LE THOR (84) - ANGERS (49) - UN IMPRIMEUR ANGEVIN : CHARLES-PIERRE MAME (1747-1825)
UN IMPRIMEUR ANGEVIN : CHARLES-PIERRE MAME (1747-1825)
Né au Thor (Vaucluse) le 18 novembre 1747 et baptisé le lendemain.
Le 10 mars 1772, lorsqu'il épouse à Saint-Michel-du-Tertre, Marie Lemarcan, originaire de Paris, Mame est donc ouvrier imprimeur chez Billault, rue Saint-Laud. II a 25 ans. Le jeune ménage s'installe sur cette même paroisse Saint-Michel où naissent leurs six premiers enfants (ils en auront huit) :
- le 11 janvier 1773, Marie-Jeanne-Émilie,
- le 15 mai 1774, Charles-Mathieu,
- le 14 juin 1775, Louis-Charles,
- le 19 mai 1776, Amand-Augustin-Ferdinand,
- le 31 mai 1777, les jumelles Marie-Charlotte et Marie-Thérèse,
- un septieme enfant, Philippe-Auguste est naît le 5 novembre 1778, baptisé paroisse Saint-Pierre.
- Le 28 juillet 1781, naît le dernier enfant, Camille-Edme-Xavier, baptisé à Saint-Maurille.
Charles-Pierre Mame fut, le 14 septembre 1778, nommé libraire à Angers par arrêt du Conseil d'État privé du Roi :
Sur le mémoire présenté au roi en son Conseil par Charles-Pierre Mame, garçon imprimeur de la ville d'Angers, expositif que dès son plus bas âge il s'est disposé à l'état de libraire-imprimeur, qu'il a travaillé à Avignon, où il a même fait un apprentissage chez le sieur Joly, imprimeur-libraire, mais qu'il ne lui est pas possible de rapporter un acte en forme pouvant constater cet apprentissage ; que depuis le temps qu'a fini cet apprentissage en 1767, il a encore travaillé à Avignon en qualité de compagnon ; qu'il est enfin venu se fixer à Angers, où il a travaillé pendant l'espace de dix années tant chez le sieur Billault que chez la veuve Dubé, imprimeurs-libraires en cette ville ; qu'il espère des bontés de Sa Majesté qu'elle voudra bien, ayant égard à ce qu'il a travaillé dans l'état d'imprimeur-libraire, le dispenser de rapporter un brevet d'apprentissage en forme pour parvenir à être reçu libraire à Angers.
Ce considéré, il plaise à Sa Majesté, par grâce et sans tirer à conséquence, recevoir le suppliant libraire de la ville d'Angers, en le dispensant de l'apprentissage en forme dudit état.
Vu ledit mémoire signé Mame,
Ouï le rapport du sieur Le Camus de Neuville, chevalier, conseiller du roi en tous ces Conseils, maître des requêtes ordinaire de son hôtel, commissaire à ce député, et tout considéré,
Le Roi en son Conseil, de l'avis de M. le garde des sceaux, par grâce et sans tirer à conséquence, a ordonné et ordonne que ledit Charles-Pierre Mame, garçon imprimeur à Angers, sera reçu libraire de la ville d'Angers, à la charge par ledit Mame de prêter le serment en pareil cas requis et accoutumé pardevant le lieutenant général de la police de ladite ville (Archives de Maine-et-Loire).
Le 9 avril 1781, Mame était nommé imprimeur par un second arrêt du Conseil d'État privé du Roi, et il s'installa dans un immeuble, rue du Cornet. A la date du 30 juin 1790, il devenait l'imprimeur de l'administration départementale de Maine-et-Loire.
Du 23 au 25 juin 1793, Mame fut emprisonné au château d'Angers par les Vendéens maîtres de cette ville.
Au début de septembre 1795, Mame envoyait la pétition suivante au Comité de Législation de la Convention Nationale :
"J'avais une quantité d'ouvriers dans mon imprimerie lorsque la Convention décréta que toutes les lois seraient imprimées à Paris et envoyées aux districts par l'Agence des Lois.
