CAEN (14) - 1836 - LE CANARD SAUVAGE DE CAEN
CAEN, 23 décembre 1836
Avec un vent glacial du nord, un canard sauvage, par malheur pour lui et par malheur pour certain employé de l'octroi, s'abattit, le 11 de ce mois, dans la prairie de Caen : par malheur pour lui, car il fut tué ; par malheur pour l'employé de l'octroi, car il lui aura valu deux procès, l'un civil, l'autre correctionnel.
C'était à l'heure de la passée des canards et des fraudeurs, le sieur Coldée n'avait mission de surveiller que ces derniers : mais, pensant pouvoir faire d'une pierre deux coups, il guettait en même temps la fraude et le gibier.
Ce jour, il ne rencontra pas de délinquants, mais seulement un canard sauvage, qu'il tua et mit dans son sac. Survint un sieur Duval-Chibourd, qui prétendit que ce canard était le sien, attendu qu'il l'avait tiré le premier, - Tiré, c'est possible, mais manqué, c'est sûr ! - Je l'ai blessé ; - Moi, je l'ai tué ..., etc. - Quoiqu'il en fût, Coldée s'en alla avec le canard, et le mangea.
De là un premier procès. Citation en police correctionnelle et condamnation de Coldée de 50 fr. d'amende, avec confiscation du fusil.
Fatal canard ! chaque aiguillette aura coûté cher ! car un autre procès est pendant entre les parties, devant le juge de paix, chargé de décider si l'employé de l'octroi a légitimement mangé le canard qu'il avait illégalement tué.
Ainsi, voilà un malencontreux volatile, qui occupe trois juges de première instance et un juge de paix, qui fait prendre la parole à un procureur du roi et suer trois avocats, qui met en mouvement bon nombre d'huissiers et la plume en main à deux greffiers, et qui dérange de leurs affaires pendant plusieurs jours un employé de l'octroi et un commerçant.
C'est le cas de dire que les plus petites causes ont quelquefois de grands effets.
Le Mémorial de l'Ouest - janvier 1836