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La Maraîchine Normande
1 septembre 2017

SAINT-VICTURNIEN (87) - 1791 - LE MAIRE, LE PROCUREUR, LE CURÉ ... LE VOTE AUX CHAPEAUX DEVANT LA CROIX DE LA PLACE ...

SAINT-VICTURNIEN

Saint-Victurnien vue z


La paroisse de Saint-Victurnien avait pour curé, depuis 1777, PIERRE TEXANDIER (fils de J.-B. Texandier, marchand, et de Barbe Garat, fille de Raymond Garat, seigneur du Maslebraud et de Marguerite Ardent). Ce prêtre refusa de prêter le serment schismatique, se réfugia en Espagne, où il mourut en septembre 1799, à l'âge de cinquante et un ans. Il fut remplacé par un prêtre jureur, l'abbé Rateau de Vaux (1), qui avait quitté la cure de Cussac pour porter son apostasie dans celle de Saint-Victurnien.

Texandier curé signature z

Le prêtre fidèle, expulsé de son église et de sa maison par le prêtre infidèle, ne quitta pas immédiatement sa paroisse. Il était là depuis quinze ans ; c'était une douce habitude avec laquelle il lui était pénible de briser ; peut-être avait-il quelque pressentiment que son départ serait sans retour. Il essaya donc d'y vivre encore et d'y continuer l'exercice de son saint ministère. Il célébrait clandestinement la messe dans des maisons particulières, d'autres fois dans le grenier de M. de Verdilhac de Razès. La Municipalité fermait les yeux, ce qui lui attira beaucoup de désagréments que nous allons raconter ; la confiance et l'affection étaient évidemment restées au curé Texandier. Cette situation, quoique difficile, aurait pu se prolonger un certain temps, s'il ne s'était trouvé alors à Saint-Victurnien un de ces êtes malfaisants que l'on rencontre un peu partout, aux heures difficiles des Révolutions.

Cet être malfaisant fut, à Saint-Victurnien, un citoyen Négrier (Gabriel-Joseph), qui s'intitulait de "Rochebrune", sans doute parce qu'il avait quelque domaine au hameau de Rochebrune. Au mois de mai 1790, nous le trouvons accusé par la Municipalité d'Oradour-sur-Glane de n'avoir rendu compte de certaines sommes touchées par lui, durant les années 1786 et 1787. Ces sommes étaient destinées à l'organisation d'un atelier de charité pour réparer le chemin de Saint-Victurnien à Oradour-sur-Glane. M. de Laforderie adressa à cette occasion une lettre au maire d'Oradour, M. Lavérine. Nous ne savons si le citoyen Négrier remboursa, ou s'il réussit à justifier l'emploi des fonds qu'il avait reçus, ou bien encore s'il réussit à faire tomber cette réclamation, grâce à l'importance qu'il parvint à se donner par ses dénonciations contre la Municipalité et l'abbé Texandier. Au mois de novembre de la même année 1790, il réclamait l'exécution d'une convention passée entre lui et la commune pour la confection d'un chemin de communication de Saint-Victurnien à la grande route de Limoges. Il semble bien que c'est le même chemin que celui dont il est parlé plus haut. Quoi qu'il en soit, cet entrepreneur de travaux de voirie ne semble pas un personnage bien recommandable.

Négrier-Rochebrune z

Négrier, au commencement de la Révolution, avait réussi à se faire nommer procureur de la commune. Invoquant les devoirs de sa charge, il dénonça l'abbé Texandier et la Municipalité, au mois d'avril 1791, puis, une seconde fois, au mois de mai de la même année.

