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La Maraîchine Normande
11 novembre 2014

LA BASTILLE - LE FORT SAINT-ANTOINE

LA BASTILLE

LE FORT SAINT-ANTOINE


L'histoire de la prise de la vieille forteresse, défendue par quelques invalides, a été racontée par tous, elle est connue ; mais la légende de l'ancienne Bastille semble perdue dans la nuit des temps et enveloppée d'horribles mystères. Après les recherches déjà faites, on sent que si l'histoire politique de ce monument est encore à écrire, les documents sont prêts.


Aujourd'hui, nous placerons sous les yeux des lecteurs, comme avant-propos de cette histoire future, le monument matériel dont on célèbre la destruction.


Nous donnons une vue à vol d'oiseau de la Bastille en 1690, et puis, dans un double plan, rigoureusement établi sur la même échelle, nous figurons le quartier de la Bastille en 1420 et en 1880.

 

La Bastille en 1690


La municipalité de Paris ayant fait tracer sur le pavé de la place le pourtour de l'ancienne forteresse afin d'égayer les Parisiens le 14 juillet dernier, tous peuvent constater que la prison ne s'élevait point où s'élève la colonne du génie de la liberté ; elle était en avant dans la rue Saint-Antoine actuelle et comprenait les deux massifs de maisons qui commencent cette rue jusqu'à la rue Jacques-Coeur. C'est dans les substructions de ces maisons qu'on retrouverait encore quelques "pierres de la tyrannie", pour prendre le langage de la fête.


La colonne des glorieuses journées de 1830 s'élève donc en arrière de la Bastille, sur le large fossé qui défendait la forteresse de l'invasion des ennemis extérieurs, et non des Parisiens, ses vainqueurs, lesquels sont entrés par l'intérieur.
La colonne d'Alavoine, érigée par M. Thiers (1831-1840), est plantée sur le bastion triangulaire H figuré dans notre gravure ; le canal passe au-dessous, et entre le canal et le sol reposent les cendres des héros de juillet 1830.


En 1848, on choisit, pour proclamer la chute de Louis-Philippe, la colonne où, huit ans auparavant, on avait proclamé l'apothéose de son règne à la fête d'inauguration, le 29 juillet 1840. Lorsqu'on eut proclamé la République, dite de 1848, au pied de la colonne, on joignit aux cendres des héros de juillet les cadavres des héros qui venaient de renverser le gouvernement de Juillet ; ces ennemis sont en paix.
Lors de la terrible émeute de juin 1848, premier fruit de la République, d'alors, on voulut porter là les corps des soldats nationaux morts pour l'ordre : des familles protestèrent que c'était la place des insurgés, puisque les insurgés de juin étaient les insurgés de février. Malgré ces protestations, on rangea sous la colonne une troisième génération d'ennemis ; les hommes d'ordre battus en février, morts en juin.


Nous voici bien loin de la forteresse élevée par Charles V contre les Anglais.
Le palais des rois était primitivement (V) hors la ville et formait, avec le couvent des Célestins, un vaste carré. Pendant la captivité du roi Jean, les Anglais menaçant la capitale, le prévot des marchands Marcel, le traître qui voudra livrer Paris plus tard, éleva à la hâte un mur qui complétait l'enceinte de Philippe-Auguste et entourait les quartiers du nord et de l'ouest de Paris ; il prenait le long de la Seine à la tour Barbeau, suivait l'eau jusqu'à la tour de Billy, et de là, avec un large fossé, devenu le canal Saint-Denis, remontait jusqu'à la porte Saint-Antoine et au delà jusqu'à la porte Saint-Honoré, et enfin, au bord de la Seine, en aval de Paris, à l'endroit dit de la Tour du bois.


Le Dauphin (depuis Charles V) était régent du royaume pendant la captivité de son père à Londres. Marcel fier de ses travaux achevés en quatre ans, commença à se poser en ennemi du prince, qui dut, pour lui échapper, quitter Paris et demeurer au milieu de ses soldats.
L'Anglais et le roi de Navarre menaçaient la capitale ; le révolutionnaire Marcel n'hésita point à préférer l'ennemi au roi et vendit sa ville.


C'est en juillet (toujours en juillet) que Marcel comptait livrer aux ennemis les deux portes fortifiées de Saint-Denis et de Saint-Antoine. Mais quand il se présenta à la porte Saint-Denis, son ancien complice Maillard venait de se laisser gagner à la cause du Dauphin ; il refusa de trahir, et pendant que Marcel et sa suite couraient vers la porte Saint-Antoine pour livrer passage à l'ennemi de ce côté, ce Maillard monta à cheval au cri de : Montjoie Saint-Denis !" arriva à la porte Saint-Antoine, où il avait mis de ses gens, et tous déclarèrent à Marcel qu'au lieu d'ouvrir à l'Anglais, ils ouvriraient au Dauphin ; le peuple, instruit de la trahison, massacra sur place son prévôt des marchands. Le Dauphin put entrer trois jours plus tard et punir les autres traîtres.
Il fallait dire en détail l'aventure du fondateur de cette porte Saint-Antoine ou Bastille, car ce Marcel, à cause qu'il a trahi un roi, est exalté par le conseil municipal actuel de Paris ; on donne son nom à une rue et on lui prépare une statue.


