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La Maraîchine Normande
11 mars 2015

1815 - PACTE FÉDÉRATIF PROPOSÉ AUX CINQ DÉPARTEMENTS DE LA BRETAGNE

NAPOLÉON

RENNES, 25 avril 1815

Les habitans de Rennes se sont énergiquement prononcés pour la cause nationale. Les Nantais ont les premiers répondus à l'appel, et ont proposé d'envoyer à Rennes des commissaires qui concourroient à poser les bases d'un pacte fédératif pour les cinq départemens de la Bretagne. Ces députés sont arrivés ici le samedi 22 avril, à quatre heures, et ont été reçus par une foule immense qui s'étoit portée à leur rencontre, ayant la musique en tête, et aux cris répétés de Vive l'Empereur !

Le préfet, s'étant assuré que les sentimens étoient, de part et d'autres, tels qu'on pouvoit le désirer, et que les députés et leurs hôtes offroient, par leur éducation et la consistance de leurs familles, toute la garantie nécessaire, laissa un libre essor à cet élan patriotique.

Le dimanche 23, dans une réunion considérable, les commissaires nantais déposèrent sur le bureau une adresse de leurs commettans. On y discuta ensuite les bases d'un pacte fédératif, à l'imitation de celui que la Bretagne signa, en 1790, à Pontivy, aujourd'hui Napoléon-Ville.

Sur le bruit de cette réunion, des commissaires du Morbihan partirent de Vannes avec l'agrément du préfet, pour se réunir à leurs amis de Rennes et de Nantes.

L'assemblée pria M. Blin, directeur de la poste aux lettres, de se mettre à sa tête, afin de régulariser ses opérations. Cet homme estimable accepta. Dans la nuit, le projet de pacte fédératif, destiné à unir tous les bons Français des cinq départemens de la Bretagne, pour la défense de la patrie, de sa liberté, de ses constitutions et de l'Empereur, fut dressé. Il fut adopté le lendemain avec enthousiasme par l'assemblée générale qui s'étoit grossis d'une manière surprenante.

Des commissaires ont été nommés pour aller dans toutes les villes de la Bretagne et dans la Basse-Normandie.
Des députations de Ploërmel et de Josselin sont venues se joindre aux fédérés, au nom de leurs concitoyens.
Le comte Caffarelli, commissaire extraordinaire de l'Empereur, est arrivé sur ces entrefaites, et a applaudi aux sentimens des fédérés.

Il a assisté, ainsi que toutes les autorités, à un banquet de cinq cents couverts, où des toasts à LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice et au prince impérial ont été portés et reçus avec transports. Des couplets y ont été chantés ; ils respirent le plus pur patriotisme et l'amour le plus ardent pour l'Empereur.

Cette confédération, composée de l'élite de la génération, née dans la révolution, élevée dans les principes libéraux, parfaitement en état de distinguer la liberté de la licence, et dont la haine pour les anciens privilèges n'est point équivoque, va s'étendre rapidement dans toute la Bretagne.

Tout est dans l'ordre le plus parfait à Rennes, malgré l'enthousiasme ; les assemblées générales sont terminées.
Des communes rurales demandent à adhérer à la confédération.

Voici le pacte fédératif :


LES CITOYENS DE NANTES, RENNES ET VANNES, ET LES ÉCOLES DE DROIT ET DE CHIRURGIE DES MÊMES VILLES, A LEURS CONCITOYENS LES BRETONS.

PACTE FÉDÉRATIF PROPOSÉ AUX CINQ DÉPARTEMENTS DE LA BRETAGNE.


Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis que nos aînés se sont confédérés pour la conquête de la liberté. La Bretagne a eu la gloire de donner le signal.

Nos droits, nos libertés, nos prérogatives, le prix de tant de sans généreusement versé, la récompense de tant d'exploits immortels ... encore quelques jours ... tout étoit ravi, tout, jusqu'à l'honneur. De citoyens, nous devenions vassaux ; d'hommes libres, nous devenions esclaves.