Le Directoire du District, délibérant sur la dénonciation portée contre l'abbé Texandier, prit l'arrêté suivant, le 10 juin 1791 :

"Vu la requête en plainte du sieur Négrier, procureur de la commune de Saint-Victurnien, contre le sieur Texandier, ci-devant curé, dans laquelle il expose la conduite du dit sieur Texandier, tendante à soulever contre la nouvelle Constitution, soit par ses insinuations, soit par tout autre moyen quelconque, les habitants de la dite paroisse ; et, qu'au mépris des décrets de l'Assemblée nationale, il prèche publiquement que le curé constitutionnel n'est qu'un intrus, que les paroissiens ne doivent point le regarder comme leur curé, que lui seul est le pasteur légitime, qu'il en a pris dernièrement le titre et la qualité sur le registre de la Municipalité ; qu'il dit la messe les jours de fêtes dans une maison particulière du bourg, à laquelle assistent grand nombre de personnes ; qu'il a administré les sacrements aux malades ; qu'enfin, il tient à tous égards une conduite qu'il est instant de réprimer pour le salut e la chose publique.

Le Directoire du District, qui a pris communication de l'exposé ci-dessus en forme de plainte contre le curé Texandier, ci-devant curé de la paroisse de Saint-Victurnien ; considérant que la conduite du sieur Texandier les met dans le cas prévu dans les articles 7 et 8 de la loi du 20 décembre dernier ; que le procureur syndic est d'avis que le sieur Texandier soit dénoncé à l'accusateur public pour être poursuivi devant les tribunaux comme perturbateur de l'ordre public, à la charge par le sieur Négrier-Rochebrune de fournir la preuve des délits dont il s'agit."

C'est en ce moment, selon toute vraisemblance, que le bon curé de Saint-Victurnien se décida à quitter sa paroisse, qu'il ne devait plus revoir.

Négrier, en remettant sa dénonciation à l'Administration du District, lui avait fait parvenir en même temps deux réquisitoires, le 22 avril et le 22 mai, tant au sujet de l'abbé Texandier, qu'à l'occasion de quelques menaces administratives qu'il réclamait. Le procureur paraît bien avoir voulu tout régenter à sa façon. La Municipalité prit des arrêtés qui ne lui donnèrent pas satisfaction. Il se vengea par une dénonciation. Réquisitoires, arrêtés, nous sont connus un peu confusément par cette délibération du Directoire :

"Considérant, disait le Directoire :

1° Que le réquisitoire du sieur Procureur de la commune de Saint-Victurnien, en date du 22 avril dernier, loin d'amener un esprit inquisitorial, n'exprime au contraire qu'amour de l'ordre et de la tranquillité, l'amour du devoir et une sollicitude digne d'éloge ;

2° Que l'arrêté de la Municipalité intervenu sur icelui, le même jour, doit être regardé comme inconstitutionnel, irrégulier et contenant des omissions de prononcer essentielles (sic). Il est inconstitutionnel : 1° En ce qu'il donne et conserve la qualité de curé au sieur Texandier, que la loi du 27 décembre dernier déclare déchu de son bénéfice ; 2° En ce qu'elle a appelé aux fonctions municipales le quatrième notable au lieu du premier. Il est irrégulier, en ce qu'il porte sur des objets étrangers au dit réquisitoire. Il contient des omissions de prononcer, en ce que, par leurs réponses, les sieurs Texandier et Veyrier (2) n'étant point disconvenus (sic) d'avoir célébré clandestinement la messe dans quelques maisons particulières, ni d'y avoir attiré plusieurs personnes sans en avoir prévenu la Municipalité ; cette Municipalité ne pouvait s'empêcher de regarder ce rassemblement comme illicite et d'adopter les moyens proposés par le sieur Négrier-Rochebrune, ou tout au moins déclarer qu'il y avait lieu à délibérer ;