La loi du 14 frimaire (4 décembre 1793) mit en réquisition toutes les imprimeries des départements pour la réimpression des discours et rapports de la Convention. Je conservai mes ouvriers aux fins de servir promptement les autorités constituées et les représentants du peuple dont j'avais la confiance.
Les impressions n'étant pas assez considérables pour occuper mes ouvriers, j'entrepris un ouvrage d'environ 17 volumes. Le premier volume imprimé, je le portai à Paris. Plusieurs libraires me demandèrent à acheter l'édition. Je traitai avec le nommé Ouvrier, libraire, alors mon correspondant. La loi du maximum existait pendant mes pourparlers. Elle fut rapportée avant le 24 nivôse (13 janvier 1795), jour que notre marché fut signé.
Alors le papier était fixé à 17 livres 10 sols la rame. La main d'oeuvre, les étoffes, tout était à un pris raisonnable. Je calculai sur le cours du moment et continuait mon opération dans l'intime persuasion que le rapport de la loi du maximum serait plus avantageux pour les entrepreneurs, que la paix dans la Vendée serait un nouveau bienfait pour les habitants d'Angers. Je fus trompé. J'éprouvai, au contraire, une augmentation dans le papier et la main d'oeuvre. Les fabricants de Sainte-Suzanne (Mayenne) avec qui j'avais traité, ne voulurent plus me fournir le papier qu'ils m'avaient vendu et sur lequel je comptais pour mon ouvrage. Les Chouans qui commençaient le brigandage dans cette partie de la République, leur servirent de prétexte pour ne pas me livrer. Je continuai cependant mon opération. J'avais un traité, il était de ma délicatesse de le remplir.
J'employai tout le papier que j'avais dans mon magasin et j'imprimai dix volumes. Ma perte alors était considérable. Sans papier, j'arrête l'entreprise. Je me décidai à partir pour Paris. Nous étions à la fin de floréal. Je m'abouche de nouveau avec le citoyen Ouvrier, et lui observe qu'il m'est impossible de continuer l'ouvrage que je lui avais vendu, que les Chouans entravaient mon opération. Je lui offris de lui livrer les dix premiers volumes au prix porté et convenu dans notre marché, quoique j'eusse éprouvé une perte immense, et je lui fis sentir que ne pouvant me procurer de papier qu'à 100 livres la rame, je ne pouvais continuer à moins qu'il ne voulût me payer l'impression des volumes à faire au prix du cours du jour. Après plusieurs débats, il m'offrit vingt mille livres d'indemnité, lorsque j'en demandais trente, croyant pouvoir tirer seulement mes frais. J'acceptai les vingt mille livres, je fus toujours l'ennemi des mauvais procédés.
J'étais encore dans la bonne foi lorsque je pris ce second engagement et je comptais ne pas supporter de nouvelles entraves (c'était en prairial que je le pris). L'insurrection dans les communes des environs d'Angers a pris de nouveaux accroissements. Les Chouans ont commis de nouvelles perfidies, les rivières ont été interceptées, le papier a augmenté. Les subsistances sont devenues rares, les ouvriers ne pouvant se procurer du pain qu'à dix et onze francs la livre, ont demandé une augmentation considérable. Tout est monté à un prix exorbitant, et ce n'est qu'à grands frais que j'ai pu finir mon ouvrage. La Convention Nationale, toujours juste et bienfaisante, par son décret du 17 messidor (5 juillet 1795), est venue au secours des entrepreneurs, mais ceux avec qui ils ont traité, plus avides de bénéfices qu'ils ne le sont de justice et pour lesquels seul est le lucre, ne connaissent et ne veulent connaître que leurs marchés.
