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La Maraîchine Normande
13 décembre 2014

LISIEUX (14) - MARIE GROULT, UNE FAUSSE DAUPHINE ...

LISIEUX

UNE FAUSSE DAUPHINE DE LA RÉGION DE LISIEUX

Peu avant l'année 1773, un sieur Groult et sa femme s'établirent marchands à Versailles. Quelque temps après leur arrivée, une fille leur naquit qui reçut à son baptême le prénom de Marie.


A sa majorité, ses parents lui cédèrent leurs biens, à charge pour elle de leur servir une rente de 1.200 francs, ce qu'elle accepta en qualité de fille des cédants. A la mort de son père, la veuve et la fille regagnèrent Lisieux. Marie y vécut dans une grande intimité avec l'avocat Milcent, futur procureur impérial du tribunal local. Elle dilapida rapidement sa fortune, et, lorsqu'elle fut réduite à l'indigence, son amant l'abandonna - ce qui contribua à lui tourner la tête.


Elle s'imagina alors être la fille aînée de Louis XVI et de Marie-Antoinette. La reine voulant cacher cette naissance aurait engagé les époux Groult à recevoir cette enfant et à la substituer à leur petite fille, qu'ils venaient de perdre. Depuis le retour à Lisieux, une personne de qualité venait chaque année s'enquérir de l'état de Marie et combler Mme Groult de présents.


A l'appui de tels racontars, Marie Groult n'a jamais produit aucune preuve, mais elle a prétendu que sa mère avait remis à Milcent l'acte justifiant les dires de Marie, des titres de propriété, des bijoux de prix et un médaillon enrichi de diamants contenant une miniature de Marie-Antoinette.


Dans les derniers mois de 1806, Marie Groult entreprit une action juridique pour faire constater son véritable état civil.

Le président du tribunal en avisa le grand juge.


Lorsque parvint à Napoléon le bulletin de police dans lequel ce fait était consigné, l'empereur écrivit de Varsovie, le 18 janvier 1802, à Fouché : "J'imagine que vous avez pris des mesures pour que cette mauvaise farce finisse. Quand la moitié de la France a cru que Cagliostro avait été élevé dans la grande pyramide du Caire, et que cela était devenu un objet d'intérêt, que serait-ce d'une chose qui peut servir de prétexte à des malveillants ? Il est extraordinaire que le président du tribunal et le juge de paix aient été assez simples pour écouter sérieusement une pareille folle ou une marionnette remuée par quelques intrigants."


En suite de quoi, le 19 février 1807, sur l'ordre du ministre de la police, le sous-préfet de Lisieux enjoignit à la demoiselle Groult, dite de la Cauvillière, d'avoir à s'abstenir de parler de sa ridicule et prétendue origine, sous peine d'encourir la sévérité de la police générale, qui la surveille.


Dès lors elle prit le nom de Mme Marie, et c'est sous ce nom qu'elle poursuivit le procureur Milcent, en l'accusant d'avoir dérobé les papiers qui établissaient sa royale origine. Déboutée en première instance, elle obtint gain de cause en appel, mais la mort de son ancien amant fit obstacle à l'exécution de la décision judiciaire.


Quatre mois plus tard sa mère décédait, "empoisonnée, dit-elle, étranglée par ceux qui avaient intérêt à son silence". Elle demanda et obtint que sa mère soit exhumée. On commença par déterrer le cadavre d'un homme inhumé depuis quatre mois et demi. Sur sa réclamation, on procéda à une exhumation, mais le corps était tellement défiguré que Marie Groult eut peine à le reconnaître. Le docteur ne voulut rien voir et il dressa un faux procès-verbal. Une nouvelle expertise fut ordonnée par le grand juge, mais médecin et chirurgien firent aussi un faux procès-verbal.


En mai 1810, elle quitta Lisieux pour Caen ; elle signa sa déclaration "Marie de la Cauvillière, sans que les noms ci-dessus puissent en rien préjudicier de mon état."


Le procureur général eut ainsi l'occasion de faire connaissance avec cette femme à l'humeur processive ; il a tracé d'elle le portrait suivant (en 1811) : "Marie Groult a de l'esprit et même du talent. Elle parle avec assurance. Dans ses conversations particulières, elle a un ton modeste et une timidité qui peut n'être qu'apparente. Son imagination est exaltée par la conviction où elle paraît être que la reine Marie-Antoinette est sa mère ; elle est sans cesse occupée des moyens d'en établir la preuve. On peut dire qu'à cet égard, elle paraît timbrée, quoique en d'autres points, elle parle le langage de la raison."


Elle semble être restée tranquille pendant les dernières années de l'Empire, mais lorsque revinrent les Bourbons, ses prétentions se réveillèrent.