3° Que le réquisitoire du 22 mai, ayant pour but la publicité des opérations municipales, publicité nécessaire à la tranquillité publique ; la désignation du lieu, du jour et de l'heure des séances pour la commodité et la sûreté des citoyens qui peuvent avoir des réclamations à faire ; la division de la Municipalité en conseil et en bureau pour la célérité d'expédition ; le rétablissement de la loi qui interdit à tout citoyen d'être en même temps officier municipal et employé dans la garde nationale ; la fixation d'un tarif modéré pour réprimer les extorsions des bateliers ; enfin, la nouvelle dénonciation des assemblées clandestines qui ont lieu dans quelques maisons particulières, a été dicté par les mêmes principes que le premier ;

4° Que la réponse de la Municipalité sur icelui est aussi mal dirigée que le premier ; 1° En ce qu'elle prétend que c'est au Procureur de la commune à faire exécuter les arrêtés de la Municipalité, tandis que c'est le propre du bureau ; 2° en ce que la Municipalité, feignant d'ignorer les attroupements dont se plaint le Procureur de la commune, ne prend aucun moyen de les découvrir et de les réprimer, et se contente, au contraire, de rendre le Procureur garant de la non-exécution de son arrêté, trouvant plus commode de le dénoncer par une affiche indécente à l'opinion publique et provoquer même sa destitution qui ne peut avoir lieu que dans le cas d'une prévarication préalablement jugée.

Sur quoi, ouï le Procureur syndic, le Directoire du District est d'avis qu'il soit déclaré que le sieur Négrier-Rochebrune a bien et loyalement rempli les fonctions ; que les arrêtés des 22 avril et 22 mai derniers sont nuls et seront rayés de dessus les registres ; que la Municipalité a excédé ses pouvoirs, qu'elle est répréhensible pour avoir provoqué la destitution du Procureur de la commune dans le temps où il sollicitait son attention sur tout ce qui était de son ressort ; que, par suite, d'une conduite aussi extraordinaire, elle soit mandée à la barre du Directoire du département."

Nous avons voulu reproduire intégralement cette délibération un peu longue, parce qu'aucun autre récit, aucun commentaire ne nous semble pouvoir mieux montrer l'antagonisme intense qui régnait entre la Municipalité et le Procureur de la commune ; mieux établir la partialité manifeste du Directoire en faveur du Procureur. Antagonisme et partialité avaient pour cause la bienveillance de la Municipalité pour le curé Texandier, et son refus de sévir contre lui, malgré les incitations réitérées du sieur Négrier-Rochebrune.

L'ardeur de ce Procureur ne se lassait pas ; peut-être trouvait-il que l'on délibérait beaucoup au District, mais que l'on n'agissait pas vite ; peut-être voulait-il agir lui-même et directement auprès de l'Administration départementale, qui allait recevoir à sa barre la Municipalité de Saint-Victurnien, conformément à l'arrêté du District que nous venons de citer. Le 25 juin, il adressa au Directoire du Département une pétition qu'il fit signer par quelques amis : le curé intrus, Rateau de Vaux, eut l'impudeur d'y apposer sa signature.

"Nous sentons, Messieurs, bien vivement, toute l'importance de nos fonctions dans la circonstance actuelle, où nous avons été obligés de prévenir ou d'arrêter les desseins pervers des méchants ; mais, comme la tranquillité du royaume tient essentiellement à la surveillance de chaque Municipalité, tous les efforts de notre sagesse et de notre zèle pour sauver la patrie viendraient se briser contre l'apathie des Municipalités ou contre leur connivence avec nos ennemis. Nous croyons donc servir cette même patrie en vous dénonçant que celle de Saint-Victurnien, ou plutôt le Maire, qui fait tout au nom du corps municipal, vient de donner de nouvelles preuves de sa coalition avec les partisans de la subversion dont la France est menacée.

