1831 - DÉSARMEMENT DANS LES MAUGES ...
BEAUPRÉAU, 11 JUIN 1831
Les évènemens continuent à suivre ici la marche que j'avais prévue. Les actes connus du général Bonnet sont d'un homme uniquement animé du désir du bien public, mais qui n'a pas toujours une connaissance approfondie de l'état des choses et des esprits. S'il est assez bien secondé par quelques autorités supérieures, il est loin d'en être de même pour les fonctionnaires subalternes qui paraîtraient s'être donné le mot pour allumer un immense incendie. Comment en serait-il autrement ? S'il y avait dans une commune un homme en désaccord avec ses concitoyens, connu par ses opinions exaltées, c'est précisément celui qu'on a nommé maire ou adjoint. Maintenant qu'ils voient, sous leurs ordres, trente ou quarante soldats commandés par un officier trop souvent à leur hauteur, rien n'égale leur insolence : l'un d'eux disait l'autre jour, avec un sang-froid digne d'un personnage des comédies de Molière : La loi, c'est nous qui la faisons.
A l'exception de quelques chicanes sur les fusils d'honneur, le désarmement des fusils de calibre s'est opéré régulièrement à Beaupréau. La même contrainte n'a pas été suivie dans les communes voisines, où chaque municipal croyait ajouter quelque chose à sa petite taille en faisant un peu plus d'arbitraire que ses voisins. Grâce au clergé, il n'est arrivé aucun d'évènement fâcheux. Les efforts qu'il a faits pour calmer les esprits sont incroyables. Tous les partis s'accordent à reconnaître que nos prêtres tiennent la paix ou la guerre dans les plis de leurs robes. Eh bien ! affections, souvenirs, dénonciations odieuses, vexations, mauvais traitemens, injures, rien n'a été capable de les faire hésiter un instant, ils ont généreusement déployé tout ce qu'ils avaient d'ascendant et d'influence pour assurer la tranquillité du pays. Le beau caractère vendéen, en cette occasion, s'est également montré avec sa noblesse et son antique fierté.
Quelques traits entre mille suffiront pour vous faire apprécier quels immenses sacrifices nos généreux paysans ont faits au repos de leur patrie en ne repoussant pas l'arbitraire par la force ; c'est la foi et la raison enchaînant ce qu'il y a de plus fort, de plus impétueux, de plus irrésistible dans le coeur de l'homme.
Au Fief-Sauvin, on demandait à un brave son fusil : "Le voilà, mais je me retire, ma religion ne serait peut-être pas toujours assez forte pour m'empêcher de vous casser la tête."
A Ville-Neuve, un maréchal-ferrant voyant venir les désarmateurs, met son fusil en pièce : "Une arme qui m'avait coûté le plus pur de mon sang, dit-il froidement, ne pouvait vous être remise en un autre état."
Un officier qui passait par le Pin-en-Mauges, se permet quelques propos inconvenans sur le monument de Cathelineau, un cordonnier l'interrompit avec vivacité : Le jeune lieutenant lui répond par des plaisanteries sur la religion. - "Permis à vous d'être un impie, moi, j'ai le bonheur d'être chrétien, je vais à la messe, à confesse, à la face du soleil, parce que cela me plaît, parce que je suis libre de le faire et qu'il n'est personne au monde qui ait le droit de me demander raison de ma conduire." Là dessus l'officier se croyant insulté, entre avec bruit dans la boutique, prend le vieux Vendéen au collet : "Oh ! oh ! Monsieur, ce n'est pas ainsi qu'en agissent des braves, sortons, donnez-moi un fusil ou un sabre, et j'allons faire une bonne guerre. L'officier confus continua sa route sans mot dire, et le cordonnier reprit tranquillement son ouvrage.
Un autre, dont malheureusement je ne me rappelle pas le nom (je tiens le fait d'un témoin oculaire), refuse constamment de remettre son arme d'honneur. Mandé devant un chef de bataillon, le dialogue suivant, dont je puis vous certifier l'exactitude, s'engage entre eux : "Mon ami, vous ne voulez donc pas nous remettre votre fusil. - Non, Monsieur, il m'est trop cher. - Mais pourquoi attacher un si grand prix à ce fusil ? - Monsieur, ne tenez-vous pas barchouse à ces deux croix-là pendues à votre poitrine ? Ah ! c'est que vous les avez gagnées à la guerre ; eh bien ! mon fusil d'honneur est ma croix, à moi, je l'ai acheté avec mon sang (puis se découvrant), voyez plutôt les marques de mes blessures. - Cela peut être, mais votre fusil est de calibre. - Vos croix ne sont-elles pas aussi du calibre du gouvernement, faut-il pour ça qu'on vous les arrache. - Mon ami, la loi l'ordonne ainsi. - Montrez-moi la donc cette loi, je voudrais bien la voir. - Je vous promets que votre fusil vous sera rendu dans les vingt-quatre heures. - Donnez-moi votre parole par écrit. - Je pourrais vous faire mettre trois mois en prison. - Le Vendéen, avec indifférence. Comme il vous plaira, je ne ferai aucune résistance. - Ce n'est pas mon devoir à cette heure." Tout cela est historique.
Revue judiciaire, civile, criminelle, administrative et commerciale
Vendredi 17 juin 1831
N° 58 - Tome III - 1ère année