Le 3 mai 1814, elle remit à Louis XVIII, venu à Notre-Dame, un placet qui expose sa vie, à peu près telle que nous l'avons présentée, puis elle révèle les agissements de ses pires ennemis, les ecclésiastiques de Lisieux, qui voulurent l'enfermer à jamais pour avoir dit au confessionnal qu'elle désirait le retour du roi. D'autres prêtres tentèrent de la faire arrêter au pied des autels, mais "leurs gens" refusèrent de porter la main sur une petite-fille de Saint-Louis. Aussi, pour se débarrasser de sa personne, ses ennemis ont-ils introduit dans ses veines un poison, qui l'anéantit chaque jour davantage, malgré les secours de l'art, à peine suffisants pour l'empêcher de descendre au tombeau.


Si Louis XVIII prit la peine de jeter un coup d'oeil sur une telle requête, il dut penser que sa "très humble et très respectueuse nièce" avait l'esprit détraqué. Il ne lui fut fait aucune réponse.


Marie Groult ne se découragea pas pour autant ; elle s'adressa à son altesse royale, Monsieur, frère de Louis XVIII. Après avoir dit l'insuccès de sa précédente supplique, elle écrit : "Ce n'est pas l'éclat du rang qui m'éblouit. Je me fais plus gloire d'être fille de Louis XVI et de son auguste épouse comme étant les "miheurs" et les plus vertueux des humains que parce qu'ils ont tenu les "reines" d'un grand royaume ... Que la justice du Roi, que la vôtre me rendent à la mémoire des auteurs de mes jours. Le respect que j'ai à la divine Providence, qui a voulu que je naisse leur enfant, me fait un devoir de réclamer auprès de vous le rang auquel je suis appelée par ma naissance."


Pendant trois longues années, Marie Groult accabla de suppliques son "Prince et oncle", le comte d'Artois, le duc de la Châtre, le duc de Mays, le duc de Pielle : "Ne croyez pas que l'excès des maux que j'ai soufferts ait altéré les facultés de mon âme." Un confesseur, indigne du sacerdoce, donna à l'un de ses pénitents la pénitence d'assayer de séduire la pauvre Marie : "Que la justice du Roi fasse qu'il ait le sort d'Aman, qui voulut perdre le courageux Mardochée, pour avoir refusé de fléchir le genou devant sa superbe ! Que votre crédit à la cour brise le talisman qui me tient si loin d'une famille dont j'ai si vivement désiré le retour."


En désespoir de cause la "princesse Marie", demeurant alors à Paris, rue d'Orléans, adressa une pétition à la Chambre des députés : "Des monstres à figure humaine (le clergé de Lisieux), ministres d'une religion sainte qu'ils déshonorent, ont adressé et abusent encore auprès du roi de ce qu'elle a de plus sacré pour satisfaire leur rage insensée. Mais, messieurs, vous ne prêterez pas l'oreille aux sifflements des serpents de l'envie. Vous ne laisserez pas plus longtemps la fille des Bourbons et des Césars foulée aux pieds de quelques méchants prêtres, la honte du sacerdoce, qui ont assez de crédit sur l'esprit du Roi pour lui faire oublier que son sang coule dans mes veines !"


Le président de la Chambre envoya cette pétition "inconvenante" au ministre de la Justice, qui la transmit à son collègue de la police, lequel se borna à répondre : "Il est évident que cette fille a l'esprit aliéné, mais jusqu'ici cette aliénation mentale n'a pas troublé l'ordre public. La police générale ne s'était pas occupée de son état ; je donne des ordres pour qu'elle soit surveillée."


On apprit de la sorte que, entre temps, elle avait demandé au curé de Fontainebleau "un extrait de baptême de l'enfant que Louis XVI a eu dans votre ville de la Reine, son épouse".


Bien que le sous-préfet de Fontainebleau ait été avisé que les mesures convenables avaient été prises pour arrêter l'effet des écarts de l'imagination de Marie Groult, il ne semble pas qu'elle ait été internée, car nous la retrouvons trois ans plus tard, en 1820, plaidant devant la cour de Caen pour obtenir la remise d'un paquet cacheté de cinq cachets à la cire rouge, confié au prédécesseur du notaire poursuivi par la pauvre démente, qui habitait Paris, rue des Boulangers.


Après quoi, nous perdons sa trace, mais on peut se demander si elle ne serait pas cette Marie Groult, décédée à la Salpêtrière, le 25 avril 1854. En tout cas, sa place était tout indiquée dans cet hospice, où échouèrent tant de pauvres aliénés ...


LOUIS HASTIER
Revue Le Pays d'Auge - Septembre 1953

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