La nation a frémi : l'armée toute entière, unanime dans ses voeux, inébranlable dans sa fidélité ; cette armée qu'on a pu trahir, mais jamais vaincre ; cette armée, dont la gloire étoit importune ; ces vétérans couverts de cicatrices, qui s'indignoient de la prostitution de leurs honneurs ; ces guerriers, qui virent tout à la fois, par un crime inouï dans l'histoire ; cinquante forteresses rendues à l'ennemi sans combats ; nos canons, nos vaisseaux, nos plus riches chantiers livrés sans compensation ; le domaine des héros, la plus légitime, la plus sainte de toutes les propriétés, qu'avoient garantie dix traités solennels, abandonné sans qu'on ait daigné consacrer à sa défense une seule ligue diplomatique ; 30.000 officiers éprouvés dans tant de batailles, chassés pour faire place à des hommes qui, pour états de services, offroient vingt-cinq ans de nullité, quelques jours d'émigration pour dix campagnes de guerre ; la trahison récompensée comme une vertu, et l'étoile des braves brillant sur le sein de tel homme dont les mains dégouttoient encore du sang de ses concitoyens égorgés sans défense ...

Nous, l'armée n'a pu rester insensible à tant d'ignominie ; la nation n'a pu vouloir devenir la fable et la risée de tous les peuples, reprendre les plus indignes fers, se remettre sous le joug le plus honteux, déchirer ses privilèges, fouler aux pieds ses droits imprescriptibles, et consentir à passer pour un attroupement pendant vingt ans, en état de révolte et de sédition.

Ainsi, la nation et l'armée n'avoient qu'un voeu, et le même cri s'est élancé des cités et des garnisons, des bourgs et des camps, dès le moment où le libérateur s'est montré.

S'il eût tardé, l'impatience nationale ne l'eût pas attendu ; la mesure étoit à son comble. Quel évènement ! quelle marche ! quelle course triomphale ! quel spectacle au monde !!! Napoléon paroît, la nation est affranchie, l'armée reprend son attitude, et la gloire plane avec l'aigle impérial et la liberté, sur la France dans l'ivresse.

Mais on dit, Bretons, que la guerre étrangère nous menace. Quels traités avons-nous violés ? Quel territoire avons-nous envahi ? Quels outrages ont reçus de nous les peuples voisins ? Avons-nous tenté des conquêtes, et le drapeau tricolore flotte-t-il sur le Rhin ? Non. La main qui si souvent lança nos héros au milieu des peuples ennemis, retient et enchaîne leur valeur sur nos anciennes limites. Ne sommes-nous donc plus une nation souveraine et indépendante ? Avons-nous moins que nos pères le droit d'élever sur le pavois, le guerrier que nous voulons pour monarque ? La nation n'a-t-elle pas dit quatre fois à Napoléon de la gouverner et de régner sur elle ? Tous les peuples ne l'ont-ils pas salué du nom d'Empereur et d'Auguste ? Le sang des rois ne s'est-il as confondu avec celui de l'homme de notre choix ? Ses droits, ceux de son fils, ne sont-ils pas les nôtres ? L'huile sainte n'a-t-elle pas été répandue sur sa tête ? Sa dynastie n'est-elle pas notre ouvrage ? N'est-elle pas consacrée par notre volonté, par quatre millions de votes authentiques, quinze ans de victoires, et surtout par ce dernier triomphe, le plus beau de tous, où, pendant qu'une cour éphémère abandonnée, fuit en secouant des torches incendiaires, le peuple et l'armée portent leur monarque dans la capitale qu'il a couverte de trophées, et jusqu'au palais qu'il a rempli de si grands souvenirs ? Pharamond, Clovis, Charlemagne, les Capet ont-ils été par d'autres voies faits monarques de la France ? Est-il un seul de ces chefs de dynasties dont l'histoire offre une légitimité plus incontestable ? Quoi ! nous serions moins libres qu'au cinquième, au septième, au neuvième, au dixième siècle ? Ne sommes-nous plus les fils des Francs et des Gaulois ? Nos pères nous ont-ils vendus comme un vil troupeau ? Sommes-nous la propriété d'une famille ? S'il existoit encore un rejeton des Stuart, l'Europe devroit-elle déclarer la guerre à la Grande-Bretagne pour le replacer sur le trône ?
C'est trop ... L'Europe est éclairée, et ses souverains, dans cette grande époque, se montreront dignes de leur siècle. Mais si nos voeux étoient trompés, s'il falloit que la France reprit les armes, la guerre et la victoire scelleroient pour toujours des droits que nous tenons de Dieu et de nos épées ; la guerre seroit nationale, et la victoire, aussi prompte que la nécessité de vaincre, seroit impérieuse.

