LA GRAVERIE (14) - 1796 - LES TAPISSERIES CONSERVÉES AU PRESBYTÈRE
LES TAPISSERIES CONSERVÉES AU PRESBYTÈRE DE LA GRAVERIE (Canton du Bény-Bocage, Calvados)
Ces tapisseries sont au nombre de cinq. Quatre furent offertes en 1759 par M. de Sarcilly, seigneur de Coulonces, au curé de La Graverie, messire Louis Le Normand, qui fut titulaire de la cure pendant 38 ans. La cinquième est venue du château de Vassy.
M. de Sarcilly habitait le manoir de Bordeaux en Coulonces. Cette résidence, l'une des plus belles alors des environs de Vire, se trouvait à une distance à peu près égale des églises de Coulonces et de La Graverie. En quelle circonstance fit-il ce présent magnifique au presbytère de La Graverie ? Nous ne saurions le dire. Cependant, si l'on considère que le style du plus pur Louis XV des boiseries de la salle qu'elles étaient destinées à orner et embellir, coïncide exactement avec la date où ce don seigneurial vint enrichir le presbytère, il est tout naturel de croire que les tapisseries de M. de Sarcilly furent données au curé Le Normand dans le seul but d'aider au décor de la pièce, alors sans doute en cours d'achèvement.
Les tapisseries du presbytère de La Graverie sont toutes à personnages : elles constituent une "suite" de quatre, représentant l'histoire d'un mariage. Le mariage de qui ? Historici certant et adhuc sub judice lis est.
Pendant de longues années, elles passèrent pour être de la fabrication de Louveciennes. C'était une erreur et il semble établi d'une manière indubitable aujourd'hui que nous nous trouvons en présence de tapisseries d'Houplines, localité située dans le département du Nord, à 9 kilomètres de Lille. Houplines fut un centre de fabrication de tapisseries, en général médiocrement prisées, de 1680 à 1720, c'est-à-dire quarante années seulement. Ce qui atteste cette provenance, qui fut indiquée à feu l'abbé Ars. Danguy, alors curé de La Graverie, par un visiteur des plus avertis et des plus compétents en la matière, c'est la marque de fabrique, une couronne de marquis, posée dans l'angle supérieur, à gauche, sur le troisième panneau des tapisseries, panneau auquel se rattache l'anecdote suivante :
Un curé de La Graverie, l'abbé Picault, originaire de Saint-Martin-de-Tallevende, où sa famille existe toujours, et qui administra la paroisse de 1830 à 1859, jugeant inconvenant pour la grande salle d'un presbytère le buste d'une jeune fille représentée sur cette tapisserie, ne trouva rien de mieux pour dissimuler sa gorge, que de lui faire un collier de perles bien noires au moyen d'un bouchon de liège noirci au feu.
Si cette histoire, très répandue dans les anciennes familles de la commune, est exacte, le prude abbé Picault avait bien mal regardé la jeune personne. Elle n'est pas décolletée du tout ; au contraire, une guimpe voilant la gorge lui monte jusqu'au menton ; mais la tonalité des nuances, atténuée par le temps, avait pu faire confondre de prime abord la chair et le tissu. C'est donc au bas d'une guimpe des plus montantes que s'étale, maintenant encore, le chapelet ou collier de perles noires.
Le 22 janvier 1796, un détachement de Chouans, pénétrant dans le presbytère de La Graverie, s'empara des nombreuses archives accumulées dans le magnifique placard ou buffet de chêne sculpté qui orne toujours la grande salle du rez-de-chaussée - la pièce aux tapisseries - jeta titres et archives en tas près de la porte et y mit le feu. Les flammes atteignirent bientôt le panneau de tapisserie voisin, le quatrième de la série, et y causèrent grand dommage.
Voilà ce qu'on raconte : mais sont-ce bien les Chouans qui commirent ce forfait ?
Ne convient-il pas mieux de l'attribuer aux bleus ? Il suffit de lire Seguin, Michelot Moulin, La Sicotière, pour se rendre compte que les Chouans, poursuivis de près en l'aventure par les troupes républicaines, ne durent faire que passer par le bourg de La Graverie et que, d'ailleurs, ils n'avaient ni le temps ni intérêt à détruire des archives qui n'offraient rien de compromettant pour eux et leur manière de voir.
Extrait : Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie - Tome XXXIX - Années 1930 et 1931