SAINT-URBAIN (85) - LA BONNETIERE
SAINT-URBAIN (85) - LA BONNETIERE
De nombreux logis ou manoirs jalonnaient autrefois les lisières du Marais, des rives de Bois-de-Cené et Châteauneuf jusqu'à celles de Monts : le Clouzeau, qui fut aux Lespinay ; la Groizardière, la Gaubretière, Touche-Rouche, et la Mesnardière, demeure patrimoniale des Rouxeau, les derniers seigneurs de Saint-Gervais ; le Châtenay des Goulaine, la Gilletière des Gabory et des Mourain ; la Salle, qui fut aux Eveillard et aux Guerry ; Fontordine, aux d'Aiguillon ; Mauny, aux La Tousche-Limouzinière, et la Jolonnière, aux Rivaudeau ... Presque tous ont disparu, ruinés par les ans ou incendiés par les colonnes infernales de 1794. Il ne subsiste plus guère que la Belle-Chaussée, avec sa légende, perdue dans ses hautes futaies à l'ombre desquelles se tapit, sur le bord d'un antique chemin, la chapelle de Bourdevert, et, sur l'autre rive de Saint-Gervais, la Bonnetière, la seule construction de la région, peut-être, qui mérite le nom de château.
On y accède soit par la route de Saint-Gervais à Saint-Urbain, par une avenue plantée d'arbres, à l'entrée de laquelle se dresse, depuis 1931, un calvaire de noble allure, soit par l'avenue dite des Barres-Blanches, qui débouche sur la route de Challans.
Le manoir a un certain cachet, surtout depuis que, à la suite d'un récent incendie, on a supprimé les deux tourelles, surajoutées au siècle dernier, qui lui avaient fait perdre son caractère primitif.
On ne sait au juste à qui en attribuer la construction d'autant qu'il fut restauré et remanié à plusieurs reprises, mais ses parties les plus anciennes sont incontestablement l'oeuvre des Gabory, qui en furent les seigneurs depuis le début du XVIe siècle jusque vers le milieu du XVIIIe.
Le premier de la dynastie fut "honneste personne Mathurin Gaborit, marchand, de Sainct-Jehan de Montz", qui acquit, le 28 juillet 1505, de "Mre Jehan Vénereau, escuyer, et de damoiselle Françoise de Buzoys, son épouse, du consentiment de Messire Mathurin Vénereau, prestre, leur fils", l'houstel noble de la Bonnetière, "scittué et assiz ès la paroisse de Sainct Urbain", avec toutes ses appartenances et dépendances, maisons, granges, cours, quairuy, prés, pastureaux, terres labourables ou non, bois taillis et de futaye, brandes, tant nobles que rosturières, comprenant en tout 60 journaux de prés et 80 charruyes de terres ou environ, y compris une pièce de terre avec des bois, les Villebons (20 jx), et une autre plantée en bois, brandes et ageons, les Eschardans, et les droits de fief, cens, rentes, terrage y afférents, pour la somme de 295 livres. Jehan Vénereau avait hérité lui-même le domaine de la Bonnetière de ses auteurs, Jacques Vénereau et Tiphaine Chambert (?), qui sont les plus anciens propriétaires du lieu que l'on connaisse. Aveux de ce fief avaient été rendus au seigneur de La Garnache les 28 avril 1486, 26 octobre 1497 et 9 janvier 1505.
Pendant plus de deux siècles, les Gabory devaient couvrir de leur signature les registres paroissiaux de Saint-Gervais et de Saint-Urbain. A la Bonnetière même se succédèrent Pierre de Gaborit, époux de Jehanne Redoys (10 novembre 1524) ; Symon Gaborit, époux de damoyselle Jehanne du Boys Riou (1555 ...) ; René de Gaborit (aveu du 4 janvier 1562, transaction du 16 septembre 1582, aveux du 21 février 1585, 28 mai 1603 ...) ; Jehan de Gabory, escuyer (aveux 5 août 1606, 11 juin 1617 ...), seigneur chastellain de la Bonnetière, la Salle-Berthelot, la Mouraynerie et autres lieux, dnt en son chastel de la Bonnetière ... (8 juillet 1630). Celui-ci semble avoir passé la majeure partie de son temps aux Sables-d'Olonne, où il avait épousé demoiselle Françoise Jousselin, d'une vieille famille ayant tenu une certaine place dans les affaires de la cité.
