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La Maraîchine Normande
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25 novembre 2015

LE BOUPÈRE (85) - LES INVENTAIRES

Le Boupère vue aérienne


Les Boupériens se préparaient déjà au combat. La loi de Séparation, votée le 9 décembre 1905, prévoyait les Inventaires. L'État, avant de mettre la main sur les biens de l'Eglise, prétendait en faire l'évaluation. Des fonctionnaires allaient venir visiter les sacristies et les édifices religieux pour apprécier la valeur des calices, ciboires et autres objets servant au culte.

L'indignation se déchaîna aussitôt en France et en Vendée. L'autorité diocésaine s'efforça de calmer l'émotion populaire. Elle n'y réussit pas toujours. Les Inventaires, dont le principal promoteur en Vendée fut Georges Clémenceau, donnèrent lieu, en maints endroits, à des scènes tragi-comiques qui faillirent parfois tourner au drame.

On sait au Boupère que, le 23 janvier, les Pouzaugeais s'étaient opposés avec succès, à l'inventaire de leur église. M. de Bagneux fut révoqué, les jours suivants, pour avoir dit un peu trop vertement, ce qu'il pensait au commissaire de la République.

Le 29 janvier, on apprit que 300 soldats du 137e, appuyés par une innombrable gendarmerie, assiégeaient l'église de Pouzauges où les catholiques s'étaient retranchés. Le doyen, M. Bureau, absent ce jour-là, arriva juste à temps pour empêcher l'émeute de dégénérer en bagarre sanglante.

Le 11 février, le Pape Pie X, condamnait le principe des Inventaires. Il n'était question, partout, que de résistance. Allait-on voir un soulèvement général ? Un nouveau 1793 ?

 

Le Boupère - carte -

 

 

Le 14 février, bien avant le jour, les gens de l'Égonnière constatent qu'une troupe de 2 à 300 hommes, appartenant au 137e R.I. de Fontenay a bivouaqué dans les prés, près de la grande route. Les soldats, gelés à leur réveil, se précipitent au café Sachot, du Caillou, pour y prendre un "jus" arrosé. Sachot prévient le forgeron Pâquereau, qui part au Boupère donner l'alerte.

Pâquereau traîna-t-il en chemin ? Une escouade l'avait-elle précédé ? Toujours est-il que les soldats arrivèrent avant lui, au bourg.

Il était peut-être 6 heures du matin ; il faisait noir encore. Le boulanger Emile Gaboriau entendit le pas martelé de la troupe, il comprit tout de suite :

- L'Armée !

Il courut aussitôt à l'église. Le sacristain Pierre Collet y était en prière. Gaborieau se précipita sur la porte du clocher, la seule qui ne fût pas, déjà, barricadée. Il poussa le verrou intérieur. C'était grand temps : une main, à l'extrieur, tournait la poignée, pour entrer :

Gaboriau, par la sacristie, gagna le presbytère. Le curé de La Garnache, M. l'abbé Soulard, y déjeunait tranquillement, avant d'aller prendre le train à Chavagnes-les-Redoux.

- L'armée est là !

L'abbé Soulard, incrédule, finit son café et s'en alla chez M. Perrin, où la voiture l'attendait. Le curé du Boupère et ses vicaires coururent à l'église.

Déjà, dans le clocher, le tocsin sonnait. Déjà, des hommes, des femmes accouraient, qui se faufilaient par le pré de la cure, dans le sanctuaire. La troupe cantonnée sur la place, n'y voyait rien. Au reste, nombre de soldats, originaires de Vendée, ne voulaient rien voir : cette besogne leur répugnait trop !

- Vive l'Armée clameront à plusieurs reprises les manifestants.

Le tocsin sonnait toujours. Il sonnera, sans arrêt, jusqu'au lendemain à 10 heures !

Sur la place, le commissaire Delgay s'agitait comme un furieux ! Son effet de surprise était raté. De tous côtés, des villages les plus lointains, des paysans arrivaient, que la troupe contenait mollement. Les femmes ne paraissaient pas les moins décidées !

Et voilà qu'un chant monta de la foule, un chant de circonstance, oeuvre de l'abbé Léon Verdon : Le Chant des Inventaires.

Que nous voulez-vous ?
Nous sommes chez nous.
C'est ici le saint lieu.
Dieu nous y garde et nous y gardons Dieu !

Le chant avait de l'allure ; l'air "martial", poussé par des centaines voix, frémissantes d'émotion contenue et de foi courageuse, couvrait par instants les vociférations de Delgay et le tocsin lui-même !

"Allons-nous donc revoir la lutte meurtrière
Où, proscrit par la loi, Dieu pourtant fut rendu ?
De quel droit nous ravir le droit à la prière ?
Il fut trop cher payé, pourqu'il vous soit vendu !
Que nous voulez-vous ?
Nous sommes chez nous ! etc., etc."

Les heures passent ; la matinée s'avance. Dans l'église une centaine de manifestants, hommes et femmes, se sont barricadés, prêts à soutenir un véritable siège.

Et les vivres ? Car les assiégés dans leur hâte, n'ont rien apporté. Qu'à cela ne tienne. Un vitrail du choeur ouvre sur la boulangerie Gaboriau. C'est par ce vitrail que passe le ravitaillement : pains, jambon, bouteilles ; et jusqu'à de la brioche !

Cette brioche !

On l'avait donnée aux femmes. Or, les femmes, que le froid saisissait à l'intérieur de l'église étaient montées se chauffer au soleil, sur le rempart crénelé, surplombant la place. C'est du haut de cette tribune qu'elles lançaient à tous les échos le "Chant des Inventaires".

