GRAND-CHAMP (56) - 1906 - INVENTAIRES - FRANÇOIS PLUNIAN
L'INVENTAIRE A GRAND-CHAMP
LE COURAGE DES GAS DE GRAND-CHAMP
Depuis la tentative d'inventaire qui eut lieu le 3 février, la population de Grand-champ veillait et était prête à se rassembler à la première alerte. Dimanche soir, malgré le secret le plus absolu gardé par le receveur et les gendarmes, on parvint à savoir, je ne sais comment, que l'inventaire devait se renouveler le lundi. Aussitôt comme une traînée de poudre, la nouvelle se répand dans le bourg, des hommes de bonne volonté partent dans toutes les directions, et deux heures après, tous sont avertis.
L'église reste ouverte toute la nuit : des fidèles accourent monter la garde dans leur église. A chaque instant c'est un nouveau flot de chrétiens qui viennent renforcer le premier noyau. Dès 4 heures l'église est pleine d'hommes, de femmes, de jeunes gens et de jeunes filles venus de tous les villages, et qui attendent avec impatience le moment de montrer combien ils aiment leur église.
Vers 6 heures, ne voyant rien venir, les fidèles sortent et se réchauffent le mieux qu'ils peuvent en battant la semelle. Rien n'est signalé. "Les soldats ont couché à Plescop, prétend l'un". "Non, dit l'autre, ils viendront d'Auray". Personne n'en sait rien. Cependant les cloches sonnent le tocsin, le glas des morts. On reste dans l'attente jusqu'à sept heures : On commence à désespérer. La place de l'Église regorge de monde.
Enfin, vers sept heures un quart, on voit apparaître la brigade de gendarmerie de Grand-champ, accourant au pas de gymnastique. Quelques hommes rentrent à l'église, on ferme les portes, et ainsi est déjouée la manoeuvre des gendarmes, qui avait pour but de s'emparer d'une des portes, n'importe laquelle et de la garder coûte que coûte.
Les hommes se massent à la porte latérale du midi ; les gendarmes chargent, ils sont repoussés. Heureusement pour eux à ce moment, débouchent de tous les coins une multitude de gendarmes qui viennent au secours de leurs camarades. Un gendarme cycliste est renversé de sa machine, un cavalier roule à terre sous sa monture. M. l'abbé Danigo les protège contre les fureurs de la foule. La bagarre dure toujours. Un commissaire de police venu de Vannes apparaît mais ne parvient pas à mettre le calme.
Un brave homme François Plunian de Lesmenly, est arrêté arbitrairement sans que rien ne justifie cet acte, et est emmené au violon. M. Danigo se multiplie pour protéger gendarmes et commissaire et pour conseiller à tous la douceur. Il en est bien récompensé : Un gendarme le saisit en lui disant : "De par ordre du commissaire, je vous arrête !" et on l'emmène au poste pour le laisser se reposer. Des cris de : "Vive M. Danigo !" éclatent de toute part. Il sera relâché une heure après. Violente est la bagarre ; plus violente est la répression. Enfin la troupe arrive. Un bataillon du 116e refoule tous les manifestants et reste maître de la place et de toutes les rues. Personne n'a le droit de sortir des maisons.
Sur la place, entourés de gendarmes, on aperçoit deux civils, les seuls qui aient le droit de s'y trouver, l'un tient un petit sac noir à la main, l'autre un pic et une hache, ce sont les crocheteurs. Nous avons su depuis qu'ils étaient de Lorient. On attend jusqu'à 8 heures. Enfin à cette heure, un roulement de tambour retentit et on entend la voix tremblante du commissaire : "Au nom de la loi, ouvrez cette porte", il se trouve en face de la porte de la sacristie. Un "non" énergique lui répond. Par trois fois, même sommation, même réponse. "Allez !" dit le commissaire aux crocheteurs et ceux-ci d'essayer tous leurs "passe", tous leurs rossignols : la serrure ne cède pas. A bout de patience, ils emploient un ciseau à froid et descellent la serrure. Ils ne sont pas au bout de leurs peines. En entendant les coups de marteau, la foule contenue par un cordon du 116e de ligne pousse des "hou ! hou !", qui sont entendus de très loin.
Une vigoureuse poussée apprend aux crocheteurs qu'ils ne sont pas maîtres de la porte. Celle-ci est en effet solidement barricadée. Il faudra donc la hache et le pic. Au bout de 25 minutes, la porte démolie, enfoncée cède enfin. Le commissaire pénétra dans la sacristie, puis M. Guéhéneuf, receveur d'enregistrement, chargé de l'inventaire, les deux crocheteurs, deux maréchaux-des-logis et une quantité de gendarmes.
