JULIEN LE BLANT - "LE TABLEAU DE LA LUTTE" : EXÉCUTION DU GÉNÉRALISSIME D'ELBÉE
En 1878, un peintre des plus distingués, M. Maurice Le Blant, l'illustrateur des Chouans de Balzac, du Chevalier Destouches, de Barbey d'Aurévilly, l'auteur de l'Exécution de Charette, exposa au Salon un remarquable tableau représentant la mort de d'Elbée et de ses compagnons.
Ce tableau qui eut un grand succès, et contribua puissamment à classer le jeune artiste à un rang élevé dans l'art, a été acheté par le Musée de Nantes. Il est désigné sous le nom de "tableau de la lutte", parce qu'un jour de marché de l'année 1884, des paysans s'étant arrêtés devant cette toile, et commentant à haute voix le fait historique représenté, furent interpellés par des ouvriers de la ville ; des mots aigres, on en arriva aux injures et à la bataille, et dans la chaleur de la rixe, les combattants brisèrent une statue et crevèrent un autre tableau qui se trouvait en face.
"L'artiste, écrivait un critique connu, M. Olivier Merson, a traduit son programme sans emphase vaine, ni amplification inutile. L'exécution vient d'avoir lieu : tout au fond se distinguent les troupes qui retournent à la ville. Au premier plan, les cadavres ; point d'amis ou d'ennemis qui les entourent ; de curieux nulle part ; et sur cette vaste solitude plane une teinte sombre, triste et grise, vraie couleur de scènes lugubres."
M. Adrien Dézamy, poète délicat, avait écrit, à propos du tableau dont il est question, de beaux vers :
C'était un froid matin de janvier. Sur la place
de Noirmoutier, nul bruit, que le bruit de la mer
Et des pas mesurés faisant craquer la glace ...
On sentait comme un vent de mort passer dans l'air.
C'est qu'en effet, dans l'île, un arrêt militaire
Vient d'être exécuté ce matin-là. Comptez :
Trois Vendéens couchés la face vers la terre
Près d'un mur, sur le sol, gisent ensanglantés.
Un quatrième, ceint de son écharpe blanche,
Front meurtri, bras pendants, est assis au milieu
Sur un large fauteuil. Sa tête qui se penche
Semble à ses compagnons dire un dernier adieu.
Sur lui plus d'un regard tombe à la dérobée ;
Les soldats qui s'en vont, pâles, presque tremblants,
Se le montrent des yeux et disent : C'est d'Elbée,
"Le blessé de Cholet, le général des Blancs !"
Eh bien ! oui ! C'est d'Elbée ! un généralissime !
Mais pour qui la connaît la mort est sans effroi,
Et l'on peut de sa vie, alors, payer ce crime
D'avoir été fidèle à Dieu, comme à son Roi !
Maudits soient les combats et les guerres civiles
Qui font par les vaillants fusiller les héros,
Et qui, pour apaiser les hameaux et les villes,
Transforment, sans merci, des soldats en bourreaux !
Revue du Bas-Poitou - 6ème année - 1ère livraison - 1893
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