1° C'est le ci-devant curé qui a ouvert chez le Maire le paquet porté le 24 par Disier, cavalier de la maréchaussée ;

2° Le Maire ne l'a point communiqué au Procureur de la commune et aux officiers municipaux pour concerter avec eux des moyens à aviser dans la conjoncture présente. Cette négligence, disons mieux, la joie cruelle du Maire et de ses partisans, à l'annonce de la nouvelle qui nous afflige, nous a déterminés à faire une pétition tendant au bien et à la tranquillité publique ; nous joignons ici la copie de cette pétition et l'arrêté du Maire ; vous jugerez du mérite de cette dernière ; vous verrez que c'est un amphigouri et combien il s'écarte de notre objet, et s'éloigne des grands principes de notre Constitution ;

3° Jean Dupuy, fils aîné, a dit en la présence du Maire et de plusieurs personnes, qu'on n'avait rien à craindre, que le parti du ci-devant curé était plus fort que celui de l'autre, et, le Maire n'a point improuvé ce discours. De cette approbation tacite s'en est résulté qu'à l'issue des vêpres du même jour, en place publique, le sieur Pierre Giron, domestique du sieur de Laboulinière, juge de paix ; Bonsat, dit trente sous, ont dit qu'il fallait aller chez le nouveau curé, tout saccager, et aussitôt, un attroupement de gens armés et sans armes, à la tête desquels était le fils aîné du Maire, a été au presbytère. Le sieur Rateau, curé, par sa prudence, a écarté le danger dont il était menacé. Ces mêmes hommes, toujours attroupés, se sont rendus sur la place, où ils ont fait des menaces de violence à plusieurs patriotes divisés d'opinions et de sentiments ; deux citoyens se sont querellés, et le Maire, de son autorité privée, sans l'avoir entendu, sans avoir pris l'avis du Procureur de la commune, les a condamnés à la prison, et ce n'est pas le premier acte de despotisme qu'il a commis : il a condamné, lui seule, plusieurs citoyens à l'incarcération. Nous avons ici des meilleurs patriotes, mais armes et sans munitions ; si c'était possible de nous en procurer, nous nous armerions pour le salut de la patrie.

Signèrent :
Rateau, curé
Merlin-Desribières, officier municipal
François Négrier
Négrier-Rochebrune
Martial Paraud
Jean Teillet
David
Rabaud
Merlin du Chanzat, greffier."


A la suite de cette dénonciation, l'Administration départementale enjoignit au District de Saint-Junien, le 22 juin 1791, de faire une enquête. Conformément à cet ordre, le Maire Merlin du Mas, les officiers municipaux Merlin des Ribières, Bardet, Jean Teillet, Forestier et Dupuy, furent invités à comparaître à la barre du District, dans le délai de trois jours, accompagnés de Merlin du Chanzat, secrétaire et greffier de la Municipalité, porteur des registres de la commune.

Le 3 juillet, à 9 heures du matin, la Municipalité de Saint-Victurnien comparut donc devant le Directoire du District pour répondre à la convocation qu'il avait reçue la veille. "Le Président, après avoir témoigné aux sieurs comparants sa surprise à l'égard des griefs établis contre eux dans différentes requêtes et plaintes, tant par le sieur Négrier-Rochebrune, procureur de la commune, que par plusieurs des principaux citoyens du dit lieu, leur a fait donner lecture de toutes les pièces produites et les a sommés de répondre catégoriquement sur chacune des charges portées dans les susdites requêtes."

Ces braves gens nièrent tout ce qui leur était reproché et refusèrent de s'expliquer davantage, sauf le citoyen Desribières qui, déjà gagné par les intrigues de Négrier, avait signé la dénonciation faite au département contre ses collègues. "Les dits sieurs Maire et officiers municipaux, interrogés, tant collectivement qu'individuellement, sur chacun des faits contenus aux requêtes en plainte, se sont renfermés dans une négative absolue."