Jehan de Gabory et Françoise Jousselin eurent une nombreuse progéniture : Jehan, l'aîné, Anthoine de Gabory, escuyer, sr de la Thibaudière - la Thibaudière fut pendant tout le cours du siècle l'apanage des puînés de la Bonnetière - (12 juillet 1640) ; Odette de la Bonnetière, qui épousa Jehan Grudé, seigneur de La Roche (en Saint-Christophe-sur-Ligneron) ; Louis de Gabory, époux de Marie Dorineau, qui fut lui-même seigneur de la Bonnetière (aveu du 11 septembre 1649), parrain de son neveu Jacques (les Sables, 4 janvier 1658) ; René de Gabory, sgr de Villebon (1619 - 15 décembre 1652) ; Marguerite, dame de la Vergne-Saint-Révérend (marraine aux Sables le 13 août 1665) ; Jacques de Gabory, enfin, le plus jeune sans doute, d'abord sr de la Thibaudière (1658, 1667 ...) et que la disparition prématurée de ses aînés fit seigneur de la Bonnetière en 1678 environ.
Né en 1631, Jacques de Gabory avait épousé aux Sables, le 20 juin 1651, Marguerite Pommeray. De ses enfants - Jacques, 4 janvier 1658 ; Marie-Marguerite, 13 août 1665 ; Jacques-Vincent, 28 octobre 1667 ...
Seul semble avoir survécu Luc, né le 30 septembre 1662 ; n'étant encore que seigneur de la Thibaudière, il avait épousé, aux Sables, le 21 février 1689, damoiselle Aymée Moreau, fille de feu Michel Moreau, lieutenant du Roi en l'amirauté de Poitou, qui mourut, à peine âgée de seize à dix sept ans, le 27 août 1690, et fut inhumée dans l'église de Saint-Urbain. Son veuf épousa, en secondes noces, le 8 mars 1707, Marie Cardin, fille de Maître Jean Cardin, conseiller du Roy et receveur des tailles en l'élection des Sables-d'Olonne et mourut le 29 avril 1719, âgé de cinquante sept ans. Il fut inhumé le surlendemain, 1er mai, dans l'église de Saint-Urbain.
Il ne laissait qu'une fille, Anne-Marie de Gabory, née le 12 avril 1710, la dernière du nom, qui épousa, à Saint-Urbain, le 20 septembre 1723, à peine âgée de treize ans et demi, Henry Guinebaud de la Grossetière, à qui elle apporta l'héritage des Gabory ...
Après la mort de Luc de Gabory (29 avril 1719), Marie Cardin, sa veuve, pour désintéresser les créanciers les plus impatients, vendit, le 13 septembre 1720, à Renée de Montaudouin de la Clartière, le Pré-Long, le Taffeneau, la Rabillière, le Culasseau, et encore, le 15 avril 1723, la métairie des Cochets, et son cheptel. Ces réalisations, pourtant considérables, se révèlent insuffisantes et, pendant plusieurs années, les Montaudouin, ayant continué à racheter les hypothèques de la Bonnetière, se trouvèrent en 1736 à la tête d'une créance totale de 49.069 livres sur les Gabory. L'impossibilité de la rembourser et de régler les dernières dettes accula les Guinebauld à la liquidation totale. Le 1er février 1737, dame Marie Bertrand, veuve de feu René de Montaudouin, seigneur de la Clartière, demeurant en son hôtel de la Fosse, paroisse de Saint-Nicolas de la ville de Nantes", achetait le reste du domaine, c'est-à-dire "la maison noble de la Bonnetière, consistant en un pavillon couvert d'ardoises et un corps de logis menaçant ruine, granges, écuries, logements couverts et partie engars, jardins entourés de murs ruinés, fuye, bois taillis et de haute futaye, prés, pastureaux, terres, forêts ...", avec les métairies de la Porte, Soplé, la Martellerie, la Jouberderie, la maison de Villebon, un moulin à vent, la Carabinerie, des rentes et "tous droits réels et honorifiques despandants et annexés à lad. maison de la Bonnetière ..."