Ainsi nos ignorants municipaux de 1880, qui célèbrent avec tant d'éclat la ruine de "l'infâme Bastille, bâtie par la tyrannie", élèvent donc aussi des statues à l'homme qui l'a construite, et au traître qui a voulu s'en servir pour livrer la capitale de la France à l'étranger (1358). C'est curieux !
Pour comble, le peuple célébrera, comme son héros, celui qu'il a massacré.


Revenons à la Bastille.

LA BASTILLE EN 1420


Charles V, devenu roi en 1364, pour faire cesser l'autorité des prévôts des marchands, inaugura le prévôt de Paris, et choisit un homme d'intelligence et d'énergie, Hugues Aubriot, avec lequel il s'entendit pour préserver le côté ouest de Paris, toujours le plus menacé, en accroissant les fortifications ; non seulement donc on exhaussa le mur de Marcel et l'on approfondit les fossés, mais Aubriot persuada au roi de remplacer la porte fortifiée de Saint-Antoine par une véritable forteresse servant de prison d'Etat, et il posa la première pierre, le 22 avril 1370, il l'acheva en quatre ans.


On fit ce travail avec les impôts spéciaux levés pour la guerre contre les Anglais ; on voit que l'origine de la forteresse de la Bastille est tout à fait nationale.


D'abord, il n'y eut que les tours du Trésor et de la Chapelle, hautes de 73 pieds, séparées par la herse, c'est-à-dire les deux grosses tours, en avant à droite sur notre gravure ; puis Aubriot, à titre de seconde enceinte et pour assurer à la forteresse une cour intérieure, fit bâtir, en arrière du côté de la rue Saint-Antoine, deux autres tours dont on aperçoit à peine le cintre sur notre dessin.


Voici les noms des tours qui ne datent pas tous de l'origine :


LA TOUR DU TRÉSOR, où se conserva l'économie royale sous le nom de l'Epargne, nom donné par Henri IV.
LA TOUR DE LA CHAPELLE, où se trouvait d'abord la chapelle ; elle fut transportée ensuite à la Tour de la Liberté.
LA TOUR DE LA LIBERTÉ, les Parisiens lui donnèrent l'assaut sous Charles VI en criant : Vive la liberté ! et on leur octroya la faveur de lui donner ce nom. C'est la tour où séjourna le premier prisonnier de la Bastille et celui qui l'avait construite, Hugues Aubriot, comme nous verrons plus loin. C'est aussi dans cette tour que le dernier gouverneur, de Launay, voulut mettre le feu aux poudres et en fut empêché.
LA TOUR DE LA BERTAUDIERE, nom de l'ouvrier maçon qui eut la malchance de tomber du haut en la bâtissant.
LA TOUR DE LA BAZINIERE, parce qu'on y emprisonna le trésorier de l'Epargne La Bazinière. Elle possédait le cachot où fut le mystérieux Masque de fer.
LA TOUR DU COMTÉ.
LA TOUR DU COIN, au coin de la rue Saint-Antoine et en face ;
LA TOUR DU PUITS, qui devait contenir le puits primitif ; le dernier était dans la cour.
Les autres fortifications extérieures de la Bastille ne sont que de 1553.


Aubriot trouvant dangereux qu'on puisse traverser la forteresse, ouvrit sur la droite la nouvelle porte Saint-Antoine (E), dite porte Saint-Antoine de Charles V.


Henri II construisit l'avant-portail de Saint-Antoine (F) qui fut reconstruit en 1660, pour l'entrée de Louis XIV, dans la même forme, mais avec le grand roi sur le sommet du toit et des allégories à la mode.

De chaque côté du roi étaient des fleuves, de Jean Goujon, qui se reposent aujourd'hui au jardin du palais de Cluny. Cet arc de pierre fut remanié, enlaidi en 1672 et démoli en 1788, un an avant la Bastille.
La herse était un peu plus loin. L'ancien chemin fortifié traversait le bastion triangulaire (H) où s'élève aujourd'hui la colonne en forme de tyran qui porte un sans-culotte.


Aubriot avait voulu faire une prison ; quand Charles V fut mort, le peuple irrité de sa fermeté et des impôts que les fortifications avaient exigé, se révolta ; en face même du cadavre du roi, on l'accusa de toutes sortes de crimes et on l'enferma dans cette Bastille dont il put ainsi expérimenter la sûreté. On croit qu'il en fut le premier prisonnier, car elle ne fut achevée que sous Charles VI.

charles VI


Quoi qu'il en soit, le prisonnier ayant été transféré aux prisons de l'évêché de peur que les oncles du roi ne le délivrassent, il arriva que les maillotins, terribles émeutiers du temps ayant brisé les portes des prisons pour faire désordre et trouver des complices, le mirent en liberté ; toutefois, ils exigèrent qu'il devint leur chef ; il accepta, mais s'enfuit la nuit même et alla mourir tranquillement à Dijon, son pays.