 

Merlin les Ribières z

 

Le Directoire du District, sans prendre de plus amples informations, décréta que la Municipalité de Saint-Victurnien serait suspendue et qu'une commission de trois membres serait nommée pour la remplacer. Évidemment, le séjour de M. Texandier à Saint-Victurnien troublait la cervelle de ces cinq petits robins ou chirurgiens qui présidaient à l'administration du district ! Écoutons-les : "Considérant que l'intérêt de la commune nécessite une administration plus active et plus surveillante, et que l'obstination de la Municipalité à rejeter ou à éluder les réquisitoires du Procureur de la commune, annonce des principes suspects. Quoy, voyant et considérant que la presque totalité des griefs articulés contre eux sont pleinement constatés par les pièces justificatives produites par le Procureur de la commune ; que par la vérification des registres des délibérations de la dite commune, à l'exception du sieur Merlin-Desribières, qui nous a dit et déclaré, en présence des dits officiers municipaux, n'avoir participé directement, ni indirectement, aux procédés de la dite Municipalité, dont il reconnaît toute l'irrégularité ; que tous ses torts, dans cette circonstance, consistent d'avoir signé par terreur et surprise un des arrêtés faisant parti des griefs portés en la plainte du sieur Procureur de la commune."

Deux membres du Directoire, Simon Beaujeu, son président, et Pouliot, furent chargés par leurs collègues de se rendre à Saint-Victurnien, le 17 suivant, pour exécuter cet arrêté, suspendre la Municipalité et choisir une commission pour la remplacer.

Le 17 juillet, les deux délégués arrivèrent à Saint-Victurnien pour remplir la mission qui leur avait été confiée. A leur débotter, ils furent entouré par Négrier et ses acolytes, qui leur racontèrent que ce même matin, "à l'issue de la première messe, le nommé Forestier (chirurgien), l'un des officiers municipaux, s'était permis d'assembler le peuple sur la place publique, et de lui proposer de la manière la plus incendiaire de s'opposer de toutes ses forces à l'exécution de l'arrêté du Directoire du District de Saint-Junien contre les procédés de la Municipalité de Saint-Victurnien ; qu'ayant mis son projet à exécution, tous les assistants, au nombre de près de deux cents, parmi lesquels se trouvaient le Maire et d'autres officiers municipaux, avaient manifesté en levant leurs chapeaux, adopter le dit projet, et être dans l'intention d'opposer la résistance la plus opiniâtre, même de pratiquer les voies de fait les plus criminelles, tant contre les commissaires qu'autres citoyens du dit bourg." (Rapport de Pouliot, un des commissaires).

En présence de ces menaces de résistance, les deux commissaires se trouvèrent fort embarrassés. La pensée d'appeler à leur aide la Garde nationale leur vint tout d'abord. Ils mandèrent son commandant, le sieur Victurnien Tranchant. Le chef de la milice communale leur déclara qu'il ne pouvait mettre à leurs dispositions aucune force publique, car "ayant fait battre la générale le matin, il n'avait pu rassembler que deux hommes". Voyant qu'ils ne pouvaient trouver de secours, les commissaires prirent l'énergique résolution de se replier sur Saint-Junien.

Mais, au moment où ils s'apprêtaient à partir, ils virent arriver, dirent-ils dans leur rapport, huit ou dix citoyens qui venaient leur raconter les évènements de la matinée. Cette comparution de témoins n'avait, on le pense bien, rien de spontané ; tout avait été préparé par les adversaires de la Municipalité. Nous retrouvons ces récits sur le registre des délibérations des directeurs du District.

"Le sieur David nous a déclaré avoir entendu que le nommé Lacour (Jean), fils aîné, avait dit qu'il y aurait ce matin bien des chapeaux de reste ; que le déclarant lui ayant déclaré l'irrégularité de ses propos, il lui a répondu qu'il n'y avait qu'à commencer par le couper en pièces, qu'il en prendrait pour cinq sous. Ce David était un des signataires de la dénonciation envoyée au département.