La Bonnetière devint alors l'apanage principal des Montaudouin, dont les aînés en prirent le titre ; ils devaient reconstituer et aménager avec soin le domaine, restaurer le château et créer les magnifiques avenues qui existent encore, et l'agrandir de plusieurs métairies. Lors du partage de la succession de Thomas de Montaudouin et de dame Anastase Clarke, sa femme, en 1779, évaluée à près de 700.000 livres, la châtellenie comprenait, en plus du château et de ses dépendances immédiates, les métairies dites de la Porte et du Château, Soplé, Champeaux, les Cochets, la Goupillière, la Jouberderie, à Saint-Urbain ; le Maupas, la Martellerie, le Parenterie, le Bois-Libaud, à Saint-Gervais ; les Bouchauds, le Gazeau, la Blénière, la Frandière, les Grois, la Maison Neuve, l'Emmonnière, le Payré, la Jolonnière, Fruchois, à Sallertaine ; les Transonnières, et Magné, à Saint-Jean-de-Monts ; le Pré-Long à Notre-Dame ; le Moulin Perrin et Gourmont dans l'enclave de l'Isle-Chauvet ; la châtellenie du Coutumier et du Bois-Jouan à Bois-de-Cené, sans compter les pièces de moindre importance, le bordage de la Carabinerie (Saint-Urbain), la tenue des Eglats à Noirmoutier et, à Beauvoir, les Doubles (9 jx de terres et 215 aires de marais), la tenue de la Gézière (2 jx et 40 aires), la maison de la Cahouette et les "nouvelles retraites adjacentes avec toutes leurs dépendances, annexes et droits ...", soit un total de plus de 2.500 journaux de prés et terres et 2.300 aires de marais salants, sans compter les droits féodaux, le quart des fiefs Giraire et Blandin, à Beauvoir, et autres.
Le partage du 30 avril 1779 énerva de la Bonnetière, au profit des cadets, les métairies et borderies de Saint-Jean et Notre-Dame-de-Monts, l'Emmonnière, la Jolonière, le Payré, Fruchois, le Gazeau, les Grois, à Sallertaine ; la Parenterie et le Bois-Libaud, à Saint-Gervais, et les domaines de Bois-de-Cené et l'Isle-Chauvet. L'aîné conserva le reste, le château et ses biens propres (62 jx 1/2), l'Ourière, la Prée au Roy (35 jx), les Bouchauds, le fief de la Goupillière (100 jx environ), et les autres métairies.
Tel était l'état de la Bonnetière à l'époque de la Révolution. L'intendant du château était alors André Baumler, né en 1739 à Remering, en Lorraine, et qui avait servi dans le régiment de dragons où se trouvait comme capitaine Thomas de Montaudouin. Celui-ci se l'était attaché et en avait fait le régisseur de ses domaines bas-poitevins ; son mariage, vers 1760, avec une fille de Challans, Pauline Mornet, l'avait définitivement fixé au pays.
En 1793, il fut le capitaine des paroisses de Saint-Gervais et Saint-Urbain et prit part à toutes les opérations des insurgés dans le Marais et sur la côte. C'est lui qui, le 13 mars, occupa Challans ; à la fin du même mois, il était au siège des Sables sous les ordres de Joly, puis il rallia Charette.