Soudain, la brioche arriva. Elles lui firent fête. A la vue des soldats amusés, elles y mordaient à belles dents. Survint Delgay. Le commissaire comptait peut-être sur la famine pour dompter les assiégés. Et les assiégées le narguaient, gâteau en mains, du haut de leurs remparts !

- Mais on les ravitaille ! hurla-t-il.

Il fit le tour complet de l'église, découvrit le vitrail, et y mit deux soldats, baïonnette au canon. (Ce vitrail est invisible de la place de l'église)

Le soir vint. Le tocsin ne cessait pas. Un certain nombre d'assiégés rentrèrent chez eux. Les autres, 25 environ, décidèrent de coucher dans l'église. Les femmes se groupèrent dans la sacristie, et, pelotonnées les unes contre les autres, à cause du froid, essayèrent d'y dormir. Les hommes, eux, n'avaient pas froid : ils sonnaient les cloches !

L'aube du 15 février se leva. A huit heures du matin, l'agent du fisc, chargé de faire l'Inventaire, arriva. Deux crocheteurs, à mine patibulaire, sortis de prison récemment flanquaient le fonctionnaire. Celui-ci fit les sommations d'usage, qui n'obtinrent aucun résultat.

Avisant alors un vitrail donnant sur le pré de la cure, Delgay demanda une échelle. Il brisa le vitrail, avec l'aide de ses brillants acolytes. Il s'introduisit, suivi de 15 gendarmes, par l'ouverture ainsi pratiquée, dans l'église.

Le commissaire alla directement à la porte intérieure du clocher, M... n'avait-il pas dit que le clocher était plein d'engins meurtriers ? Or, le clocher était vide. Delgay redescendit et vint à la sacristie. L'abbé Fuzillier, pâle d'émotion, protesta alors avec énergie, contre la violation faite au saint lieu. Le commissaire passa outre et ordonna aux crocheteurs de briser la porte ; ce qui fut exécuté à coups de hache.

La sacristie était pleine de bancs et de meubles divers. Les gendarmes déblayèrent le terrain, tandis qu'à leurs oreilles retentissait le refrain, qu'ils commençaient à connaître par coeur :

"Que nous voulez-vous ?
Nous sommes chez nous !
C'est ici le saint lieu ... etc ..."

L'agent du fisc put dresser, enfin, son inventaire : calices, ciboires, ostensoirs, etc. Il renonça à inspecter le tabernacle qu'entouraient, en rangs pressés, les assiégés. Peut-être se souvint-il, alors, du mot terrible qui lui fut jeté à la face, dans l'église de Pouzauges : - Et Celui-là aussi, vous ne le mettez pas à prix ? On l'a déjà vendu une fois, 30 deniers !

A 10 heures et quart, tout était terminé. Le commissaire Delgay se retirait, avec ses crocheteurs. La troupe reprenait le chemin de Fontenay. Les gendarmes, qui s'étaient d'ailleurs montrés très corrects, rentraient dans leurs cantonnements.

Aussitôt, une foule de 7 à 800 personnes envahit l'église. Très ému, l'abbé Fuzillier donna aux fidèles la bénédiction du Saint-Sacrement. Les assiégés, héros d'un jour, quittaient les derniers le sanctuaire, qu'ils gardaient depuis 28 heures.

Le tocsin s'était arrêté. Une triste page de l'histoire du Boupère venait d'être tournée. Triste, surtout, pour les pitoyables acteurs de ce drame sacrilège. Car, pour les autres, pour les défenseurs du sanctuaire, ce jour s'inscrivit, pour leur vie entière, comme un souvenir de gloire et de fierté, inoubliable !

 

LE BOUPERE MEDAILLE 1906

 

M. de Bagneux fit graver une médaille commémorative, qu'il distribua aux assiégés. Cette médaille en vaut bien d'autres.

(Les pitoyables acteurs de ce drame sacrilège ne furent même pas récompensés de leur sectarisme. Delgay devint simple Inspecteur des fraudes ; M... fut muté à Dompierre : ce n'était pas une promotion !)

L'abbé Fuzillier ne survécut pas longtemps à l'inventaire de son église. Il dut s'aliter presque aussitôt. Six semaines après, le 28 mars 1906, il était mort !

"Lorsqu'il mourut, écrivait, le 14 avril, l'abbé Boutin, on peut dire qu'il y avait un mort dans toutes les maisons.

M. Fuzillier avait été mortellement blessé dans son coeur par les scènes, à la fois si glorieuses et si attristantes, des inventaires. D'ailleurs, depuis plusieurs années, l'épreuve l'avait atteint sous toutes ses formes : calomnies, suppression de son traitement, etc. Mais le coup de l'inventaire fut pour lui le dernier coup mortel. C'est au lendemain de la violation de son église qu'il tomba, pour ne plus se relever.

La paroisse du Boupère a fait à son regretté pasteur des obsèques dignes de lui et dignes d'elles. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous étaient là au nombre de 3.000, répandant autour de sa dépouille mortelle des larmes et des prières. Des larmes, il y en avait dans tous les yeux, et des prières sur toutes les lèvres et dans tous les coeurs. Ces larmes, M. l'abbé Mercier, vicaire général, enfant de la paroisse, trouva moyen de les faire couler à flots lorsque, avec une émotion communicative, il vint rappeler, en quelques mots, au moment de l'absoute, les oeuvres du cher défunt.

M. Benjamin Fuzillier repose au milieu des siens, dans le cimetière du Boupère. Près de cent prêtres assistaient à ses funérailles ..."

Un prêtre de grande valeur disparaissait ; un autre allait le remplacer.

Les persécuteurs passent ; l'Église demeure !

Extrait : Histoire religieuse du Boupère - par A. Billaud - 1968

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