LA BRESSE (88) - LES FEMMES DE LA BRESSE EN 1793
LES FEMMES DE LA BRESSE EN 1793
Sur l'ordre de la Convention, le maire de la Bresse (diocèse de Saint-Dié) fit descendre le grand crucifix de l'église, suspendu entre le choeur et la nef, selon l'usage de toutes les églises de campagne, et le relégua dans la sacristie qui fut soigneusement fermée et qui ne devait plus s'ouvrir pour aucun exercice du culte, soit public, soit privé.
Les hommes se turent, comme partout ailleurs, et se cachèrent lâchement pour gémir.
Mais les femmes laissèrent éclater librement leur colère ; et l'une d'elles, dont le nom est resté légendaire dans le pays, douée d'un courage viril, alors plus que viril, se proclama en révolte ouverte et appela ses concitoyennes à son aide.
Au nombre de deux à trois cents, armées de haches, de crochets à foin, de faux, de merlins, de toutes les espèces d'armes qu'elles ont trouvées à leur convenance dans leur ménage, elles se portent tout droit chez le maire, et lui signifient de rester tranquille, si peu qu'il tienne à la vie. De là elles se rendent chez l'individu qui s'est fait l'exécuteur de la haute oeuvre du maire, lui enjoignent sans réplique de prendre sur son dos l'échelle dont il s'est servi pour perpétrer le sacrilège ; et, ainsi chargé de son instrument, elles le font marcher droit devant elles jusqu'à l'église. Puis trois ou quatre des plus vigoureuses se mettent après la porte de la sacristie, dont elles ont dédaigné de réclamer les clefs, et à coups de haches et de masses, elles l'ont bientôt mise en pièces.
Le crucifix retrouvé, le manoeuvre vient le prendre, et le remonte avec plus de docilité encore qu'il ne l'a descendu. Et les courageuses chrétiennes déclarent que si on y touche encore, ce ne sera plus impunément. Et de fait on n'y toucha plus. Et la porte de la sacristie, qui ne devait plus s'ouvrir, ne se ferma plus, non plus que celle de l'église, jusqu'à la reprise du culte schismatique, après la Terreur, sur la fin de 1794.
Dans cet intervalle, les femmes et les filles de la paroisse ne manquèrent pas un dimanche ni une fête de se réunir au pied de leur crucifix et devant l'autel de la sainte Vierge, pour y chanter solennellement l'office de la Congrégation, et personne n'osa jamais s'y opposer.
Un dimanche, cependant, elles eurent à déplorer un grand scandale. Un de ces cinq ou six misérables qui personnifiaient à la Bresse, le sans-culottisme, ne put contenir sa rage, en passant près de l'église au moment où elle retentissait ainsi des louanges de la sainte Vierge.
Il entre comme un forcené, va droit à l'autel, saisit par la tête la statue de la sainte Vierge, qui était exposée entre des fleurs et des cierges allumés, la lance bien loin dans l'allée devant l'autel, et se sauve pour éviter le mauvais parti que son audace ne pouvait manquer de lui attirer sur le champ. Les bonnes congréganistes, revenues de leur stupeur, relèvent la statue qui était restée la face contre terre sur le pavé, la remettent sur l'autel, lui font amende honorable et achèvent leur office.
L'affreux drôle ne paya pas sur place son sacrilège ; ce fut Dieu qui se chargea de la vengeance, assez longtemps après cependant, selon sa coutume.
Un jour on le trouva mort sur le chemin, les mains étendues, le visage contre terre, dans la même position où il avait mis l'image de la sainte Vierge sur le pavé de l'église.
Personne, même parmi ses rares compagnons d'impiété, ne songea à voir dans une pareille mort l'effet du hasard.
Extrait : La Semaine religieuse du diocèse d'Alby - 1883 - 3 novembre - (A11, N1)