Nous, jeunes Bretons, fils de pères qui nous ont légué un précieux héritage à défendre, et dont les frères aînés, mûris par vingt-cinq ans de vicissitudes, sont encore là pour nous guider et marcher à notre tête ; nous avons, pour le bien de la France, pour celui de ces contrées, de cette Bretagne qui nous est si chère, des devoirs à remplir, des engagements à contracter.

Notre pays a long-temps souffert ; et ici, plus qu'ailleurs, s'est efforcé avec plus d'opiniâtreté de nous accabler, le système féodal dont les rameaux, naguère prêts à se réunir, sont à jamais dispersés et brisés.

On dit (mais nous repoussons cette pensée) qu'il est de nos concitoyens qui appellent l'étranger et rêvent la dévastation de leur patrie. On dit que la guerre civile deviendrait son affreuse auxiliaire.

Non, la guerre civile, que tout l'or, toute la puissance de la cour n'ont pu rallumer, dont la présence de ses princes n'a pu exciter la moindre étincelle, n'éclatera pas dans nos contrées. Nos concitoyens savent de quel côté sont leurs amis ; et, tandis que nous concourrons avec tous les Français au succès de la cause nationale, nous, ici, d'une main ferme, nous maintiendrons le respect des personnes et des propriétés ; nous ferons prévaloir les saines doctrines et l'égalité des droits, première condition de la liberté reconquise.

Dans cette vue, Bretons, nous vous proposons un pacte fédératif, nous désirons qu'un lien étroit nous unisse, et que, nous prêtant un mutuel secours, nous garantissions à nos intrépides guerriers qu'en leur absence, leurs foyers seront préservés, et qu'aucun attentat ne restera sans vengeance et n'échappera à la sévérité des lois dont nous serons les défenseurs. Les magistrats sauront qu'ils ont autour d'eux une masse imposante, dévouée, prête à seconder l'action de l'autorité, réglée par les constitutions et les lois de l'Empire.

Art. 1er - Les citoyens des cinq départemens de la Bretagne, dévoués à la cause nationale et à l'Empereur, sont fédérés : l'association qui les lie prend le titre de FÉDÉRATION BRETONNE.

2 - L'objet de cette confédération est de consacrer tous ses moyens à la prorogation des principes libéraux, d'opposer la vérité à l'imposture, de répandre la lumière au milieu des hommes égarés, de soutenir l'esprit public au niveau des circonstances présentes, de s'opposer à tous les désordres, de maintenir dans l'intérieur du pays la sûreté publique, d'employer tout ce qu'on peut avoir d'influence et de crédit pour faire rester chacun dans la ligne de ses devoirs envers le prince et la patrie, de porter secours effectif et prompt à la première réquisition de l'autorité publique partout où besoin sera, de secourir les villes, bourgs et villages menacés, de déjouer tous les complots tramés contre la liberté, nos constitutions et l'Empereur ; enfin, de se prêter mutuellement assistance et protection selon les cas et les évènements.

3 - Tous les confédérés sont spécialement tenus de se conformer au décret du 10 de ce mois relatif à l'armement des citoyens.

4 - La confédération n'a aucune autorité politique, mais elle exerce sur ses membres une police morale, persuadée que la lus grande peine qu'elle puisse infliger à l'un de ses membres, est de le déclarer indigne d'en faire partie, s'il venoit à forfaire à l'honneur.

5 - Tout citoyen qui désire concourir au but de l'association, quels que soient son rang, son état, sa profession, peut faire partie de la confédération ; il n'y a d'exclusion que celle qui seroit fondée sur des motifs d'inconduite et de mauvaises moeurs.