Simon Merlin de Chanzat a déclaré que ce matin le sieur Forestier était monté, à l'issue de la première messe, sur la croix de la place publique, autour de laquelle il avait fait assembler tout le peuple, et il a dit à haute voix qu'on annonçait les guerres civiles, mais qu'elles allaient être ce matin à Saint-Victurnien ; qu'il y avait trois scélérats qui avaient mis toute la paroisse en combustion, et qui voulaient faire destituer le Maire et les officiers municipaux de leurs places, et que ceux qui voulaient qu'ils continuâssent leurs fonctions, n'avaient qu'à lever leurs chapeaux, ajoutant que ces trois B. mériteraient d'être coupés en morceaux, et qu'il fallait mancher des faux et des volants. Ajouta le dit déclarant que le sieur David, se randant sur la place pour prendre connaissance de ce qui se passait, François Bersat avait dit au sieur David de se retirer au plus vite, qu'il ne faisait pas bon ici pour lui, et que Jean de Lacour avait dit qu'il fallait mettre le dit David en pièces, qu'il en prendrait pour cinq sols ; de plus, ajouta le dit Merlin de Chanzat, que le Maire était présent à tous ces propos et les approuvait du geste. (Merlin de Chanzat était un autre signataire de la dénonciation).

Junien Lamy, aide-major de la garde nationale de Saint-Junien, a déclaré que, se rendant chez le sieur curé de Vaux, il avait été insulté par le peuple assemblé sur la place publique, et, leur ayant dit qu'ils seraient alors plus tranquilles lorsque le commissaire serait arrivé, le nommé Jean de Lacour, fils aîné, lui avait dit que le commissaire ainsi que lui, déclarant, seraient tous deux traînés dans la rivière.

Jean-Martial Raymond, cavalier de la gendarmerie nationale à la résidence de Saint-Junien, a déclaré que, ce matin, issue de messe paroissiale, le nommé Jean Forestier, chirurgien, et officier municipal de Saint-Victurnien, est monté sur la croix et a dit, en parlant au peuple assemblé, et au Maire et aux autres officiers municipaux qui l'entouraient : "Messieurs, il y trois ou quatre scélérats dans notre bourg qui cherchent à susciter la guerre civile et veulent faire casser la municipalité, mais que ceux qui veulent la conserver lèvent le chapeau. Il doit venir à huit heures un commissaire du District ; il ne faut pas s'en aller pour dire que vous ne voulez pas d'autre maire, ni d'autres officiers municipaux. Ajouta le dit déclarant : que le fils du Fournier, nommé Léonard Pêcher, garde national, a dit qu'ils perdraient tous la vie plutôt que le maire quittât."

François Rabaud, serrurier et garde national du dit bourg, a déclaré avoir entendu le sieur Forestier qui disait qu'on avait déjà entendu parler des guerres civiles et qu'on voulait commencer par le bourg de Saint-Victurnien, et qu'il y avait trois ou quatre scélérats qui voulaient faire casser le Maire et les officiers municipaux ; que François Bersat et Jean de Lacour, fils aîné, avaient dit qu'il n'y avait qu'à mancher des faux et des volants et tomber dessus ces scélérats, et a ajouté que le Maire était présent aux propos et les appuyait du geste."

Le citoyen Rabaud était aussi un des signataires de la dénonciation citée plus haut.

Victurnien Tranchant, commandant la garde nationale du dit lieu, a déclaré qu'en sortant de la première messe, il a aperçu le dit Forestier monté sur la croix, et que s'étant approché pour écouter ce qu'il allait dire, il a entendu que le dit Forestier disait qu'on avait entendu parler de guerres civiles, qu'on allait commencer par Saint-Victurnien, qu'il y avait trois ou quatre coquins qui voulaient faire casser la Municipalité, et que ceux qui voulaient la continuer n'avaient qu'à lever leurs chapeaux ; qu'alors la grande majorité de l'assemblée avait adhéré à la proposition en levant le chapeau, et que lui, déclarant, indigné de ce procédé, s'étant retiré pour chercher des témoins, il avait entendu plusieurs voix crier qu'il fallait s'armer de volants, de faux et de fourches, et de se défaire de ces gens. Ajouta le dit déclarant avoir entendu le nommé Léonard Pêcher et Jean de Lacour, fils aîné, dire qu'ils perdraient plutôt la vie, si le Maire n'était pas continué.