Deux vicaires sont à la sacristie : "Assistez-vous à l'inventaire ?" demanda le commissaire. Un refus catégorique fut la réponse.
Arrivent M. le curé et le président de la Fabrique. Même demande, même réponse. Deux gendarmes sont désignés pour assister M. Guéhéneuf. Malheureusement pour lui un des gendarmes le met dedans à chaque instant pour la dénomination des objets du culte, ce qui fait rire les assistants.
Voici quelques exemples. Une aube est pour lui une robe ! et le gendarme voit son dire confirmé par un maréchal-des-logis. L'étole est un grand brassard, le manipule n'en est qu'un petit, Les ornements sacerdotaux sont pour lui des complets (sic), les ornements du diacre et du sous-diacre (deux incomplets) (resic), les amicts sont des petits tabliers ! Les surplis, des chemises ; des portes-bannières deviennent des allume-feu ; un conopée, une petite robe. J'en passe .. et des meilleurs.
Après la sacristie ces messieurs pénètrent dans le sanctuaire et continuent à inventorier. Après quoi ils se rendent à la cure : la caisse à trois clefs est ouverte par les crocheteurs. Leur besogne est terminée, ils se retirent. L'infanterie défile la première, par la route de Vannes. La voiture des crocheteurs, escortée de gendarmes à pied et de gendarmes à cheval, prend la route d'Auray. Des cris se font entendre. Les gendarmes ont encore semble-t-il, envie de charger. M. Alaine, capitaine de gendarmerie de Vannes, qui s'est montré pendant toute la journée, les laisse partir et reste seul au milieu de la place. Personne ne songe à le maltraiter.
Après avoir assisté au défilé de la troupe et des gendarmes, plus de 2.500 personnes se dirigent vers la gendarmerie, voulant réclamer François Pluniau, arrêté le matin même. Les gendarmes sortent et forment la haie pour défendre l'entrée de leur casernement. Point n'est besoin pour eux de mettre baïonnette au canon. D'un mot, un vicaire arrête toute cette foule que 70 gendarmes ne pouvaient contenir, tant est grande sur eux l'influence du prêtre.
M. Alaine arrive : on lui demande très poliment de relâcher le prisonnier. Ce n'est pas lui affirme-t-on, qui a frappé les gendarmes. Le capitaine promet de faire son possible, et devant nous il rédige une dépêche pour son commandant d'escadron, demandant au moins la liberté provisoire. Un vicaire lit cette dépêche à la foule et invite tout le monde à se retirer, ce que l'on fait.
Le malheureux père du prisonnier, Gildas Plunian, est le premier à conseiller le calme, persuadé que c'est plus par la douceur que par la violence, qu'on arrive à s'entendre. Il fait peine à voir, ce malheureux père ! Consolez-vous Gildas, la prison imméritée, surtout dans les temps où nous vivons, et dans les temps que nous traversons n'a rien de déshonorant et votre brave fils, François, pourra encore lever la tête bien haut, plus haut même qu'auparavant : il aura eu l'honneur de souffrir pour une grande cause !
La journée est terminée. Les gendarmes sont partis, les Gréganistes regagnent leur demeure, non sans avoir défilé un à un devant la porte de la sacristie, qui a reçu les coups de hache des crocheteurs. Oui, bonnes gens, regardez-là bien cette porte et gardez dans votre coeur le souvenir de tout ce que vous avez vu. Ne gardez de ces évènements aucune rancune personnelle. Mais montrez-vous encore plus chrétiens que par le passé. Vous avez tenu haut le drapeau de Grand-champ, maintenez-le toujours et que votre de vise soit la devise des Bretons : "Plutôt la mort que le déshonneur."
"Kentoh meruel mil gueh eit dishanouein Doué !"
(Ouest-Éclair - un témoin)
Victime de la loi
Les opérations de l'inventaire de Grand-Champ, qui ont eu lieu le lundi 12 février, ont amené l'arrestation du nommé Plunian François, âgé de 30 ans, cultivateur à Lesmeli en Grand-Champ, qui aurait porté un coup de pied au gendarme Bernier, d'Elven, et aurait aussi réussi à faire évader un individu arrêté par le gendarme Oudet, de Grand-Champ.
Conduit immédiatement à Vannes, il a été le même jour jugé en flagrant délit et condamné à 15 jours de prison.
Nous adressons nos plus vives félicitations à M. François Plunian qui avait été l'objet des plus odieuses provocations de la part des gendarmes.
Des condamnations comme celle qu'il a encourue font le plus grand honneur.
Journal L'Arvor - Vendredi 16 février 1906 - 11e année - n° 68