Au début de 1794, fatigué d'une lutte sans espoir, il entra en pourparlers avec le général républicain Boussard et l'aida à pacifier le Marais ; grâce à lui, 3.500 hommes firent leur soumission (Mercier du Rocher). Mais, à l'été, Huché recommença ses randonnées et, au mépris de tous les engagements, fit saisir nombre de paysans et d'anciens chefs de bandes qui avaient rendu leurs armes. Du nombre fut Baumler ; conduit à Noirmoutier, puis à Nantes, il fut condamné à mort par la Commission militaire et exécuté le 29 thermidor an II (16 août 1794) sur la place du Bouffay, vers les cinq heures du soir. Sa mort ralluma les hostilités dans le Marais.
La Bonnetière servit de refuge à plusieurs reprises pendant la Terreur aux prêtres réfractaires, en particulier à l'abbé Gergaud, curé de Beauvoir, qui en fut l'hôte en mars 1792 et dut y revenir bien des fois pour garder le contact avec sa paroisse.
La Révolution fut pour les Montaudouin une épreuve terrible. Tout laisse à supposer que Thomas-Thobie subventionna largement les mouvements contre-révolutionnaires. Les évènements l'incitèrent sans doute à fixer sa résidence, dans les dernières années du siècle, au château de la Source, à Saint-Cyr-en-Val, près d'Orléans, dont il venait alors d'hériter. L'abbé Gergaud lui-même y trouva asile après les troubles de Fructidor. Thomas-Thobie de Montaudouin y mourut en 1800 (entre le 9 germinal an VIII et le 19 pluviôse an IX). Ses héritiers vendirent en 1808 la Bonnetière et ses dépendances, d'ailleurs grevées d'hypothèques, à un sieur François Prévost, rentier, de Bruxelles, qui en rétrocéda la propriété à Gaspard-Augustin Barbier, banquier à Nantes (1er avril 1821).
Madame Barbier, née Le Pot, vint habiter le manoir, auquel elle fit ajouter les tourelles récemment disparues. Jeune fille de la bourgeoisie nantaise, elle avait été conviée au bal donné, après la Jaunaye, dans un hôtel du quai Duguay-Trouin, en l'honneur de Charette et avait été de ce groupe de danseuses qui, dans une figure de contre-danse, avaient réussi à encercler dans leur ronde le chef vendéen : "Général, vous êtes pris !" Mais le chevalier, d'un bond prodigieux, avait aussitôt franchi la gracieuse barrière de bras blancs en disant avec un sourire : "On ne prend pas si facilement Charette ! ..."
Sa petite-fille, demoiselle Henriette Pépin de Bellisle, épousa le baron de la Tour du Pin-Chambly de la Charce, qui fut conseiller général du canton de Beauvoir et président du Conseil général de la Vendée. Après sa mort (Nantes, 2 décembre 1891), ses filles, dont la fortune avait été dévorée par de multiples oeuvres de bienfaisance, vendirent la Bonnetière (2 novembre 1893) à Léon des Ormeaux, de Croix-de-Vie, originaire de Bretagne, dont les descendants l'habitent toujours.
Le château est toujours entouré de ses douves : il possédait jadis une chapelle qui disparut, pour cause de vétusté sans doute, dans le courant du siècle dernier.
On dut abattre aussi, pendant l'hiver 1929-1930, un orme géant placé dans la cour d'honneur, devant la grille, dont les nombreuses branches mortes constituaient un véritable danger et qui, suivant la tradition, avait été planté par Henri IV lui-même lorsque, venant assiéger le château de Beauvoir, à l'automne de 1588, il coucha à la Bonnetière.
Les belles avenues tracées par les Montaudouin, qui rayonnent autour du château, la haute futaie de chênes et de hêtres qui le protège du vent d'Ouest, ses gîtes et ses bois font vraiment de la Bonnetière l'un des plus jolis sites de la contrée.
Dr Julien Rousseau
Un vieux château du marais de Monts
BIB PC 16/39
AD85
Annuaire de la Société d'émulation de la Vendée - 1960