Martial Pacaud, garde national du dit bourg, a déclaré que le sieur Forestier avait dit, de l'autel de la croix où il était monté pour exciter le peuple : il y a trois scélérats qui cherchent la guerre civile et ailleurs.

Léonard Rabaud, marchand du dit lieu, a déclaré avoir vu le dit Forestier, officier municipal, sur la pierre de la Croix, et dire au peuple rassemblé autour de lui, qu'il y avait trois ou quatre scélérats dans l'endroit qui voulaient chasser le Maire et les officiers municipaux, mais que ceux qui s'opposaient à leur déplacement levassent le chapeau, et que presque toute l'assemblée le leva.

François Négrier de Beaumont a déclaré que depuis sa chambre, il avait entendu le dit Forestier faisant beaucoup de bruit, et que, s'étant mis sur la galerie pour distinguer avec plus de facilité ce qui pouvait occasionner un si grand murmure, il avait entendu une voix qu'il croyait être celle de Forestier, qui disait qu'il fallait s'armer pour chasser trois ou quatre scélérats qu'il y avait, et qui cherchaient à faire destituer la Municipalité, mais que ceux qui voulaient la conserver n'avaient qu'à lever leurs chapeaux. A cette motion du dit Forestier, le peuple avait crié : nous le voulons. Le déclarant ajouté que la servante du sieur Maublanc, Jeanne Dupuy, a dit avoir entendu qu'il y avait des personnes qui avaient dit qu'il fallait aller sonner le tocsin. En effet, dans le moment, nous l'avons entendu sonner ; et, nous étant présenté sur la place, à la porte de l'église, nous avons trouvé le Maire à la tête d'un peuple nombreux à qui nous avons demandé pourquoi il avait rassemblé tant de monde, lequel nous a répondu qu'il voulait que nous fussions témoins du voeu de la paroisse, qui désirait le conserver dans sa place, ainsi que ses collègues. En effet, il est parti au même instant plusieurs voix qui ont exprimé ce voeu, et qui ont ajouté que toute la paroisse périrait plutôt que de voir remplacer avant l'époque de la Saint-Martin. En conséquence, nous avons sommé le Maire de se retirer, ainsi que sa cohorte qui l'escortait, ce qui a été exécuté tumultueusement, après plusieurs propos séditieux, tant de la part du dit Maire que de plusieurs assistants, dont nous ignorons les noms."

Qui était donc ce Négrier de Beaumont qui se flattait de parler sur ce ton d'autorité au Maire de Saint-Victurnien ? Peut-être un frère, tout au moins un parent de cet autre Négrier, l'instigateur de toute cette affaire, qui, lui, était de Rochebrune. Il est assez probable que le sieur de Beaumont a enflé sa voix, son rôle et son importance devant les commissaires du District.

Nous avons cru devoir reproduire ce long récit du vote aux chapeaux devant la croix de la place publique de Saint-Victurnien. Chacune de ces dépositions ajoute quelque petit détail plein d'intérêt sur les gestes et les dispositions d'esprit de ces braves chrétiens qui voulaient défendre leur Maire, parce que leur Maire couvrait de sa bienveillance le curé qu'ils désiraient garder parmi eux.

