plus modeste, "mes fermiers" ? Ne savez-vous pas que toute qualification est interdite, sous peine de punition, à ceux qui se donnent un titre qui rappelle l'ancien régime, et avez-vous jamais été propriétaire de fief ?
R. - Mettez oui, si vous le voulez ; et j'ajoute que je tiens à l'ancien régime, et que je veux y tenir de toute manière.
D. - En écrivant ces billets menaçants à vos fermiers et au receveur, n'aviez-vous pas pour but d'entraver la perception des impôts, et d'ébranler la fidélité des citoyens envers la Nation, dont vous dites ne pas reconnaître les lois ?
R. - Oui, certainement ; du reste, ces hommes-là, je parle pour mes fermiers, pensaient comme moi, et je les y aurait portés s'il n'y avaient pas songé.
D. - Par vos discours, avez-vous tenté de dissoudre le gouvernement actuel ?
R. - Oui, autant qu'il a dépendu de moi.
D. - J'avais donc raison de vous observer que s'il y a anarchie en France, c'était votre ouvrage et celui de ceux qui pensent comme vous ?
R. - Je n'ai point eu la force en main pour agir, malheureusement, parce que j'aurais agi en sens contraire de la Nation.
Et a signé sa déposition."
Immédiatement, Jean-Marie-Charles Gaillard, directeur du jury d'accusation, prit les conclusions suivantes :
"Vu les billets signé Aléno de St Alouarn portant défense à ses fermiers de payer aucun impôt à la République ;
Considérant que, par ses interrogatoires, Pélagie Aléno St Alouarn répond que si elle avait eu la force en main, elle aurait agi contre la Révolution ; que depuis la Révolution, ses années sont incalculables ; qu'elle ne reconnaît pas de gouvernement en France ; que si elle s'est opposée à ce que ses fermiers payent aucun impôt à la Nation, c'est qu'elle ne veut faire la guerre à la religion ni à son Roi ; qu'elle ne reconnaît ni la République ni ses lois ; qu'elle tient à l'ancien régime et qu'elle veut y tenir de toutes les manières ; que ses fermiers ont la même opinion qu'elle et, qu'en tout cas, elle la leur aurait suggérée ; que tant qu'il a dépendu d'elle, elle a travaillé à dissoudre le gouvernement actuel, et que si elle avait eu la force en mains, elle aurait agi en sens contraire à la Nation ;
Considérant que la force et la hardiesse de ces propos contrerévolutionnaires annoncent et font présumer une correspondance active avec les ennemis du bon ordre et de la République, et qu'il pourrait se trouver chez la citoyenne Aléno des papiers qui prouvent qu'elle a travaillé ses fermiers et tous ceux qui sont sous sa dépendance, à l'effet de s'opposer à la perception des impôts et à l'affermissement du nouveau gouvernement ;
Disons qu'il sera sur-le-champ procédé par nous, en présence de notre greffier et de la citoyenne Aléno, à une visite domiciliaire chez cette dernière, à l'effet d'apposer des scellés sur les meubles qui pourraient nous paraître suspects et sur tous les papiers qui auraient rapport aux faits dont elle peut être prévenue.
GAILLARD ;
BRETON, greffier."
Ce même jour, les scellés furent mis au domicile de Mlle de Saint-Aloüarn, rue du Chapeau-Rouge, à Quimper. Ils furent levés le 4 nivôse (26 décembre 1796). Mais on n'y trouva rien de compromettant. Néanmoins, le directeur du jury ordonna, le 20 janvier 1797, de conduire à la maison d'arrêt "Pélagie Aléno St-Aloüarn, âgée d'environ 50 ans (elle en avait bien 63), prévenue de s'être opposée à la perception des impôts et d'avoir, par écrits, tenté d'ébranler la fidélité des citoyens envers la Nation française."
Deux jours après, le 4 pluviôse an V (22 janvier 1797), le directeur du jury, Alour Le Berre, "considérant qu'aucune partie plaignante ni dénonciatrice ne s'était présentée dans les deux jours de la remise de la prévenue en la maison d'arrêt, j'ai procédé à l'examen des pièces, et ayant vérifié la nature du délit, j'ai pensé qu'il pouvait mériter peine afflictive et infamante ; en conséquence, après avoir entendu le Commissaire du Directoire exécutif, j'ai rendu une ordonnance qui traduit la prévenue devant le jury spécial d'accusation".
Au bas de cette pièce on trouve cette sentence inattendue :
"La déclaration du jury est "non". Il n'y a pas lieu.
A Quimper, le 15 pluviôse an V de la République (3 février 1797).
MITAIN, chef des jurés."
Extrait : La Chouannerie - Documents pour servir à son histoire dans le Finistère - par M. L'Abbé Peyron, Chanoine - Quimper - 1912