Qui plus que moi n'a été entravé dans mes opérations ? Les Chouans ont arrêté et arrêtent journellement les bateaux. Ils m'ont appréhendé moi et mes deux enfants aînés dans une fabrique de papier où nous fûmes pour nous en procurer. Un spectacle attendrissant dans mes derniers adieux à mes enfants m'a sauvé la vie (ils allaient me fusiller).
Je suis traduit au tribunal de commerce. J'invoque l'article 2 de la loi du 17 messidor dernier. Laisserez-vous ruiner un père de sept enfants, tandis que celui avec qui j'ai traité, qui n'a presque rien déboursé, a un bénéfice, par les mêmes circonstances qui me détruisent, de près de 500.000 francs ? J'avais traité longtemps avant la loi du 17 messidor, et les évènements multiples dont Angers a été affligé doivent me la rendre favorable". (Archives Nationales).
Le 15 septembre 1795, le Comité de Législation renvoie la pétition au citoyen Villiers, procureur général syndic du département de Maine-et-Loire, qui répond le 24 septembre :
"En frimaire an II (décembre 1793), le citoyen Mame avait 32 ouvriers, qu'il paraît avoir conservés jusqu'au commencement de thermidor an III (fin juillet 1795). Il en a encore actuellement 22.
Avant la suppression du maximum, la composition valait 20 livres et l'impression du mille 3 livres 10 sols. En ventôse an III, l'impression fut portée pour le mille à 4 livres 10 sols et à 25 livres pour la composition. Depuis cette époque jusqu'à ce moment, il y a eu tous les mois de l'augmentation, et aujourd'hui le mille d'impression se paie 15 livres et la composition 60 livres.
Le papier, avant la suppression du maximum, valait 17 livres 10 sols la rame. Le prix en a progressivement augmenté d'une manière effrayante. Vers la fin de prairial, il valait déjà 130 livres la rame. L'augmentation successive a été si rapide que le papier d'impression se vend actuellement 330 livres. Le papier à écrire a subi à peu près la même augmentation.
Ce que dit le citoyen Mame relativement aux entraves que les Chouans qui nous entourent ont mis à toutes les opérations de commerce n'est malheureusement que trop vrai, et lui-même et ses deux enfants ont failli en être victimes, puisque dans un voyage qu'ils firent à une papeterie éloignée seulement de quatre lieues d'Angers pour tâcher d'en tirer quelques rames de papier, ils furent pris par ces scélérats, qui les auraient fusillés si les représentants du peuple ne les avaient échangés avec quelques-uns de leurs complices.
Il est encore très vrai que les fabricants de Sainte-Suzanne n'ont pu fournir de papier et remplir les engagements qu'ils avaient contractés tant avec le citoyen Mame qu'avec l'Agence des domaines nationaux. Les transports sont encore actuellement impossibles sans force armée. La navigation est interceptée sur toutes les rivières qui nous avoisinent ; et s'il parvient quelque chose à Angers, ce n'est qu'avec le secours de détachement considérables.
Ces circonstances impérieuses ont occasionné de grandes pertes au citoyen Mame et militent en sa faveur.
A la date du 15 septembre 1796, Mame acheta l'ancien couvent de l'Oratoire, et y transféra son imprimerie.
Nous avons dit que Mame était imprimeur de l'administration départementale de Maine-et-Loire. Le coup d'État du 18 fructidor (4 septembre 1797) lui fit perdre cette situation enviée ; mais dès le jour de son installation (29 mars 1800), le premier préfet de Maine-et-Loire le choisit comme imprimeur de la préfecture et de l'administration départementale.
Charles-Pierre Mame mourut à Angers (1er arrondissement), le 2 mars 1825.
- L'Anjou Historique - janvier 1941
- La Maison Mame - Histoire d'une imprimerie-librairie au XIXe siècle - École Nationale supérieure de Bibliothécaires - Université des Sciences Sociales de Grenoble - 1988-1989
- AD84 - Registres paroissiaux de Thor
- AD49 - Registres d'état-civil d'Angers