On voit que les esprits étaient très surexcités ; il n'était question de rien moins que de commencer la guerre civile, d'emmancher pour la bataille les faux et les volants ; une cabale peu nombreuse, il est vrai, mais passionnée et ardente, battait en brèche ce brave maire ; à sa tête, se trouvait le Procureur de la commune Négrier de Rochebrune, cabale d'autant plus hardie qu'elle se sentait soutenue par les Administrations du District du Département qui voulaient une Municipalité "plus active et plus surveillante", c'est-à-dire une Municipalité qui serait sans complaisance pour le curé fidèle. Le maire Merlin-Dumas (ou peut-être Lemas) se défendait avec énergie ; il avait avec lui la plupart des habitants de la paroisse, et un ami plein d'entrain et de vigueur, le chirurgien Forestier, que nous admirons monté "sur l'autel de la croix", haranguant ces bons paysans si chrétiens.

A la date du 20 juillet, le Directoire du département enjoignit à celui du district de faire "exécuter son arrêté du 3 courant". Le 23, l'administration du district prit un nouvel arrêté en cinq articles.

"1° Il sera nommé des commissaires à l'effet de l'exécution du dit arrêté. En conséquence, les sieurs Simon, Pouliot et Rebeyrol ont été désignés pour se transporter demain à Saint-Victurnien, à 6 heures du matin ;

2° Il sera écrit de suite au Procureur général du département pour qu'une brigade de la gendarmerie nationale à la résidence de Limoges se trouve demain, à 6 heures du matin, sur la place publique de Saint-Victurnien ;
3° La brigade de gendarmerie nationale à la résidence de Saint-Junien sera pareillement requise de se trouver à la même heure, au même lieu et aux mêmes fins ;

4° Le commandant de la garde nationale de cette ville sera requis de commander au moins 60 hommes en armes pour accompagner avec la brigade de la dite ville, les commissaires susnommés ;

5° La Municipalité du dit Saint-Junien sera également requise de fournir le nombre de cartouches nécessaires au détachement, et, en outre, de faire livrer des munitions de bouche jusqu'à concurrence de cent livres de pain et soixante livres de viande cuite ; des frais de tout quoi il lui suffira faire compte, ainsi que de droit."


Nous croyons que cette expédition de guerre ne partit pas le lendemain, comme l'avait décrété le Directoire du District ; car, nous trouvons sur un registre cette courte et discrète mention : "Le 28 juillet 1791, Simon, Pouliot et Rebeyrole se rendent à Saint-Victurnien avec la gendarmerie." Vraisemblablement, ils n'y étaient donc pas allés le 23 précédent. C'était en effet, un départ bien précipité ; quelques heures pour cuire du pain et de la viande, pour réunir des gardes nationaux qui avaient à préparer leurs paquetages. C'était bien court.

D'autre part, ce même registre dit très brièvement que la Municipalité de Saint-Victurnien avait envoyé à Saint-Junien trois des siens, afin d'entrer en arrangement, et que le Directoire penchait vers la modération ; en même temps, Léonard Bardet et Jean Teillet étaient venus faire leur soumission, en disant qu'ils avaient agi par ignorance et par faiblesse.

Il est donc bien naturel de croire au retard de l'expédition et bien facile de s'expliquer ce retard.

Mais le citoyen Négrier-Rochebrune était furieux ; il écrivait au Département et se plaignait des lenteurs, de la faiblesse du District.

Enfin, le 28 juillet, les trois commissaires se décidèrent à partir pour Saint-Victurnien, escortés et gardés par la force armée.

Malheureusement, nous sommes obligés d'arrêter ici ce récit, au moment où l'intérêt grandit. Nous n'avons trouvé dans aucun registre, dans aucune liasse des archives départementales, la plus petite indication sur cette importante campagne des trois stratèges du District contre la paroisse de Saint-Victurnien.

Disons seulement, c'est tout ce que nous avons pu découvrir, et la chose est d'importance, que toutes les poursuites contre la Municipalité de Saint-Victurnien cessèrent, sur une lettre du Ministre de la Justice, adressée au commissaire du Roi, le 6 janvier 1792. Quelle heureuse influence était intervenue ?

Extrait : La Petite Vendée dans la Région de Rochechouart ... par E. Rayet - 1929

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