ARGENTAN (61) - 1805/1807/1808 - ATTAQUES DE DILIGENCES
La lutte de l'ouest contre la révolution était terminée, M. de Frotté était tombé le dernier, en Normandie, dans les fossés de Verneuil. Les assassinats sur les grandes routes n'étaient plus que le dernier coup du royalisme expirant. Nous retrouvons dans nos environs quelques uns de ces évènements partiels et isolés.
Vers 1805, la diligence Michel, partant d'Évreux, fut dévalisée à quelque distance de cette ville. Le nommé Lechevalier (Armand-Victor), dont le père possédait une propriété à St-Arnould-sous-Exmes (Orne), se trouvait au nombre des accusés ; il se déclara complice et voulut mourir avec ses amis. Cependant il fut acquitté.
Deux ans après, le 7 juin 1807, sur la route de Falaise à Caen, dans le bois de Quesnay, deux kilomètres de Langannerie, une diligence chargée de 65.000 fr. de fonds publics, recette d'Alençon et d'Argentan, fut arrêtée. Les malfaiteurs jetèrent bas un des gendarmes et s'emparèrent de l'argent. La gendarmerie se mit bientôt en campagne ; un déserteur qui avait pris part à l'action les mit sur les traces des auteurs de ce crime ; ils furent arrêtés.
Madame Decombray et Madame Acquet, sa fille, furent accusées d'avoir pris part à cette action et de l'avoir favorisée : on fut jusqu'à dire que madame Acquet, vêtue en homme, assistait à l'arrestation de la voiture. Lechevalier fut encore accusé d'être de la partie.
Sur trente-deux prévenus, vingt-cinq étaient aux mains de la justice. L'instruction se faisait à Caen. Après cinq mois, la justice impériale jugea nécessaire de la faire continuer à Rouen, pour soustraire les accusés à la décision de leur jury naturel, duquel ils auraient pu espérer de l'indulgence.
Le procès de Lechevalier était conduit à part ; traduit devant une commission militaire, présidée par le général Hullin, il fut fusillé le 10 janvier 1808.
Un an après cette première exécution, 15 décembre 1808, les vingt-trois prévenus restant étaient traduits devant la cour de justice criminelle spéciale de Rouen ; dix furent condamnés à mort, quatre furent condamnés à vingt-deux ans de fers et de réclusion ; huit avaient pu se soustraire à l'action de la justice.
L'exécution de la dame Acquet fut sursie, parce qu'elle s'était déclarée enceinte ; les autres subirent leur jugement le même jour.
Les deux petites filles de madame Acquet, avec leur tante, se mirent en route pour l'Allemagne ; et au moment où Napoléon rentrait à Schoenbrunn, après avoir visité le champ de bataille de Wagram, il aperçut dans la cour, où elles avaient été introduites par un aide-de-camp, , les deux enfants et leur tante vêtus de deuil. Il pensa que c'était la veuve et les enfants d'un officier mort dans la bataille ; il s'approcha d'eux avec bonté ; les deux petites filles se jetèrent à ses pieds en lui criant : grâce ! grâce ! Sire, rendez-nous notre mère. L'empereur les releva, lut la pétition, se plaignit vivement de n'avoir pas été prévenu de cette affaire par le duc d'Otrante, et refusa la grâce : madame Acquet fut donc exécutée.
Un cordonnier de Donnay, qui avait recélé les 65.000 fr. dans son four, ne reparut dans le pays qu'après la restauration ; seul il avait recueilli cet argent trempé de sang.
Extrait : Histoire d'Argentan et de ses environs - par Jean-Alexandre Germain - 1843