Lorsque Charles VI fut rentré en sa capitale et eut vaincu les maillotins, Aubriot demeura oublié, mais la puissante forteresse bâtie par lui et qui protégeait le palais des rois à Saint-Paul fut achevée avec soin, reçut un gouverneur de confiance et devint la prison d'Etat destinée aux gens notables et aux criminels de lèse-majesté.
Charles VI y plaça à ce titre deux prétendus ermites de Saint-Augustin, qui avaient promis de le guérir de la démence et qui n'avaient pas même réussi à soulager ses souffrances, dit le moine chroniqueur de Saint-Denis, lequel appelle la Bastille le "château royal de Saint-Antoine".


Ils y furent retenus, en effet, moins à titre de prisonniers qu'à titre d'otages de la guérison et bien logés aux frais du roi ; ils y furent longtemps, parce que la guérison promise ne venait pas.


Les Bourguignons et les Armagnacs se disputèrent ardemment la forteresse ; cette citadelle était devenue la clef de Paris, et quiconque la possédait, était maître de la ville.



Les Anglais la possédèrent, lorsque le roi d'Angleterre vint régenter à Paris, mais ils ne surent point la défendre. Louis XI s'abrita derrière elle contre les Bourguignons, et chose curieuse, si odieusement travesti et calomnié, l'instrument d'horreur dont les révolutionnaires jouent, à coup sûr, pour soulever les passions démocratiques, fut alors le roi populaire et le vrai fondateur de la garde nationale, bien avant que Lafayette eût conquis son commandement sur les ruines du 14 juillet 1789.


Les troupes du roi avaient en effet promis de livrer la forteresse aux Bourguignons, elles avaient même déjà encloué les canons, quand le prévôt des marchands fit mettre les chaînes, allumer les feux aux carrefours, et empêcha que le signal ne fût donné. La Bastille, cette nuit, était grande ouverte, mais les Bourguignons ne se présentèrent pas.


Louis XI n'apprit que le matin qu'il avait failli être fait prisonnier dans sa capitale, et depuis il jugea que la milice de Paris devait être sa meilleure garnison.

 

LOUIS XI


Il vint plusieurs fois passer en revue cette milice envers laquelle il ne cessa d'être reconnaissant ; on appelait ces revues une "montre". Les bourgeois se rangeaient en bataille hors la ville depuis la Bastille jusqu'à la cour de Billy et de la Bastille à la porte Saint-Denis ; 100.000 hommes manoeuvraient, défilaient, tous ornés de croix blanches et hoquetons rouges, et le roi applaudissait, le canon de la milice tirait tout le temps.


Ainsi s'éteignit le rôle vraiment militaire de la forteresse ; on commença à bâtir dehors et à former une nouvelle ville, le faubourg Saint-Antoine, dans laquelle elle fut enfermée. On bâtit si proche, tout autour, qu'on pouvait de toutes parts tirer des coups de fusil dedans.


Elle devint surtout prison, mais prison fortifiée, elle conservait ses canons ; on y faisait les salves qu'on tire aujourd'hui aux Invalides, et elle devint un boulevard de la ligue contre le protestantisme ; elle se rendit difficilement à Henri IV, lorsque, selon un propos qu'il n'a pas dit, mais qui fait partie des aphorismes historiques, ce prince acheta Paris catholique par une messe.


Le canon de la Bastille gronda une dernière fois sur l'ordre de Me de Montpensier d'Orléans contre les troupes du roi (21 octobre 1652), et cet acte fait partie des actes néfastes de la Bastille et de la ville de Paris laquelle fut livrée aux révoltés.
Nous nous trompons : le canon de Mlle d'Orléans ne fut pas le dernier, de Launay tira encore un coup de canon le 14 juillet 1789, un coup unique, à l'occasion duquel on fait un anniversaire toujours stupide dans la forme, quels que soient les efforts des organisateurs.


Une vignette du temps nous permet de représenter la fontaine de la régénération offrant, en 1793, de l'eau claire par les mamelles d'une nature en plâtre, pendant que le sang coulait à flots ; les commissaires buvaient de cette eau frelatée, en grande pompe, au son du canon, devant le peuple assemblé.

 

LA BASTILLE EN 1871

 


En 1871, nous avons cru que le pétrole révolutionnaire nous débarrassait du berceau des révolutions, les magasins voisins brûlèrent, faisant disparaître l'immense provision de vivres que la souscription anglaise avait amoncelée au lendemain du siège ; mais la colonne, percée de boulets, échaudée, survécut pour voir d'autre folies et demeurer un embarras pour tous les gouvernements qui se succèdent en France.

 

LA BASTILLE EN 1880

LA CROIX
Août 1880 - 5e livraison

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