6 - Les confédérés, loin de sortir de la condition commune, sont, par le fait même de leur association, plus étroitement tenus que tous autres, à l'accomplissement des devoirs du citoyen, et toutes les fois qu'ils auront à agir, ils devront être préalablement munis des ordres, réquisitions ou consentement de l'autorité publique. Ils font partie nécessaire de la garde nationale, et n'en forment point un corps isolé. La confédération est seulement un moyen d'unir plus particulièrement tous les amis de la patrie, de la liberté et de l'Empereur, en laissant dans un honteux abandon le petit nombre de Français indignes de ce titre, qui appelleroient le joug honteux de l'étranger, et se porteraient à des excès dans l'intérieur.

7 - La confédération aura à Rennes des commissaires qui, après avoir prévenu l'autorité, se réuniront dans un lieu indiqué, et correspondront avec les commissaires intermédiaires qui seront établis dans chaque chef-lieu d'arrondissement de Rennes. Ceux des habitans qui y sont domiciliés enverront leur adhésion à la commission centrale.

8 - Quant aux citoyens des autres arrondissemens, ils se rendront en personne, ou par députés, au chef-lieu de la sous-préfecture, et, après en avoir prévenu le sous-préfet et le maire, ils se réuniront à l'effet de procéder à la nomination de leurs commissaires, dont le nombre reste à leur choix ; les commissaires intermédiaires recevront les actes d'adhésion, et les transmettront au commissariat central.

9 - La réunion au chef-lieu d'arrondissement aura lieu sur le premier avis des commissaires centraux.

10 - Les fédérés étant tenus de protéger, surtout les campagnes, et de porter des secours prompts et puissans sur tous les points de la Bretagne qui seroient menacés, devront s'offrir à marcher en personne toutes les fois que, dans le but ci-dessus, il sera, par l'autorité publique, demandé aux gardes nationales une force mobile pour un service d'urgence et temporaire.

11 - On n'admettra que des excuses constatées, légitimes, et motivées sur l'âge, la maladie ou des infirmités.

12 - Les jeunes gens marcheront toujours, avant les plus âgés.

13 - Si l'un des confédérés manque à ses obligations, il en sera donné avis par le commandant de la garde nationale, dont il fait partie, aux commissaires de son arrondissement ; ceux-ci en feront rapport aux commissaires centraux qui ordonneront, s'il y a lieu, sa radiation des registres de la confédération, et le tiendront même, selon la gravité des cas, réputé pour lâche. Cette décision sera transmise au commandant de la garde nationale, dont le confédéré rayé fait partie, avec invitation de la faire connoître à l'ordre ; il en sera adressé un exemplaire à tous les comités de la confédération.

14 - Il sera, par l'intermédiaire de M. le préfet d'Ille-et-Vilaine, sollicité du gouvernement, pour les commissaires de la confédération, la permission de se réunir à Rennes, dans le courant du mois de mai prochain, à l'effet de prêter solennellement au Champ-de-Mars le serment d'obéissance aux constitutions de l'Empire et de fidélité à l'Empereur, et de s'engager à remplir toutes les conditions imposées par le présent acte fédératif : pourront se joindre à eux tous les membres de la fédération qui le désireront.

15 - Toute espèce de marque distinctive entre les confédérés, autre que celles des grades qu'ils occuperoient dans la garde nationale ou dans l'armée, les décorations qu'ils auroient obtenues, enfin tout signe qui lui annonceroit extérieurement comme faisant partie de l'association, est formellement interdite.
16 - Le présent acte fédératif cessera d'avoir son effet aussitôt que S.M. daignera faire connoître que les dangers de la patrie ont cessé.

Fait à Rennes, par les citoyens de tous âges et de toute condition, réunis avec MM. les commissaires de Nantes et de Vannes, et les écoles de droit, de chirurgie, etc. etc., sous l'agrément de l'autorité dans l'une des salles du Palais de Justice, le 24 avril 1815.
Les commissaires : BLIN, ROUXEL-LANGOTIÈRE, GAILLARD-DE-KERBERTIN, BINET aîné.
(Suivent plus de trois mille signatures.)

Journal des débats politiques et littéraires - 1er mai 1815

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